BULLETIN
UE LA
Société française d’Histoire de la Médecine
PARIS
Chez le Secrétaire general
K), rue Bonaparte, 10
1914
LISTE DES MEMBRES
Bibliothèque de l’Université, Algeh.
Berliner Gesellschaft für Geschichte der Naturwissenschaften
und Medizin (adresse ; P’’ D’’ von Buchka, Keithstrasse, 21,
Beelin.
The John Crerar library, Chicago, 111.
Det kongelige Bibliotek, Copenhague, (membreperpétueî).
Institut für Geschichte der Medizin, Talstrasse, 33, Leipzig.
Kgl. Universitats-Bibliothek, Munich.
Bibliothèque de l’Académie de Médecine, rue Bonaparte, 16,
Paiiis.
Bibliothèque de la Faculté de Médecine, rue de l’Ecole-de-
Médecine, 12, Paris.
Bibliothèque de l’Ecole supérieure de pharmacie, avenue de
l'Observatoire, 4, Paris.
Société médicale du IV® Arrondissement, Mairie du IV® Arron¬
dissement, Paris.
Library of the Collegeof physicians, 22“* streetabove Chestnut,
Philadelphie.
K. K, Universitats-Bibliothek, Prague (adresse : J. G. Galve,
libraire, Malé nâm, 12, Prague, I).
Svenska lækareskællskapets medicinskhistoriska sektion,
Stockholm (adresse : Brockhaus, libraire, rue Bonaparte,
17, Paris).
K. K. Universitats-Bibliothek, Vienne (adresse : Gerold, li¬
braire, Stefansplatz, 8, Vienne, l (Autriche).
Aciiard (Df), Professeur à la Faculté de Médecine, Médecin
des hôpitaux, rue du Faubourg Saint-Honoré, 164 (1).
Ala.iouanine, interne provisoire. Hospice de Bicêtre (Seine).
Arnozan (D® X ), Professeur à la Faculté de médecine. Pavé
des Chartrons, 27 bis, Bordeaux.
Aubert (D®), Chirurgien en chef de l'Antiquaille, rue Victor-
Hugo, 33, Lyon.
Avalon (Jean), Etudianten médecine, rue Serret, 4.
Baldenweck (D'), ancien Interne des hôpitaux, rue de Mon¬
ceau . 87.
Ballet (D® Gilbert), Professeur à la Faculté de Médecine,
(1) Là nu le nom île la ville n’c«l pas indiqué, il s'agit de Paris.
— 6
membre de l’Académie de Médecine, rue du Général-Foy,
39.
Bakiié (D'), Médecin aliéniste des hôpitaux, rue de Luyncs,
11 .
Bauiullon (D’’), ancien Interne des hôpitaux, avenue de l’Obser-
vatcfire, 24.
Baudot(A.), Docteur en pharmacie, rue du Colonel-Marchand,
4, Dijon.
Baudoin (D'' Marcel), ancien Interne des hôpitaux, rue Linné,
21 .
Bùaudoin (D'' Frédéric), rue du Château, Alençon (Orne).
Beauvois (D'), rue Berteaux-Dumas, 7, Neuilly-sur-Seine.
Belu/,e’(D''), rue des Francs-Bourgeois, 54.
Bi;naud(D‘‘), Château-Gonihier (Mayenne).
Beiu'.ouniou.x (D^), ancien Médecin principal de l’armée, Bel¬
fort, par Lalbenque (Lot)
Béiullox (D''), Médecin-Inspecteur des asiles d’aliénés, rue
de Gastellane, 4.
Bilancioxi (D'’ GuglieImo), Professeur à l’Université, Via
Avignonesi, 5, Rome.
BiLCEn (Capitaine), Chefferie du génie, Mézières.
Blanchaiid (D'' Raphaël), Professeur à la Faculté de Méde¬
cine, membre de l’Académie de Médecine, boulevard Saint-
Germain, 22G, (^membre perpétuel') .
Boinet (D'), Professeur à l’Ecole de Médecine, rueMontaux,
4, Marseille.
Bois.moiieau (D''), Saint-Mesmin-le-Vieux (Vendée).
BoxAPAnTE (prince Roland), membre de l’Institut, avenue
d’Iéna, 10.
Bonnet (D'’ Edmond), Assistant au Muséum d’histoire natu¬
relle, rue Claude-Bernard, 78.
Bord (D'' Benjamin), ancien interne des hôpitaux, secrétaire
général delà rédaction d'Æsculape, rue de Rome, 69.
Boudon (D'' L ), Chef de clinique à la Faculté de Médecine,
me de Bellechasse, 64.
Bouquet (D'' Henri), rédacteur médical au Temps^ rue du
Imnain, 18.
BouTiNEAU.Membrede la Société archéologique, ruedel’Alraa,
73, Tours.
Bn.E.MER (D"^), Professeur à la Faculté mixte de Médecine et de
Pharmacie, rue des Récollets, 105, Toulouse.
BnuNOT(A.), Directeur de Medicina, rue Henri-Martin, 6.
Buciiet, Directeur de la Pharmacie centrale de France, ruede
Jony. 7.
- 7 —
Büciel (D'), boulevard Saint-Marcel, 72.
Cany (1)'' G.), Médecin consultant à la Bourboulo, rue de Vau-
girard, 5().
Gaubonnelli (D'’), Directeur de la Maternité, San-Massimo,
33, Turin.
Garôe (D'' Kristian), Sôlvgade, 34, Copenhague.
Cawadias (Df), ancien Interne des hôpitaux, rueLesieur, 14.
Cayla(D‘')^ ancien Interne des hôpitaux de Paris, avenue de
Neuilly, 31, Neuilly-sur-Seine.
Celliek, interne des'hôpitaux. Hospice de Bicêlre (Seine).
Chaplin (D''Arnold), York Gâte, 3, Regents Park, Londres,
CnAPUT (IR H.), Chirurgien des hôpitaux,avenue d’Eylau, 21.
Chassevant (Df), Professeur agrégé à la Faculté de Médecine,
rue La Boétie, 122,
Chauffard (D''), Professeur à la Faculté de Médecine, Méde¬
cin des hôpitaux, membre de l’Académie de Médecine, rue
Saint-Simon, 2.
Chaumier (D’’Edmond), Directeur de l’Institut vaccinal, rue
Corneille, 4, Tours.
Chaumont (D*'), rue de Vaugirard, 63.
Chauveau (D)), boulevard Saint-Germain, 225.
Chavant (D'' F.), rue Lakanal, 2, Grenoble.
Cholmeley (D’’ P.-H.), Winterton House, Westerham (Kent,
Angleterre).
Cleu (D’’ H.), Médecin aide-major de 2“ classe au 149® régi¬
ment d’infanterie, Epinal.
Closmadeuc (D^G. de). Membre correspondant de l’Académie
de Médecine, Vannes.
Colin- (D^), Médecin-major de l®® classe en retraite, rue
d’Ulra,2.
Colin (Dr Gabriel), Professeur à l'Université, avenue des
Consulats, 36, Alger.
CopPEz (D® Henri), Professeur agrégé à la Faculté de Méde¬
cine, avenue des Arts, 21, Bruxelles.
CoRNiLLOT (Dr), Bibliothécaire à la Faculté de Médecine,rue
Gazan, 39.
CoRsiNi (D® Andrea), Professeur à l’Université, Via dei Bardi,
'5, Florence.
Coulomb (Dr R.), rue Vignon,28.
Courbe (Dr André), rue des Saints-Pères, 30.
Courtade (D® A.), ancien Interne des hôpitaux, rue de Cas-
tellane, 14.
Coville (René), Interne à l’hôpital Saint-Joseph, rue Pierre-
Nicole, 22.
— 8 —
CnEîMiîii (IV' Jean), Médecin de l’Assistance médicale indigène,
Librairie Charles Boulangé, rue de l’Ancicnne-Comédie, 14,
CusHiNG (D'' Harvey), Professeur à l’Ecole de Médecine de
l’Université Harvard, Boston, Mass.
Da.m (E.), Pharmacien, Taarboek,Klampenborg (Danemark).
DÉJEitiNE (D’’ J .), Professeur à la Faculté de Médecine, Méde¬
cin des hôpitaux, membre de l’Académie de Médecine, bou¬
levard Saint-Germain, 179.
Dekeyser (D'' Léon), rue des Sablons, 9, Bruxelles.
Delaunay (D’’ Paul), ancien Interne des hôpitaux de Paris,
rue de la Préfecture, 14, Le Mans.
Delbet (D"' Paul), ancien Chef de clinique de la Faculté de
Médecine, rue Roquépine, 14.
Deroide (D'’), ancien Interne des hôpitaux de Paris, rue de
Richelieu, 9, Calais.
Debriey (D' Marcel), Salins-les-Bains (Jura).
Deschiens, ex-lngénieur chimiste des hôpitaux. Directeur de
A'os Maîtres, v\3l& Paul-Baudry, 9,
Des Cilleuls (D"" Jean), Médecin-major de 2® classe à l’Ecole
d’application de cavalerie, licencié en droit, villa Belle-Vue,
quai des Marronniers, Saumur.
Desnos (D''), ancien Interne des hôpitaux, rue La Boôtie, 59.
Diepgen (D*" Paul), Privat-Doce'nt d’histoire de la médecine à
l’Université, Kronenstrasse, 2, Fribourg en-Brisgau(Bade).
Dignat (D''), avenue Carnot, 14.
Dock (I)’’ George), Locust Street, 1806, Saint-Louis, Miss.
(Etats-Unis).
DonvEAUx (D'' Paul), Bibliothécaire en chef de l’Ecole supé¬
rieure de Pharmacie, avenue d’Orléans, 58.
Drivon (D'' Jules), Médecin honoraire des hôpitaux, avenue
de Saxe, 284, Lyon.
Dubreuil-Chambardel (D'' Louis), rue Jeanne-d’Arc, 3,
Tours.
Dupont (D''V.), avenue de Saint-Ouen, 105.
Dupré (!)'■), Professeur agrégé à la E'aculté de Médecine,
Médecin des hôpitaux, rue Ballu, 17.
Ksmonet (D"" Charles), Médecin consultant à Chàtel-Guyon,
rue de l’Abbaye, 6.
Estrée (Paul d’). Publiciste, rue Saint-Paul, 43.
Fabre (1)'' Paul), Correspondant de l’Académie de Médecine,
Commentry (Allier).
Farez (D''), rue La Boëtie, 3.
I’ay (D' Marcel), ancien Interne des asiles de la Seine, rue do
Tluinn. 11 bis.
— 9
Fay (Maurice), Chirurgien-Dentiste, rue de la Ville-l’Evê-
que, 17.
Fekckel (!)'■ Chr.), Kurze Strasse 6‘, Leipzig.
Flandiun (D*’), Médecin accoucheur en chef de l’Hôpital,
place Grenette, 11, Grenoble.
Florence (D')> Professeur à la Faculté de Médecine, rue
Gulatte, 3, Lyon.
Fon-ahn (Df Adolf), Professeur agrégé à FUniversité, Akers-
bakken, 37, Kristiania.
FoRCEvn.LE (Gaston de). Directeur du Haminan, rue des
Mathurins, 18.
Fosseyeux (Marcel), Chef de bureau jà l’Assistance publique.
Docteur ès-lettres, boulevard Saint-Jacques, 54.
Gallot-Lavallée, (IP), rue Madame, G7.
Gariel (D’’), Professeur à la Faculté de Médecine, membre
de l’Académie de Médecine, rue Edouard-Detaille, G.
Garrison (D'' Fielding H.), Rédacteur de Vinde.v medicus,
2532, Thirteenth Street, N. W., Washington, D. G.
Gaudel (Louis), Substitut du Procureur de la République,
Auxerre.
Gauthier (Léon), Archiviste aux Archives nationales, quai
aux Fleurs, 1.
Genévrier (D*' J.), ancien Interne des hôpitaux, rue du Pré¬
aux-Clercs, 8.
Genil-Perrin (D’’ G.), Interne à l’Asile Clinique Sainte-Anne,
boulevard Saint-Jacques, 52 bis.
GiacosX(D'’ Piero), Professeur à l’Université, corso Ralîaello,
30, Turin.
Giedroy'c (D*" prince François), Maison E. Wende et C‘®,
Varsovie.
Gilbert (D''), Professeur à la Faculté de Médecine, Médecin
des hôpitaux, membre de l’Académie de Médecine, rue de
Rome, 27.
Goldschmidt (D'’ D.), boulevard Voltaire, 7.
Goulard (D’’ R.), Brie-Comle-Robert (Seine-et-Marne).
Grangée (!)'■ F.-M.), rue du Marché, 8 ter, Neuilly-sur-Seine
Grasset (D’’ Joseph), Professeur honoraire à la Faculté de
Médecine, rue J.-J. Rousseau, Montpellier.
Gr5n,(D' F.), Huitfeldtsgt., 9 B, Kristiania.
Guelliot (IV Octave), Ghirurgien de l’Hôtel-Diou, rue du
Marc, 9, Reims.
Guiaut(D‘'), Professeur à la Faculté de Médecine, Lyon.
Guillaud (D' G.-A.), Professeur à la Faculté de Médecine de
Bordeaux, avenue Gambetta, 77, Saintes.
— 10 —
Giihi.oN (!)'■ PuulJ, boulevard Maleslierbes, (iO.
(îuiSAN, (i)'' André), plarc llel-Air, 2, Ijausannc.
(kTiiiiiH (I)'' Ijconard), l'ppei- Berkeley Street, 15, Portman
square, Londres, W.
Gyouy (!)'■ Tiherius de), Privat-docent d’histoire de la méde¬
cine à rUniversilé, Veres Paine uteza, 34, Budapest, IV.
Hadiîhijnc; (1)''W.), Gberstabsarzl, Werderstrasse, 29, Co¬
logne.
IIaiin (1)'' Ijiicien), Bibliothécaire de la Faculté de Médecine,
rue Gay-Lussac, 28.
llAMiiuiunîii (!)'■ Ove), Lecteur d’anatomie à l’Fcole des
Beaux-Arts, Nansensgade, 43, Copenliague.
Hamoxic (])'■), ancien Interne des hôpitaux, rue Glauzel, 7 ter.
Haut.man.x (1)’' Henri), Pi’ofesseur à la Faculté de Médecine,
Chirurgien des hôpitaux, place Maleslierbes, 4.
lIl•:l.’\^■lî(; (!)'■ .Iobanne.s), Torvegade, 25, Copenhague, C.
Hervé (l)'' Georges), Professeur à l’Ecole d’Anthropologie,
rue de Berlin, 8.
Houssay (D'' b’r.), Pontlevoy (Loir-et-Cher).
Hue (l)r bh’.), l’rofesseur à l’Ecole de médecine. Chirurgien
des hôpitaux, rue aux Ours, 48, Bouen.
Jari.onski (D'), Médecin des hôpitaux, rue des Arènes, 17,
Poitiers.
.Iacoiis (!)'■ Henry Barton), Professeur à l’Université .lohn
Hopkins, 11, Mt. Vernon place W., Baltimore.
JiîANSET.ME (I)'' Edouard), Professeur agrégé à la Faculté de
Médecine, Médecin des hôpitaux, quai Malaquais, 5.
Jennixus (!)'■). roule de la Croix, 3, Le Vésinet (S.-ei-O.).
.loiiNssoN (D'' ,1. W. S.), Gammcl Kongevej, 87, Copen¬
hague.
•loLY (IP), Médecin consultant à Bagnoles-de-l’Ornè, villa
des Lotus. L’hiver, boulevard Raspail, 39, Paris.
JuQniii.iER (IF), Directeur de l’Asile de Moisselles (Seine-et-
Oise).
Ki.iîiîs (!)'■ Arnold G.), Montolivet, Ouchy-sous-Lausanne
(Suisse).
LACAssAfiNF. (D’’), Professeur honoraire à la Faculté de Méde¬
cine, place Raspail, 1, Lyon.
Lacroxiquf. (!)'■ R.), Médecin principal de 1"® classe. Direc¬
teur du service de santé du 17® corps d’armée, Toulouse.
Ladamk (])'■ P-L.), rond-point de Plaiiipalais, 5, Genève.
Laignei. Lavastine (D"M.), Professeur agrégé à la Faculté de
Médecine, Médecin des hôpitaux, rue de Rome, 45.
Lams (!)'■ Honoré), Professeur agrégé à la Faculté de Méde-
— 11 —
cinc, Bibliothécaire de la Société de Médecine, rue .1 .-F ^^’il-
Icms, 2, Gand.
Laxdouzy (Df L.), Doyen de la Faculté de Médecine, Méde¬
cin des hôpitaux, Membre de l’Académie de Médecine, rue
de l’Université, 15.
Lanolois (D''), Maubeuge (Nord).
Laimîrsonne (D’’ be). Professeur à la Faculté de Médecine,
rue de Lisbonne, 30.
Leceaih (Edmond), Pharmacien des hôpitaux, rue de Puel)la,
35, Lille,
Leclerc (D’’ F.), Médecin de l’Hôtel-Dieu, rue de la Répu¬
blique, 12, Lyon.
LEDOux-LEiiARD (D"' R.), rue Clément-Marot, 22.
Leeort (Gustave), Pliarinaoien honoraire, aux Mécliers,
Saint-l)idier-en-Rollat (Allier).
liECRANi) (Noé), Bibliothécaire à la Faculté de Médecine, rue
des Feuillantines, 10.
Lécuillette (Charles), boulevard Saint-Germain, IKi.
Le.iars (IP), Professeur agrégé à la Faculté de Médecine,
Cbirùrgien des liôpitaux, rue de la Victoire, 90.
Lemaire (1)'' Jules), ancien Interne des hôpitaux, rue de
Rignÿ, 5,
Lemaire (])'■ L.), Gliirurgicn de l’Hôpital civil, rue des Vieux-
Remparts, 27, Dunkerque.
Le Pileur (D’’ L.), Médecin de Saint-Lazare,rue de l’Ar¬
cade, 15.
Lereroullet (!)'■ Pierre), Professeur agrégé à la Faculté de
Médecine, Médecin des hôpitaux, boulevard Saint-Ger¬
main, 193.
Leri (D'André), ancien Interne des hôpitaux, avenue Hoche, 38.
Le Roy des Barres (D' A.), Professeur à l’Ecole de Méde¬
cine, Directeur de l’Hôpital du Protectorat, Hanoï (Ton-
kin).
Letulle (D'), Professeur à la Faculté de Médecine, Médecin
des hôpitaux, ^Membre de l’Académie de Médecine, rue de
Magdebourg, 7.
Levacher (Italo), Treviso Veneto (Italie).
Lirert (D' Imcicn), ancien Interne des Asiles de la Seine,
Licencié ès-sciences. avenue de Saint-Mandé, 13.
Maar (D' V.), Chargé de Cours à l’Université, Store Kanni-
kestrade, 13, Copenhague.
Mac Muhtrie (D' Douglas C.), Secrétaire de l’American Asso¬
ciation for ihe conservation of vision, Metropolitan Tower,
298, New York.
— 1.2 —
Magnan (I)'). Médecin de Sainte-Anne, Membre de l’Acadé¬
mie de M.édecine, rue Cabanis, 1.
Mallet (D"), Chef de Clinique à la Faculté de Médecine, rue
Cambon, 24.
Massalongo (D'' R.), Professeur à FUniversité de Padoue,
Ospedale Maggiore, Vérone.
Meige(D‘' Henry), rue de Seine, 10.
Ménéthiiîii (D’’), l’rofesseur agrégé à la Faculté de Médecine,
Médecin des hôpitaux, boulevard Saint-Michel, 59.
MEncilïii (D’ Raoul), boulevard Heurteloup, 41, Tours.
Meyeh-Steineg (l)’’ Tbeodor), Professeur à l’Université,
léna.
Meyeuiiof (D" Max), Sbaria el Bab el Sbarky, Le Caire.
Moniz Bahiuîto de A»a(;ao (D’’ Lgas), Professeur à la
Faculté de Médecine, S. Pedro, 3G, Bahia (Brésil).
Moule (L.), Vétérinaire sanitaire, rue de la Tour, 27, Vitry-
le-François.
MouTiEit (D"' François), ancien Interne des hôpitaux, rue de
Monceau, 95.
Nass (D'' Lucien), villa David, 12, Vincennes.
Netteh (DO, Professeur agrégé à la Faculté de Médecine,
Médecin des hôpitaux, membre de l’Académie de Méde¬
cine, boulevard Saint-Germain, 104.
Xeustatteh (D'' Otto), Hygiene-Museen i. V., Grossenbain-
erstrasse, 9, Dresde.
Neveu (D'' Raymond), rue de Sèvres, 107.
NTcaise (D’’ 4'ictor), ancien Interne des hôpitaux, rue
Mollien, 3.
NTcoi.as (D''), Médecin consultant au Mont-Dore (Puy-de-
Dôme). L’hiver, avenue de la Gare, 31, Nice.
Olivieii (D'' Eugène), ancien Interne des hôpitaux, rue de
Rennes, liO.
ÜSLEU (D' Sir ^^’illiam), Regius professor of medicine,
Norbam Gardens, 13, Oxford.
Pansie» (DO, rue Saint-André, (i, Avignon.
Pasteau (D'' O.), ancien Chef de Clinique à la Faculté de
médecine, avenue de Villars, 13.
Payenneville (Df J.), Médecin des hôpitaux, rue Beffroy,
29, Rouen.
Pensuti (I)'' Virginio), Professeur à l’Université, Piazza
(IcH’Esedra di 'rermini, 47, Rome.
Pekcei’IEd (DO, Médecin consultant au Mont-Dore. L’hiver,
Boisguillaurnc-lès-Rouen (Seine-Inférieure).
Peugens (DO- Maeseyck (Belgique).
— 13 —
PicuiiviN (D’’ R.)) l’u® Berlin, 38.
PiCQUÉ (D'' Lucien), Chirurgien de l’Hôpital Lariboisière, rue
Saint-Lazare, 81.
PiERï (D')’ ‘’uc Emile-Zola, 5, Lyon.
Plantieu (1)*' L.), Médecin de l’ilopital, Annonay.
Pluyette (1)'' Edouard), Chirurgien en-chef des hôpitaux.
Professeur d’anatomie à l’Ecole des Beaux-Arts, cours
Lieutaud, 112, Marseille.
Power (D’Arcy), F. R. C. S., Chandos Street, 10“, Caven-
dish Square, Londres, W.
Preisleh (!)'■ O.), Kongens Lyngby, par Copenhague.
Prévost, Rédacteur au Secrétariat de la Faculté de Médecine,
rue de l’Ecole-dc-Médecine, 15.
Prieur (1)'' Albert), Rédacteur en chef de la France Médicale,
place des Vosges, 1.
Prieur (Léon), Avocat à la Cour d’Appel, rue de Bour¬
gogne, 23.
Railliet (1)'), Professeur à l’Ecole vétéi-inaire, membre de
l’Académie de Médecine, Alfort (Seine).
Ra.mrauu (Pierre), Pharmacien en clief des hôpitaux, rue
Alsace-Lorraine, 14, Poitiers.
Reiier, Pharmacien, cour Saint-Pierre. 3, Cenève.
Recnault (D’’ Félix), Directeur de VAvenir médical et théra¬
peutique illustré, rue Lavoisier, 4, Meudon (Seine-ei-Oise).
Remy (])'■ A.), Médecin aide-major au 15“ bataillon de chas¬
seurs à pied, faubourg d’Alsace, 22 bis, Remirernont.
Reutter (D‘‘ Louis), faubourg de l’Hôpital, Neuchâtel
(Suisse).
Richer (D"' Paul), professeur à l’Ecole des Beaux-Arts,
membre de l’Institut et de l’Académie de Médecine, rue du
Luxembourg, 30.
Rivière (Emile), Directeur à l’Ecole des Hautes-Etudes, rue
du Cherche-Midi, 97.
Rorin (D'' Albert), Professeur à la Faculté de Médecine,
membre de l’Académie de Médecine, rue Beaujon, 18.
Roché (D'' Henri), rue de Rambuteau, 20.
Rodocanachi (E.), Homme de lettres, rue de Lisbonne, 54.
Rouants (Edmond), Auditeur au Conseil d’hygiène. Institut
Pasteur, Lille.
Rollet (D' Maurice), Directeur du bureau d’hygiène,
Auxerre.
Roshem (D” Julien), Médecin aide-major au 41® régiment
d’artillerie, rue des Lambres, 35, Douai.
Roucayrol (D'), rue du Rocher, 49.
— 14 —
Rouquette (D''), place de la Liberté, 4, Nice.
Rouveyre (Edouard), Editeur, rue de la Tour, 102.
Rouxeàu (1)‘')i Professeur à l’Ecole de Médecine, rue Héron-
nière, 4, Nantes.
Roy (!)'■ Paul), ancien interne des hôpitaux, rue Haute-
feuille, 19.
Rueeeu (D‘' Marc Armand), President du Conseil des quaran-
taine.s, Alexandrie (Egypte).
Saiitqn (!)'■ Ceorge), Directeur de la revue his, Wondel-
gem-lez-Gand (Belgique).
Savounin (I)'), rue d’Allemagne, 60.
ScHLUETER (D’’ Robert E.), Metropolitan Building, Saint-
Louis (Etats-Unis).
ScHOPPi.ER (])■' Hermann), Kgl. Stabsarzt, Agnesstrasse, 61",
Munich.
Schwartz (D*' E.), Professeur agrégé à la Faculté de Méde¬
cine, Chirurgien des hôpitaux, membre de l’Académie de
Médecine, rue Galilée, 4.
SÉE (D'' Pierre), avenue des Champs-Elysées, 65.
Seidel (D’’ Ernst), Professeur honoraire, Meissen-Ober-
spaar (Saxe).
StîMELAïuxE (D'' René), ancien Interne des hôpitaux de Paris,
avenue de Madrid, 16, Neuilly-sur-Seine.
SiGURET (D'' Gaston), Médecin consultant à Saint-Nectaire.
L’hiver, rue du Faubourg Montmartre, 7, Paris.
Singer (1)'’ Charles), Somersplace, 4, Londres, W.
Starker (ü’’ W.), Clinique des maladies nerveuses à l’Uni¬
versité impériale, Bojenikowskij, 17, Moscou.
Stein (!)'■ John Bethune) East 18““ Street, 132, New York.
Sturel (René), Professeur au Lycée, place de l’Hôtel-de-
ville, 20, Le Havre.
SuDHOFE (D''), Conseiller privé. Professeur à l’Université,
' Directeur de l’Institut d’histoire de la médecine, Talstrasse,
33, Leipzig.
Tanqn (l)!" Louis), Professeur agrégé à la Faculté de méde¬
cine, rue des Carmes, 14.
Tarulli (Dr Luigi), Professeur à l’Université, Manicomio di
S. Margherita, Pérouse (Italie).
Torkomian (IJr V.), rue Taxim, 23, Péra, Constantinople.
Torretta (Dr Piero), via Ospedale, 9, Turin.
Truc (D'), Professeur à la Faculté de Médecine, Carré-du-
Roi, 3, Montpellier.
Tuffier (D'), Professeur agrégé à la Faculté de Médecine,
Chirurgien des hôpitaux, avenue Gabriel, 42.
Vallon (D'' Ch.), Médecin de l’Asile clinique Sainte-Anne,
rue Soufflet, 15.
Vallon (D' F.), Médecin consultant à Contrexéville. L’hiver,
rue Marguerin, 7, Paris.
ViAu (George), Chirurgien-dentiste, Professeur à l’Ecole
dentaire, boulevard Malesherbes, 109.
Vidal (D’’ Ch.), rue du Temple, 27, Castres.
ViLLAuiîT (D'' Maurice), Professeur agrégé à la Faculté du
médecine, rue de Miromesnil, 76.
ViNCHON (D''Jean), Interne des asiles de la Seine, boulevard
Saint-Jacques, 69.
VuiîPAS (D''), Médecin de l’Hospice de Bicêtre, rue de Cha-
ronne, 161.
Wallich (D’’), Professeur agrégé à la Faculté de Médecine,
Accoucheur des hôpitaux, rue de Bourgogne, 17.
Walsh (Df James J.), Doyen de Fordham University School
of medicine, 110, W. 74th Street, New York.
Weisgekhiîu (])'' H), Sous-directeur de l’Ecole d’anthropo¬
logie, rue de Prony, 62.
WicKEUSHEiMEii (D'' Emest), Bibliothécaire de l’Académie de
Médecine, rue Bonaparte, 16.
WoLEF (D" Alfred), Professeur à l’Université, Kaiser Frie-
drichstrasse, 5, Strasbourg.
Yiucoyen (Df Ciriaco), Fuenterrabia, 33, Saint-Sébastien
(Espagne).
Zeuvos (D’’ Skevos), Athènes.
— 16 —
Bureau
Président: ï\l. Paul Douveaux.
Vice-Présidents : MM. Edouard Jeansel.me et Maurice
Letulle.
Secrétaire général : M. Ernest WiCKEnsuEiMEii.
Secrétaires: MM. André Barbé et Lucien Haun.
Trésorier: M'. Henri RocuÉ.
Archiviste-Bibliothécaire : M. E. Beluze.
Conseil
MM. Raphaël Blancuaiiu, Paul Delauxay, Raymond Neveu,
sortants en 1914.
J. Génévrieb, Georges Hervé, René Semelaigne, sor¬
tants en 1915.
A. CouRTADE, Eugène Olivier, Pierre Ramuaud, sor¬
tants en 191G.
L. Le PiLEUR, Président sortant.
Anciens Présidents
1902-1904. Raphaël Blanchard.
1905-1906. t E.-T. Ha.mv.
1907-1908. Paul Richer.
1909-1910. Gilbert Balle'I'.
1911-1912. L. LePileur.
— il —
Séance du 14 janvier 1914
Présidence de M. Paul Dorveaux
MM. Helweg, Levacher, Moutier, Rolanîs, Savor-
KiN, Stein et ViLLARET, présentés à la dernière séance,
sont élus membres de la Société.
— Candidats présentés :
M. le D'' Benjamin Bord, ancien interne des hôpi¬
taux, secrétaire général de la rédaction à’Æsculape,
rue de Rome, 69, Paris, par MM. Barbé et Wickers-
heimer.
M. le D*' André Courre, rue des Saint-Pères, 3G,
Paris, par MM. Coville et Gallot-Lavallée.
M. le D'' P.-L. Ladame, rond-point de Plainpalais, 5,
Genève, par MM. Dorveaux et Wickersheimer.
M. le D'' Ernst Seidel, professeur honoraire, Meis-
sen-Oberspaar (Saxe), par MM. Desnos et Wickers¬
heimer.
— Lettres de démission de MM. Garboe et In-
gerslev.
— M. le Trésorier lit un rapport sur l’exercice
financier de 1913. Ce rapport sera examiné par une
commission de deux membres, MM. Cany et Galloï-
Lavallée qui déposeront leurs conclusions à l’Assem¬
blée générale du 11 février prochain.
ÜNE ORDONNANCE DE LAENNEG
par lo D' M. LAICniEL-LAVASXlKli:
A l'occasion de la communication que nous a annoncée
M. Lelulle sur deux autographes de Laennec, je désire pré¬
senter à la Société une ordonnance de Laennec, écrite le
7 décembre 1823 par le D'' Rullier, qui l’avait appelé en con¬
sultation.
Ce document me fut donné en 1906 par Hippolyte Hérard
qui lui-mêmè l’avait reçu de la cliente de Laennec, devenue la
sienne. Il me fut emprunté en 1907 pour une leçon de
M. Launois sur Laennec à l’hôpital Lariboisière.
Bull. Soc. fr. hUl. méd., XII, 1914
— 18 —
Voici ce texte :
Les médecins soussignés, réunis en consultation
auprès de Coupât, ont donné la plus sérieuse
attention à toutes les circonstances antérieures et
actuelles de sa maladie. Ils ont particulièrement
examiné l’état de sa poitrine, et il résulte de leurs
moyens de recherches, et, notamment de l’emploi du
stétoscope, qu’ils se sont assurés que M“® C. est
atteinte aujourd’hui d’un simple catarrhe pulmonaire.
Cette maladie, peu grave en elle-même ou de sa
nature commençant à passer à l’état chronique,
exige néanmoins toute l’attention de la jeune malade
et de ses parens, afin de prévenir sa conversion mal¬
heureusement très fréquente, en une affectioij juste¬
ment redoutée.
M““ Coupât sera donc incessamment soumise à l’em¬
ploi rigoureux du régime de vie et des médicaments
suivants :
1“ Changer d’air, abandonner pendant quelques
tems le climât de Paris. Se rendre dans le midi et
voyager en suivant les côtes de la méditeri’anée.
Dans ces voyages, éviter delaliguer la malade et se
reposer, à cet effet, un tems suffisamment long, à
Montpellier, à Aix, aux Isles d’Hyères, ou à Nice.
Dans la saison convenable, faire le voyage de Suisse.
Respirer l’air de la végétation et particulièrement
celui des plantes qui croissent au bord de la mer.
Eviter, avec soin, le froid et l’humidité, ne sortir que
par un tems doux et au milieu du jour. Se prémunir
contre la fraîcheur du soir et du matin, habiter un
appartement bien exposé et modérément chauffé, à la
chaleur de l’âtre ;
2“ User de vêtemens chauds et légers. Porter de la
flanelle sur la peau, faire frictionner cette partie
auprès d’un feu clair avec une laine chaude, impré¬
gnée, par fois, de la vapeur du benjoin calciné ;
3° Manger peu à la fois, et répéter les repas suivant
l’activité de l’appétit. Ne manger que des alimens
doux et digestifs ; insister particulièrement sur les
bouillons légers et gélatineux, composés avec la
volaille, unie à une petite quantité de bœuf et aux
— 19 —
légumes. Le lait et le laitage, le lait d’ànesse, dans la
saison convenable, les pâtes et les fécules amilacées,
les poissons blancs et légers, les fruits cuits, sucrés
et réduits en compote, sont les principaux alimens
convenables. Couper le vin des repas avec de l’eau
gommée;
4“ S’exercer sans fatigue, se promener en voiture,
monter à âne ou même à cheval, si l’allure de cet
animal est compatible avec l’état des forces. Exercer
peu ses bras, renoncer aux ouvrages de l’aiguille.
y de la persévérance. Parler peu et doucement. Eviter
la lecture à voix haute, les conversations suivies et
animées, le chant. — Eviter, également, tout effort
considérable et soutenu ; dans la toux, s’appliquer à
diminuer, autant que possible, la force de celle-ci.
5° Se distraire, s’occuper d’objets agréables et
variés. Laisser le moins de prise possible à l’ennui.
Prolonger la durée du sommeil, se coucher de bonne
heure et se lever tard. Garder dans le lit une posi¬
tion élevée à l’aide d’un double oreiller. Sous le rap¬
port des médicaments, rien faire qu’en très petit
nombre. Se borner maintenant et jusqu’à ce que la
fièvre ait cessé à user des boissons douces, telles que
l’eau de gomme, l’infusion de guimauve et de violettes,
le bouillon de poulet, le petit lait ou le lait coupé.
Prendre ces tisanes chaudes, miellées ou sucrées
pour les unes, peu salées pour les autres. Entretenir
avec soin le cautère du bras, maintenir le ventre libre
avec quelques lavemens adoucissans s’il survenait de
la constipation. Opposer aux quintes de toux l’usage
des pâtes et des pastilles pectorales : gomme arabi¬
que, adraganthe, de guimauve, une cuillerée à café
de sirop diacode dans une demi-tasse de tisane. Faire
encore habilement des fumigations de poitrine, au
moyen d’un appareil convenable, avec la vapeur
modérément chaude d’une infusion de guimauve et
de deux gros de feuilles sèches de Laurier-cerise
pour une pinte d’eau.Ces fumigations seront faites le
matin et ne seront jamais poussées jusqu’à la fatigue.
On pourra plus tard les rendre aromatiques à l’aide
— 20 —
du lierre terrestre ou du bourgeon de jeunes sapins.
S’il se manifeste quelques signes précurseurs du
retour des règles, on favoriserait l’établissement de
cette évacuation par des bains de pieds, de siège, ou
même par l’application d’un petit nombre de sang¬
sues vers les aines ou le haut des cuisses. La marche,
de légères secousses en voiture, des sinapismes
mitigés aux mollets, aux genoux, aux cuisses, contri¬
bueraient encore efficacement au même but. Si la
fièvre ayant cessé, les crachats continuaient a être
abondants, la malade reviendrait à l’usage de la gelée
de lichen ; elle rendrait ses boissons aromatiques,
ferait usage de sirop ou de pastilles de beaume de
Tolu; pourrait user également de légers purgatifs,
tels que la Manne, le sirop de fleurs de Pêcher et
l’huile de Ricin. Elle reviendrait également au suc
exprimé de cresson, coupé de lait.
Paris, ce 7 décembre 1823.
Suivent les signatures de Rullier à gauche, de Laennec, à
droite, et sur la même ligne.
1 ig r
La comparaison des signatures et du manuscrit montre qu'il
a été écrit par Rullier. Laennec a dû dicter et n’a fait que
signer (Figure 1).
— 21 —
Gomme on le voit, la signature est parfaitement lisible, ne
présente pas de tréma sur le premier e, comme on l'écrit sou¬
vent à tort, et s’accompagne de paraphes compliqués. Ceux-
ci paraissent beaucoup plus être sous l’influence de la mode
du temps que l’expression du caractère du signataire.
Cette belle ordonnance peut encore servir de modèle à qui
soigne des tuberculeux. Le souci de l’hygiène, de l’état
moral et de la diététique l’emporte sur les prescriptions médi¬
camenteuses.
Le Laennec praticien thérapeute est digne de l’anatomo¬
pathologiste et du clinicien. Tout est harmonie dans cette
admirable figure.
LES MALADIES EPIDEMIQUES OU CONTAGIEUSES
(PESTE, LEPRE, SYPHILIS)
ET LAPACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS, de 1399 à 1511
par le D' JBrneat WIGKERSHEIMER
A peu d’exceptions près, les documents cités ici
sont empruntés aux Commentaires de la Faculté de
médecine de Paris, en particulier aux trois premiers
volumes de cette collection, qui embrassent une pé¬
riode de 116 années, de 1395 à 1511.
1. Peste.
En 1348, lors de la peste noire, le roi Philippe VI
de Valois ordonna aux maîtres de la Faculté de mé¬
decine de Paris, de rédiger une consultation sur. les
moyens de combattre l’épidémie. Ce n’est point ici le
lieu d’étudier cette consultation sur laquelle bien des
choses restent à dire, malgré les trois éditions qui en
ont été données successivement (1).
C’est le 8 novembre 1399, que pour la première fois
une maladie épidémique est mentionnée dans les Com-
(1) Wissenschaftliche Annalen der gesammten Hciikunde, hrsg. von
Becker, XXIX (1834), p. 219-239. — Micron, L.-A. Joseph. Documents
inédits sur la grande peste de 13k8... Paris, J.-B. Baillière, 1860, in-8»,,
99 p. — Rébouis, H.-E. Etude liistorique et critique sur la peste. Paris
A. Picard, in-12.
— 22 —
menlaircs ; ce jour-là la Faculté décide «proptermor-
talitatem » de suspendre ses leçons et ses actes ;
Super secundo, fuit deliberatum quod, prima die legibili,
magistri inciperent lectiones suas ordinarias et flerent ilia
ebdomada disputationes ordinarie cum quolibetariis, et ab ilia
die, propter mortalitalem que tune vigebat Parisius, cessa-
rent a lectura, nec fierenl disputationes usque post festum
Epyphanie. Kt fuit tune deliberatum quod absentes propter
dictam mortalitatem, vel quia occupati in servitium regalium,
qui preterito anno rexerunt, regentes reputarentur(l).
On a remarqué que la maladie est désignée par le
terme de mortalité-, il s’agissait bien d’une épidémie
de peste, car quelques mois plus tard, le 13 mars 1400,
(1399 vieux style) un étudiant fait preuve de 32 mois
et demi de scolarité « istud est non defalcando ces-
sationes, nec pestilentiam » (2). Le 26 juin 1401
la Faculté défalque respectivement un mois et demi,
un demi mois et deux mois du temps de scolarité
de trois aspirants au baccalauréat (3) et on trouve
encore des mentions semblables le 18 juin 1401 (4) et
le 13 mai 1404 (5).
En 1418, en pleine guerre de Cent ans, la peste
éloigne de l’Université beaucoup de maîtres, de ba¬
cheliers et d’écoliers : « Propter malitiam temporum.
tamex parte guerrarum, victualium penuriam seu ca-
ristiam, et pestilentie vigorem, multi magistri, bac-
calarii etscolares erant absentes a villaParisiensi »(6).
Quant aux maîtres régents delà Faculté de médecine,
retenus à Paris par les devoirs de leur état, le grand
nombre des malades neleur laisse pas le tempsd’exer-
cer les actes de régence : « item quod magistri re¬
gentes proptermultitudinem infirmorumoccupati sunt
practice, nonpotentes exercere actusregentie «.Aussi
il) Co/njM., I, f“ 28 V".
(2) Comm., I, 31 v"
(3) Comm., I, t" 36.
(4) Comm., 1, t" 36.
(5) Comm., I, f» 49.
(6) Comm., I, f" 118.
— 23 —
la Faculté décide-t-elle, le 22 octobre, de suspendre
tout exercice scolaire jusqu’après la fête des Rois.
Puis la peste n’est plus mentionnée dans les Com¬
mentaires pendant près d’un demi siècle. Le 13 fé¬
vrier 1467 (1466 vieux style), un élève, nommé Jean
Gallart, s’excuse auprès de la Faculté de ne pas avoir
assisté « tempore pestis » à certains exercices sco¬
laires (1). Le 20 mai 1475, la peste régnant au couvent
des Matliurins, l’Université abandonne ce lieu habi¬
tuel de ses assemblées pour se réunir aux Jacobins :
« Item die sabbati 20* maii ejusdem aniii, pro congre-
gatione Universitatis facta in Jacobitis, quia non aude-
bamus ire ad Sanctum Mathurinum propter pestera
que ibi vigebat » (2). Le fait est curieux à noter, car
les deux couvents des Mathurins et des Jacobins
étaient presque voisins; pour aller de l’un à l’autre il
suffisait de parcourir la portion de la rue Saint-Jac¬
ques, le long de laquelle s’élèvent aujourd’hui les bâ¬
timents de la nouvelle Sorbonne.
Au début de l’année 1495 (le 10 janvier 1494 vieux
style) (3), la Faculté fut sollicitée de donner son avis
sur un point de la thérapeutique de la fièvre pestilen¬
tielle; disons tout de suite que ce point n’avait pas
été envisagé par elle dans sa consultation de 1348.
Un certain maître Simon Albespine avait composé à
Troyes un omnibus publicandum », tant pour
la préservation que pour la cure de la fièvre pesti¬
lentielle avec bubon. Ce Régime, qui ne s’est pas con¬
servé jusqu’à nos jours, contenait, au dire de Martin
Bonnot, l’un des maîtres, une foule d’erreurs pé¬
rilleuses pour la chose publique. C’est ainsi que le
médecin troyen conseillaitde saigner les émonctoires
du cerveau, du cœur et du loie du côté opposé à celui
qui était frappé par la maladie, et éela même après
l’apparition du bubon : « Consulit fleubotomiam di-
versam seu partis opposite, etiam bocio apparente,
sive in emunctoriiscerebri, sive cordis, sive epatis ».
(1) Comm., II, f 128.
(2) Comm., III, {• 29.
(3) Comm., III, t“ 158 V, 159. CM" 160.
— 24 —
Maître Martin Bonnot communiqua à la Faculté le ma¬
nuscrit original du traité de Simon Albespine et en
outre donna lecture de plusieurs conclusions que le¬
dit Albespine avait fait afficher aux carrefours de la
ville de Troyes. Il ajouta qu’il avait eu à ce sujet une
longue discussion avec l’auteur du traité incriminé;
deux médecins de Troyes, Jean d’Arras, maître
de la Faculté de médecine de Paris et le licencié
Jacques David avaient, aux côtés de Bonnot, défendu
la saine doctrine, mais ils n’avaient pas convaincu
leur adversaire. Aussi Martin Bonnot avait-il recours
« admatrem Facultatem, ut rei publice utilitatiinhac
re operam dare studeret », La Faculté remit à une
commission le soin de terminer l’afifaire.
Quo Bonnot audito, Facultas salulifera, corporura humano-
rum sospitatis curam gerens pervigilena, ipsisque corporibus
errores obnoxios extirpare percupiens eosque pullulare in rei
publice detrimentum abhorrens, voluit ut bec materia dillu-
cidaretur et veritas a falsitate enuclearetur, et ad hoc confor-
miter ad doctores terminandum deputavit peritissimos raagis-
tros nostros Johannem Avis, Guillermum Basin, Ricardum
Helain, Micaelem de Golonia, qui, una cura decano, resolu-
tiones doctorum et ipsorum in hac materia scripto rédigèrent,
et scriptas Facultati referrent quam diligentius, quatenus Fa¬
cultas secundum ipsorum advisamenta, si canonica essent, huic
controversie finem imponeret.
Les conclusions de la commission ne nous sont
pas parvenues nonplusque le Régime de Simon Albes¬
pine, mais on sait d’autre part que la controverse sou¬
levée par ce Régime devait renaître au xvi® siècle, à
propos du traitement de la pleurésie (1).
Le 8 septembre 1499, les maîtres régents nous
apprennent ingénuement qu’ils n’excitent guère l’ad¬
miration du peuple de Paris par leur courage pro¬
fessionnel. La Faculté aurait bien voulu poursuivre
une empirique, mais quelqu’un fit observer que de
telles poursuites seraient peut-être inopportunes :
(1) Cf. Sprenoel, Kurt. Histoire de la médecine.... trad. par A.-L.-L.
.loL-RD\x, Paris, üatarville et Desoer, III (181.-.), p. 35 et sniv.
— 25 —
« Quantum ad istum voluit silere Facultas propter
clamorem populi in nos, qui nolumus pestifei’os visi-
tare » (1). Pour des raisons de même ordre, le 2 oc¬
tobre 1501, le doyen Jean Bertoul proposa à ses con¬
frères de surseoir aux poursuites qu'il devait faire
intenter à quelques médecins non gradués :
Supplicui denique ut placeret Facultati me habere suppor-
tatum super tarda prosecutione illicite practicantiura occasione
sevientis et horride pestilentie, et habuit Facultas supplicatio-
nem meam gratam et acceptam (2).
De telles défaillancesnefurentsansdouteque passa¬
gères, car les Commentaires nous apprennent qu’en
maintes circonstances, à la fin du xv° siècle et au com¬
mencement du XVI', les maîtres régents payèrent de
leur personne dans la lutte contre l’épidémie.
Le 19 mars 1500 (1499 vieux style), le prévôt de
Paris s’adressa à la Faculté de médecine, comme
s’était adressé à elle le roi Philippe, au temps de la
peste noire. La Faculté fut d’avis que la peste régnait
en plusieurs lieux des environs et en plusieurs points
de la capitale, mais qu’il valait mieux n’en point par¬
ler, pour ne point semer la panique dans le peuple.
Deux maîtres régents, de concert avec les chirurgiens
et les barbiers visiteraient les malades, pourvu quela
ville leur assurât une rémunération honnête. La Fa¬
culté demandait en outre au Prévôt de Paris, son appui
dans la lutte qu'elle soutenait contre les empiriques
et les charlatans (3).
Ghéreau (4) suppose que c’est à la suite de cette épi¬
démie que la municipalité parisienne projeta d’inhu¬
mer dans lejardindes Bernardins lesmortsde l’Hôtel-
Dieu « propter casum pontis Nostre Domine et obvian-
(1) Comm., in, f" 204. De même en 1466 : « Propter pestcm bncca-
lurii et scolares et quidam de raag-istris absentavcrant se, » (Comm.,
11, I* 124).
(2) Comm., III, f 242 v“.
(3) Comm., UI, fo 216.
(4) CHÉREA.U, Achille. Les ordonnances... pour évUer te danger de
peste, 15.11, précéd/es d’une l’tude sur les épidémies parisiennes. Paris,
L. Willem, 1873, in-lO, p. 20.
— 26 —
dum terroribus transeuntium ante Palatium » (1). Sur la
requête des principaux des trois collèges de Saint-
Bernard, du Cardinal-Lemoine et des Bons-Enfants,
le 12 août 1500, l’Université protesta contre un tel pro¬
jet (2). Ajoutons que le 15 septembre suivant, l’Uni¬
versité tint son assemblée chez les Frères Prêcheurs
« propter periculum imminentis pestis circum claus-
trum Mathurinorum » (3) et que le 8 octobre la Faculté
ue médecine ordonna que les jeunes élèves des collè¬
ges, étudiants delà Faculté des arts, ne prendraient
pas part à la procession du recteur « propter pes-
tem » (4). Je ne sais si c’est par crainte de l’épidémie,
que le 18 mai 1502, la Faculté décida de pourvoir de
deux ou trois fenêtres vitrées la maison de ses écoles
« ut aer incolumior, sincerior ac purior reddere-
tur » (5).
Le 15 novembre 1510, le Parlement de Paris de¬
manda à la Faculté de médecine de désigner quatre
de ses maîtres ainsi que six barbiers (les barbiers
étaient alors les pupilles de la Faculté), afin de visiter
les habitants de la ville, malades de la peste.
Super quo conclusum est quo'd hec responsio domino pre-
suli fieret, scilicet Facultalera esse paratissimam rei publiée et
languentibus in urbe succurrereet dare raagistros ad hoc suffi-
cientes et idoneos, cum bonis tainen stipendiis continuatis, et
sine nota turpitudinis (6).
Ces derniers mots « sine nota turpitudinis» s’expli¬
quent difficilement. Peut-être la Faculté entendait-
elle par là que les maîtres désignés pour visiter les
pestiférés, ne devraient pas être exclus de la société
des gens épargnés par la contagion.
(1) Par suite de l’écroulement du pont Notre-Dame, survenu en octo¬
bre 1499, la circulation était difficile entre l’ile de lu Cité et les quar.
tiers de la rive droite de la Seine, c’est-à-dire entre l'Hétcl-Dicu et le
cimetière des Innocents. Le couvent des Bernardins était situé sur la
rive gauche.
(2) Comm., III, f» 223.
(3) Comm., III, f" 223 v».
(4) Comm., III, f« 224 v», 233 v».
(6) Comm., III, fo 262 v*.
(6) Comm., III, fo 366, 377.
— 27 —
Si nous rappelons qu’en 1510-1511, plusieurs étu¬
diants se présentèrent au doyen avec un retard d’un
an, parce que pendant l’année scolaire précédente ils
s’étaient absentés pour cause depeste (1), nous aurons
cité tout ce que les trois premiers volumes des Com¬
mentaires renferment surcette maladie.
II. Lèpre.
Il n’est point question de lèpre dans les Commen¬
taires^ mais un passage d’une supplique adressée au
pape Martin V, le !“■'juillet 1426, par la Faculté, se
rapporte bien certainement à cette maladie, bien que
le mot « lèpre » n’y soit pas exprimé :
Item eidem Facultati medicine auctoritate predicta conce-
dere dignemini, ut quicumque raorbo contagioso infecti vel
suspecti, quotiens ad hoc per eandem Facultatem vocati fuerint,
teneantur et debeant super hoc ipsius Facultatis examen et ju-
dicium subire (2).
La rigueur des mesures d’isolement auxquelles on
soumettaitles lépreux pendant le moyen âge, explique
que des individus soupçonnés de lèpre aient souvent
cherché à se soustraire auxtristes conséquences d’un
diagnostic positif.
L’un des registres des délibérations du chapitre de
Notre-Dame de Paris (Archives nationales, LL 110,
p. 593) conserve le texte d’un certificat rédigé en 1411
par maîtres Thomas de Saint-Pierre, Jean Le Lièvre
et Robert de Saint-Germain. Ce certificat par lequel
trois maîtres régents de la Faculté de médecine de
Paris, lavaient de tout soupçon de lèpre un maître ès-
arts, nommé Jean de Bierville, a été publié par Ché-
reau(3), mais sa publication fourmille d’inexactitudes.
Malgré une erreur de cote, notre obligeant et érudit
collègue, M. Léon Gauthier, archiviste aux Archives
(1) Comm., III, f« 871 v«.
(2) Denifle et Châtelain. ChaHularium Univcrsilalis parisiensis, IV,
p. 454.
(3j Ghéreau, Achille. Les racdecÎDs de la cour d’Isabelle de IJavière,
reine de France, 1398-1455, Union médicale^ nouvelle série, XIV (18fi2),
— 28 —
nationales a su le retrouver et il a bien voulu le reco¬
pier à mon intention.
Hodie exhibita fuit in capitule littera sigillis raagistrorum
Thome de Sancto Petro, Johannis Leporis et Roberti de
Sancto Germano, magistrorum in raedicina in cera rubea
sigillata, cujus ténor talis :
« Thomas de Sancto Petro, .Johannes Leporis, Robertus
de Sancto Germano, magistri in inedicina Parisius, in pre-
dicta facultate regentes, magistrum Johannem de Biervilla,
Rothoraagensis diocesis, magistrum in artibus a quibusdam
suspectum et notatum de inlirmitate que lepra nominatur et
vocatur vidimus, inspexiraus et palpavimus diligenter et
secundum principia, signa et conclusiones artis medicine
studiose examinavimus, quo quidem viso, inspecte et palpato
artificialiter, invenimus prefatura Johannem de Biervilla ante-
dictum iramunem, intactura et non occupatum a dicte raorbo
lepra nuncupato simpliciter et absolute; ymo aliquod signum
verum dicti morbi lepre vocati in ipso repperire non potui-
mus. Quibus visis et attentis, prefatus Johannes nulle modo
debet ab aliquo seu aliquibus turbari, molestari seu inquie-
tari, neque propter morbum contagiosum timendum est cum
eo conversari. Et hoc secundum principia, signa et conclu¬
siones artis medicine, prout supra tactum est, omnibus quo¬
rum interest seu intererit notum facimus et eciam sub sigillis
nostris certifficaraus per présentes.
Scriptum Parisius, in domo magistri Thome de Sancto
Petro sita Parisius in vico Cithare, anno Domini M“ GCCC“
undecimo, die nona raensis octobris «.
On trouverait probablement d’autres certificats de
ce genre, établis par des maîtres de la Faculté de
médecine de Paris dans les documents émanant du
chapitre de Notre-Dame ou de l’officialité diocésaine,
conservés aux Archives nationales.
III. Syphilis.
Dans son remarquable ouvrage Aus der Frühge-
schichte derSyphilis[i), Karl Sudhoflfa dressé une liste
des dénominations de la vérole qu’il a rencontrées
dans les manuscrits et dans les imprimés de la fin du
(1) SuDHOn-, Karl, Ans der Früligeschichtr der Syphilis. Sludien zur
GeachUhte der MedUin ,\\, . 171.
— 29 —
XV® et du début du xvi' siècle. On ne trouve point
dans cette liste le mot inguinagra, mais il me paraît
évident que c’est à la syphilis que s’applique ce mot,
dans les deux passages des Commentaires où je l’ai
relevé.
Le 27 mars 1499 (1498 vieux style), Robert des
Vallées, procureur de l’Université, s’excuse d’une
absence causée, dit-il, par cette maladie, alors
régnante :
... Supplicuit M. Robertus de Vallibus, ut placeret Univer-
sitati permittere ipsum posse recipere stipendia sua solita pro
officio suo, videlicet quia erat Universitatis procurator, quo-
niam diu egrotaverat morbo currenti, quem plurimi inguina-
gram vocant... (1).
Depuis 1476 (2), une coutume singulière s’était
établie à la Faculté de médecine. Une fois par an, à
la fin de l'hiver, les maîtres se rendaient aux étuves
aux frais des bacheliers. Le 27 février 1500 (1499
vieux style), la Faculté décida que chaque bachelier
payerait, comme d’habitude, deux écus, mais qu’en
raison de l’épidémie d’i’n^Mtwag'm, les maîtres n’ii’aient
pas au bain ;
... Placuit Facultati quodquilibet baccalariorum persolveret,
ut moris est 2, scuta, et quia periculum imminebat ad termas
adeundas propter inguinagram, voluit Facultas ut dicte pecu-
nie equaliter distribuerentur magistris regentibus (3).
Ceci fait penser à la tradition suivant laquelle Jac¬
ques Desparts, le plus fameux des médecins pari¬
siens du xv° siècle « voulut persuader aux magistrats
de fermer en temps de peste, les bains chauds et les
étuves; c’est qu’il craignoit la chaleur, la raréfaction
de l’air, l’ouverture des pores de la peau, les assem¬
blées du peuple, par rapport à la contagion : en cela
il étoit d’accord avec la Faculté, qui faisoit fermer les
spectacles en temps de peste : mais les Etuvistes,
(1) Du Can'GE, Glossarium mediæ et infimæ tatinitatis. Parisiis eic
F. Didot, m (1844), p. 835.
(2) Comm., 111, f* 200.
(3) Comm., III, f» 216.
— 30 ~
animés par la cupidité, voulurent attenter à sa
vie » (1).
Ce ne fut pas la peste qui, en 1500, éloigna les
maîtres régents des étuves. Nous avons vu, par de
nombreux exemples empruntés aux trois premiers
volumes des Commentaires^ qu’ils appelaient un chat
un chat et la peste par son nom. En 1499 et en lôOO,
sous la plume du doyen Bernard de Le Venquière,
inguinagra s’applique à une affection génitale, reten¬
tissant sur les ganglions de l’aîne. Si l’on se sou¬
vient de ce qu’étaient les étuves de cette époque (2),
on ne s’étonnera pas qu’en temps de vérole, des
hommes prudents aient tourné le dos au « bourdeau ».
M. Karl Sudhoff, à qui j’avais communiqué ma
découverte, m’a fait observer la ressemblance du mot
inguinagra avec mentagra, penisgra, pudenclagra ; à
son avis, ceux qui employèrent ce mot en 1499,
devaient penser à la mentagra de Pline. En tous cas,
inguinagra ne se trouve pas dans les dictionnaires.
Par contre, le Glossarium mediæ et infimæ latini-
tatis àe Du Gange (édition G. A. L. Henschel) cite
inguinaria (ou inquinaria) qui fut employé dès le
haut moyen âge, par exemple au vP siècle, par Gré¬
goire de Tours, et qui paraît avoir servi à désigner
la peste bubonique.
(1) Hazon, .lacqiies-Allifirl, Notice des hommes les plus célèbres de la
Faculté de médecine en l'Université de Paris... Paris, chez Benoit Morin,
1778, in-4, p. 16. Cf. RiOLAN, Curieuses recherches sur les eschohs en
médecine de Paris et de Montpellier... Paris, chez Gaspnr Meluras, 1651,
in-8, p. 218. Jacques Desparts écrit lui-même : « ... Propteristas causas
tempore pestis dissuadée omnibus generaliter balnea et stuphas, et inde
fréquenter maledictiones intulerunt mihi qui de stuphis vivunt. »
(Avicknna, Fen quarti Canonis cuin eaplanationc 3acohi de Partibus
Lugduni, impr. cur. Johanne ïrechsel, 1498, in-folio, feuillet vvvv 3).
(2) Cf. Régnault, Félix, Sur une cause de propagation de la syphilis
au XVI* siècle ; la disparition des « baius-bourdeaux ». Bulletin de la
Société française d'histoire de la médecine, XIII (1914), p. 31-33.
— 31 —
SUR UNE CAUSE DE PR0PA&4TI0N DE LA SYPHILIS
AU XVP SIÈCLE.
LA DISPARITION DES « BAINS-BOURDEAUX » (1)
par lo Dr Félix RFGIWAtJL.'r
Je n’éludie pas ici le problème de l’origine de la
syphilis (2), je me borne à relever une cause qui a dû
favoriser sa propagation en Europe au xvi“ siècle.
On sait que les établissements de bains étaient très
nombreux et très fréquentés durant tout le moyen
âge. On se mettait plusieurs dans de vastes piscines
ou de grandes étuves suivant l’usage ancien des
Romains ou actuel des Japonais. Car chez les Euro¬
péens du moyen âge, pas plus que chez ces deux
derniers peuples l’état de nudité n’offensait la pudeur.
Un grand nombre de ces bains avaient mauvaise
réputation ; ils étaient fréquentés par des filles de
joie, qui pratiquaient leur métier en des cuves.
Il est probable que la prostitution s’exercait dans
ces bains comme dans ceux de Budapest, il y a
encore une vingtaine d’années. Cette ville possède
plusieurs établissements luxueux, pourvus de vastes
piscines et d’immenses salles d’étuves. Les clients
qui désiraient un « bain garni » étaient servis en des
chambres spéciales.
Les historiens attribuent le grand nombre des
bains publics pendant le moyen âge, aux lainages et
aux fourrures qu’on portait à môme sur la peau; par
suite, les « bains-bourdeaux » furent également
(1) Bourdeau, bourdeaul, bourdcl, bordiel, bordel étaient des syno¬
nymes de maison publique.
(2) Pour les uns, la syphilis vient d’Amérique, pour les autres, parmi
lesquels Karl Sudhoff dans son récent travail : Der Unprung dcr Syphi¬
lis (Leipzig), la syphilis existait en Europe au moyen âge. Si on admet
lu première théorie, la disparition des « bains-bourdeaux » favorisa la
diffusion rapide du mal par l’armée française à sou retour de Naples.
Si on admet la seconde, cette même disparition explique la recru -
descence de la syphilis qui s’observa au xvi* siècle.
— 32 —
nombreux. Au début du xvi® siècle, on commença à
mettre du linge de toile, et les bains furent délaissés.
Les bains-bourdeaux suivirent la même évolution.
Quelques auteurs admettent qu’on les ferma au
XVI® siècle parce que les moeurs étaient moins disso¬
lues, ou tout au moins plus hypocrites.
Quoiqu’il en soit, il faut remarquer qu’au point de
vue prophylactique, la prostitution pratiquée dans les
bains, était une excellente, coutume.
Follin (1), en 1861, avait signalé la coutume des
bains comme un bon curatif :
L’us.Tge fréquent des bains chez les Orientaux et les
Romains, dit-il, s’ajoutait à l’influence heureuse de la tempé¬
rature. Les syphilitiques faisaient ainsi sans le savoir une
sorte de traitement par les bains qui devaient contribuer à
modifier avantageusement les affections cutanées assez fré¬
quentes dans ces cas.
Le bain-bourdeau se justifie davantage en tant que
prophylactique. 11 diminue les chances d’écorchures
et assure un lavage immédiat et complet des parties
qui pourraient être contaminées. 11 est surtout avan¬
tageux contre les spirochètes qui sont, on le sait,
extrêmement fragiles.
11 est regrettable que les maisons de débauche ne
se doublent plus en France de maisons de bains. Il
est plus regrettable encore que la police dans toutes
nos villes, interdise aux couples l’entrée des établis¬
sements de bains alors qu’elle leur autorise celle des
hôtels. Au point de vue de la morale publique, dans
les deux cas, l’immoralité est aussi grande; à celui de
la santé publique, l'hygiène aurait beaucoup à gagner
à ce que la prostitution fût confinée en des maisons
de bains.
— M. WiCKERSHEiMEH. — Daiîs l’histoire de la
contagion de la syphilis, le rôle des étuves n’a pas
toujours été bienfaisant. Notre collègue, M. Tiberius
de Gyôry l’a montré dans son étude de cas très
(1) Follin, Traité de pathologie externe, 1861, l. 1, p. 608.
— 33 —
nombreux de syphilis, contractés en 1577 dans un
établissement de bains. Point de contagion sexuelle :
le coupable était un ventouseur malpropre (1).
ORDONNANCES BT PRESCRIPTIONS
DES BAUX MINÉRALES AUX XVIP ET XVnP SIÈCLES
par> le D' G. CAIW (de la Bourboule)
Dans une époque comme la nôtre où certains font
trop volontiei's profession de mépris pour la théra¬
peutique thermale, mépris qui provient la plupart
du temps d’une certaine ignorance des ressources
admirables de cette médication, devons-nous laisser
passer sans protester l’appréciation suivante, parue
en septembre dernier dans les colonnes de l’un des
journaux médicaux les plus répandus, la Presse Médv-
cçile (6 septembre 1913) ?
Un auteur, M. Lortel, affirme que nos ancêtres
prescrivaient les eaux à tort et à travers : « Peu
importait, dit-il en propres termes, qu’elles fussent
lithinécs ou sulfureuses, glacées ou bouillantes,
toutes convenaient à tous. »
A cette accusation tout à fait injustifiée, il nous est
heureusement permis de répondre par des documents
irréfutables. Ces documents nous permettent d’abord
de réhabiliter nos ancêtres; ils nous permettent
aussi de nous rendre compte que ces judicieux
observateurs qu’ils étaient possédaient tout au con¬
traire un arsenal de thérapeutique thermale et l’on
peut même dire de thérapeutique physiothérapique,
pour employer un terme de notre âge, au moins aussi
(1) GtYÔry, Tiberius von. Der morbusBruno-Gallicus (iSlTj, ein Beitrag
zur Geachichte der Syphllu epidemica. Giessen, A.lfred Tâpelmanii, 1912,
ili-8*, 35 p. Zur hiatoriachen Biologie der Krankheita-Erreger, 6.
BtM. Soc. fr. tUat. mid., XII, 1914
— 34 —
vaste, en tous cas aussi accommodé qu’il était pos¬
sible aux besoins de leurs malades.
Je tiens ces documents de la très grande amabilité
et du dévouement si empressé de notre collègue,
M. Lucien Hahn, bibliothécaire à la Faculté de Méde¬
cine qui a bien voulu- me signaler le bouquin que je
vous présente, inscrit sur les fiches de la Faculté
sous le n" 5425.
C’est un manuscrit de 248 pages complété par une
table.
Ce manuscrit contient la copie d’une centaine
d’ordonnances signées de trois médecins du
XVII®, xviii® siècles parmi les plus estimés : Chirac,
Barbeirac, Sidobre; tous trois de la Faculté de Méde¬
cine de Montpellier, alors dans le plein de sa gloire.
D’abord quelques renseignements biographiques
sur ces médecins : Chirac, un aveyronnais, né à
Conques, occupa toutes les charges possibles jusqu’à
celle de premier médecin du Roy. « Si l’on jugeait,
dit Dechambre, un homme exclusivement sur l’impor¬
tance des places qu’il a remplies, sur les honneurs
qui ont charmé sa vie et sur la réputation qu’il s’est
acquise de son vivant, Chirac serait assurément
l’une des plus grandes illustrations de la profession.
« Mais l’histoire est plus exigeante.Chirac doit
être mis au rang de ces médecins grands seigneurs
qui ont tourbillonné autour du Grand-Soleil et du
triste Louis XV » (1).
Nous dirions aujourd’hui plus simplement que
Chirac fut un arriviste... arrivé.
Les deux autres médecins qui nous occupent ont
donné lieu à des appréciations autrement élogieuses.
Sidobre fut, dit Desgenettes, un de ces noms esti¬
mables souvent oubliés ou négligés par les biblio¬
graphes (2).
(Ij Ou a de lui un ouvrage en collaboration. Ciiiaxc et Silva. Diater-
tatiom et eonaultalioni medicale» de MM. Chibac et Silva. Paris, 1744,
2 vol. iu-12.
(2) Sidobre a publié un traité. De Morbillia et variolia, Lugduni, 1699,
— 35 —
Quant à Babbeirac (1), ce fut un praticien dans toute
l’acception du mot. Sa réputation fut immense et de
tous les coins de France on avait recours à ses
lumières. Locke le comparait à Sydenham et la foule
de ses élèves dont il se faisait toujours accompagner
dans ses visites auprès de ses malades lui formait
chaque jour une cohorte serrée.
Il y aurait beaucoup à glaner dans ce document ;
mais j’ai dû me limiter aux questions thermales, les
seules qui pouvaient servir la thèse que je veux
soutenir ici et j’espère pouvoir démontrer que ces
éminents praticiens de jadis ne prescrivaient point
pêle-mêle et au hasard toutes les eaux à tous les
maux. Les eaux minérales étaient loin d’être pour
eux cette panacée universelle que certains laisse¬
raient entendre ; ils connaissaient au contraire par¬
faitement les indications variées des sources et
même, comme on va le voir, leurs contre-indications.
En lisant ces documents, il faut évidemment tenir
compte des idées et théories médicales régnantes
qui ont influé sur les doses prescrites, doses qui
nous paraissent aujourd’hui excessives; mais gar¬
dons-nous cependant de blâmer leur méthode ;
savons-nous ce que l’on dira, dans deux ou trois
cents ans de nos disputes sur la catalyse et les col¬
loïdes ultra^microscopiques ?
Multa renascentur quæ jam cecidere
Cadentque quæ nunc sunt in honore.
Ainsi va le monde ! ! !
Gonsultâon sur un écoulement involontaire
de semence
Ces rem. étant faits il viendra à Balarucbu il boira trois
jours les eaux le matin,à 6 heures, 15 verres médiocres chaque
matin à plusieurs reprises et les ayant rendues il prendra une
(1) De Barbeirac, on a un Traité nouveau de Médecine contenant le$
maladiet de poitrine, les maladies des femmes, Lyon, 1684.
^eu/v /da ùuA/yc (Ua^ u-c
X S^o^tu
^ ^ S 4h-v li^<i^ tr^ *^,.r^^~
C^OLJ^ t«-a/*W «- > VtŸ^/i^,^ ^ a^oaaA^VM^USU
gjuaJU^ îo- 0aÆvi £n 'htrin "iiiAiiAÀt^ Hivva^^';4
T^r\'rv- if- f/au/v ^'. £ jjJrCityf^hi tl a^iu. f OMê^riC OMo/njt^
t \}av\ftja 3e***— '^s- ^«.^ix/u'' tv ^U/toj ■
j/LA^ éitM- CJt**^ ^^«x/ tf |^t/<^i‘*ûi■^ Vo/tJ te^ y i^excvef 3<*.
Av «1/M* faMutM,ut^iM-'b'aav^>»^'haJa/Vu('io^io.p^(Uilc.owcuLM'<ii/hf^
i^nhiUv ^ 3*-/Kmh.. ra-^&f. £u ^3^
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CtiaJ <rw y—A^oti3 »Ti_ 3ï.^i4*/»7 3e_^‘‘i'4e»».
CLu4riv ^ < *»« «» ° A* 3 aii*-^«v' y-^"'x ^ ^vrinn
^a£aA/t,JtM/%^ ^ ( OK^Ttriil^jj^'t'f /«xM-«i/v3i'3ei*^^i* 4_^,^ ^
♦•*-«Am- '^■^iMAItA e*-^i-ÇaUA/Syl 9u^„y tXuer i <uUMf*> y>^
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il î>«/t- tJULKy jÊtASÀaJVOt^ &i /mÿ)M f>ct/a^u^ ù^ifiuf
ty- II. /HraÀ>~ in**^^ f(t4 /t^iujLfii, f,u4c. /ui>f
Il foyy*y»^^t/, 4- ,
»x-«A!K- t/ ^5 WV<W t'f Av»>/«-^^ ^ 'iJPiiM^ ■ /"a^frrruv _
pjrUiL^v 4jèiM>a C/f e~.fou^ui /^/'eu A-^uu*-. M:«**M'aii?<
/Vf K«* iM. <M*^#|'X''^^*«-3 i*. »17#.'
Fac-similé de la page 52 di
— 37 —
demy-écuelle de Bouillon et à la fin il se purgera avec son
bolus. Durant les trois jours des eaux il se baignera jusqu’aux
lombes dans une cuve et il restera dans le bain un bon quart
d’heure prenant garde que l’eau ne soit pas trop chaude, et
étant sorti du bain, il se fera frotter avec des linges qui ne
soyent pas trop chauds, il prendra les Bains vers 4 heures du
soir après qu’il aura beu les eaux et qu’il se sera purgé, il
prendra encore 4 bains, le matin à 7 heures et le soir à 4.
SlDOBRE
Pour une cataracte naissante
. Il faut qu’elle vienne à Balaruc pour y boire les eaux
pendt trois jours, et, s’y étant purgée avec le remède cy des¬
sus, après avoir beu le dernier verre, elle s’y fera doucher la
tête six fois en trois jours, observant de ne pas s’exposer au
vent ni au serein.
signé Cuir. Vergne et Sidobre
Pour une fievre causée par les obstructions
des viscères et de la matrice
.... Nous sommes donc d’avis que Madame boive les Eaux de
Meyne, pour rafraîchir son sang et ses entrailles délayer les
sels qui roulent dans les vaiss., dégager les embarras du Bas-
ventre et vuider par les urines les mauvais levains qui causent
des redoublements. Ces eaux sont très innocentes, n’ayant
rien de piquant, surtout si on en ménage leur usage, on doit
commencer de luy en faire prendre les trois prem. jours 3
ou 4 verres chaque jour jusqu’à ce qu’elle en Boive deux
pots.Si elle ne rendait pas bien les eaux ou par les urines
ou par les selles, ce qu’on aura soin de considérer exactement
on luy donnerait l’aprediner un lavement et le lendemain on
dissoudroit dans le dernier verre d’eau {gros) 1 de manne ou
dans les deux derniers verres {gros) 1 de sel policreste.
Après avoir beu dix matins les eaux, elle se reposera qques
jours — apres quoy elle en prendra une seconde neuvaine,
mais elle en boira deux pots chaque matin à plusieurs reprises
et on la purgera à la fin. On continuera de lui donner trois
fois la semaine du Kina pendant l’usage même des eaux pour
— 38
fixer les redoublements on choisira l’heure de l’aprédinée où
elle sera plus libre. Si par l’usage des eaux de Meyne ses
redoublements diminueient considérablement et que la fièvre
cessât, on pourrait la baigner vers les 4 heure jusq. au creux
de l’estomac seulement; elle commencera de prendre le demy
Bain dans la maison pendant qques jours, et ensuitte au Rhône
si le temps est favorable, on doit prendre garde qu’elle soit
en bon état pour tenter le remède. ce que nous laissons à
la prudence des personnes qui auront soin de sa santé.
Pour une hydropisie de l’ovaire
. Les Bouillons finis, elle prendra les Eaux de Camarès,
8 matins et à la fin elle se purgera.
Pour des pertes immodérées avec douleur
à la matrice
. Cela fait elle ira boire les Eaux de Bonnière à la
maniéré du lieu se purgeant à la fin.
Pour le Diabetès
.Vers la fin de Juillet il prendra les Eaux de Vich. en
Auvergne ou de Vais en Vivarès, ou qqûes autres acidulés
qui approche de leur vertu pendant dixhuit jours en se pur¬
geant au commencement au milieu et à la fin, en se reposant
qques jours après la première neuvaine, il en boira 16 ou 18
verres médiocres chaque matin à plusieurs reprises et les
ayant rendues, il avalera une demy ecüelle de bouillon.
Pour un rhumatisme
.Il doit (M. le Maréchal de Noaïlles) boire l'été prochain,
environ le 14 d’Aout les eaux de Vie en Auvergne ou de qqu-
autre fontaine acidulé qui approche de leur vertu qui me
paraissent les meilleures et pour laver son sang et pour débour-
ber ses reins, il en pourra prendre douze jours douze verres
chaque matin à cinq heures en se purgeant initio et fine. Au
— 39 —
mois de Septembre prochain il prendra les bains et les eaux
de Bourbon s’il est trouvé à propos par les personnes qui ont
soin de sa santé. Pour ce qui est du régime il n’a rien de plus
pressant que le changement d’air et il doit sortir au plutôt du
Roussillon à cause de la chaleur du climat et ne s’arrêter point
en Languedoc de peur qu’il ne soit surpris de qque fièvre
dans l’agitation ou se trouve son sang.
A Perpignan, le 12 juin 1696 Barbeirac.
Pour une Tumeur scrophuleuse au Genouil
qui paraît depuis dix ans...
. Au commencement d’Aout elle (Mad lie De Levy) Boira
les Eaux de Vais, de la fontaine de la marquise pendant
9 matins 16 verres médiocres chaque matin à plusieurs repri¬
ses, après les avoir rendues elle avalera une ecüelle de bouil¬
lon, elle se purgera initio et fine de ces eaux.
Barbeirac. Chirac. Sidobre.
.Vérification faite de la noüeure de Lépine'du dos (de l’en¬
fant de Mr Barbeironj, nous sommes davis quon la mene aux
bains de Digne au mois de Septembre pour luy faire prendre
les bains et lui faire doucher Lépine du dos a reprises pen¬
dant un mois mesurant le tems du bain et des douches, suivant
les forces et l’âge de l’enfant....
Chirac à Paris l" août 1728.
Pour une suffocaôn causée par une indigestion
.On ne lui (Mme de St-Véran) ordonne point les eaux min.
à cause de son crachement de sang. Sidobrè.
Pro Lue Venereâ
L’on ne peut raisonnablement attribuer les maux que Mr
souffre depuis qque temps qu’à un virus vérolique que les
chancres qu’il eut il y a onze ans Luy ont communiqué après
un commerce impur, les ulcères dont il se plaint en diverses
— 40 —
parties de son corps, les douleurs qu’il a eu au gosier et à la
Joüe et le dessèchement de son bras droit en sont des preuves
convainq.
Pour le soulager d’un mal si fâcheux, il faut adoucir son
sang et tâcher d’éteindre doucement le virus qui fait sa peine,
on peut espérer de réussir dans ce dessein, en mettant en
usage les remèdes suivants qui pourront dégager son sang
des mauvais Levains qui le dérangent.
Il ira premièrement à Balaruc ou il se fera doucher la tête
pendant six fois, deux fois le jour et le matin à 6 heures et le
soir vers les cinq heures, il pourra en même temps tremper
son Bras malade dans l’eau des Bains hors de la source, il se
gargarisera souvent avec l’eau de Balaruc.
[Après des purgatifs variés, des bouillons et surtout des
bouillons d’écrevisse Sidobre prescrit le traitement mercuriel
suivant].
. Pendant l’usage des remèdes ci-dessus, il prendra trois
fois la semaine de la poudre suivante, Gr. XXX chaque deux
heures avant le dîner. On prendra du Mercure coulant (gros')
ij, des fleurs de souffre (gros) 1/2. On les battra ensemble
pendant six heures dans un mortier de verre avec un pilon
en verre, cette mixtion se change en une poudre noire qu’on
donnera au malade dans un peu de pomme cuitte omMans une
panade, ou dans qques pruneaux. Le souffre ne sert dans
cette occasion qu’à diviser le mercure et le partager en plus
petites molécules, aflin qu’il puisse être porté dans le sang, et
mêmes il n’y en passe guères parce qu’une bonne partie se
précipite en bas à cause de la pesanteur. Sidobbe.
Peut-on faire reproche à ces praticiens de formu¬
ler indistinctement pour tous les maux les mêmes
sources et de prescrire les eaux systématiquement
pour toutes les affections ?
On ne saurait en toute équité.
Nous y voyons Bourbon prescrit en bains à un
rhumatisant après un séjour à Vie (Vich), en Auver¬
gne dont les « Eaux acidulés » comme on disait alors,
devaient « déboucher les reins » . C’est ce que nous
appellerions aujourd’hui une « cure de lixivalion
préalable ».
— 41 —
Voici Meyne, petit village à 16 kilomètres de
Nîmes (1) sur les bords du Gard, minutieusement
prescrit à un paludéen probable ; Bonnière pour de
la leucorrhée et Digne pour une déformation de
l’épine du dos (mal de Pott ou scoliose), Digne dont
les eaux sulfureuses étaient déjà vantées par Pline
et Ptolémée.
Camarès, près de Gransac dans l’Aveyron, est
prescrit pour une hydropisie de l’ovaire (?) et enfin
Balaruc, sur l’étang de Thau, que nous trouvons évi¬
demment prescrit avec plus de prédilection. Il faut
songer en effet que cette vieille station si remarqua¬
blement active et.qui a conservé sa réputation sécu¬
laire dans les paralysies et les paraplégies de souche
spécifique, il faut songer, dis-je, que Balaruc est aux
portes de Montpellier et que les difficultés des dépla¬
cements rendaient la fréquentation des lautres sta¬
tions thermales difficile sinon impossible.
Et les agents physiques eux-mêmes, avec quels
soins préscis les voyons-nous prescrits! affusions,
douches sur la tête, demi-bains, bains locaux, durée,
heure du bain, soins consécutifs... rien n’est oublié.
Il n’est pas jusqu’à la climatologie qui n’y trouve
sa place et nous voyons que M. de Noailles fera bien
de fuir le climat méditerranéen et changer d’air à
cause du danger de quelque fièvre, dans l’état d’agi¬
tation de son sang.
Nous y trouvons même les contre-indications et
combien justement et scrupuleusement formulées.
M“' de Saint-Vérana eu un crachement de sang après
une suffocation causée par une indigestion; on ne lui
(1) « Les eaux do Maine portent le nom d’un village où elles sortent ;
ce village est à quatre lieues de Nlsmes, dans le Languedoc ; on met
ces eaux au nombre des remèdes rafraîchissants et sédatifs, et c’est en
cette qualité qu’on les prescrit dans les affections spasmodiques : elles
sont purgatives, désobstruentes et diurétiques; elles sont très utiles
dans les cas de terreurs pendant la nuit i maladie assez ordinaire parmi
les enfants) et de soubresauts dans les tendons. On boit ces eaux pen¬
dant la chaleur de l’été, depuis deux livres jusqu’à six, quelquefois le
Médecin ordonne au malade d’en faire sa boisson ordinaire». In Diction¬
naire des Eaux Minérales... 1775, II, rue Saint-Jean-de-Beauvais, la
première porte cochére au-dessus du Collège.
— 42 —
ordonne donc point les eaux minérales. C’est à n’en
pas douter une de ces « hémoptysies d’alarme post
prandium » si bien décrites par Sabourin ; Sidobre
connaissait bien le danger des cures thermales chez
les hémoptoïques.
Insisterai^je enfin sur cette amusante formule de
prescription mercurielle associée au soufre. Les
explications de Sidobre cadrent admirablement
avec nos conceptions actuelles. Le mercure divisé
par le soufre en plus petites molécules, passe mieux
dans le sang! ! ! Aujourd’hui nous invoquons la for¬
mation d’albuminates; mais nous ne disons pas
mieux.
Je pen.«e que la cause est entendue et jugée.
Aux conditions matérielles près, nos anciens
usaient donc largemént, plus largement même que
nous, de la»thérapeutique thermale et ils en usaient
avec un discernement, une profondeur et une jus¬
tesse de vues qui doit faire notre admiration et nous
avons le devoir de les donner en exemple à ceux qui
dédaignent les ressources thérapeutiques qu’ils
pourraient cependant trouver dans les eaux thermo¬
minérales et les climats merveilleusement variés de
notre pays.
LA MAISON NATALE DE CABANIS
par le D» Georgea MBRVÉ
Salagnac ou Salaignac, le petit château campagnard
représenté sur cette photographie (fig. 1) que nous
devons à l’amabilité du savant archéologue de Brive,
M. Philibert Lalande, est le berceau de Georges
Cabanis (1). C’est là que naquit, le 5 juin 1757,
(1) Qui même signa quelque temps Cabanis de ^aiftgnoc, comme nous
le voyons par les lettres à Roucher qu’a {ail coniM^e àntoine Gnillois
(Le Salon de Madame Helvétius. Cabanis et les Idéologues, p. 52).
— 44 —
l’auteur des Rapports du physique et du moral de
l’homme.
Simple résidence, aujourd’hui, dii régisseur de la
terre qui en dépend, Salagnac s’élève sur un mame¬
lon, au milieu de prairies, dans la commune de
Gosnac (canton de Brive, Corrèze), en face du bourg
et du château de ce nom, dont un vallon le sépare.
Ses bâtiments, construits en pierre de taille du pays
(grès bigarré et permien rougeaud), consistent en une
aile à un étage, flanquée à ses extrémités de deux
modestes pavillons carrés, aux toits pointus. Pavillon
et corps principal sont couverts d’ardoises. Par leur
aspect extérieur, ils rappellent encore ce qu’ils étaient
autrefois, quand le père de Cabanis, l’économiste et
agriculteur émérite J.-B. Cabanis, qui fut, comme
subdélégué, le collaborateur de Turgot pendant son
intendance de Limoges, et habitait Brive (distante de
5 kilomètres) une grande partie de l’année, avait là sa
maison de campagne. Mais on ne retrouve plus, à
l’intérieur delà petite gentilhommière, ni les élégan¬
tes boiseries du xviiP siècle, ni les plafonds à pou¬
trelles qu’on y voyait encore il y a une vingtaine
d’années.
D’après des renseignements qu’a bien voulu nous
fournir M. Louis de Nussac, à qui nous adressons ici
tous nos meilleurs remerciements, la terre de Sala¬
gnac avait appartenu d’abord à la famille Chrétien de
Salagnac. Elle passa à la famille Cabanis par suite du
mariage, en 1719, de demoiselle Chrétien de Salagnac
avec Jean Cabanis, sans doute le père de Jean-
Baptiste. Après les Cabanis, de riches manufacturiers
de Brive, les le Clère, originaires d’Irlande, la possé¬
dèrent. Acquise enfin, en 1877, par le marquis Henri
de Cosnac, elle est devenue depuis 1894 la propriété
de son gendre, le marquis de la Motte-Saint-Genis.
— 45 —
Séance du 11 février 1914 ; , ■
Présidence de M. Paul Dorveaux
M. le Président annonce le décès, à Paris, de M. le
D'' Pichevin.
M. le Secrétaire général. —Louis-Roland Pichetin,
né au Saint-Esprit(île de la Martinique, le 22 décembre
1857, fut reçu interne des hôpitaux de Paris le 26 dé¬
cembre 1884, et docteur de la Faculté de médecine de
Paris le 27 juin 1889, après avoir soutenu une thèse
intitulée Des abus de la castration chez la femme.
Chirurgien estimé, auteur de nombreux travaux
relatifs aux maladies des femmes, il fut pendant plu¬
sieurs années chef des travaux gynécologiques de
l’une des cliniques chirurgicales de la Faculté, d’abord
à riiôpital Necker, puis à l’Hôtel-Dieu. En 1896 il
fonda la Semaine gynécologique. Pichevin, qui s’était
révélé historien en 1909 par la publication de son
ouvrage L'impératrice Joséphine^ fut élu membre de
notre Société le 6 juillet 1910. Il a fait chez nous trois
importantes lectures, les deux premières en 1911,
L'ancienne machine à décapiter et La guillotine,
Guillotin et la peine de mort (1), la troisième, il y a
moins d’un an, La première Académie de médecine de
Paris {18011-1819) (2).
— MM. Bord, Courre, La.d.\me et Seiuee, présentés
à la dernière séance, sont élus membres de la So¬
ciété.
— Candidats présentés :
M. le DcBonnamour, médecin des hôpitaux, chef
du laboratoire de thérapeutique à la Faculté de mé¬
decine, avenue de Saxe, 137, Lyon, par MM. Dor-
veaux et Wickersheimer.
M. Léon Boucher, pharmacien, rue de la Cathé¬
drale, 13, Poitiers, par MM. Dorveaux et Rambaud.
(1) Bull., X, p. 40-74, 89-181.
(2) Bull., XIl, p. 196-231.
Bull. Soc. fr. hUt. me'd., XII, 1914
— 46 —
M. le D’’ H. Leclerc, avenue de Ségur, 19, Paris,
par MM. Dorveaux et Wickersheimer.
M. le D’’ Henry Le Savoureux, rue de l’Université,
195, Paris, par MM. Cornillot et Legrand.
M. le D'’ Alfred Martin, Parkstrasse, 15, Bad Nau-
lieim (Allemagne), par MM. Blanchard et Wickersliei-
mer.
M. le D'’ G. Rasch, médecin du Rigsliospitalet,
Amaliegade, 13, Copenhague, K., par MM. Maar et
Wickersheimer.
— Correspondance :
1" Lettres d’excuses de MM. Bonnet, Gany et Le
PiLEÜR ;
2“ Lettre de M. Monnoyer, imprimeur du Bullelin,
s’excusant de l’oubli d’un carton de 4 pages dans le
n“ de janvier 1914. Les quatre pages manquantes
(37-40) vont être adressées avec un papillon explicatif
à tous les membres de la Société et aux abonnés du
Bullelin.
3“ Lettre de M. J.-A. Vollgraff, faisant part de la
formation à Leyde d’une Société néerlandaise pour
l’histoire des sciences médicales, naturelles et exactes
(Vereeniging voor Geschiedenis der Genees -, Na-
tuur - en Wiskunde). Pour les adhésions et pour
tous autres renseignements, s’adresser à M. J,-A.
Vollgraff, Secrétaire, Plantsoen, 57, Leyde (Pays-
Bas).
— M. Boutineau adresse la reproduction en simili¬
gravure d’une miniature du xiv® siècle, représentant
un médecin dans l’officine d'un apothicaire.
— Après que la Société, réunie en assemblée géné¬
rale, eut approuvé la gestion financière de M. Roché,
Trésorier, pendant l’exercice 1913, M. Roché a de¬
mandé à être relevé de ses fonctions.
- 47 —
TERRE CUITE GRECQUE REPRÉSENTANT
UNE PEMMB-MÉDECIN EN CONSULTATION
I»ai- le D' Félix
Une terre cuite intacte et très belle du ii'* siècle
avant notre ère, provenant d’Asie mineure et l’appe¬
lant le genre Tanagra, est exposée au British Muséum
de Londres, n" 529. Elle représente, dit un archéo¬
logue, M. Hutton, qui l’a étudiée spécialement, deux
femmes en train de caqueter (1). Et cet auteur
rappelle, à ce propos, un passage de Théocrite dans
la quinzième idylle ou les Syracusaiiies, dans lequel
Praxinoé se plaint à Gorgo de son mari.
Cette interpi’étation ne tient pas compte de la lan¬
cette qu'une des deux femmes tient dans la main
gauche; elle est donc fantaisiste.
L’un des deux sujets est en visite, car elle a la tète
voilée. Ses formes sont plus épaisses, elle paraît plus
âgée que l’autre ; elle appuie son bras dans une atti¬
tude lasse et incline la tête. Appliquant la main
gauche sur son sein découvert, elle le montre à sa
compagne et semble se plaindre. L’autre, aux formes
plus fines, à l’aspect juvénile, se penche sur elle,
rapproche son visage du sien dans une attitude ami¬
cale pour écouter la confidence à laquelle elle prend
un vif intérêt. Sa physionomie est éclairée'd’un fin
sourire. Elle cache dans sa main gauche, hors de la
vue de son interlocutrice, une lancette à demi ouverte.
Elle a le geste du médecin consulté pour un abcès,
qui veut surprendre l’assentiment du client et lui
ouvrir la collection de pus, avant qu’il ait eu le temps
de se défendre.
(1) C,-A. IlcTTON. Grce/i lenacolla siatucties. London, 1899, fig. i~
p. .89.
— 48 —
Nous donnons l’explication suivante : la jeune
femme est une « iatromaia » ou femme-médecin ; on
sait (1) que celles-ci étaient nombreuses aux époques
grecque et romaine; elles étaient appelées dans les
gynécées fermés aux hommes ; on les distinguait des
sages-femmes qui se bornaient à faire les accouche¬
ments. Cette femme-médecin reçoit la visite d’une
cliente avec qui elle entretient des relations d’amitié
et qui lui montre un abcès qu’elle a au sein. Elle tient
cachée une petite lancette, instrument qui effraie
moins qu’un bistouri. Elle se dispose, sitôt les expli¬
cations données, à brusquer le dénouement et à
percer l’abcès avant que la cliente ait le temps de s’y
l’econnaître.
Nous n’avons pu donner ici une reproduction de ce
chef-d’œuvre ; elle serait trop grande pour le format
du Bulletin. Nos lecteurs pourront, en s’adressant à
l’administration du Brilish Muséum, en obtenir de
belles photographies qui sont de vente courante aux
prix de 0 fr. 50 et 1 fr. 25.
SUR QUATRE CAS DE RAGE
TRAITÉS PAR ANTOINE PORTAL (1781)
pai- le D' Rogner GOIILARD («le Rrie-Comtc-Robort)
Dans les Archives de la ville de Brie-Comte-
Robert (2), se trouve un petit cahier de papier, dont
l’intérêt a été méconnu jusqu’à ce jour.
C’est le Journal des pansemens et trailtemens faits
à B rie-Comte-Robert., par ordre de Monseigneur l'In¬
tendant de la Généralité de Paris., à l'occasion de plu¬
sieurs personnes mordües d'un chien soupçonné d'être
enragé.
(1) Voir pour les dëlails M. Baudouin, Les femmes-médecins. Femmes-
médecins d'aulrcfnis. Paris, 1901, cl M. Lipinska, Femmes-médecins,
Thèse de médecine, Paris, 1901.
(2) .\rchivcs communales de B.-C.-K. FFl.
— 49 —
Je vais d’abord analyser et résumer ce document ;
puis, je dirai quelles réflexions son étude peut sug¬
gérer.
L’an 1781, le jeudi ir jour de janvier, Antoine
Portai, docteur en médecine, professeur au Collège
Royal de France, membre de l’Académie Royale
des sciences, assisté du sieur Pascal, chirurgien à
Brie, et de François Aubert, subdélégué de l’Inten¬
dant de Paris, était appelé à examiner quatre per¬
sonnes, qui avaient été mordues récemment par un
chien suspect d’hydrophobie.
De l’interrogatoire des blessés, il résulta que, le
27 décembre 1780, Louis Samson Piou, âgé de 31 ans,
tisserand de son métier, Jean-Louis Vessière, âgé de
14 ans, et Geneviève Vessière, âgée de 11 ans, avaient
été, tous trois, mordus par le chien de l’un d’eux.
Deux jours auparavant, le 25 décembre, le même
animal s’était jeté sur Pierre-Claude Caron, garçon
de 14 ans.
Tous les blessés avaient été conduits, le 28 dé¬
cembre, à Annet, près Lagny, chez Nicolas Clément,
chevalier de Saint-Hubert. Dès le lendemain, le gué¬
risseur portant une « bandolière en guise d’étole »
qu'il avait baisée avant de la mettre, les toucha au
front, avec une croix de métal jaune. Puis, il suça le
sang des plaies, par trois fois, et donna à ses clients
de l’eau bénite de Saint-Hubert, pour laver leurs
blessures pendant neuf jours. Il leur recommanda
d’entendre la messe, à jeun, quotidiennement, durant
cette neuvaine, et de dire, matin et soir, cinq Pater et
cinq Ave, leur assurant qu’avec ces précautions, « ils
n’avaient rien à craindre. »
En paiement, Nicolas Clément ne réclama que neuf
livres dix sols par personne.
De cette déclaration des quatre blessés, qui étaient
tous illettrés, procès-verbal fut dressé. Au-dessous,
signèrent : Portai, Aubert, Pascal, Meignen, chirur¬
gien à Brie, Edme-Jacques Petit de la Motte, maire,
Edme-Jacques Masson, premier échevin, et enfin Mer¬
cier, notaire royal et secrétaire de ladite ville.
— 50
Lo lendemain, 12 janvier, les jmômes personnages
se réunirent à nouveau. Ils s’enquirent des circons¬
tances exactes dans lesquelles les pauvres gens
avaient été mordus. Ils apprirent alors qu’un chien
présentant « tous les symptômes de la rage » avait été
abattu, le 27 décembre précédent, par Lacroix, garde
de Monsieur, comte de Provence. L’animal avait déjà
mordu « plusieurs particuliers jusques au sang, de
« manière à donner quelque inquiétude. »
Afin que les soins utiles pussent être institués,
une chambre, avec quatre lits, fut choisie, à Brie,
près l’église paroissiale. Une femme fut préposée à
la surveillance des blessés, sous la direction des
sieurs Meignen et Pascal (1).
On décida de fournir quotidiennement aux malades
deux livres et demie de viande, six livres de pain,
une pinte de vin et douze pommes, — sans parler du
bois et des ustensiles nécessaires.
Le premier pansement eut lieu, le 13 janvier.
Antoine Portai étudia, d’abord, les plaies, qu’il
décrivit ainsi :
Louis Samson Piou présente trois morsures faites
à la partie supérieure du métacarpe de la main droite,
entre les doigts indicateur et long, dont l’une trans¬
versale et deux obliques, directement sur les muscles
extenseur et adducteur du doigt indicateur.
Jean-Louis Vessière porte deux cicatrices à la par¬
tie supérieure de la jambe droite sur les muscles flé¬
chisseurs entre les condyles du fémur et du tibia, et
une cicatrice à la partie supérieure du bras droit, sur
le muscle deltoïde.
Geneviève Vessière n’a qu’une cicatrice à la lèvre
inférieure et latérale, du côté droit.
^1) Dans les lettres do maîtrise en chirurgie qui lurent açcordces à
Jean-Honorc Pascal, le 2 mai 1782, par Christophe Olivier, maître en
chirurgie, lieutenant de M. le Premier chirurgien du Roy en la ville de
Meaux, se trouve cette phrase :
« Vu le certificat du curé et des officiers municipaux de Bric-Comte-
Rohert, qui attestent que ledit Pascal a traité plusieurs personnes mordücs
de chien enragé et qu’il s’en est bien acquitté... »
— 51 —
Quant à Claude Caron, on ne lui trouve que deux
cicatrices à la partie inférieure de la jambe droite,
sur les muscles soléaires.
Sur chacune- de ces cicatrices ou morsures, furent
apposées trois sangsues. Après quoi, on les recouvrit
d’un emplâtre-vésicatoire, garni de bandelettes.
Deuxième pansement, le 14, matin.
Enlèvement des emplâtres. Les plaies promettent
une bonne et louable suppuration. Le bord des plaies
est frictionné avec de l’onguent napolitain double.
Puis, un « digestif » est appliqué.
Enfin, on fait une Iriction mercurielle sur les
jambes.
Troisième pansement, même jour, soir.
La plaie de Louis Piou est assez belle, et suppure
bien. Application de digestif. De même, pour Louis
Vessière. Celle de Pierre Caron, ne suppurant pas
assez, on la recouvre d’un « topique ». Même traite¬
ment pour Geneviève.
Les malades, ayant eu de l’insomnie, on leur pres¬
crit des pilules antispasmodiques et une tisane faite
avec de la fleur de tilleul et de l’oxymel simple.
Quatrième pansement, le 15, matin.
Seule, la plaie de la petite Vessière ne suppure pas
assez ; on l’animera avec le topique.
Pour les autres blessés, bonne suppuration; appli¬
cation de digestif.
Frictions ordinaires autour des plaies; également,
frictions mercurielles aux jambes; pilules calmantes
et tisane.
Cinquième pansement, le 15, soir.
Bonne suppuration de toutes les plaies. Même trai¬
tement.
Sixième pansement, le 16, matin.
Bon état des blessés, Même traitement. Frictions
— 52 —
mercurielles aux extrémités inférieures des cuisses,
« afin de procurer de la salivation ».
Septième pansement, le 16, soir.
Même régime. Même traitement.
Remarqué seulement, à une plaie de Pion, que la
morsure du chien a paru ouverte.
Huitième pansement, le jl7, matin. Sans Portai.
Même état. Frictions mercurielles à la région
lombaire. L’un des malades, Piou, commence à
saliver.
Neuvième pansement, le 17, soir. Avec Portai.
1“ Piou. Suppuration abondante de toutes les plaies
qui se sont ouvertes. Quelques frissons. Ajouter à la
boisson antispasmodique, six gouttes d’alcali volatil,
trois fois par jour. Frictions avec deux gros d’onguent
mercuriel. Tous les soirs, un bain de pied d’eau tiède,
pendant une demi-heure;
2° Caron. Plaie suppure bien et s’est rouverte. Bon
état général;
3® Louis Vessière. Bonne suppuration de plaie. Pas
de fièvre;
4“ Geneviève. Plaie rouverte, mais suppure très peu.
Dixième pansement, le 18, matin.
A partir de ce jour. Portai n’assiste plus aux visites,
et ne reviendra à Brie qu’à la fin du traitement.
1® Piou. Plaies belles. Insomnie, mais pas de
fièvre. On remarque une « aversion singulière pour
les liquides ». Mêmes pansements. Frictions sur la
région lombaire avec deux gros et demi d’onguent
napolitain. Trois bols antispasmodiques. Six gouttes
d’alcali volatil ;
2® Caron et Louis Vessière. Bonne suppuration.
Même traitement ;
3° Geneviève. Peu de pus. Même traitement.
Remarqué un peu de salivation chez Piou, mais
pas du tout chez les autres blessés.
— 53 —
Onzième pansement, le 18, soi'-.
1“ Piou. Plaies assez belles. Le malade prend avec
aversion, un verre de tisane additionnée de six gouttes
d’alcali. Même traitement, et, en outre, un demi-bain
pendant une heure ;
2" Caron et Vessière. Etat stationnaire ;
3“ Petite Vessière. Suppuration meilleure.
Ces trois derniers 'malades sont gais et boivent
facilement. Ils ont pris un verre de tisane avec quatre
gouttes d’alcali.
Douzième pansement, le 19, matin.
1® Piou. Etat plus tranquille, amélioration attri¬
buée au demi-bain pris la veille. Salivation bien éta¬
blie;
2“ Les trois autres blessés n’ont toujours pas de
salivation. Même ti’aitement pour tous.
Treizième pansement, le 19, soir.
Le Bailli de la ville a exprimé le désir d’y assister.
1“ Piou. Pouls un peu élevé. Même traitement;
2“ Les autres ont un peu de salivation, et restent
très calmes.
Les urines des quatre malades sont très chargées.
Quatorzième pansement, le 20, matin,
1“ Piou. Un peu d’insomnie. Bols. Gouttes. Tisane.
Frictions mex’curielles sur l’épine dorsale;
2“ Les trois autres sont dans le môme état. Môme
traitement.
Quinzième pansement, le 20, soir.
Même état. Un demi-bain pour chaque malade*
Régime habituel. Tisane.
Seizième pansement, le 21, matin.
Piou a de la diarrhée. Même état; même traite¬
ment.
— 54 —
Dix-seplième pansement^ le 21, soir.
La salivation est, partout, bien établie, sauf chez
Geneviève.
Dix-huitième pansement, le 22, matin.
1“ Piou. Sans fièvre, mais peu de sommeil. Saliva¬
tion abondante. Plaie suppure. Frictions avec trois
gros d’onguent napolitain, sur l’épine du dos. Un bol.
antispasmodique. Quatre gouttes d’alcali dans de la
tisane ;
2“ Caron et les deux Vessière. Etat stationnaire.
Frictions avec deux gros d’onguent. Un bol. Quati'e
gouttes d’alcali.
Dix-neuvième pansement, le 22, soir; — Vingtième
pansement, le 23, matin.
Même état; même traitement.
Vingt-et-unième pansement, le 23, soir.
Même état, sauf que « Piou a les yeux égarés ».
Même prescription.
Vingt-deuxième pansement, le 24, matin.
ftien de nouveau.
Le dit jour, 24 janvier, sur les quatre heures du
soir, Antoine Portai vint revoir ses malades, et cons¬
tata ce qui suit.
Les plaies du nommé Piou continuent de suppurer
abondamment. Les glandes salivaires sont considé¬
rablement gonflées; la salivation est copieuse.
Piou a reçu dix frictions, quatre de trois gros, et
six de deux gros faits par moitié.
Depuis deux nuits, il dort bien. Le dévoiement a
diminué. Le poul est plus régulier. L’aversion pour
les liquides n’a duré que deux jours ; maintenant, le
malade boit facilement.
La plaie de Caron sera rouverte avec un digestif
plus animé. Cet homme a eu dix frictions, dont quatre
de deux gros et demi, et six de deux gros. Pleine
— 55 —
salivation. Pas d’hydrophobie. Urines et selles nor¬
males.
Louis Vessière a eu aussi dix frictions aux mêmes
doses que celles de Caron. Un peu plus de salivation.
Dort bien.
Enfin, Geneviève Vessière boit facilement. Sa plaie
suppure suffisamment. Le pouls est régulier, mais
un peu fréquent.
Quinze jours plus tard, le 10 février. Portai visitait
une dernière fois, les quatre blessés. Il se déclara
enchanté du résultat obtenu et le Journal des pan-
semens se termine par ces lignes, signées du célèbre
médecin :
Le traitement ayant été régulièrement administré pendant
les trente jours précédents, et la méthode par nous proposée
exactement suivie, nous avons jugés que les malades pour¬
raient sortir après avoir été purgés. Les plaies seront tenues
ouvertes pendant douze jours; puis, on les laissera se fermer
par degrés journaliers, pour terminer ainsi le traitement.
lit, en conséquence de l’observation ci-dessus, nous esti¬
mons, pour la plus grande efficacité du traitement administré,
que les mêmes secours, vu la pauvreté des malades, doivent
leur être continués jusqu’au 17 février inclusivement.
PoRTAL, médecin consultant de Monsieur,
de l’Académie des Sciences.
Tel est, réduit à l’essentiel, le document conservé
aux Archives communales de Brie-Gomte-Robert. Il
m’a paru tout à fait digne d’être publié et étudié, car,
à plus d'un titre, il est vraiment intéressant.
Quelles réflexions sa lecture provoque-t-elle, dans
l’esprit d’un médecin moderne ?
Tout d’abord, une question se pose. Les quatre
clients de Portai avaient-ils été mordus par un chien
réellement enragé ?
La réponse est difficile à trouver. On a pu remar¬
quer qu’aucune certitude, à cet endroit, n’est donnée
par le Journal des pansemens, car, on ne saurait
considérer comme suffisante, comme preuve scienti¬
fique, l’affirmation que « l’animal présentait tous les
« symptômes de la rage ». Ne s’agissait-il pas d’un
— 56 —
chien simplement méchant ou malade, mais pas du
tout hydrophobe ?
Une lettre, jointe au dossier, consolide ce doute.
G’est une missive adressée, le 13 janvier 1781, par
Aubert, conseiller du Roy, subdélégué de Monsei¬
gneur l’Intendant de Paris, à M. Petit de la Motte,
maire de Brie. On y lit ceci, entre autres choses :
M. Bertier (1) désire qu’on mette la plus grande précau¬
tion, et même la plus scrupuleuse dans le traitement. Au lieu
de tuer les chiens mordus, il désire au contraire qu'ils soient
enchaînés et nourris, afin que le succès du remède de
M. Portai soit de plus en plus constaté. En effet, si les chiens
tombent malades, que les enfans soient sauvés, nul doute sur
refficacité du remède.
J’ai cherché à savoir ce qu’étaient devenus les
q“uatre individus que, le 10 février 1781, Portai déclara,
si hardiment, avoir préservé de la rage. Je n’ai rien
pu découvrir à cet égard. Les registres paroissiaux
de Brie ne font aucune mention d’eux, pendant les
années suivantes. S’ils avaient été réellement mordus
par un chien enragé, le traitement qu’ils avaient sup¬
porté ne les eût pourtant pas sauvés de la mort. Il
faut ajouter, tout de suite, il est vrai, qu’il purent
quitter Brie, ayant été autorisés à sortir par leur méde¬
cin lui-même.
Personnellement, j’incline à croire à une grosse
erreur de diagnostic. Il est hors de doute que la
•phobie de la rage était, aux siècles passés, extrême¬
ment répandue. L’épouvante légitime que causait la
seule pensée de l’incurable maladie a fait, certaine¬
ment, en d’innombrables occasions, considérer comme
infectées du virus rabique des morsures très bénignes.
D’où la fréquence relative des cas de guérison, triohi-
phalement chantés par leurs auteurs.
Quoiqu’il en soit, que faut-il penser de la médica¬
tion instituée ici, par Portai?
(1) Louis-BéDÎgne Bertier, chevalier, conseiller du Roy en ses Conseils,
maître des requêtes ordinaires de son hâtel, surintendant des Finances,
domaines et affaires de la Reine, intendant de la justice, police et finance
de la généralité de Paris.
— 57 —
ün a dit, avec raison (1), que le xviii“ siècle avait
été, pour le traitement de la rage, a le siècle du mer¬
cure ».
En effet, durant près de cent ans (2), de 1696 à 1783,
la thérapeutique hydrargyrique régna souveraine¬
ment.
Portai fut un de ses adeptes les plus fameux. Pour
la défendre, il publia, en 1779, un petit volume inti¬
tulé :
Observations sur la nature et le traitement de la
rage, suivies d'un précis historique et critique des
divers remèdes qui ont été employés jusqu'ici contre
cette maladie (3).
Dans ce curieux opuscule, Portai indique l’étiologie
de la rage. Après avoir composé un excellent tableau
clinique, il analyse les différents symptômes de l’hor¬
rible maladie.
Enfin, il rappelle les nombreuses médications (4)
qui ont été expérimentées avant lui, et décrit longue¬
ment la méthode qu’il préconise.
Je suis convaincu, dit-il, que nous connaissons
aujourd’hui le moyen de préserver de la rage ceux
qui en ont contracté le venin, mais il n’est pas égale-
(1) D‘ Julien Rosuem. Le traitement de lu rage de Démocrite à Pas¬
teur. France médicale, 1912, n“ 20 et suiv. L’auteur de cet intéressant
travail a, malheureusement, oublié le nom de Portai.
(2) A la suite de Paulmier (1578), Jeun Ravelly conseilla dans son
« Traité de la Rage » (1696) l’usage interne du cinabre. L’année 1740
marqua le triomphe universel du mercure. Bonet et Leroux, de Dijon,
démontrèrent, en 1783, l’inefficacité absolue de ce remède, dans la pro¬
phylaxie et la guérison de la rage.
(3) Deux exemplaires de cet ouvrage, absolument semblables l’un à
l’autre, existent à ta Faculté de médecine de Paris (IX-185 p., in-12,
Yverdon, 1779) : 31.424 et 43.114.
Je remercie bien vivement notre collègue, le D' Uahn, bibliothécaire,
de m’en avoir facilité l’étude.
(4) Il serait tout à fait oiseux d’en citer ici, même quelques-unes.
Cependant, je crois intéressant de transcrire ces lignes de Portai ; « Les
<( anciens médecins ont cherché dans diverses parties de l’animal mort
« de la rage le contrepoison de la maladie qu’il avait communiquée ;
« sang desséché, foie, rate. Mais un pareil mode de traitement est aussi
« absurde qu’insuffisant ». Portai était loin de penser que, cent ans plus
tard, Pasteur trouverait le remède de la rage dans l’inoculation do
moelles d'animaux enragés.
— 58 —
ment certain que nous puissions guérir cette maladie,
loi’squ’elle est confirmée. Le plus important des
remèdes, dans ce cas, est le mercure.
Comme traitement local, on fera des scarifications,
des cautérisations par le feu ; on appliquera des
sangsues et des pansements suppuratift.
Comme traitement général, régime ralraîchissant,
saignées, bains, boissons abondantes, purgations
douces, antispasmodiques (camphre), enfin le mer¬
cure, et « l’on sera presque sûr de la guérison ».
Les voies salivaires constituant le principal foyer
du virus de la rage, divers sialagogues ont été con¬
seillés pour en opérer le dégorgement. Le mercure
fut ordonné pour faire saliver les malades. Cependant,
on a guéri des gens sans salivation. Même, certains
auteurs (dont Portai) se contentent d’un simple cra¬
chotement. A la vérité, on ne sait comment le mer¬
cure détruit le virus hydrophobique, mais sait-on
mieux comment il détruit celui de la vérole?
La méthode d’administrer ce médicament par les
frictions est préférable à toutes les autres, pour les
raisons suivantes :
1° On applique le l'emède sur la plaie ou autour
d'elle ;
2® On est plus sûr du mercure qu’on administre
ainsi que de celui qu’on fait prendre intérieurement,
les premières voies digestives n'étant pas toujours
disposées ;
3“ Les enragés ne peuvent ou ne veulent pas quel¬
quefois avaler;
4" La méthode des frictions est plus épr.ouvée que
les autres.
Il faut donner tout de suite une dose assez élevée
de mercure : deux gros d’onguent [environ six gram¬
mes], jusqu’à commencement de salivation, puis
diminuer rapidement.
Les mercuriaux sont les vrais spécifiques de la
rage.
Après avoir exposé ainsi sa méthode. Portai ajoute
ces lignes qui sont à citer :
— 59 —
Rien n’est plus dilEcile que de constater des guérisons de
rage. Des sujets qui ont été mordus par des animaux et qui se
sont, en conséquence, soumis à un traitement, la plupart l’ont
été par des animaux qui n’étaient pas enragés, ou par des ani¬
maux enragés qui avaient déposé leur venin, soit par quelque
morsure faite à un autre individu, soit dans les vêtements du
sujet que l’on a traité. Or, comme les personnes qui se trou¬
vent dans ces cas se soumettent au traitement comme celles
qui ont véritablement contracté la rage, on lui attribue la pro¬
priété d’avoir prévenu ou guéri une maladie qui n'aurait pas
eu lieu. Aussi, l’on ne saurait être trop circonspect dans le
choix des observations favorables à tel ou tel traitement. Mais,
celles sur lesquelles sont fondées nos espérances sont si nom¬
breuses qu’on ne peut plus douter de l’efficacité du remède
que nous avons proposé.
Malheureusement, Portai se trompait. Après un
siècle de vogue, le mercure tomba dans l’oubli (1).
On continua à mourir de la rage, jusqu’à l’heure de
la vaccination pastorienne.
Toutefois, nous ne saurions sourire, sans injustice,
de l’un de ces mille remèdes, si baroques furent-ils,
qui donnèrent à tant de misérables, au seuil même
de l’agonie terrible, un dernier espoir de guérir.
TABLEAUX DIS DOCTEURS RÉGENTS
DE LA FACULTE DE MÉDECINE DE PARIS
ET DES MEMBRES DU COLLÈGE
ET ACADÉMIE ROYALE DE CHIRURGIE DE PARIS
par lo Profeaaeur R. BL.iVlVCBi^RD
Ancien President de la Société
Je présente à la Société quatre grands placards
in-folio dont j’ai fait récemment l’acquisition. Je n’en
avais encore jamais rencontré un seul exemplaire,
bien qu’un nombre considérable de documents rele-
(1) Bergeron et Brouardel, au xix" siècle, étaient encore partisans, avec
des réserves, il est vrai, de la thérapeutique hydrargyrique contre la
rage [Diction. Dechambre. Art. Rage chez l’homme).
— 60 —
vaut du M vieux papier » médical me soient passés
entre les mains. Je crois donc que ce sont des pièces
rarissimes, uniques en leur genre et dignes d’arrêter
notre attention.
Trois de ces placards donnent la liste des docteurs
régents de la Faculté de médecine de Paris, pour les
années 1758, 1768 et 1770. Le quatrième donne la
liste des membres du Collège et de l’Académie royale
de chirurgie pour l’année 1767. Donnons-en une des¬
cription sommaire.
Premier placard
Haut de BSb™"*, large de 425, il porte ce simple
titre :
M. DCC. LVIII.
La partie supérieure a été coupée, peut-être parce
qu’elle était ornée d’une gravure.
La liste énumérative des docteurs régents com¬
prend 143 noms, répartis en quatre colonnes. Le nom
est en français; les prénoms sont en latin. La pre¬
mière colonne est de 40 lignes, les deux suivantes de
39 lignes chacune, la dernière n’a que 26 lignes.
La première colonne débute ainsi :
MAGISTRI,
Jacobus-Benignus Winslow,
Camillus Falconet,
F^ranciscus Pousse,
Petrus-Antonius Lepy,
et ainsi de suite. Tous ces noms sont inscrits suivant
l’ordre de promotion ; J.-B. Boyer, decanus^ et J.-B.-
L. Ghomel, censor, sont aux 18” et 26” lignes, c’est-à-
dire exactement à leur rang d’ancienneté. Aucune
indication d’adresse ou de domicile.
La deuxième colonne débute ainsi ;
Joannes Jacobus Belleteste,
Laurentius Ferret,
LISTE
DE MESSIEURS LES DOCTEURS REGENS
DE LA FACULTÉ DE MEDECINE
EN L'UNIVERSITÉ DE PARIS, AVEC LEURS D E M E U R E S , 1768.
P' A
Michel. Louis Vemagc, rue S. Pierre.
Louis. Claude Bourdelin,
rue Maçonne t Fauxbourg S. Germain.
Nicolas le Roy de Saine Atgnan,
è'î' Loiiiff. Jérôme ^fnicT,
rue de ta Harpe, pris S. Cdme,
Guillaame.Joreph de l'Epine ,
Bernard de JuHîeu,
rue des Bernardins.
■ Paul.Jacques Maloüin, Zotfvre.
Antoine. Nicolas Guenaulc, Hétel dePtn-\
ihiévre . Place^s naedres.^
Kaymond de la Rlvicre , rue S. Honoré,
pris la Place de Vendôme.
rue Saint-Thomas du Louvre.
Louis.Maric Poufle, abfent.
Hyacintlie-Thcodore Baron,
n/e Couture Ste Catherine, au Marais.
jofeph de Juflîcu, abfertt.
François-Felicitd Cochu,
rui des Pautier
daude.Charles de Jean,
rueduCoc^S.Jearr.
Jacques. Albert Hazoïl,
rue Jean Robert, prit ta rue S. Martin,
Gafpàrd Cochon Dùpuy , à Roehejbrt
Charles Payen
. ue Couture Ste Catherine.
\ Antoine fenem, rue S. André,-vis-à’
ru ta rue Gijl le-Cat
. Michel. JofephMaiault,
Mtcbcl-Philippe .
rue de Rtcneliei
^ue du Roi.
Jean-Jacaues Bellcrcfte, rue Saint-Jaep
ueCkriJline.
Pierre Chevalier , n^r Barre-du-Bee
prit U rue de ta Verrerie.
Pierre Arcclin, rue de CArbre-^ec, vis-h
Antoine le Camus, .
rue du Foin, vis-h-vis celle BouttebrieX
Pierre PoirToniHer,
Jofeph Lallcmanc, en Lorraine.
Jean-Claude Munier,
h üHôtel Royal des Invalides.
François Bidault, rueS. JeandeBeauvaisX
Louis Pathiot, rue de la Jujpennf,
Florent.Charles Bcllot,
Ipafcal BorC, rue £Grenelle S. Honoré. ,
lEticnnc Pourfour Du Petit, me du PetU\
Bourbon , au JJoyenne de S. Germainl
de lAuxerroU ; vU-h-vts le Louvre. '
Antoine Petit, rue des Bernardins.
Louis-Gabfiel'Duprd, hStent^.
Barthelemy-Toufllint le Clerc , VUilU\
rue du Temple,pris la rue de Bercy.
Denis .Claude Doulcet,
rwe Chrijhne , pris la rue Dauphine
:an.François Paris, rue & visXvis les\
Bernardins.
Noël.André.Jean.BaptUle Chehieau,
ou Muns.
Denis Paut^r de Labreiiille ,
rue Neuve des Capucines.
Etienno- Louis GéOBroy,
des Sine
Louis.Picrre.Félix . Rend Le Thicujlier,
DOYEN , rue de Poitou, au Marais, l
Jean -Bapiifte Thuranc, *
rue des Foffe:^ S. Bernard.
£dme>Thoma$ Moreau, Cul-de-fac de la\
rue Férou, priL Saint Sulpice. ’
Claude.Jofeph Gentil,
rue du Four , yis-à-vis Lfrue de CEpi
Jean.BapcîfteBar]olIe,m>A-A^cm, £fer
rue des GravUtiers.
Jacques Gouriez de la ,
-* Neuve des Petits Champs , pris la\
. ...deRicbelieu. '
Claude Tbomas-Guill.GuilbertdePrdval,
nre Thevenot , Cul-defac de f Etoile.
rue des Blancs Manteaux , pris la nre|
du Chaume,
inc-Chirlcs Lorry, rm Hautc-FeuilU ,
i-vir iliffiiiorW-jciiirlcs-François Thcroulde de Vallon ,
I rue Neuve-fuira-Eujlache , vu-i viA
tHSteldeCurinun.
ran-Jacques Mvffence , rue de Savetye
pris celle des Grands Augujlira.
jjacques Barbeu du Bourg, rue Copeau.
Pierre. Auj'uRc Adet.
rue du Roi de Sicile.
ugucs Capet . rue S. Avoye , pris
rue des Blancs-Manteaux.
Lo-jis-Jcan-Baptille Cofnier, rue des Ma-\
thurins , pris la rue des Maçons. \
KnnMs\sàe-Dori%ny.rue(iesFof[e[deM.\
le Prince, pris la rue de COlfervc
François Thit ry , rue Saint Honoré,
peut Hôtel de Noatües.
Jean Mac Mahpn , rue de Grenelle, i
bourgSaint Germain , vis-à-vis La Fon¬
taine, &b lEcole Militaire.
Ambroife Hofly .
rue Ma\anne , pris la rue Guenegaud.\
Louts-Aleicaiidre.Gervailc,
Cloître S. Germain C Auxerrois.
___, Martin Nouguez , rue de Clery.
• Qutneampotx , près U Cui-de-Sac Jean.Fraeiçois.Cletncnc Morand ,
r. f^ieux Coéombur , pris la rue C
Claude- François Grandclas, tue Co^
Jacques.Louis A Heaume, h la Martinique.
Antoine'Oarnier,
Moruagns Sainte Genevieve,
Charles Gcille de Saint Lcger,
neuve S. Augujlin.
lAlexandrc-Denys Dtcncrt. rue Montor-
gucil, pris la rue Maucon féil.
.JacouesBcl
^ Collège de Louisde GraTTd.
^-é- Laurent Ferret, h Cambrqy.
Goi-André Garnier, h la Guadeloupe.
Gedeon de Rabours, abfent.
Charles Dioms,
Cul-de-Sac ie la Cordene, pris S. Rock.
Jofeph-E^upcrc Bertin . à Rennes.
Louis-GuilUume Le Monmer, en Cour.
S-d* Lcandre Peâgcc,.mc de Btevre,près ta
Place Maubert.
Benjamin. Louis -Lucas de Uurcrobert,
ÎthJh rue S. Denys, pris la Trinité.
Pierre Bercher . Cznseur , rue Baitlei.
Julien BufTon . d Rennes.
Jorcph.Maric FrançoisLairone.mcCd/rr/c.
Pierre-Jofeph Macquer, me 5. 5<xitvmr.
Pierre Ltloucttc ,
3?-^ rue Jacob , pris la rue S. Benoit.
Charles-François Boutigny des Preaux,
rfC rue des Pr. S. P oui,pris la rue de Fourey^
Françoss - David Heriffant
rueDuine
de\b^enife.
Notl. Mane de GHgland,
^ . ji/ Palais Royal.
Charles - Louis Liger , à Auxerre.
Jacques Verdelhan des Moles ,
à r Hôtel de Condé.
François Bernard ,
' , pris la rue Maubué.
iTbeophile de Bordeu, rue de Bourbon
‘ vU-à-vis CHôtelde Choifeul-PrafinA
:an.Nicolas MilUn de la Courvcault
nu & prit la Place Royale.
cn7-Michel Millâ , rue Barbette as.
Marais.
Jean «Louis. Marie Solier, rue de laSour-\
dicte,pris le CuiJefac des Jacobins.
Cbderl hoere-Dnme.
CIcriade Vachier,
fiie du Mail, pris THôtel des Chiens.
Guy Oanid Defparurcaux,
rue des Vieilles Audriettes.
Jean-B/pti(le.François de la Rivière,
rue de Bievre, pris'La Place Maubert.
Jean Dcfccmet, rue du Fauxbourg Saint
Maximilien.Jolêph Leys. rue Poupée<,au
coin de la rue Hautefeuille.
rue du Hasard. Richelieu.
Guillaume Fumee, Cloître des Bernardins.
François-Louts Thomas d Onglce, rue de\
Seine, h CHôtelde la Roehefoucault. '
ocl-Ntcolas Mallet,
me du Monceau S. Gervais.
Jean-Armand Rouflin de Montabourg,
me S. Dents , entre ta me aux Ours ,
& U Cul-de-fae des Princes.
jEtiennc d'Huaume , me du Paon , près la
r des Ecouffes.
Cefar Cofte, - *
Acbillc-Gujllaume le Begue de Prfcflc,
Mathurins.
de Seine pris la me de CEchaudé.
Hôtel dElbeuf, Place du Carroufel.
ColmoAuguftin Lczuricr.
' —- & vis-à visles BiUettes.
Vacher , en Corfe.
Icharles Sallin,
S. Honoré,pris les Ecunesdu Roi.
-Gilbert.Alexandre Boyi ‘ '
[Hugues ^ ■
François Thierry de BulTy, we* Taranne.
Jean'd'Arcet,
rue^du Bacq,vis-h-vis la Vif ration.
I Jofeph Philip, me des Neyers, vis-à vis la JS
iJean-B^tiBe-Alexandre Maigret,
’ .y. Louis, au Marais , vis.h-vis la
S. François.
[François Portier de la HoulHniere, . ^
rue S. Honoré, près les Ôuinre-Vingts, y â
h C Hôtel d Angleterre.
Matthicu-Thomas LacaflTaigne,
rue du Bficq, près la rue de tUniverfié, T
Charles-Louis François Andt)', yX
me des Ecouffes , au Marais.
Philippe Querenct, me S. Antoine, vis- tS
" hrvis la me des Balleti. '
Je^n-ScaniHas Mittié, me des Foffoheurs, TA
-- pris Saint-Sulpice. ^
nde lame des Jolêpb.Jacques Gardanc, me des Noyers , Ta
pris S. Yves. J'*
Jean-Ancoiae Elle de la Poterie, à Bref.
Edme-Claude Bourru , rue de la Harpe,
pris U Collège tCHareoûrt. T A
Louis-Claude Giiilbcrc, mi de la Harpe,
Paul-Gabnel le Preux, rue S. Paul, vis-
d-v« la me des Dons. -èh^
Autoine-Jean-Baptiftc-Micloud Guenet, ^ îi
me de Richelieu, près là rue Neuve S. T»
, Angufiin. f?
Charles.NicoIâs d'Eflon, rue Pldtnere, près *^A
la me Verderet,
Henry Raimond, en Corfe. *4-»
Jean-Bapcifte Langlois , rue Thtbautoié, '4'^
derrière la Monnaye. 4'»
Louis-Alexandre Cézan . me de Seine, vis-
à-vtsla ruedes Marais.
Louis.Henry Bourdclin, me de Seine, vis- 4"^
h-vis CHôtelde la Rochfoucault. 4* A
PicrrcManc Vieillard, me Beaubourp,vis- 4*'^
h-vts celle Geoffroy-Lanoevin. f À
Jean'CharIcs Delcflarcz, C*/rrf S. Benoît. 4^
Jean Colombier. rue de Varenne ,près celle 4 *^
ét Bacq. 4^
Bertrand ,medesSaintsPeres, vis-
â-vts celle S. Guillaume.
Thomas Lcvachcr de la Fcurrie , Quay de
Bourbon , pris le Pont-Marte.
Jean-Bapiifte Eugeme Dumangin ^ Dual TX
Acs Ormes ,près la rue Geofroy-CAmer. 4
Dotnimquc.Jean.Baptiftc De J.i Biche , rue 4^
Grange Baieltere ,près lar. Montmartre.
Jean. Augufbn Coutavoz, rue des Noyers , 4x
vis-à-vis celle S. Jean de Sauvais. T'^
de Vtmeutl, prés celle François-Maric le Moine, rue & v/s-à vis le TX
Portail des Carmes, Place Maubert.
Lmbroifc-Augurtc Bclaiigcr, rue & pris U
peut S. Antoine. 4^
De Umprimeric de Q,w 11 i
»f . Libfiftc de rUniverlué 6e de U Faculté de Médecine , près la Place Maubert -i
i’I. 1.
— 61 —
Guido Andréas Garnier, non Regens,
Gedeon de Rabours, etc.
La troisième colonne débute ainsi :
Stephanus Pourfour Du Petit,
Antonius Petit, etc.
La quatrième colonne débute ainsi :
Joannes-Baptista Barjolle, non Regens,
Simon Antonius Bringaud,
et ainsi de suite. Le nom de Joannes Saint-Joire clôt
la liste; il esf séparé par un filet du précédent et
suivi non d’un point, mais d’une virgule, ce qui
indique vraisemblablement que Saint-Joire, dernier
venu dans la corporation des docteurs régents, appar¬
tient à la promotion de l’année courante et que le nom
des nouveaux promus sera inscrit à la suite du sien.
A cet effet, le tiers inférieur de la quatrième colonne
est resté en blanc.
Cette liste de 143 noms sur quatre colonnes est
enfermée dans un encadrement en ornements typo¬
graphiques qui mesure 425““ de haut sur 370 de large.
Au-dessous se lit, en une ligne :
Typis Viduæ Quillau, Universitatis et Facultatis
Medicinæ Typographi, 1758.
Deuxième placard
Nous en donnons un fac-similé, réduit de trois cin¬
quièmes (pl. I). Il est haut de 610““, large de 460““.
L’encadrement du texte est lui-même haut de 470““
et large de 405““.
La liste est tout entière en français, chaque nom
étant suivi d’une adresse imprimée en caractères ita¬
liques. Elle comprend 149 noms, encore classés par
ordre d’ancienneté de promotion et répartis en quatre
colonnes de 73 lignes. La première colonne débute
par une ligne supplémentaire et comprend 44 noms;
la deuxième en renferme 39, la troisième 36; la qua¬
trième n’a que 59 lignes et ne comprend que 30 noms.
Bull. Soc. fr, hUt. méd., XII, 1914 5
— 62 —
Troisième placard
En tout semblable au précédent, mais portant la
date de 1770. Le nombre des docteurs régents est
de 148, dont 42 dans la première colonne, 38 dans la
seconde, 35 dans la troisième et 33 dans la quatrième.
Le chef de file est Michel-Louis Vernage, rue de
Ménard-, le dernier inscrit est Jean-Jacques Nollan,
rue de la Mortellerie, au Dauphin de pierre, près la
rue Geoffroy-l'Allier. Le doyen de l’époque était
L.-P.-F.-R. Le Thieullier.
Quatrième placard
Nous en donnons une reproduction partielle, éga¬
lement réduite des trois cinquièmes (pl. II). Il con¬
siste, en une grande feuille in-folio, haute de 790™™,
en tête de laquelle est collée une feuille de même
largeur, mais beaucoup moins haute et n’ayant que
190™“ de hauteur. Ces deux feuilles se superposent
sur une hauteur de 35“™, ce qui donne à l’ensemble
une hauteur totale d’environ 940™™. La largeur est
de 540™'".
La partie supérieure est occupée en son milieu
par une gravure haute de 155™™, large de 175'"™.
Cette vignette représente les armes de l’Académie
royale de chirurgie, posées sur un fond de nuages et
soutenues par deux génies ailés et drapés, tenant
déroulée au-dessus de l’écusson une banderolle avec
la célèbre devise consilioque manuque. Par une fan¬
taisie dont on verra plus loin un autre exemple (fig. 1),
le graveur a tracé une face humaine à fortes mous¬
taches sur la partie supérieure de la composition
encadrant l’écusson : dès lors, celui-ci représente
une bouche elliptique très largement ouverte, les
volutes supérieures représentent les oreilles, les
dernières feuilles de la couronne de palmes, sur
laquelle l’écusson repose, simulent une chevelure en
brosse.
La grande feuille inférieure est occupée par un
— 63 -
tableau typographique circonscrit par un simple
filet et mesurant 660”“ de haut sur 435”” de large.
Il débute par un compartiment haut de 135"'”,
occupant toute la largeur et portant, en neuf lignes,
une longue inscription. Au-dessous vient, en cinq
colonnes, la liste des noms et adresses, avec la date
de leur promotion, des 236 membres de la corpora¬
tion des chirurgiens de Paris. Chaque colonne
compte 103 lignes, sauf la cinquième, qui est un peu
plus courte.
La première colonne contient 47 noms, la deuxième
48, les troisième et quatrième chacune 49, la cin¬
quième 43. Au bas de la cinquième, on lit:
M. Nicolas Allix. ] Greffier, rue du Battoir | A
PARIS, de l’Imprimerie de P. Al. Le Prieur,
Impri- 1 meur du Collège & de l’Académie Royale
de Chirurgie, [ rue S. Jacques, à l’Olivier, 1766.
On éprouve un réel plaisir à la lecture de tels docu¬
ments. A côté de praticiens obscurs, sur le compte
desquels on ne sait rien ou fort peu de chose, on
voit surgir à chaque instant des médecins ou des
chirurgiens fameux, ou simplement connus, sur le
nom desquels l’esprit s’arrête avec complaisance.
Beaucoup d’entre eux sont de vieilles connaissances :
voici J.-L. Alleaume, H.-Th. Baron, J.-J. Belleteste,
P. Bercher, L.-Cl. Bourdelin, Ed.-Cl. Bourru, J.-Ch.
Desessarts, L.-P.-F.-R. Le Thieullier, Th. Levacher
de la Feutrie, J. Philip, Et. Pourfour du Petit,
Ch. Sallin, qui furent doyens de la Faculté de méde¬
cine et dont les jetons ornent ma collection de numis¬
matique médicale. Voici C.-L.-Fr. Andry, J.-N. Arra-
chart, Th. de Bordeu, Cochon-Dupuy, D. Delafaye,
Ant. Louis, G. Pichault de la Martinière et d’autres
dont les ex-libris figurent dans ma collection d’ex-
libris médicaux (1). Voici encore Th. de Bordeu, déjà
(1) R. Bl;wchard. Note sur une collection d’ex-libris médicaux. Bul¬
letin de la Soc. française d'histoire ds la médecine, IX, p. 148-150, 1910.
- 64 -
cité, J. Descemet, A. Ferrein, les deux Jussieu,
Fr.-G. Levacher, S.-Fr. et J.-Fr.-Cl. Morand, J.-R.
Tenon, qui sont au nombre des savants ou des prati¬
ciens les plus illustres du xviii® siècle.
Parmi ces noms, on remarque encore celui de
Jean Mac-Mahon, demeurant « rue de Grenelle, Fau¬
bourg Saint-Germain, vis-à-vis la Fontaine, et à
l’Ecole Militaire ». Son père, Térence Mac-Mahon,
de Limerick (Irlande), avait pour frère Patrice Mac-
Mahon, lequel devait avoir pour arrière-petit-fils
Marie-Edme-Patrice-Maurice de Mac-Mahon, maré¬
chal de France, duc de Magenta, deuxième président
de la République Française. Notre Jean Mac-Mahon,
né en Irlande en 1719, docteur de Paris en 1750,
devint médecin de l’Ecole militaire et mourut le
5 septembre 1786. Son fils Patrice (1772-1833), docteur
de Paris en 1803, devint bibliothécaire de la Faculté
de médecine. Ghéreau a publié une note intéressante
établissant l’arbre généalogique des Mac-Mahon de
France (1).
Notons enfin qu’en 1767 certains chirurgiens
s’étaient spécialisés dans l’art dentaire : Jean Dupouy,
promu en 1736, et Cl.-Guil. Beaupréau, promu en
1760, avaient pris l’un et l’autre la qualification de
dentiste; ils exerçaient, le premier rue Saint-Roch,
le second rue des Fossés-Saint-Germain-des-prés.
VAlmanach Royal publiait chaque année la liste
des Docteurs-Régens de la Faculté de Médecine en
VUniversité de Paris et celle des Maistres en l'art et
science de chirurgie de la ville de Paris. Les titulaires
de l’un ou l’autre grade s’y trouvaient énumérés sui¬
vant leur ordre de promotion, et leur nom était suivi
de leur adresse; les prénoms faisaient défaut, sauf
quand le même nom de famille était porté par plusieurs
personnes. Nos placards sont donc d’un intérêt tout
spécial, puisqu’ils donnent tout au long, en latin
jusqu’à 1758, en français depuis 1768, la liste des pré¬
noms portés par chacun.
(1) A. CaÉHEAu. Le docteur Jean Mac-Mahon. Journal des connais¬
sances médicales pratiques, 15 juillet 1875.
65 —
Notre très érudit collègue, M. F.-Em. Boutineau,
de Tours, a eu la bonne fortune de découvrir chez un
libraire de Paris un placard donnant le Tableau des
maîtres en chirurgie de la ville de Tours avec Vannée
de leur réception et leurs demeures^ 1764. Cette pièce
rarissime fait actuellement partie de collections de
M. Boutineau : elle est haute de SSO""™, large de
360““, la partie imprimée étant circonscrite par un
encadrement en ornements typographiques haut de
326“"'., et large de 320“”. Elle porte en chef une gra¬
vure sur bois haute de 125““, large de 55““, repré¬
sentant les armoiries des chirurgiens de Tours. Ce
précieux document a été reproduit en fac-similé ré¬
duit dans la Gazette médicale du Centre[i)^ la vignette
de tête étant réduite par la photogravure; nous la
reproduisons ci-contre {fig, 1), grâce à l’obligeance
de M. Boutineau.
On remarque avec étonnement que la pièce mé¬
diane, qui ferme en haut l’encadrement des armoiries
de la corporation des Maîtres en chirurgie, porte un
dessin au trait représentant une tête humaine vue de
(1) Gazelle mcdieale du Cenlre, IX, p. 205, 15 mai 1904.
face; la lèvre inférieure est marquée, en sorte que le
contour elliptique de l’écusson ne se confond pas avec
l’orifice buccal largement ouvert.
A Tours comme à Paris, et sans doute aussi dans
d’autres villes, il était donc d’usage, vers le milieu
du xviii“ siècle, d’imprimer, soit chaque année, soit à
un intervalle de deux ou trois ans, de grands placards
donnant la liste, par ordre de promotion, soit des
médecins, soit des chirurgiens habitant la ville. Cette
liste comprenait aussi le nom et l’adresse des méde¬
cins ou des chirurgiens promus dans la même ville,
mais ayant élu domicile ailleurs, attendu qu’ils conti¬
nuaient à faire partie de la Faculté de médecine ou
du Collège de chirurgie, grâce à la solidarité corpo¬
rative qui en unissait très étroitement tous les mem¬
bres, comme en une seule et même famille.
A une époque où les livres d’adresse n’existaient
pas, ces placards étaient d’une incontestable utilité.
Nous n’avons aucun renseignement sur leur mode
d’emploi, mais on peut admettre qu’ils étaient affichés
non seulement à la Faculté ou au Collège de médecine
ou de chirurgie, mais aussi en des lieux où le public
pouvait les consulter facilement, par exemple dans
les hôpitaux, dans les salles de consultation, dans les
postes de police, à l’entrée des églises, dans les gale¬
ries du palais de justice.
SAINTE CLAIRE QUI GUÉRIT LES MAUX D’YEUX
FONTAINES THÊRAPBDTIQÜES DBS VOSOBS
par le D' Hubert CLBU
Médecin aide-major de 1'" classe
Parmi les saints guérisseurs dont l’histoire et la
légende constituent un des plus importants chapitres
du folk lorè des Vosges, il faut réserver une large
place à sainte Claire qui guérit les maux d'yeux. Né
dans la région, le culte de cette sainte n’en a que
— 67 —
peu ou pas dépassé les limites, mais il est d’origine
très ancienne et par certaines traditions il se rattache
à des pratiques bien antérieures au christianisme.
Cette sainte Claire qui vécut au vu* siècle ne doit
pas être confondue avec la fondatrice des Clarisses,
Claire d’Assise, qui vécut au xiv” et que l’on implore
en faveur des fiévreux ou des enfants malades (1), ni
avec Claire de Montefalco qui mourut en 1308. Elle
n’est pas citée dans les martyrologes classiques; dans
les Bollandistes elle est au 12 août sous le nom de
sancta Clara Habendensis, Nous raconterons son
histoire en faisant l’étude de la première des sources
qui lui furent consacrées. Car, quoique les reliques
de la sainte soient vénérées en plusieurs endroits, ce
sont surtout les fontaines qui attirent le plus grand
nombre de pèlerins, la plus importante en particulier,
celle de Saint-Mont.
Le Saint-Mont, Mont-Habend ou Avendum. — Ses
Antiquités, — Sancta Clara Habendensis. — Ori¬
gine ds son culte. — Sa fontaine.
Le Saint-Mont, hauteur boisée, cotée 683 sur la
carte d’état-major, domine de 300 mètres environ le
confluent de la Moselle et de la Moselotte à un peu
plus de trois kilomètres à l’est de Remiremont. Par
sa situation ce haut lieu était de tous temps prédes¬
tiné à être un sanctuaire. On pense que peuples
préhistoriques et Gaulois y venaient adorer Mithras,
le soleil (2); on y voit encore un important monument
mégalithique, le Pont-des-Fées, énorme amas de
blocs de roche qui le relie à la montagne voisine de
Morthomme ; dans les environs plusieurs autres
pierres furent peut-être aussi des monuments drui¬
diques : la Pierre-Kerlinkin, monolithe de grès de
5 mètres de hauteur environ, le Fardeau de saint
Christophe, la Pierre-Huguenote.
(1) Une source de sainte Claire à Guéret, guérit la fièvre. Bittard.
Les Bonnes Fontaines en Limousin. Æsculape, n° C, juin 1913.
(2) Df Fournier. Bulletin de la Société philomatique Vosgienne de
Saint-Dié, XIX, 1893-1894.
L’étymologie même de son nom révèle la haute
antiquité de cette colline : elle portait avant la domi¬
nation romaine le nom de Aven transtormé plus tard
en Avendum, Mont-Habend ou Avend qui semble
signifier montagne de Feau^ le radical «('e étant un des
plus fréquents parmi ceux qui nous restent des idio¬
mes celtiques.
Le Mont-Hiibend fut encore un sanctuaire pour les
Romains qui le fortifièrent sous le nom de Castrum
Habendi et y édifièrent un temple, si l’on en croit un
manuscrit de la bibliothèque de Remiremont (1).
Le Saint-Mont n’était plus qu’un rendez-vous de
chasse des princes lorrains (2), quand au début du
VII® siècle, les saints Romaric et Amé, disciples de
saint Columban, envoyés de Luxeuil par saint Eustaise
pour évangéliser le pays d’Habend, y fondèrent un
monastère de vierges qui fut l’origine du chapitre des
Dames Ghanoinesses de Remiremont ; sept chapelles
dédiées à différents saints furent érigées sur les
flancs de la montagne.
Or, une fille de Romaric, venue probablement de
Metz, vivait comme religieuse dans le monastère ; la
tradition rapporte que sa sagesse et sa vertu l’en
avait fait élire abbesse dès l’âge de dix-huit ans. Elle
était en effet un modèle de sainteté, mortifiait son
corps et passait les nuits en prière dans un oratoire
construit sur un rocher abrupt; elle y pleura tant aux
pieds du crucifix qu’elle en perdit la vue si l’on en
croit la légende. On l’avait pour cela surnommée
Cécile, quoiqu’on vérité elle s’appellât Ségoberge. La
nuance blonde de ses cheveux, les yeux limpides qui
animaient la pâleur de son visage avant sa cécité lui
avaient aussi valu le nom de Glaire, à moins qu’elle
ne le dût à son pouvoir de rendre la vue, car après
sa mort survenue vers 652 ou 653 elle fut considérée
(1) Registres et Commentaires des choses mémorables de l'église Saint-
Pierre de Remiremont (Valdemaire, abbé d’Hérival) ms. du xii* siècle.
(2) « Il se transporta (Romaric) en sa prochaine seigneurie de la
Vosge, notamment en son chasteau d’Avendum ou Romberg servant aux
Idoles et aux véneries des princes ». Ruyh. Les saintes Antiquités de la
Vosge. Saint-Dié, 1626.
comme une sainte et pieusement invoquée par tous
ceux qui avaient les yeux faibles ou malades. Ces
malheureux venaient prier sur sa tombe en l’oratoire
où l’on avait inhumé son corps, puis s’en allaient
laver leurs yeux malades à la fontaine où la sainte
avait accoutumé de se rendre maintes fois pendant sa
vie.
L’origine du culte de sainte Glaire pour la guérison
des maladies des yeux doit remonter à ces temps
anciens, mais il devint surtout populaire au début du
XII® siècle ; les religieuses s’étaient depuis longtemps
établies à Remiremont, mais les prêtres qui les des¬
servaient décidèrent à cette époque de se retirer sur
le Saint-Mont ; ils y relevèrent le tombeau de la
sainte qui tombait en ruines, l’entourèrent de fortes
grilles de fer et reconstruisirent la chapelle (1). Le
Saint-Mont fut dès lors très fréquenté des pèlerins
qui mettaient toute leur confiance en sainte Claire et
venaient baigner leurs yeux malades dans l’eau de sa
source. Les auteurs anciens (2) racontent de nombreux
cas de guérison ; celle d’une chanoinesse, Madame
de Couvonge en 1630. celle de deux étudiants de
Besançon, celle de beaucoup d’habitants des villages
voisins. Ces guérisons firent tant de bruit au xvii® siècle
qu’une information fut ouverte en 1643 pour les véri¬
fier.
Vers la même époque, à la demande de Catherine
de Lorraine, abbesse de Remiremont, Jean des Por-
cellets de Maillane, évêque de Toul, enleva la relique
de son ancienne sépulture et, en présence d’une
grande affluence de peuple, il la transporta dans la
principale église du Saint-Mont. Le corps de sainte
Claire fut placé dans un coffre recouvert de feuilles
d’argent ciselé, enfermé lui-même dans une châsse
de bois doré. La Révolution vint le profaner et il n’en
reste plus aujourd’hui à Remiremont que des frag¬
ments dont l’aithenticité n’est pas établie.
(1) Pèlerinage au Sainl-Monl (Abbé Ray), Epinal, Collot, 1887.
(2) Vie de sainte Claire, Remiremont, 1749 (anleur iaconnu).
— 70 —
Actuellement encore les malvoyants se rendent en
pèlerinage au Saint-Mont, et vont laver leurs yeux à
la source. Cette source n’est qu’un mince filet d’eau
claire qui suinte du rocher et coule dans une exca¬
vation naturelle entourée de blocs de pierre ; elle ne
tarit jamais (1). Quand ils ont faitleurs ablutions, les
pèlerins se rendent à quelques pas plus haut devant
une statue de la vierge et y déposent en ex-voto une
croix formée de deux rameaux entrecroisés. 11 n’y a
pas de statue de la sainte en cet endroit, mais il en
existe plusieurs dans la chapelle. On en avait fait
autrefois un grand nombre d’images : Claire était
représentée avec les attributs de son homonyme
Claire d’Assise, c’est-à-dire portant le Saint-Sacre¬
ment, mais elle avait en plus un œil ouvert à hauteur
de la tète et à gauche. Une statuette en argent exécu¬
tée en 1643 représentait l’abbesse Claire tenant sa
crosse dans la main gauche et un œil dans la droite ;
cette image fut beaucoup reproduite et l’on en trouve
encore des exemplaires dans la région.
Extension du culte de sainte Claire. — La fontaine
d'Escles, aux sources, du Madon. — La fontaine de
Frapelle., près du Spitzemberg. — La fontaine du
Ban-de-Laveline, à Hautegoutte.
Du Saint-Mont où il prit naissance, le culte de
sainte Claire se répandit dans toute la région des
Vosges : on se rend encore en pèlerinage aux fontai¬
nes d’Escles, de Frapelle, du Ban-de-Laveline ; on
honore les reliques à Dommartin, Rupt, Julienrüpt,
Ventron, Saulxure-sur-Moselotte.
La puissance de l’abbaye de Remiremont, ne fut
pas étrangère à cette extension, car le culte de son
abbesse fut implanté même en des régions fort éloi¬
gnées où le chapitre possédait des territoires, c’est
(1) La fontaine Sainte-Sabine, située dans les bois non loin du Saint-
Mont est encore plus fréquentée que celle de sainte Claire : les jeunes
filles y jettent des épingles pour le pronostic de leur mariage ; certains
s’y lavent aussi les yeux. « La fontaine Sainte-Sabine de tout mal
affine » dit-on dans le pays.
ainsi que l’abbaye de Marloux, près de Châlons-sur-
Saône, avait une chapelle construite en 1432 et dédiée
à la Vierge et à sainte Claire ; les pèlerins s’y rendaient
le 12 août il n’y a pas longtemps encore, et le prêtre
récitait l’évangile sur ceux qui se plaignaient de souf¬
frir des yeux.
Ce sont surtout les fontaines des,Vosges qui pré¬
sentent quelque intérêt par suite de leur localisation
presque exclusive en des lieux déjà fréquentés à
l’époque préhistorique. La fontaine d’Escles est bien
typique à ce point de vue.
Bourgade gauloise, assise sur les bords du Madon,
Escles avait déjà quelque importance avant la con¬
quête romaine. César y livra bataille contre Arioviste
et des fouilles exécutées en 1821 ont mis à jour des
aigles de pierre et divers fragments qui furent regar¬
dés comme les débris d’un arc de triomphe. Les vain¬
queurs occupèrent la région et bientôt la station
d’Esculanum fut le point de bifurcation de plusieurs
grandes voies romaines : celle de Martigny à Epinal
y croisait celle de Corre et celle de Saint-Loup à
Bains; un peu plus au Sud passait la voie de Langres
à Arches.
Si d’Escles on remonte le Madon, on pénètre bien¬
tôt dans une gorge assez étroite, obscurcie par d’épais¬
ses forêts et au fond de laquelle la rivière prend sa
source, à moins de 4 kilomètres du village. C’est en
ce lieu que jaillit la fontaine Sainte-Claire.
Ces sources du Madon avaient été pour les Gaulois
un important centre religieux ainsi qu’en font foi les
monuments druidiques que l’on y voit encore. C’est
d’abord une excavation arrondie de 12 mètres de cir¬
conférence et de 3“10 'de diamètre, taillée dans la
roche et nommée le Cuveau des Fées ; on pense que
cette pierre servait aux sacrifices humains. Ce sont
un peu plus haut les grottes de Saint-Martin : l’une
forme une galerie de 50 mètres de profondeur environ
au fond de laquelle on remarque un bassin rectangu¬
laire également taillé dans le roc ; ce bassin qui me¬
sure O^GO sur 1“20, se continue par un puits circulaire ;
on ignore quelle fut sa destination.
— 72 —
Ce fut sans doute pour exorciser ce lieu que le cha¬
pitre de Remiremont décida d’y fonder un ermitage
desservi par des ermites réguliers. SaintMartin, dans
ses voyages à Trêves, avait dû traverser le pays; on
raconte même qu’il y soutint contre le diable un com¬
bat de ruse dont il sortit vainqueur. Aussi la chapelle
de l’ermitage lui fut-elle dédiée et l’on s’y rendait en
pèlerinage le lundi de la Pentecôte,- il y a peu de
temps encore; c’est à cette occasion que l’on allait
se laver les yeux à la fontaine Sainte-Claire. Mais le
voisinage de forêts profondes rendait l’endroit pro¬
pice aux rendez-vous galants, aussi pour ne point
trop charger la conscience du bon saint Martin dût-
on supprimer son pèlerinage. Depuis les visiteurs
sont devenus rares et la fontaine tombe en ruines.
La source de Frapelle sourd d’un frais vallon à
environ vingt kilomètres de Saint-Dié, au pied du
Spitzemberg, colline boisée qui se détache de la mon¬
tagne d’Ormont au-dessus de la vallée de la Fave. Ce
lieu, presque désert aujourd’hui (1), fut occupé à une
très lointaine époque par une assez grosse agglomé¬
ration et l’on y trouve encore les traces d’une exploi¬
tation minière. Sur le Spitzemberg persistent les rui¬
nes d’un château féodal qui appartint aux ducs de
Lorraine ; ce point avait été occupé déjà par les Ro¬
mains qui l’avaient fortifié, y succédant très proba¬
blement aux Gaulois ; la situation de ce lieu élevé
dominant la vallée de la Fave n’est pas sans analogie
avec celle du Saint-Mont, au-dessus du confluent de
la Moselle avec la Moselotte.
Une chapelle avait été élevée auprès de la source
dès le début du xiv® siècle, si l’on en croit un écrit
des Archives de Bertrimoutier (2) et aussi la légende.
(1) Sauf les quelques maisons du hameau de Charémont.
(2) En date du 4 septembre 1804, M. Poirot, curé de Bertrimoutier,
demande l’autorisation d’y célébrer la messe : « Cette chapelle existait
déjà au commencement du xiv» siècle, d’après la tradition et d'après
certains renseignements et titres non revêtus cependant de formes
authentiques. Elle a été fondée par un seigneur de Spitzenberg, prince
de Phalsbonrg... mais la Révolution n’a laissé que les quatre murs ».
Cité dans le Pelcrinanre au Sainl-Mont.
— 73 —
Un matin d’été, le 12 août, fête de sainte Glaire, un
pauvre homme qui souffrait des yeux et craignait de
perdre la vue, mais qui avait plusieurs enfants à
nourrir, était venu travailler dès l’aube dans le vallon
et s’occupait à couper de petites planchettes de sapin.
Le temps était brumeux et le soleil transperçait à
peine de sa grande lueur dorée le brouillard qui s’ac-
crochailencore aux branches noires despins. L’homme
relevant sa cognée aperçoit à quelques pas de lui une
forme blanchâtre qui se détache du nuage. Effrayé
par cette apparition, il se jette à genoux et prie.
Quand il relève la tête il distingue une jeune femme
blonde au visage pâle, drapée de lin blanc, qui lui
révèle qu’elle est sainte Glaire et qu’elle est envoyée
par le Seigneur pour qu’il lui soit édifié une chapelle
à cet endroit même. L’homme pi’omet et montre
qu’il la couvrira des planchettes de bois qu’il coupe.
La sainte de lui demander alors quelle faveur spéciale
il désire pour lui-même et le pauvre malade de sup¬
plier que l'usage de ses yeux lui soit rendu : « Lave-
toi dans les eaux de cette source et tu verras ». Au
même instant l’eau jaillit de la mousse, l’homme en
baigne ses yeux malades et dès lors il y voit et ne
souffre plus.
La chapelle détruite par la Révolution a été recons-
fruite et s’élève aujourd’hui dans le vallon près de la
source où viennent encore de nombreux pèlerins. La
fête de la sainte y est célébrée le ,12 août et la céré¬
monie religieuse est suivie de réjouissances publiques
et de danses (1). L’eau de la source, à peine chlorurée,
est très pure (2‘’25 à l’hydrotimètre (2). Les pèlerins
s’en lavent les yeux et l’emportent dans des flacons
pour l’employer ensuite comme collyre.
De l’autre côté de la Vallée de la Fave, sur le ter¬
ritoire du Ban de Laveline et près du Gol de Sainte-
(1) Pour certains c’est une yierg'e des catacombes et non Claire du
Saint-Mont qui est honorée à Frapelle ; ce n’est pas l’avis de la majo¬
rité des auteurs régionaux.
(2) Ba.rdy et BLA.ISE. Société philomatique Vosgienne
t. XVII.
de Saint-Dié,
- 74 -
Marie, une autre source est dédiée à Sainte-Glaire au
lieu dit Hautegoutte. Elle n’est même pas captée et son
débit est peu abondant. Les pèlerins s’y rendent cha¬
que année en novembre et surtout le troisième
dimanche de carême; ils font leurs ablutions et leurs
prières, puis chacun plante autour de la source une
petite croix de bois ou de graminées; la cérémonie
se termine par des danses. 11 est difficile de savoir à
quelle époque il faut remonter pour trouver l’origine
de ce pèlerinage. 11 n’y a pas ici, à notre connaissance,
de vestiges de cultes anciens daus le voisinage.
Au XYiii® siècle un ermite nommé Nicolas Noël
construisit une chapelle en ce lieu qui était, paraît-il,
planté de vignes à cette époque. Les quêtes n’avaient
pas été fructueuses et le bonhomme était navré
qu’aucune figure de sainte Glaire ne vint habiter la
niche qui surmontaitle portail de l’édifice. On raconte
que passant un jour par Entre-deux-Hauts(l), il s’ar¬
rêta devant une statue de saint Vincent pour lui faire
ses dévotions. Or, tandis qu’il marmottait une prièi-e
il ne pouvait s’empêcherd’admirer l’icône et de penser
à la niche déserte de sa chapelle. La tentation germa
dans son âme, grandit, puis devint à tel point obsé¬
dante (jue le saint homme, peu pointilleux sur le
choix du saint et du procédé, osa porter la main sur
Monsieur Saint Vincent : il le déi’oha furtivement,
le roula dans un fagot et fort pieusement, dit-on, le
transporta jusqu’à Haute-Goutte en lieu et place de
sainte Glaire.
La chapelle actuelle est un pauvre édicule carré,
qui n’a pour tout mobilier qu’un autel de bois et une
statuette informe.
Le Culte des Reliques. — Bénédic'.ion d’eau pour Us
yeux à Dommarlin. — Formules de conjuration.
Sainte Glaire guérit encore les malvoyants à Rupt,
à Julienrupt, à Ventron, à Saulxure-sur-Moselotte et
surtout à Dominartin. Dans tous ces villages ce n’est
(1) Aujourd’hui Entre-deux-Eaux.
— 75 —
plus à la fontaine que l’on se rend, mais à l’église où
l’on vient invoquer des reliques ou même une simple
statue de la sainte, comme à Rupt.
Dommartin possède un fragment inférieur de pé-
l'oné droit que lui laissèrent au moment de la Révo¬
lution les moines du Saint-Mont qui dépendaient de
cette paroisse. Il existe encore actuellement une con¬
frérie de sainte Claire et tous les ans, le premier
dimanche d’août, les jeunes filles du pays portent so¬
lennellement la relique en procession. Le jour de la
fête de la sainte le prêtre bénit l’eau avec laquelle
on se lavera les yeux pendant tout le reste de l’année.
Dans toute la région des Vosges les détenteurs de
secrets conservent pour la guérison des maladies
des yeux de nombreuses formules dans lesquelles
le nom de sainte Glaire revient presque toujours ;
en voici une : « Fleur si tu es blanche, que tu déblan¬
ches!— Fleur si tu es rouge, que lu dérouges! —
Fleur si tu es bleue, que tu sortes de dedans cesyeux,
au nom de la bienheureuse sainte Claire et des trois
personnes de la sainte Trinité! » souffler trois fois
dans les yeux du malade à chaque adjuration et dire
cinq Pater et cinq Aee en l’honneur de la Sainte Tri¬
nité et de la bienheureuse sainte Claire (1).
Conclusions. — Odile et Claire. — Antiquité du culte
des fontaines.
Tel fut l’origine dans le pays d’Habend de ce culte
d’une sainte locale à laquelle on attribuait le pouvoir
bien particulier de guérir les maladies des yeux.
Comment et pourquoi l’abbesse Claire fut-elle in¬
vestie de ce pouvoir? A cause de sa cécité d’abord,
comme cela se produisit pour sainte Odile en Alsace,
et à ce propos il y a plus d’un point de rapproche¬
ment entre les deux saintes.
Odile et Glaire sont à peu près contemporaines
(1) L.-F. Sauvé. Le Folklore det Hautes Vosges. Paris. Maisonneuve
et Leclerc, 1889, in Les Littératures Populaires de toutes les nations,
t. XXIX.
— 76 ~
l’une de l’autre ; toutes deux sont les disciples de
saints occupés à la christianisation des Vosges; toutes
deux furent aveugles quoique Odile ait été guérie par
le baptême ; toutes deux furent abbesse d’un monas¬
tère de vierges, mais l’une fonda le sien, tandis que
l'autre fut la fille du fondateur. Il n’est pas jusqu’à la
situation de chacun de ces monastères qui ne pré¬
sente quelque analogie : construits en deshauts lieux,
ils s’étaient l’un et l’autre édifiés sur les ruines d’an¬
ciens sanctuaires du paganisme. Enfin, les deux
abbesses sanctifiées après leur mprt, restèrent surtout
des saintes locales, invoquées pour les maladies des
yeux, ayant chacune ses sources sur chacun des ver¬
sants des Vosges. Odile même empiète sur le terri¬
toire de Glaire, car elle possède une source non loin
d’Etival; il est vrai qu’elle avait passé dans cette ré¬
gion. L’abbé Idoux, dans un travailtrèsdocumenté(l),
montre que c’est à Etival, dans un monastère de
femmes qui a disparu depuis longtemps, qu’Odile a
passé son enfance. Cependant beaucoup d’auteurs
disent qu’Odile a été baptisée à Moyenmoutier, et la
tradition alsacienne veut que ce soit à Baume-les-
Dames.
Dans la région de Saint-Dié, on unit le nom des deux
saintes dans la même formule de conjuration en leur
adjoignant toute fois sainte Luce ; « La sainte Vierge
est dessus son lit, elle pleure et gémit. Son cher fils
lui dit : ma mère que pleurez-vous? — Je peux bien
pleurer, j’ai si mal aux yeux et je crains d’en perdre
la vue. — Non, non, ma mère, vous ne la perdrez pas;
je vous guérirai de vos yeux la fleur, le charbon et le
dragon par l’intervention de la bienheureuse sainte
Lumière, de sainte Claire et de sainte Odile... » (2).
Cette croyance en l’intervention de saintes aveugles
n’a rien d’extraordinaire et s’explique d’elle-mêmepar
la communauté des affections, mais il faut remonter
beaucoup plus loin pour expliquer l’emploi thérapeu-
(1) L’enfance et le baptême de sainte Odile à Etival. Bulletin de la
Société philomatique eotgienne, t. XXXVI.
(2) Bakdy et Blàise, loc. eit.
— 11 —
tique de l’eau des sources consacrées à ces saintes.
On sait que le culte des fontaines remonte à la plus
haute antiquité (1), celles de notre pays étaient déjà
sacrées pour les Ligures (2), elles le furent pour les
Gaulois, elles le furent pour lesGallo romains, elles
le sont encore pour les populations chrétiennes, « car
cette religion du sol, écrit M. Jullian, est de celles
qu’on ne détruit pas et qui se transmettent d’âge en
âge, de vaincus à vainqueurs, avec la possession et
les bénéfices du sol lui-même.»
Les fontaines de Sainte-Claire, comme celles de
Sainte-Odile et comme tant d’autres, avaient déjà
sans doute quelque vertu thérapeutique pour les po¬
pulations païennes qui venaient adorer Mithras au
Mont-Habend, ou sacrifier aux sources du Madon.
Quand le chistianismevint se substituer au paganisme,
la source que patronnaient un génie, une fée ou une
nymphe, devint aussi chrétienne et conserva sous
l’invocation d’une sainte les mêmes propriétés et
vertus médicinales dont elle avait toujours été inves¬
tie. Saint Grégoire de Tours explique que les sources
furent ainsi exorcisées et consacrées par leur nouveau
vocable.
Ce qui vient encore accréditer l’hypothèse de cette
transformation en ce qui concerne les fontaines de
Sainte-Glaire, ce sont les autres coutumes qu’avaient
'conservées du paganisme les Dames Chanoinesses de
Remiremont, descendantes des religieuses du Mont-
Habend ; elles entretenaient une sorte de feu sacré
dans leur église et regardaient comme un droit la
coutume fort ancienne qu’elles avaient de danser à
l’occasion de certaines fêtes et même de parcourir
les rues de la ville déguisées et masquées (3). D’ail¬
leurs autour de toutes les fontaines de sainte Claire
(1) Consulter en particuler les urlicles de M. Marcel Beaudouin dans
le BulUtin de la SocMé.
(2) Camille Jullian. Histoire de la Gaule. Paris, 1908-1909.
(3) Le culte do Mithras avait des pratiques analogues. On doit signaler
aussi la cérémonie des Kyriolès : le lundi de la Pentecôte les habitants
des villages voisins entraient en procession dans la ville portant des
branches d’arbres ou d’arbustes difTéronts pour chaque paroisse.
Bull. Soe. fr. hisl. méd., XII, 1914 6
_ 78 —
les pèlerins exécutent force danses après les céré¬
monies du pèlei’inage.
Et c’est ainsi que se conservent, immuables à tra¬
vers les siècles et les généralions, ces antiques tradi¬
tions de la religion du sol, que n’ont pu déraciner
ni les invasions, ni les guerres, ni les cultes nouveaux,
quele christianisme lui-même ne parvint pas à effacer,
malgré les canons des Conciles et les anathèmes des
Pères de l'Eglise :
Qu’aux Calendes de Janvier personne ne se masque.... qu’à
la Saint-Jean ou aux fêtes des saints on ne célèbre pas les sols¬
tices; qu’on n’y chante pas des chansons diaboliques et qu’on
n’y forme par des danses folâtres... Quand il survient une
maladie qu’on n’ait point recours aux prestiges, aux sortilèges,
aux devins, aux talismans; qu’on n’aille point aux fontaines,
ni aux arbres, ni aux grands chemins mettre en usage les phi-
lactères... (1).
ENCORE SUR L’EMPLOI ABUSIF DBS ARMOIRIES
DE L’ANCIENNE FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS
pai* le Orofcsaeur R, I»C.AXCHAUI>
Ancien Président de la Société.
Ma note précédente (2) a été vivement commentée,
si j’en crois les lettres qu’elle m’a valu ; mon appré¬
ciation sur le fait incroyable que j’ai signalé a été
Unanimement approuvée. Je reviens sur la question,
parce qu’elle est encore plus grave que je ne l’avais
cru.
L’un de mes correspondants m’a communiqué une
(1) Saint Eloi, cité par Dom Martin, La Religion de» Gaulois, Paris,
chez Saugrain fils, 1727, 2 vol. in-4.
(2) R. Blanchard, Emploi abusif fies armes de l’ancieDne Faeulté de
médecine. Bulletin de la Soc. franç, d’itisloirc de la nu'd., XII, p. 403,1913.
- 79 -
circulaire poi’lantla claie du 30 juin 1912 et destinée
à tous les membres de la Prévoyance médicale. Ce
document donne la liste et le prix courant de vins de
Champagne, de conserves alimentaires et autres pro¬
visions que la Prévoyance médicale., fonctionnant
comme une société coopérative, vend à ses adhérents.
Tous ces produits, et ils sont nombreux, portent le
nom de Laurégan et les armoiries de l’ancienne
Faculté de médecine, c’est-à-dire la même vignette
que les objets de bonneterie dont il est question dans
ma note précédente.
La circulaire susdite énumère donc, avec prix
courant, de nombreux produits alimentaires dont je
citerai quelques-uns :
Champagnes Laurégan,
Tisane Champagne Laurégan,
Farines de légumes Laurégan,
Légumes décortiqués Laurégan,
Cacao Laurégan,
Pâtes Laurégan aux œufs.
Pâtes de gluten Laurégan,
Crèmes de céréales Laurégan,
Fleurs de thé Laurégan,
Pains Laurégan de régime,
Cofféol Laurégan, etc.
Que certains médecins organisent entre eux -une
Société coopérative de consommation, j’avoue n’y
voir aucun mal, à la condition que les produits fabri¬
qués par ou pour cetté Société ne soient pas compris
dans l’ordonnance médicale, à l’exemple de spécia¬
lités pharmaceutiques, ce qui serait, à proprement
parler, surprendre la bonne foi du malade. Mais,
que de tels produits, quelles que soient d’ailleurs
leur excellence et leur pureté, continuent d’usurper
le blason de l’ancienne Faculté de médecine, c’est
une regrettable profanation : je répète ce mot, car il
peint exactement ma pensée. •
Le D'' H. Bouquet, chroniqueur médical du Temps,
a eu connaissanete de ma note précédente et lui a
— 80 —
consacré un petit article dont je crois devoir parler
ici, car il soulève une intéressante question de droit.
En voici le texte complet en deux alinéas (1) :
Sous un soleil radieux, trois Cigognes passant à gauche et
tenant en leur bec un rameau d’Origan, le tout accompagné
de l’orgueilleuse devise : Urbi et orbi salus. Telles étaient
autrefois les armes de la Faculté de médecine de Paris, salu-
berrima Pacullas. Le professeur Blanchard, à qui rien n’est
étranger ou indifférent de ce qui intéresse notre passé profes¬
sionnel, regrette vivement d’avoir retrouvé les trois Cigognes
et le soleil servant de marque de fabrique à tout un assor¬
timent de bonneterie II y a peut-être là un emploi abusif
d’un vieux blason infiniment respectable. Mais peut-on faire
autre chose que de mêler ses regrets aux siens ’i’
L’ancienne Faculté, celle à qui ces armoiries avaient été
données, a disparu dans la tourmente révolutionnaire. La
nouvelle est-elle fondée à réclamer ce qui appartenait à son
aînée? Elle a bien, dans l’enceinte même de ses bâtiments
neufs, repris le blason imagé et la devise sans modestie;
mais en a-t-elle le monopole? Il y a là un point de droit
héraldique qu’il serait intéressant de voir trancher par des
compétences.
La question que soulève le Bouquet, je me
l’étais déjà posée à moi-même et j’avais pris l’avis de
personnes très versées dans la science héraldique. Il
m’a été répondu de la façon la plus affirmative que
les armoiries de l’ancienne Faculté ont été sup¬
primées en même temps que celle-ci. L’administra¬
tion et les tribunaux connaissent des questions con¬
cernant les titres nobiliaires, non seulement de ceux
créés depuis la Révolution, mais aussi de ceux
datant de l’ancien régime. En revanche, ils ne s’oc¬
cupent pas des blasons, en sorte que chacun est
libre de s’approprier ceux qui sont devenus res nul-
lius, soit par l’extinction des familles, soit par l’ex¬
tinction ou la suppression légale des corporations
qui les possédaient.
C’est évidemment le cas de l’ancienne Faculté de
médecine de Paris, qui fut supprimée par la Conven-
(t) Urbi et orbi. Le Temps, du 24 janvier 1914.
— 81 —
tion en 1793. Ses armoiries n’apparliennent plus à
personne et la Prévoyance médicale a le droit de s’en
servir. C’est profondément regrettable, assurément,
mais nul n’y peut rien. N’est-ce pas le cas de répéter
l’adage juridique romain : summum jus summa inju¬
ria ?
Sous le décanat de Brouardel, on en vint un jour,
en séance du Conseil de la Faculté, à critiquer le
timbre à la tête d’Hippocrate qui est actuellement en
usage. Tous furent d’accord que ce timbre était peu
élégant. Mathias Duval émit l’opinion qu’on pourrait
le changer.
— Jenevoispas par quoi le remplacer, ditle doyen.
— Pourquoi ne reprendrait-on pas les armoiries de
l’ancienne Faculté, dis-je à mon tour ? Elles sont dis¬
ponibles.
— Disponibles et surtout modestes, ajouta Brouar¬
del.
Quelques-uns firent un signe d’approbation et
l’affaire en resta là. Je l’ai toujoui’s regretté.
Quelques années plus tard, le professeur Debove
était doyen; il fit placer, au pied de l’escalier condui¬
sant à la bibliothèque, une grille en fer séparant la
salle des pas perdus du grand corridor qui longe le
boulevard. Cette grille est surmontée de l’écusson
aux trois Cicognes avec la devise bien connue. Les
émaux n’ont pas été observés, en sorte que cet écusson
constitue une faute héraldique. N’empêche que le
voilà intronisé de nouveau dans la Faculté nouvelle.
Une telle prise de possession que, pour ma part,
j’approuve complètement, est-elle de nature à con¬
férer à la Faculté un titre de propriété dont elle puisse
revendiquer la jouissance exclusive ? Il semble bien
que non. Peut-être en eût-il été autrement, si le Con¬
seil de la Faculté avait émis un vote formel en faveur
de là reprise de l’ancien blason ? Or, une telle déci¬
sion n’a pas été prise officiellement.
— 82 —
LÉGENDES ET SUPERSTITIONS THERAPEUTIQUES
LES PIERRES GRATTÉES ET LEUR POUSSIÈRE
par Émile RIVIÈRE;
Dans la séance réglementaire du 10 décembre der¬
nier, notre collègue le D’’ Marcel Baudouin a fait une
communication intitulée : Le traitement tradilionna-
liste de la coqueluche par la poussière des pierres
mégalithiques (1). Bien que la thérapeutique supersti¬
tieuse de certaines maladies par la poudre ou pous¬
sière de mégalithes préhistoriques (menhirs et autres)
ou de pierres tumulaires (tombeaux de personnages
religieux notamment) soit chose connue et depuis
longtemps signalée, j’en ai parlé moi-même pour la
première fois, il y a vingt ans, —c’était en 1894, au
Congrès de Caen —(2), je vous demande la permis¬
sion d’ajouter plusieurs faits à ceux qui ont été rap¬
portés ici, il y a deux mois, par M. Baudouin.
I
Le poussoir de Saint-Gyr-du-Bmlleul
ou
LA PIERRE QUI COUPE LA FIEVRE.
Je parlerai tout d’abord d’un monument mégali¬
thique du département de la Manche, d’un mégalithe
préhistorique, le Polissoir de Saint-Cyr-du-Bailleul,
sis dans un pré, bordé de haies de tous côtés, le pré
Clairet, que son propriétaire transforme chaque hiver
en marécage en détournant les eaux d’un petit ruis¬
seau voisin, affluent de la Sélune. Ce pré est sur le
territoire du village de la Gévraisière, commune de
(1) Bulletin de la Société française d'Histoire de la Médecine, totiic XII,
pages 532-537 (année 1913).
(2) Congrès de rAssociation française pour l’Avancement des Scien¬
ces, section d’Antliropologie.
— 83 —
Saint-Gyr, canton de Barenton, arrondissement de
Mortain (Manche), c’est-à-dire sur les confins des dé¬
partements de l’Orne et de la Manche.
Je l’ai décrit, pour la première fois, en 1894, dans
les comptes rendus du Congrès de Caen (1); j’en ai
parlé, en second lieu, en 1902, à la Société d’Anthro¬
pologie de Paris (2), à la suite d’une lecture du
D’' Marcel Baudouin sur un polissoir de la Vendée,
le polissoir de la Brélaudière, sis à l’Aiguillon-sur-
Vic (3), qui présente les les plus grandes analogies au
point de vue préhistorique avec le mien. Enfin, j’ai
publié une troisième note à son sujet (4) en 1910, au
sixième Congrès préhistorique de France, session de
Tours, à propos d’une communication, au dit Congrès,
de M'"® B. Crova (de Cherbourg) sur la survivance de
certaines superstitions concernant les soi-disant pro¬
priétés thérapeutiques de la poussière d’une piei’re à
cupules (5), dont je dirai aussi quelques mots un peu
plus loin.
Je laisse donc entièrement de côté et la description
démon polissoir et toute la partie préhistorique qui
s’y rattache, pour m’occuper exclusivement ici de la
question médicale.
La religiosité des habitants du canton de Mortain
a fait dénommer, depuis très longtemps, mon polis¬
soir normand, la Pierre de Saint-Martin. De là sont
venues les vertus curatives que la superstition lui a
(1) Emile Kiviùkk. — Le polissoir de Saint-Cyr-du-Bailleul {Manche).
{Association française pour l’Avancement des Sciences, Congrès de Coen,
1894, lome I.page 190, cl tome II, pages 705-709, avec deux dessins).
(2) Émile UiviiiHK. —Le polissoir de Saint-Cyr-du-Bailleul et le polis¬
soir de la Bre'laudièrc, avce un dessin. {Bulletins et Mémoires de la Société
d'.inthropologie de Paris, 5* série, lome 111, pages 201-204, année 1902).
(8) Marcel Baudouin. — Le polissoir ou pierre à rainures de la Brélau-
dicre, à l'Aiguillon-sur-Vic {Vendée\ avec plusieurs dessins. {Bulletins
et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, 5<i série, tome 111,
pages 182-200, année 1902).
(4) Émile Kiviùhk. — Le grattage des pierres, mégalithes préhistoriques
et tombeaux, légendes et superstitions. {Comptes rendus du sixième Con¬
grès préhistorique de France, session de Tours, 1910, pages 564-571),
^•5) B. Crova. —Une pierre à cupules de notre époque; survivance et
superstition. {Comptes rendus du sixième Congrès préhistorique de France^
session de Tours, 1910, pages 562-564,
84 —
alti'ibuées; de là, par suite aussi, d’abord le surnom
q.ui lui a été donné de Pierre qui coupe la fièvre, puis
les fréquents pèlerinages dont le susdit polissoir a
été depuis lors et dont il est encore aujourd’hui
l’objet.
Quant aux nombreuses rainures de polissage du
mégalithe, rainures de dimensions très différentes
les unes des autres, la légende les fait considérer :
par les uns, comme produites par le fléau de Saint-
Martin venant battre, au temps jadis, son grain sur
ladite pierre; par les autres, comme des entailles
résultant des violents coups d’épée donnés par l’an¬
cien évêque de Tours, en vue de sa destruction.
Quoi qu’il en soit de ces légendes, les deux surnoms
du Polissoir de Saint-Cyr-du-Bailleul démontrent
bien qu’il est devenu, à un moment donné, un but de
pèlerinage pour les habitants malades de la contrée.
En effet, pendant bien des siècles et aujourd’hui
encore, m’a raconté, en 1894, un jeune paysan de La
Renardière (1), les habitants de la région, dès qu’ils se
sentaient malades, se rendaient en hâte à la Pierre de
Saint-Martin ou, s'ils n’en avaient pas la force, y
envoyaient en leur lieu et place un parent ou un ami
quelconque, pour y accomplir leur pèlerinage dans
les conditions suivantes, en invoquant le saint dont
elle porte le nom.
L’individu malade ou son représentant se rendait
au pré où se trouve le susdit mégalithe, c’est-à-dire
au pré Clairet. Dès qu’il avait franchi la haie qui
sépare celui-ci des prairies voisines, il devait aller
droit à la pierre sans en détourner sa vue et, surtout
aussi, en observant le silence le plus absolu. Arrivé
au polissoir, il y déposait, en guise d’offrande, une
pièce de monnaie quelconque, faisait son invocation
à Saint-Martin, puis il continuait son chemin, en
marchant toujours droit devant soi et en évitant, avec
le plus grand soin, de se retourner et de prononcer
le moindre mot, en évitant de parler à qui que ce soit
(1) La Renardière, hameau voisin de la Giivruisièrc,
qu’il rencontrât, jusqu’à ce qu’il ait atteint l’extrémité
du pré, opposée à celle par laquelle il y avait pénétré,
et qu’il en fût sorti. De là ledit malade devait rega¬
gner, directement aussi, sa demeure où, à son arrivée,
il était, dit la légende, parfaitement guéri.
Dans le cas où, par contre, la faiblesse ou la souf¬
france n’auraient pas permis au malade de faire lui-
même le pèlerinage de la Pierre qui coupe la fièvre^
tout parent, ami ou autre, pouvait l’accomplir à sa
place. Mais celui-ci devait alors, non seulement,
l’effectuer en observant scrupuleusement aussi les
mêmes prescriptions que celui qu’il remplaçait, il
devait, en outre, après avoir, bien entendu, déposé
sur le mégalithe son offrande de rigueur, casser un
petit fragnaent de la pierre, le rapporter au malade et,
aussitôt après son arrivée dans sa maison, le mettre
dans un verre d’eau, l'y laisser macérer pendant
vingt-quatre heures, après quoi le malade, buvant la
susdite eau, se trouvait, vingt-quatre autres heui’es
plus tard, complètement guéri.
Le paysan, qui me racontait cette légende avec la
foi la plus entière et la plus sincère, en apparence
tout au moins, dans lo s vertus thérapeutiques de la
Pierre qui coupe la fièvre^ ajoutait, avec un sérieux
non moins grand, qu’il avait fait ainsi, plusieurs fois,
le pèlerinage de la Pierre de Sainl-Martin. Il l’avait
fait, d’abord pour sa propre mère, dont un érysipèle
avait été ainsi guéri en deux jours, puis pour lui-
même atteint, à plusieurs reprises, de violents maux
de tête, lesquels, chaque fois, m’assurait-il avec toutes
les apparences aussi d’une conviction absolue, avaient
disparu également aussitôt après son retour au logis.
Telle est la superstition attachée au Polissoir de
Saint-Cyr-du-Bailleul, non pas, bien entendu, en
tant que polissoir préhistorique, mais parce que, à un
moment donné, celle-ci lui a attribué le nom d’un
religieux, en l’espèce celui de l’ancien évêque de
Tours.
— 86 —
II
Le tombeau d’Aubasine
Le second fait que j’ai à rapporter ici est celui non
plus d’un cassage de pierre maintes lois répété, mais
d’un frottis ou grattage pour, en avoir une petite dose
de poussière qu’on recueille précieusement à l’inten¬
tion de certains malades.
11 m’a été signalé, il j a trois ans, dans une de ses
lettres, par un de mes amis, préhistorien bien connu
et de longue date, M. Philibert Lalande (de Brive-la-
Gaillarde).
Il s’agit, comme pour le.polissoir de Saint-Gyr-du-
Bailleul, à'une pierre qui coupe la fièvre, d’un fébri¬
fuge réputé des plus puissants dans la Corrèze,
c’est-à-dire du tombeau ou mieux de la statue de
pierre d’un religieux, d’un Saint-Etienne « qui n’est
pas, m’écrit mon savant confrère, celui qui vivait au
premier siècle de l’ère chrétienne et qui, dit le Dic¬
tionnaire Larousse, fut lapidé en l’an 33. Le Saint-
Etienne, dont il est ici question, est le moine cister¬
cien, fondateur, au commencement du douzième siè¬
cle, du couvent d’Obasine (1), dans la Corrèze, situé à
dix ou douze kilomètres environ de Brive, sur les con¬
fins de ce département et de celui du Lot.
« Sa statue, de grandeur naturelle, est couchée
entre les ogives de son tombeau, en forme de châsse.
Elle est, comme celui-ci, en pierre oolithique, dite
là-bas pierre de Nazareth, du nom d’un petit village
situé à trois kilomètres environ de Turenne et dont
les carrières sont encore actuellement en exploitation.
Mais, si ledit Saint-Étienne vivait au douzième siè¬
cle (2), cependant son tombeau ne fut élevé, dans le
(1) Obaaine ou Aubaainc par au, comme on l'écrit aujourd’hui, est une
commune du canton de Beynat, arrondissement de Brive, département
de la Corrère.
(2) D’après M. Philibert Lalande, Saint-Étienne «serait mort en 1159
nu couvent de Bonaigue ; et ce sont ses ossements qu’on aurait transpor¬
tés et déposés dans son tombeau d’Qbasine — véritable bijou de sculp¬
ture — un siècle plus tard ».
— 87 -
transept sud de l’église d’Obasine (1), que dans la
deuxième moitié du treizième siècle, c’est-à-dire cent
ans après sa mort (2).
« Or, pendant longtemps, jusqu’à ce que ledi}
tombeau fut protégé par une grille, les habitants
d’Obasine ou des environs, bnsant, en vrais vandales,
les jolies colonnettes qui séparent chacune des ogives
en deux parties, venaient en pèlerinage gratter la
tête de pierre de leur Saint-Étienne et recueillir pré¬
cieusement la poudre ou poussière ainsi obtenue,
comme étant, dans leur foi superstitieuse, un fébvi-
fuge souverain ».
M. Philibert Lalande m’a 3 fant, en outre, fait con¬
naître dans sa lettre contenant les renseignements
ci-dessus, qu’on « pouvait voir, à Paris, au Musée du
Trocadéro, un beau moulage de ce petit chef-d’œuvre,
— c’est-à-dire du susdit tombeau — sur lequel on
remarquait facilement, disait-il, les grattages latéraux
qui altèrent la tête de la statue de Saint-Étienne », je
m’y suis l’endu aussitôt. J’y ai constaté, en effet, les
traces du vandalisme, dont non seulement ladite sta¬
tue, mais aussi les gracieuses ogives du tombeau, ainsi
que quelques-uns des personnages figurant sur les
curieux bas-reliefs, qui le décoi’ent, ont été l’objet.
III
Le tombeau de Saint-Marcel a Paris
Gomme pendant au fait de la statue du tombeau de
Saint-Étienne d’Obasine ou Aubasine, je dois citer celui
du tombeau de Saint-Marcel, évêque de Paris, mort
en 440, dont la pierre, réduite également en poudre
grattage, fut, pendant longtemps aussi, renommée
(1) Elle est classée comme monument historique. D’après l'inscription
latine qui figure dans une des chapelles du transept nord, commencée
vers 1156, elle aurait été terminée en 1176 (Lettre Ph. Lalande). •
(2; Congrès archéologique de France, LVII* session, Brive, 1890, pa¬
ges 69 ù 74, et Bulletin de la Société scientifique, historique et archéologi¬
que de la Corrèze.
— 88 —
pour ses prétendues vertus thérapeutiques. Partant le
susdit tombeau était devenu l’objet d’une vénération
spéciale et était «gratté», selon l’expression du cé¬
lèbre historien, l’abbé Lebeuf (1), chanoine d’Auxerre
et membre de l’Académie, par ceux qui avaient foi dans
les propriétés curatives de sa « poudre », quelle que
soit la maladie dont ils étaient atteints, quel que soit
aussi l’accident, empoisonnement ou autre, dont ils
venaient d’être victimes. 11 ne s’agit plus uniquement
cette fois de « couper » la fièvre.
Voici d’ailleurs textuellement, dans le français du
dix-huitième siècle et avec l’orthographe du temps,
ce que rapporte l’abbé Lebeuf à ce sujet; dans la pre¬
mière édition de son Histoire de la ville de Paris,
parue en 1754 :
Sous le sanctuaire de l’Eglise Collégiale du bourg de Saint-
Marcel (2), qui est terminé en quarré, est une Crypte ou Cha¬
pelle souterraine aux murs de laquelle on voit d’espace en
espace une petite colonne, dont plusieurs n’ayant point été
endommagées paraissent être du ix® ou x® siècle : elles sup¬
portent une voûte, qui est du même tems. Quand le genre de
travail n’en annonceroit pas l’antiquité, les bases des piliers
du Sanctuaire que l'on voit entées après coup sur les vieux
murs de cette Chapelle la denoteroient suffisamment. Au milieu
de cette Crypte est un Autel, derrière lequel est le cercueil de
pierre de S. Marcel, enfermé dans de la menuiserie, excepté
dans un endroit du couvercle qu’on a laissé ouvert, et par où
le peuple gratte de la pierre pour s’en servir par piété comme
d’un remede; dévotion constamment (3) très ancienne, car
Guibert de Nogent (4) a écrit au xii" siècle qu’un Curé du
Diocese de Beauvois, qui avoit été empoisonné de son tems,
ayant appris que la poudre de ce tombeau ou de l’Autel de
S. Marcel etoit un souverain remede, y eut recours et en fut
(1) Lebeuf. — Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, tovael,
pages 123-124. Paris, 1754.
(2) Le village ou mieux la ville de Saint-Marcel, car les lettres patentes
de Charles VI, datées de 1410, lettres par lesquelles le roi coufirme
l'octroi par luy faict aux manans et habitans d'icelle ville de sainct Marcel,
d'ung marché, etc., le désigueat ainsi, était jadis un des « faulxbourgs »
de Paris. Il est compris aujourd’hui partie dans le cinquième arrondis¬
sement de Paris, partie dans le treizième.
(3) Constamment est mis ici pour certainement.
(4) Guibert de Nogent. — De Vita sua, Lih. III, c. XVII.
— 89 —
guéri. Sur ce couvercle de pierre, se voient quelques fleurons
ou ornemens de fantaisie.
L’église collégiale du « bourg » de Saint-Marcel ne
doit pas être confondue avec l’église actuelle du même
nom, située à Paris sur le boulevard de l’Hôpital et
construite en 1856. Elle n’a de commun avec la pre¬
mière que son vocable. Celle-ci, bâtie au cinquième
siècle, détruite par les Normands, puis reconstruite
au onzième siècle et supprimée en 1790, a été démolie
en 1806. Son emplacement, d’après Fernand Bour-
non (1), le continuateur de l’historien Lebeuf, serait
représenté par l’intersection de la rue de la Collé-
giale (2) et du boulevard Saint-Marcel, n° 86 (3); mais
d’après M. Charles Magne, conservateur-adjoint du
Musée Carnavalet, cet emplacement serait un peu
plus loin, soit à l’intersection du môme boulevard
Saint-Marcel, mais n" 49, et de la rue actuellement
dénommée rue Michel-Peter, du nom d’un professeur
de la Faculté de Médecine de Paris, décédé il y a
quelques années. J’ajoute que les seuls vestiges qui
nous en aient été conservés ont été déposés au Musée
de la Ville de Paris (Musée Carnavalet), avec une
borne milliaire découverte dans les fouilles prati¬
quées, en 1877, en face de l’ancienne église. On sait,
d’ailleurs, que celle-ci se trouvait en bordure de l’an¬
cienne voie romaine de Paris à hyon[Lutetia ad Lug-
dunum). Cette borne, dont l’inscription, encore assez
bien conservée, a été traduite par Auguste Longnon (4),
(1) Fernand Bournon. — Rcciificalions et Additions à l'Histoire de la
ville et de tout le dioeèse de Paris de l'abbé Lebeuf, page 87.
(2) La rue de la Collégiale, dans le cinquième arrondissement de
Paris, commence au boulevard Saint-Marcel et finit à la rue du Fer-à-
MouUn. Il y avait autrefois une place de la Collégiale ; elle commençait à
la rue des Francs-Bourgeois-Saint-Marcel et finissait à la rue Pierre-Lom-
6ard,|uinsi désignée du nom d’un évéque de Paris, « surnommé le maître
dessentences, mort en 1164 ». Elle n’euste plus aujourd’hui non plus que
la rue des Francs-Bourgeois-Saint-Marcel, qu’il ne faut pas confondre
avec la rue actuelle des Francs-Bourgeois au Marais, sise dans le
troisième arrondissement du Paris d’aujourd’hui.
(3) Le boulevard Saint-Marcel commence au boulevard de l’Hôpital et
finit à l’avenue des Gobelins.
(4) Auguste Longnon, professeur au CoUège de France, membre de
l’Institut (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), décédé le 12
juillet 1911.
90 —
a été creusée et convertie en sarcophage à répof|ue
mérovingienne.
Quant au tombeau même de Saint-Marcel, il a été
détruit lors de la démolition de l’église collégiale,
c’est-à-dire au commencement du dix-neuvième siè¬
cle, alors que, depuis plusieurs siècles, les restes de
l’évêque de Paris, si nous en croyons l’abbé Lebeuf,
avaient été transportés dans la cathédrale de Paris.
Et ces pierres, dont la poussière avait la réputation de
guérir toutes les maladies, ont été dispersées. La
légende superstitieuse des pseudo-guérisons, seule,
nous a été conservée par les historiens et les chroni¬
queurs d’autrefois, telle que nous venons de la rappe¬
ler ici.
IV
Les pierres de Sa.int-Senoch, de Namary,
DE Saint-Clément et de Saint-Loup
J’emprunte les faits suivants à une brochure de
l’érudit secrétaire-général de la Société historique
du IV® arrondissement de Paris, La Cité, dont je fais
partie, M. A. Gallet, brochure intitulée ; Derniers
vestiges du paganisme dans l'Ain et publiée il y a
près de trente ans.
A
Dans une église de la Bresse châlonnaise, consa¬
crée à Saint-Senoch, dont les ossements plus ou
moins authentiques, dit-il, sont inhumés dans un sar¬
cophage gallo-romain avec ceux d’une vierge incon¬
nue que, à tout hasard, on a baptisée dû nom de
Sainte-Célinie, les gens du lieu et des environs vont
râcler cette vieille pierre pour en emporter un peu
de poussière, qu’ils mélangent ensuite aux aliments
et à la boisson des malades, dans leur foi supersti¬
tieuse d’une guérison certaine.
B
Près du hameau de Namary, commune de Vonnas,
canton de Châtillon-sur-Chalaronne, arrondissement
— 91 —
cleTrévoux, département de l’Ain, « il existe une pier¬
re dans une vigne. » S’agit-il de quelque mégalithe pré¬
historique, d’une pierre à légende ou d’un de ces
blocs erratiques comme on en rencontre dans la
région et auxquels la superstition attribue des vertus
thérapeutiques ? Toujours est-il que cette pierre est
depuis longtemps réduite à un petit volume à force
d’avoir été creusée parles gens qui buvaient la pous¬
sière provenant de son grattage, mélangée à cer¬
tains breuvages. « Aujourd’hui encore, disait l’auteur
il y a vingt-cinq ans, ces pèlerins déposent des pièces
de monnaie sur cette pierre que, naturellement, les
bergers d’alentour viennent cueillir de grand matin.
On gratte la pierre et on en boit la poussière pour
augmenter ses forces viriles, en invoquant un certain
Saiiit-Pissereux, dont la statue, dit-on, est enfouie
près de là au pied d’un noyer centenaire. »
G
Dans le même hameau de xNamary, mais sur un
autre point dénommé par les uns Saint-Clément, par
les autres Saint-Calmant, les jeunes mères venaient
gratter avec un couteau une pierre érigée — un
menhir très vraisemblablement ? — au milieu des
vignes, comme la précédente. « Elles en faisaient
ensuite avaler la poussière à leurs nourrisèons pour
apaiser leurs cris en calmant leurs douleurs gastri¬
ques ou intestinales. »
D
Dans l’église de cette même commune de Vonnas,
il y avait autrefois une pierre dite de Saint-Loup,
excellente, disait-on, ch dissolution dans une infusion
de fleurs de bourrache, pour les douleurs intercos¬
tales.
Mais, il y a une trentaine d’années, le vicaire de
ladite église « la fit enlever et débiter en cailloux. »
E
Enfin, le curé de Sulignat commune également du
canton de Ghâtillon-sur-Chalaronne (arrondissement
— 92 —
de Trévoux, Ain), fit de même enlever nuitamment,
une pierre plantée dans un bois de sa paroisse, pierre
pourlaquelle les femmes avaient une grande dévotion,
« rappelant trop à ses yeux le culte démoniaque de
Priape ». Elles s’y rendaient, en effet, à certaines
heures de la nuit, dans l’obscurité silencieuse des
vieux arbres, elles y faisaient des invocations selon
un rite traditionnel, puis elles détachaient, par grat¬
tage, des parcelles ou de la poussière de ladite pierre
qu’elles administraient, dans un breuvage préparé
ac?/me, à leurs maris afin, dit l’auteur, «d’entretenir ou
de faire revivre, dans la plénitude d’un renouveau
printanier, les forces d’une ardeur à demi-éteinte et
d’une vigueur alanguie ».
La pierre ayant été enlevée, comme je viens de le
dire, le pèlerinage n’en continua pas moins, les
femmes de l’endi’oit persistant à se rendre au bocage
sacré. Mais là, à défaut de la pierre traditionnelle, on
tordait une branche d’arbre, on en faisait une sorte
de boucle dans laquelle on passait un vêtement de
l’enfant malade, dont on venait invoquer la guérison.
D’autre part, les femmes stériles et les hommes
impuissants continuaient à venir, eux aussi, implorer
le genius loci, pour leur donner la fécondité et la
vigueur pi ardemment souhaitées ».
F
J’ajoute que le fait détordre et nouer des branches
d’arbres en forme de boucle dans un but thérapeu¬
tique se retrouve dans une autre commune du même
département, la commune de l’Abergement-Clémen-
cia, sise, elle aussi, dans le canton de Ghâtillon sur-
Chalaronne et l’arrondissement de Trévoux (Ain). Là
on rencontre, au milieu d’une forêt, les derniers ves¬
tiges d’une ancienne chapelle qui était dédiée à Saint-
Lazare. On y venait jadis et l’on y vient encore au¬
jourd’hui, bien que la chapelle ait disparu, en pèleri¬
nage pour obtenir du susdit saint la guérison de soi-
même, d’un parent ou d’un sien ami, et pour ce il suffit,
dit la légende, d’y nouer en boucle des branches d’ar*
— 93 -
bre auxquelles on suspend ensuite, en guise d’of-
rande, une chemise ou un linge quelconque appar¬
tenant au malade dont on souhaite ardemment une
cure rapide.
V
La Pierre-frite de Nanteau
Il me reste à parler maintenant d’un mégalithe,
sacré au point de vue thérapeutique, du département
de Seine et-Marne. Il s’agit de la Pierre-Fnte de Nan¬
teau .
On sait que, sous le nom de Pierres frites par un t
ou frittes par deux mots synonymes de Pierres
fûtes c’est-à-dire pie/7’e5 fichées^ on désigne des mé¬
galithes préhistoriques de dimensions pins ou moins
grandes dits menhirs.
Il s'agit donc dans le cas présent d’un menhir sis à
Nanteau, dans le canton de Nemours, arrondissement
de Fontainebleau (Seine-et-Marne).
La Pierre frite de Nanteau a été décrite, il y a quel¬
ques années, par M. Armand Viré dans la revue de
L'Homme préhistorique [i). Située dans un champ qui
sert de limite entre les deux cantons de Nemours et
de Lorrez-le-Bocage et enti’e les deux communes de
Nanteau et de Villemaréchal, elle est entourée de
nombreuses stations préhistoriques appartenant à
l’époque dite néolithique. Elle domine les pentes qui
viennent finir vers le curieux village, néolithique
aussi, bien entendu, de la Roche-au-Diable, décou¬
vert jadis par M. Henri Nivert et décrit, en 1892, par
M. A. Viré également dans les Bulletins de la Société
d'Anthropologie de Paris.
Cette pierre, dit l’auteur, a dû de tous temps attirer
l’attention populaire et nombreuses sont, sans doute,
les superstitions et les légendes dont elle fut l’objet.
Quelques-unes d’entre elles seulement sont parve¬
nues jusqu’à nous.
(1) Armand ViRé. — Les Mégaliihea de l'areonditaement de Fontaine¬
bleau (Seine-et-Marne). (L'Hommepréhistorique, tome IV, pages 105-106..
Année 1906).
Bull. Soc. fr. hist. méd., XII, 1914 7
— 94 —
II n’y a pas beaucoup d’années que les paysans ve¬
naient encore clandestinement y amener des animaux
malades et môme des gens plus ou moins souffrants.
On faisait trois ou sept fois le tour de la pierre, en
prononçant des formules qui n'étaient plus comprises
de ceux qui les employaient, formules que l’auteur
n’a pas pu réussir à se procurer. Puis on fichait dans
la pierre un clou, que l’on cassait au ras du ti’ou ou
bien auquel on suspendait soit certaines fleurs {ver¬
veine et euphorbe principalement) soit des boulettes
de terre.
Le grès, dont est fait ce monument, provient très
probablement d’un banc de grès situé à une centaine
de mètres de là,au Nord-ouest; il est criblé, d’après
M. Armand Viré, de petites cavités naturelles, ayant
la dimension d’un tuyau de plume et presque toutes
bouchées superstitieusement par des clous rouillés.
Enfin une légende, sans doute très ancienne, ajoute
l’auteur, se rattache à la Pierre-Frite de Nanteau,
légende dont les variantes sont nombreuses, surtout
quant au nom du personnage qui, avec le Diable, en
est un des héros (Saint-Georges, Saint-Pierre, Saint-
Eloi, entre autres).
VI
Les pierres a. cupules et leur poussière
J’aurais à parler maintenant des mégalithes dénom¬
més pierres à cupules simples ou conjuguées et despré¬
tendues propriétés thérapeutiques de leur poussière
dans certains états pathologiques. Elles seront l’objet
d’une deuxième communication, l’ordre du jour de la
séance d’aujourd’hui étant particulièrement chargé.
MENHIR DE PLBDMEUR-BODOU CHRISTIANISÉ
par le D' H. -WEISGERBER
M. A. de Mortillet m’a autorisé à présenter à la
Société une reproduction du menhir de Pleumeur-
— 95 —
Bodou (Côtes-du-Nord), à la suite des communications
de notre collègue le D'' Marcel Baudouin.
Cette reproduction a été publiée en 1897 dans la
Revue de l'Ecole d'Anthropologie. Il s’agit d’un monu¬
ment sur lequel la religion catholique a mis son sceau,
et qui est des plus remarquables.
Le menhir est un beau bloc de granit de forme
grossièrement rectangulaire, d’environ 6 mètres de
haut sur 3“20 de largeur et l^SO d’épaisseur. La
planche représente sa face méridionale. La surface
de la pierre a été de ce côté, aplanie et régularisée.
Tout le tiers supérieur est occupé par de naïves
sculptures en relief, barbouillées de rouge, de jaune,
de blanc et de noir, représentant une séine complète
des attributs de la Passion de Jésus-Christ.
La bourse, huit pièces d’argent alignées au-dessous
du marteau et des tenailles, le calice de la cène, la
lance croisée avec une épée, la lanterne de Judas, le
coutelas de saint Pierre, le coq de saint Pierre, la
colonne, les instruments de la flagellation, un mar¬
tinet et des verges, le roseau, l’aiguière de Ponce
Pilate, le voile de sainte Véronique, les trois clous,
les trois dés, la tunique. Marie-Madeleine, le soleil,
la lune, un bâton terminé par une éponge, la lance,
un crâne humain et deux os longs en sautoir, et le
gant dans un doigt duquel Nicodème l'ecueillit le pré¬
cieux Sang.
On pense que ces sculptures ne sauraient être anté¬
rieures au xvi" siècle.
Pleumeur-Bodou est dans le canton de Perros-
Guirec, arrondissement de Lannion (Côtes-du-Nord),
sur le bord de la route de Pleumeur à l’Ile-Grande, à
peu près à mi-chemin, en face du hameau de Saint-
Duzec. Le monument est l’objet d’une grande véné¬
ration dans le pays ; malades et bien portants vien¬
nent y faire leurs dévotions, mais nous ne croyons
pas qu’il jouisse d’une valeur thérapeutique spéciale.
^ 96 —
L’OSTÊO-ARTHfilTB DÉFORMANTE CHRONIQUE,
A L’AGE DE LA PIERRE POLIE,
DANS L’OSSUAIRE DE BAZOGES-EN-PAREDS (VENDÉE).
Par H. le pr JUai-cel RiHVDOUlN.
J’ai I honneur de présenter à la Société une
quinzaine de pièces anatomiques, d’ordre préhisto¬
rique, relatives à I’Ostéo-Arthkite déformante chro¬
nique, affection connue (1), ainsi que je l’ai déjà indi¬
qué ailleurs, dès les premiers Ages de l’Humanité, au
moins chez les Animaux de cette époque, et en parti¬
culier VOurs des Cavernes.
Elles proviennent d’un important Ossuaire de
l’Age de la Pierre polie, qu’en 1913 j’ai fouillé au
ténement des Cous, à Bazoges-en-Pareds (V.), avec
mon excellent collègue de la S. P. F., M. Lucien
Rousseau (de Cheffois, V.).
Lors d’une fouille antérieure d’un Ossuaire, encore
plus considérahle, situé aux environs de Paris,
j’avais déjà eu l’occasion de découvrir une assez
notable quantité d’Ossements, présentant les mêmes
lésions [Sépultui’e de Belleville, à Vendrest,
S.-et-M,) (2).
Comme il s’agit là de restes de la même époque
[Pierre Polié\, remontant tous à environ 6.000 à
8.000 ans (2), cette seconde trouvaille va me per¬
mettre quelques rapprochements intéressants entre
la Pathologie du Bassin de Paris et celle de l’Ouest
de la France, à cet âge reculé.
Ces faits sont d’autant plus précieux que jusqu’à
présent on n’avait jamais pu recueillir une telle quan-
(1) Marcel Baudouin. — Les Affections des Os à ['Epoque Néolithique
[D'après les découvertes de Vendrest, S..et-M.]. Paris, S. P. F., 1911,
in-8o, 73 p., 9 fig.
(2) Marcel Baudouin. — La Sépulture Néolithiquf de Belleville, à
Vendrest (S.-et-M.). — Fouilles et Restaurations, —Paris, S. P. F., 1911,
in-8°, 247 p., Nombr. fig. et planches hors teste.
— 97 —
tilé d’os malades dans des Sépultures bretonnes ou
vendéennes, aussi anciennes : ce qui rend les compa¬
raisons beaucoup plus fructueuses et plus sûres.
Voici d’abord les Observations anatomo-patholo¬
giques des dites pièces.
Observations,
OSTÉO-ARTHRITE DÉFORMANTE CHRONIQUE.
I. — Observation (N° IX) (1).
Péroné [Région sus-malléolairé\ [Sujet G].
Moitié inférieure d’un Péroné gauche, très vigoureux, cor¬
respondant à un Homme. La malléole, volumineuse, semble
normale. Mais, au-dessus d’elle, au point où s’insère le
ligament articulaire, il y a Ostéite, manifeste, caractérisée par
une saillie notable de la substance osseuse sur une hauteur
de 25"'“ et une largeur de 15““.
Il y a eu Ligamentile et Périostite en ce point; et
cette lésion est typique de l’Ostéo-arthrite chro¬
nique déformante. — A rapprocher du fait de
Vendrest (2), relatif à cet os.
II. — Observation (N® X).
PÉRONÉ [Malléole externe} [Sujet D].
Extrémité inférieure d’un Péroné droit, dont la malléole est
presque complètement détruite par résorption osseuse. Il s’agit
aussi d’un Adulte, et probablement d’un Homme.
Ici, il a pu y avoir Ostéite simple de la Malléole externe, car
c’est bien elle qui est malade. Mais il est dilficilc de se pro¬
noncer, car l’os a été attaqué post morteni au-dessus de la
malléole par l’Homme, après la Décarnisation [Forte/i'nia{//e
au silex, sur le bord postérieur et sur une étendue de 10““]
(1) Ces N”' sont ceux des cas pathologiques dans l’dtude d’ensemble
de la Sépulture, encore inédite.
(2) Marcel Baudouin. — Loe. cU. 1911. [Voir p. 206-207].
— 98 -
III. — Observation (N® XI).
PÉRONÉ {Tête) [Sujet E].
Extrémité supérieure, hypertrophiée très notablement. Os
à'Homme adulte. Cette tête du péroné atteint les diamètres
suivants : 30““ X 20““ ; ce qui est énorme.
Il est possible qu’il ne s’agisse là, d’ailleurs, que
d’une Anomalie congénitale ou d’une lésion encore
inconnue.
•IV. — Observation (N® XII).
PÉRONÉ [Tête] [Sujet F].
Débris de tête, présentant une hypertrophie du même genre,
quoique moins accentuée. Il est possible qu’il s’agisse d’une
Femme. Dimensions : 25““ X 20““. Tête tout à fait anor¬
male.
Je rattache ausfei cette hyperostose à la même
maladie, tout en faisant des réserves sur ce diagnostic.
V.— Observation (N® XIII).
Rotule.
Os normal à'Homme, Côté droit.
Poids : 14 gr. [assez considérable, pour un os desséché].
Os/éopày/es importants, au niveau du point d’insertion du
triceps crural, sur la surface antérieure. Lésion typique,
très marquée, tout à fait comparable à celle de l’Ossuaire de
Vendrest (1).
VI. — Observation (N® XIV).
Cubitus,
Tiers inférieur du Cubitus droit d’un Homme. — Défor¬
mation légère de la tête, au niveau de la surface articulaire,
un peu aplatie. — Lésion à peine marquée, sans grand intérêt.
(1) Marcel Baudouin. — Loc. ciL, 1911 [Voir p. 20G].
— 99 —
VIL — Observation (N” XV).
Clavicule.
Partie articulaire interne de la Clavicule, Tête de l’os un
peu hypertrophiée. Lésion de même ordre que pour les têtes
de Péroné des observations ci-dessus.
Il n’est pas absolument prouvé que cette déforma¬
tion,indiscutable, appartienne bien à la même maladie
que pour la rotule ; mais cela est très probable.
VIII. — Observation (N° XVI).
Axis.
Production ostéophytique^ très nette, au sommet de l’apo¬
physe odontoïde d’un Axis pesant 10 gr. et par conséquent
devant correspondre à un Homme, —Lésion analogue à celle
décrite pour rOssuairedeVendrest(l), mais en ce qui concerne
un Atlas.
IX. — Observation (n° XVII).
Vertèbre cervicale.
Corps d’une Vertèbre cervicale, dont l’arc postérieur a dis¬
paru. Ostéo-arthrite de l’articulation vertébrale inférieure
(saillies ostéophytiques). — Aplatissement du corps au niveau
du grand surtout ligamenteux antérieur (aspect typique).
X. — Observation (N" XVIII).
Vertèbres lombaires consécutives [Tas 11“ ///].
Voici une pièce pathologique, absolument superbe et très
démonstrative, d’un diagnostic indiscutable, relative à un
Homme âgé. Il s’agit, très probablement, de la 3® et 4“ vertè¬
bres lombaires, soudées ensemble, exactement comme pour
les Dorsales dans l’Observation moderne, si curieuse, citée sous
le n® I dans un de nos précédents mémoires (2).
Les os sont d’ailleurs en très mauvais état, tellement l’alté-
(1) Marcel Baudouin. — Loc, cit. [V. p. 205-6].
(2i Marcel Baudouin, — La Spondylite déformante à l'époque Néoli¬
thique et chez les Animaux préhistoriques. — Archives provinciales de
Chirurgie, Paris, 1912, p. 274-321 (Voir Observation n" 1, p. 289-291].
— 100 —
ration osseuse était avancée. Gomme cette pièce provient du
tas III, dont l'inventaire précis a été fait avec soin, je suis
certain qu'elle représenté seule la partie de la colonne verté¬
brale d’un sujet ; il n’y avait pas dans ce tas d’autre vertèbre
pouvant être rapprochée de ces deux là.
Ces 3° et 4° lombaires sont soudées intimement de là
façon suivante. Des deux côtés de la surface articulaire supé¬
rieure de la 4® montent des Ostéophytes, qui vont rejoindre des
productions osseuses analogues, qui descendent de la face
inférieure de la 3“ lombaire placée au-dessus. Ces stalactites
osseuses forment des masses, qui ont à gauche 15"™ de dia¬
mètre transversal, à droite SO™™ ; elles représentent des ossi¬
fications importantes des parties latérales du grand surtout
ligamenteux antérieur, exactement par le même jtrocessus que
dans la maladie de l’Ours des cavernes.
11 est difficile de savoir, vu l’état des os, s’il y a des altéra¬
tions au niveau des apophyses articulaires; mais, s’il y a là
de l’ostéite, on ne voit pas d’ostéophytes.
Les surfaces articulaires des corps vertébraux, visibles sur
la pièce, sont très altérées; elles présentent des irrégularités,
des saillies et des lacunes,tout à fait typiques de la Spondylite
déformante classique.
Une ostéophyte se voit sur le côté droit de la surface articu¬
laire inférieure de la 4'lombaire ; il devait correspondre à une
production osseuse dé même ordre, se trouvant sur'la 5“ lom¬
baire .
Nous avons photographié cette pièce, rare au point de vue
préhistorique.
XI.— Observation (N" XIX).
Vertèbres lombaires consécutives [Tas N“ I].
Il s’agit ici de deux vertèbres, consécutives très probable¬
ment (mais ce n’est pas certain, en raison du mauvais état de
conservation des os), d’un Homme âgé, très vigoureux, car une
vertèbre, presque entière, pèse 25 grammes.
Je crois y reconnaître la 2= et la 3^ lombaires.
La 2' vertèbre presque entière (25 gr.) est atteinte sur toute
sa périphérie, et aussi au niveau des surfaces articulaires. Des
ostéophytes se voient aux quatre points d’élection, c'est-à-dire
en haut et en bas de deux côtés des surfaces articulaires des
corps, comme dans le cas précédent ; mais ici ces ostéo-
— 101 —
phytes ne se sont pas encore soudées. lia lésion est donc
moins avancée sur ce sujet.
A la 3® lombaire, les lésions sont plus intenses. Au côté
{gauche seul intact, on voit, un Ostéophyte considérable, par¬
tant de la surface arliculair.e supérieure et remontant vers la
2® lombaire. Il y a aussi des productions osseuses patholo¬
giques au niveau de l’arc postérieur, de chaque côté des apo¬
physes articulaires.
Le diagnostic est ici aussi certain que dans le fait précé¬
dent.
Je n’insiste pas sur ces localisations de la maladie
au rachis, puisque je les ai étudiées à fond dans le
mémoire cité précédemment (1912).
XII. — Observation (N® XX).
Sacrum.
Extrémité inférieure et postérieure d’un Sacrum volumi¬
neux. Homme. — Les apophyses épineuses des deux dernières
vertèbres sacrées composantes sont très hypertrophiées et trans¬
formées en des sortes de boutons osseux. — Lésion analogue
à celle des têtes de péronés ci-dessus,
XIII-XV.— Observation (N® XXI-XXIII).
Phalangettes du gros Orteil [3 cas ].
3 Phalangettes du gros Orteil [2 gauches ; 1 droite] sont ou
hypertrophiées ou déformées.-ie n’insiste pas sur cette lésion
très fréquente a l'époque actuelle et que j’ai observée à Ven-
drest (1).
XVI. — Observation (N® XXIV).
Phalangine d'un Orteil.
Une phalangine d’un orteil a son extrémité inférieure ou
antérieure comme bifurquée ; et l’os en ce point est très
altéré. Le tissu osseux ressemble tout à fait là à la malléole
exierne du péroné de l’Observation n® X. Cette pseudo bifur-
(1) Marcel Baudouin. — Loc. cit., l'Jll [Voir p. 209]. ■
— 102 —
cation est due à Vétalement^ en travers, de l’extrémité très
hypertrophiée et très altérée.
Conclusions.
A l’heure actuelle, les faits préhistoriques d’OsTÉo-
ARTHRITE CHRONIQUE DEFORMANTE, SOUt trèS UOmbreUX.
En ajoutant à ceux relevés en 1881, au Musée de la
Soc. d'Anthr. de Paris, par J. Le Baron, nos observa¬
tions de Vendrest, rappelées ici chemin faisant, et
d’autres cas, publiés çà et là (1), on dispose déjà de
près d’une centaine de lésions diverses, sans compter
celles recueillies en Egypte et en Nubie et étudiées
par les médecins anglais (2).
Dès aujourd’hui on peut donc affirmer que, dès
l’époque Néolithique, cette maladie était extrêmement
commune, même dans les pays les plus chauds du
globe.
Ces constatations doivent, comme je l’ai déjà indi¬
qué, nous rendre très prudents, au point de vue des
théories palhogéniques, soutenues en ces dernières
années, surtout par les chirurgiens lyonnais de l’école
du regretté A. Poncet.
UNE CONSULTATION DU DOCTEUR TRONOHIN
pat* B. REBKR (de Genève)
Dans une notice antérieure, publiée ici même (3), j’ai fait
remarquer combien il serait désirable de faire connaître les
écrits médicaux laissés par Tronchin. On sait qu’à ce médecin
du plus beau monde de son époque, il ne restait pas beaucoup
de temps pour les études ou des mémoires. Ce sera donc par¬
ticulièrement dans ses consultations qu’on trouvera ses idées
scientifiques concernant la médecine. Il s’agit ici d’une consul-
(1) Marc et André Romieu. Montpellier médical, 1912, p. 583-590.
(2) Smitb a., Ruffer et Rietti. Journ. of. Pathol, and Bact., avril 1912.
Sem. méd.. Par., 2 oct. 1912.
(3) B. Rebeh. Deux documents inédits de Théodore Tronchin. Bulletin,
1909, p. 356-365.
— 103
lation pour M. le Conseiller Du Pan. Je l’ajoute au mémoire
cité tout à l’heure, dans le but de tenir ma promesse, c’est-à-
dire de compléter ce mémoire toutes les fois qu’il s’en présente
l’occasion.
Aiant lu avec attention le mémoire dont il s’agit il
me paraît que le mal de tête devenu habituel, n’a rien
de commun avec ce qui fait l’objet principal de la
consultation, et serait tel qu’il est très incommode
mais sans danger, bien que tout le reste du corps lut
en ordre.
L’objet qui mérite véritablement de l’attention est
un reste d’obstruction dans la partie qui fut jadis le
siège de la pleurésie. Quelques portions de la mem¬
brane sur laquelle repose le cœur, les vaisseaux san¬
guins et les nerfs de la rate qui lui sont contigus, le
corps même entier de la rate paroissent être emba-
rassés et il y a lieu de soupçonner que les inflamma¬
tions qui ont précédé, ont occasionné dans ces parties
une espèce d’adhérence qui ne leur est pas naturelle.
De là naît l’obstacle plus ou moins pénible de la cir¬
culation du sang dans ces parties et des esprits dans
les faisceaux nerveux qui y sont en abondance, dont
la bonne ou la mauvaise constitution influe sur les
autres nerfs et surtout sur ceux du côté gauche. Delà
les intermissions qu’on remarque dans le poulx, la
sensibilité au froid et la faiblesse du côté gauche.
Si le stile du mémoire n’indiquait clairement que
celui qui l’a dressé et à l’abri des inquiétudes que
pourraient faire naître les mots d’obstruction et d’ad¬
hérence, je craindrais que ma réponse à la consulta¬
tion, ne fut pire que le mal: mais je sais à qui je parle
et sur le fondement je m’assure qu’il ne me soupçon¬
nera pas d’avoir dessin de l’effraier ou de le flatter,
en lui disant que son mal n’est pas dangereux et que
si son genre de vie peut le permettre, il est en droit
d’espérer si non une entière guérison, du moins un
soulagement considérable et une tranquilité parfaite
sur les suites de son mal, pourvu :
1" Qu’il renonce à toute espèce d’occupation sé¬
dentaire, surtout aux longues écritures ;
—. 104 —
2" Principalement après le repas, lorsque l’estomae
rempli presse nécessairement la rate et que tous les
vaisseaux et les nerfs qui l'environnent, sont plus
ou moins comprimés;
3° Qu’il tâche d’éviter autant qu’il est possible tout
travail d’esprit accompagné d’inquiétude et de gene,
l’expérience aiant apris de tout tems aux doctes et
aux non lettrés qu’il'y a une simpathie intime entre
la rate et le cerveau ;
4" Que par la raison des contraires il continue à
tenir son ame dans une assiette tranquille en désirant
peu et en craignant encore moins, en s’amusant et
non en s’occupant des affaires du monde et de la Ré¬
publique;
5® Que par l’exercice de toute espèce, mais surtout
du cheval, il tâche à force de secousses réitérées de
rendre mobile ce qui ne l’est pas et de détacher ce
qui est adhérent dans le corps et aux environs de la
rate ;
6“ Que ce mouvement mechanique soit secondé par
une emplâtre fondant qu’il faudrait rettouveller de
quinze en quinze jours, pendant six mois entiers, la
rate en serait le centre ;
7° En prenant trois fois par jour, matin, midi et
soir, quatre pillules à jeun, les deux premiers mois
tous les jours, et dans la suite de deux jours l’un
pendant quatre mois entiers ;
8" Et en continuant à tenir un bon régime, sans
pourtant trop de scrupule sur le boire ou sur le man¬
ger. »
R. Emplast de Sapon.
— mucilag.
— oxycroc.
— diapalm, ââ part aeq. ut f.
ad mollissimam alutam, Emplastr. quadrat X pollic
latum.
105 —
R. Extract inspissat Taraxac. iip drachme
Sapon-Starkeyan ip »
Flor. sal ammon i »
Gumm.Sagapen ii »
M. f. pilul. gr. IV cum pulv. Oliban servent in vitroil
Ceux qui s’intéressent à la biographie du D'' Théod. Tronic
chin la trouveront dans les publications que j’ai indiquées dans
mon mémoire antérieur (1). Dans le Dictionnaire cité en note,
je trouve aussi une notice sur le conseiller Du Pan (Barthé¬
lemy), né à Genève en 1712, mort en 1763, donc à l’âge de
51 ans seulement. Ce malade du D'' Tronchin était un homme
très intéressant. Dès son enfance, il témoigna du talent pour
la peinture de portraits, fît des études dans cette direction à
Paris, à La Haye et à Londres. A La Haye, il a peint le prince
d’Orange, à Londres la famille royale. Son portrait peint par
lui-même, se trouve à la bibliothèque de Genève. De retour
dans sa ville natale, il entra au Conseil des Deux-Cents, fut
admis, en 1757, au Petit-Conseil et devint même syndic en
1761. Voilà donc un artiste qui eut les plus grands honneurs
politiques dans son pays.
Il paraît que Tronchin avait l’habitude de se servir du latin,
pour ses ordonnances. Les deux préparations, emplâtre diàpalme
et savon de Starkey, sont encore en pleine vogue au xvin” siècle
et même dans la première moitié du xix“. Cependant, depuis
longtemps, elles sont oubliées dans les pharmacopées. L’em¬
plâtre diapalme était composé de litharge, d’huile d’olives et
d’axonge. Souvent, dit Baumé (2), on amollit «cet emplâtre en
le mêlant encore avec le quart de son poids d’huile d’olives,
afin de lui donner une consistance d'onguent. C’est ce que
l'on nomme Cérat de Diapalme ». Quant au savon de Starkey,
Baumé en parle aussi. Chez un autre auteur (3), je trouve une
préparation simplifiée, car telle que Starkey l’avait inventée,
elle était inutilement compliquée. Ce savon se fabriquait avec
de la potasse caustique et de l’essence de térébenthine ou de
^1) Liste qui pourra être complétée par : Albert de Montet. Diction-
nair biographique de$ Genevoi» et des Vaudou, Lausanne, 1878.
(2) M. BauMé, Eléments de Pharmacie théorique et pratique. Paris, 1773.
(3) D' Job. CHIIISÏ-ËBERMA.YEB. ToschenbUch der Pharmacie für derzlc
md Apolheker. Leipzig, 1822. . .
Bull. Soc. fr. hUt. méd., XU, 1914 g
— 106 —
Séance du 11 mars 1914
Présidence de M. Paul Dorveaux
M. Alfred Martin (de Bad Nauheim) assiste à la
séance.
— M. le Président annonce le décès, à Paris, de M. le
D’’ Esmonet.
M. le Secrétaire général. — Charles Esmonet, né à
Paris le 30 juin 1873, fut reçu interne des hôpitaux de
Paris le 17 février 1898, et docteur de la Faculté de
médecine de Paris le 26 février 1903, après avoir sou¬
tenu une thèse intitulée : Contribution à l'étude du
testicule dans quelques infections ; orchites expéri¬
mentales.
Médecin consultant à Châtel-Guyon, il devint, en
1910, secrétaire général de la rédaction du Progrès
médical:, dans les bulletins de ce journal, il réserva
une place importante aux questions les plus diverses
de l’histoire de la médecine. 11 appartenait à notre
Société depuis le 5 avril 1911.
Le Progrès médical, dans son numéro du 8 mars
1914, lui a consacré une notice nécrologique.
— MM. Bonnamour, Boucher, H. Leclerc, Le
Savoureux, Martin et Rasch, présentés à la dernière
séance, sont élus membres de la Société.
— Candidatures :
M. le J. Tricot-Royer, avenue du Commerce,
108, Anvers, par MM. Hahn et Wickersheimer.
M. le D'' Auguste Van Schevensteen, fils, rue
Quellin, 5, Anvers, par MM. Hahn et Wickershei¬
mer.
— M. J. Tricot-Royer fera, sous le patronage de la
Société des Amis de l’Université de Paris, le jeudi
2 avril 1914, à 9 heures du soir, dans l’amphithéâtre ;
Richelieu de la Sorbonne, une conférence avec pro¬
jections sur André Vésale. Les membres de la Société,
désireux d’obtenir des cartes pour cette conférence,
sont priés de s’adresser à M. le D'' J. Tricot-Royer,
avenue du Commerce, 108, Anvers.
- 107
— Pçir décision du Conseil, en date du 18 février
1914, M. Roché est chargé des fonctions de Secrétaire
en remplacement de M. Barbé, et M. Barbé est
chargé des fonctions de Trésorier en remplacement
de M. Roché.
BISCUITS PURGATIFS ET BISCUITS VERMIFUGES
pal* Paul d’ESXRÉE:
Si jamais excipient, lors de son entrée dans le
domaine pharmaceutique, parut exactement remplir
les promesses, trop souvent fallacieuses, delà célèbre
devise Tutô, cité, jucunde, ce fut assurément le Bis¬
cuit, destiné à dissimuler, sous une forme agréable,
la saveur de drogues plus ou moins nauséabondes,
sans nuire à leur prompte elficacité. Naturellement,
le. . consommateur accueillit avec enthousiasme le
nouveau-venu. La thérapeutique se montra plus ré¬
servée. Elle n’avait pas une confiance illimitée dans
le dosage rigoureusement mathématique, dont se
recommandaient, avec toutes les apparences d’une
conviction inébranlable, les fabricants de biscuits
médicinaux (1). L’art de guérir reconnaissait volon¬
tiers que l’aspect de cette friandise était des plus
appétissants, que le goût en était souvent délicat,
mais il constatait que l’action en était, contrairement
à la fameuse devise, ou presque nulle, ou trop vio¬
lente. D’aucuns même prétendirent que ces incompa¬
rables biscuits avaient à se reprocher de graves
méfaits et pouvaient, en certains cas, devenir de
redoutables toxiques.
Il n’entre pas, bien entendu, dans le plan de cette
modeste étude, d’ouvrir une polémique pour ou
(1) Dans l’espèce, médicamenteux conviendrait mieux, quoique le
Dictionnaire de l'Académie le donne comme synonyme de médicinal ;
celui-ci, cependant, suppose des propriétés thérapeutiques, alors que
les mots médicamenteux, produit médicamenteux impliquent seulement
l’idée d’un produit qui renferme un médicament.
contre un véhicule médicamenteux, qui, après avoir
été jadis fort en vogue, jouit encore aujourd’hui de'
quelque faveur dans le public. Nous n’en voulons
retenir que les origines, restées jusqu’ici inconnues.
Ce n’est pas que de nombreux spécialistes ne reven-'
diquent, à l’envi et de bonne foi, la priorité de l’in¬
vention; mais celle-ci, à les en croire (et les recher¬
ches de notre distingué président, le D"’ Dorveaux,
confirment leurs assertions), ne remonterait guère à
plus de 80 ans. Or, nous nous proposons d’établir
que la fabrication des biscuits médicinaux date de
tantôt trois siècles. Nous en avons découvert la preuve
dans les Archives de la Bastille,
Que ne trouve-t-on pas dans les Archives de laBas^\
'tille?
I
Le 4 décembre 1748, Ghicoyneau, premier médecin
du roi, écrivait de Versailles au,lieutenant de police.
Berryer :
Je né saurais assez vous remercier. Monsieur, des égards
que S’ous avez eus^ à la prière que j’ai eu l’honneur de vous
faire, au nom de la Commission royale de médecine et en mon
particulier, de vouloir bien vous joindre à nous et d’interposer
votre autorité pour réprimer les abus qui se commettent jour-'
nellement par une foule de distributeurs, sans aucun droit,ni-
privilège, et pour empêcher les contraventions de plusieurs
autres particuliers, qui, ayant obtenu la .permission de com¬
poser et débiter quelques remèdes, ne se conforment point;
aux clauses portées dans leur brevet, qui devient nul par la,
seule raison qu’ils ne suivent pas les conditions y mention^
nées.
Il y en a d'autres qui, pour avoir obtenu autrefois des pri¬
vilèges, dont le temps est toujours limité pour l’espace de
trois ans, s’imaginent pouvoir user encore de ce droit, quoique
la Commission leur ait refusé un renouvellement ou prolon¬
gation pour n’avoir pas tenu une conduite convenable. Ces
derniers ne sont pas moins répréhensibles et sont dans le cas
d’être poursuivis comme contrevenants.
Rien n’étant plus digne. Monsieur, de votre attention et de
109 -
votre amour pour le bien public que de remédier â tous ces
abus, permettez-moi de vous demander avec instance la con¬
tinuation de vos bons soins et du zèle avec lequel vous vous
ôtes prêté à la demande de la Commission de Médecine, qui
vous en conservera une reconnaissance infinie ..
Au dossier (1) contenant la lettre de Ghicoyneau,
était annexée une liste de délinquants des deux sexes,
liste dressée par l’inspecteur de police Legraind, qui
était chargé de relever toutes les contraventions de
cette nature.
Bientôt les poursuites se généralisèrent; et l’on
ne saurait imaginer quelle quantité et quelle variété
de remèdes secrets florissaient alors à Paris.
La procédure adoptée contre cet exercice illégal de
la médecine et de la pharmacie, était des plus simples.
Par ordre du lieutenant de police, l’inspecteur inter¬
disait à ses justiciables de continuer leur petit com¬
merce. S’ils ne tenaient pas compte de cet avertisse¬
ment, ils étaient incarcérés, et, après quelques
semaines de détention, relégués dans leur pays, ou à
quarante lieues au moins de la capitale.
Tels de ces récidivistes se défendaient avec la der¬
nière énergie. Il leur semblait que la prescription,
couvrant un délit presque séculaire, lui donnât toute
la force d’un droit acquis, et, pour le faire encore
mieux valoir, ils avaient recours aux plus hautes
protections.
La correspondance de Legrand avec Berryer fournit
un curieux exemple de cette résistance aux injonc¬
tions de l’autorité. L’inspecteur de police écrit, le
14 juillet 1747, au magistrat :
Monsieur,
■'Suivant l'honneur de vos ordres, j’ai défendu à la nommée
Vatier de continuer sa distribution des biscuits médicinal {sic).
Elle m’a promis de s’y soumettre et m’a dit quç ce n’avait été
(1) Bibliolhèque de l’Arsenal. Archiees de la Bastille, 11683, Dossier
Maresclial.
— 110 —
que pour faire plaisir à la nommée Lheureux, veuve de pâtis¬
siers qui, de père en fils, en ont vendu. J’ai aussi dit à la veuve
Lheureux et au nommé Huard d’en cesser la distribution jus¬
qu’à ce qu’ils y soient autorisés. Ces mêmes biscuits ont été,
il y a très longtemps, défendus; et même le nommé Clément,
qui en a été l’inventeur, a été emprisonné pour la fabrication
de ses biscuits médicinal.
Mais, pour justifier, avec ses titres de propriété,
son droit d’en faire usage, l’héritière du secret fami¬
lial remettait, entre les mains de l’oflicier de police,
un extrait imprimé des registres du Parlement et toute
une liasse de certificats manuscrits, attestant les
vertus singulières du biscuit de Clément, certificats
dont Legrand affirmait la copie conforme aux origi¬
naux.
II
L’arrêt, concluant à la recevabilité de l’appel de
Clément, ne préjugeait en rien du bon droit du défen¬
deur. Les certificats, autrement démonstratifs, célé--
braient le pâtissier Clément à l’égal d’un bienfaiteui;
de l’humanité.
Voici en quels termes était libellé l’arrêt, ou plutôt
« l’Extrait des registres du Parlement » qui le men¬
tionnait et dont la veuve Lheureux se prévalait,
comme d’une autorisation ou d’un privilège :
Extrait des registres du Parlement : '
Vu par la Chambre des vacations la requête présentée par
Charles Clément, maître pâtissier oublayer à Paris, à ce qu’il
fût reçu appelant de trois sentences rendues par le Prévôt
de Paris, ou son lieutenant civil, les 3 juillet six cent cin¬
quante-cinq (stc), 5 août six cent cinquante-six et 31 juillet
six cent cinquante-sept, rendues au profit des maîtres et gardes
apothicaires de cette ville de Paris, par lesquelles le sup¬
pliant aurait été condamné en de grosses amendes pour avoir
vendu du biscuit Médicinal et aux dépens, emprisonnement
fait de sa personne et de tout ce qui s’en est ensuivi, faisant
droit sur son appel, que lesdilos sentences furent cassées et
(1) Archives de la Bastille, 11682, Dossier Lheureux.
— 111 —
annulées, l'écrou rayé et biffé, que les sommes payées par lui,
en conséquence, lui seront rendues et restituées, et outre,
ordonné, qu’il serait permis audit suppliant et ayant cause de
vendre et débiter ledit biscuit : défense aux dits maîtres et
gardes de le troubler et d’attenter à sa personne et biens et
condamner ès dépens, dommages et intérêts. Vu aussi lesdites
sentences, écrou, certificats et autres pièces attachées à ladite
requête; tout considéré, ladite Chambre a reçu et reçoit le
suppliant appelant, tenu et tient pour bien relevé. Ordonne
que, sur ledit appel, les parties auront audience au lendemain
Saint-Martin, cependant fait défenses de mettre lesdites sen¬
tences à exécution et d’attenter à la personne et biens dudit
suppliant, jusqu'à ce qu’autrement par la Cour en ait été
ordonné.
Fait en vacations le 20“® octobre mil six cent cinquante-sept.
Le 27 octobre 1657, a été le présent arrêt signifié et baillé
copies aux maîtres et gardes des apoticaires de cette ville de
Paris en la maison de [Sulpice] Piart l’un d’iceux, parlant à
Elisabeth Piart sa fille, et au domicile de maître Etienne
Le Droit, procureur au Châtelet, leur procureur, parlant à son
fils, à ce qu’ils n’en prétendent cause d'ignorance, et leur a (ait
les défenses y mentionnées. Fait par moi huissier en ladite
Cour de Parlement soussigné.
DE Riencouut.
Ledit Charles Clément demeure rue Saint-Jacques-de-la
Boucherie, vis-à-vis l’une des portes de la boucherie.
Les certificats élogieux qui accompagnaient l’Extrait
des registres du Parlement, n’avaient certes pas
l’envergure ni l’élégance académique que nous
remarquons aujourd’hui dans des documents de même
nature; mais tous s’accordaient à proclamer l’effica¬
cité des biscuits Clément. Ils étaient datés de 1656 ou
1057. Ils portaient la signature de Pierre Messier,
maître maçon; de Pierre Barre, marchand boucher;
de Thovierreau, marchand libraire, graveur en taille-
douce; de Raymond de la Nauve, abbé d'Essonnes;
de Le Roy, chirurgien ordinaire de la maison du roi.
Le bourgeois Thomas de Proceus Desmarolles
s’étendait longuement sur la bonté et sur l’utilité de
ce biscuit « pour purger doucement, sans qu’il soit
arrivé aucun accident,. excellent pour ceux
— 112 —
qui ont répugnance à prendre des remèdes ordi¬
naires... ce que j’assure être véritable, comme en
usant journellement. » Brisse Fleury, « huissier ordi¬
naire du roi et en son Grand Conseil », prend, depuis
plus de vingt ans, « certain petit biscuit purgatif »,
dont il est fort satisfait. Il a vu un hydropique, qui
suivait ce même traitement, guérir en deux jours. Il
n’est pas jusqu’à un vieillard de 88 ans, François
Hinau, ancien soldat, demeurant « île Notre-Dame,
rue et paroisse Saint-Louis », qui ne fasse le pané¬
gyrique du biscuit Clément. Grâce à cette pi’écieuse
panacée, il est « soulagé de la maladie et caducité
dont il est atteint, il entretient le peu de santé qui lui
reste; de quoi il a fait acte devant deux notaires. »
III
Mais un passé aussi glorieux laisse le lieutenant
de police fort indifférent. Berryer a des ordres for¬
mels : il faut qu’il les exécute ; et il enjoint à l’inspec¬
teur Legrand de poursuivre sans répit les délin¬
quants. Mais la veuve Lheureux a plus d’un tour
dans son sac. Elle fait appel à la commisération du
Procureur général, Joly de Fleury, qu’elle sait plein
de tendresses; comme d’ailleurs tous les membres
de sa famille, pour les charlatans et les empiriques
qui pullulent dans Paris (1). L’espoir de la veuve
Lheureux n’est pas déçu. Le 23 août, Joly de Fleury
demande au lieutenant de police des renseignements
sur ce biscuit médicinal que la fabricante prétend
avoir le droit de débiter. L’enquête suspend natu¬
rellement les poursuites. Et la rusée commère con¬
tinue à soulager l’humanité souffrante, pendant que
l'inspecteur Legrand, sur l’ordre de Berryer, s’em¬
ploie activement à réunir et à centraliser tous les élé-'
(1) « Ôn dit, écrit le 18 janvier 1742, Joly do Fleury, alors avocat
général au Grand Conseil, on dit qu’il a (le Grand Thomas condamné ’
à l’amende pour exercice illégal de la chirurgie et de la pharmiicie) des ,
secrets admirables pour tous genres de maux. On ne peut répondre -de
l'avenir; et il faut se ménager des connaissances utiles pour soi et pour '
— 113 —
ments d’information attendus par le procureur géné¬
ral. Le 2 septembre, un des premiers secrétaires du
lieutenant de police, Chaban, commence par rédiger,
pour son supérieur hiérarchique, cette note qui
résume les points essentiels de l’enquête menée par
Legrand :
Ce biscuit se vend, depuis cent ans, par la même famille.
Un nommé Clément a commencé. Il a laissé son secret à sa
fille qui avait épousé, en premières noces, Charles Lheureux.
Cette femme, en mourant, laissa son secret à son mari qui
épousa, en secondes noces, Marie Boudin. Lheureux, avant
sa mort, a laissé son secret à sa fename qui en a fait toujours
usage.
11 est purgatif de sa nature ; on y met du jalap. On en fait
de deux espèces, de grands et de petits : les grands sont pour
les hommes forts ; les petits sont pour les faibles.
On les vend chez la Veuve Vattier, regrattière de sel, six
sous les grands et trois sous les petits. La femme Lheureux
les compose et les lui donne à vendre.
Les apothicaires ayant fait arrêter Clément, le Parlement le
fît sortir par provision ; et le procès resta indécis.
Le brouillon de la réponse adressée à Joly de Fleury
parle lieutenant de police, reproduit, en termes meil¬
leurs, la note transmise par Chaban et se termine
sur cette déclaration :
J’ai vu plusieurs certificats qui ont été donnés dans le temps
au nommé Clément par plusieurs personnes qui attestent,
s'être servies de son remède avec succès. Mais j’ai reçu, depuis
quelque temps, des ordres du roi pour défendre expressément'
le débit de quelque remède que ce fût, à moins qu’il n’ait été
autorisé par une permission ou un privilège de la Commission
établie à cet effet, et à la tête de laquelle est M. Chicoyneau,»
etc.
Malgré toute sa tendresse pour les irréguliers et
lès parasites qui vivaient et prospéraient en marge de
la médecine, de la chirurgie et de la pharmacie, lé'
procureur général ne crut pas devoir intercéder plus
longtemps en faveur de sa cliente, la « pâtissière
sans boutique », comme l’appelait Chaban. Il écrivit à
Berryer : > r
114 —
J’ai reçu, Monsieur, votre lettre au sujet du Biscuit Médi¬
cinal de la Veuve Lheureux. Si la composition de ce biscuit
est nuisible à la santé, je suis bien éloigné de l’autoriser.
Ainsi, dès que vous croyez essentiel de faire cesser la distri¬
bution de ce remède, il n’y a qu’à faire rendre une sentence
sur la requête de mon substitut qui en interdise le débit, et la
faire exécuter.
On ne peut être, avec un plus sincère et inviolable attache¬
ment que je suis, Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Joly de Fleury
Berryer n’avait plus à hésiter. Il fit « mander à son
hôtel» les femmes Lheureux et Vatier, pour leur
interdire, expressément, sous peine de l’amende et
de la prison, leur industrie commune, à moins d’une
autorisation bien et dûment en règle. Ces dames
tinrent les menaces du lieutenant de police pour un
avertissement sans importance; et la vente, pas plus
que la fabrication des biscuits au jalap, ne cessa un
seul instant. Berryer, furieux, leur dépêche Legrand,
avec mission de les arrêter et de les conduire à la
Salpêtrière. Elles jouent alors une lois de plus de
la prétendue protection du procureur général ; et le,
policier, qui ne se sent peut-être pas la conscience bien
tranquille, écrit à son chef, le 4 novembre, qu’il en
a effectivement reçu les ordres ; « mais, ajoute-t-il, je
n’ai pas cru devoir les mettre à exécution, particu¬
lièrement contre la veuve Lheureux, dans la crainte
qu’elle ne soit véritablement protégée par M. Joly de
Fleury. J’attends votre décision ».
Il ne dut pas longtemps l’attendre et moins encore
en ajourner l’exécution, car nous ne voyons nulle
part que l’intrépide et intransigeante pâtissière, et
sa compagne, la regrattière de sel, aient continué à
tenir la campagne contre ce redoutable magistrat
qu’était alors un lieutenant de police.
IV
Notre travail nous eût semblé incomplet, si nous
n’avions également cherché à déterminer les origines
— 115 —
d’une autre variété de biscuits médicinaux, encore en
usage dans la thérapeutique populaire : nous voulons
parler des biscuits vermifuges.
Leur existence ne paraît guère remonter au-delà
de la seconde moitié du xviii® siècle. Nous avoné
trouvé cette indication dans une publication aussi
spirituellement écrite que savamment documentée,
intitulée VArsenal lieu d'asile au XVIll^ siècle et
due à la plume autorisée de M. Henry Martin, admi¬
nistrateur de la Bibliothèque de l’Arsenal (1).
Ici quelques lignes d’explication sont nécessaires :
car on ne voit guère, de prime abord, la corrélation
qui peut exister entre une enclave du vieux Paris, du
Paris de l’ancien régime, et la fabrication de biscuits
vermifuges.
M. Henry Martin date son récit de l’époque où le
Marquis de Paulmy, fils du Marquis d’Argenson, était
gouverneur de l’Arsenal, « avec le titre de bailli
d’épée du bailliage de l’Artillerie de France », c’est-
à-dire en 1771.
L’Arsenal était alors « composé d’une infinité de
bâtiments, palais, maisons ou échoppes^ d’une dou¬
zaine de cours, de grands jardins et de longues
allées plantées d’arbres ». Cette manière de «petite
ville abritait une population qu’on pouvait évaluer à
plus de 500 personnes », gens de divers états,
comme eût dit Monteil, anciens ministres, prélats,
grands seigneurs, sans compter M. de Paulmy, artis¬
tes célèbres et modestes artisans, « cabaretiers, coif¬
feurs, tenanciers de tripots, marchands d’orviétan »
plus un gi’oupe à'indésirables, en délicatesse avec
la justice de leur pays.
Or, dans le courant de mars 1774, le Marquis de
Paulmy recevait, comme par ricochet, la lettre sui¬
vante, (2) dont nous n’avons pu déchiffrer la Signature
et qui était adressée :
(1) Discours prononcé à l’Assemblée Générale de la Société de l’Histoire,
de Paris et de Vile de France, le 20 mai 1913, par M. Henry Ma.htin,
président ; L’Arsenal lieud’asUe au XVIII' siècle, 1913.
(2) Bibliothèque de l’Arsenal, Manuscrit 4043, Portefeuille du Marquis
de Paulmy Tome II
— 116 —
A Monsieur Du Plessis, intendant de M. le Duc de
Luxzmhourg, rue Pavée au Marais,.
M, Ganeau, monsieur, frère du Curé de Briare, a besoin
d’une recommandation auprès de M. le Marquis de Paulmy.
Puis-je espérer que vous voudrez bien vous intéresser en sa
faveur auprès de M. le Duc de Luxembourg ?
GeM. Ganeau était confiseur à Gien : l’envie de s’établir
dans cette ville l’y a fait traiter d’un fond de commerce de
confiseur. Il a vendu son fond de boutique à Gien; et, arrivé
ici, il a trouvé que celui dont il avait traité était aussi vendu.
Sa ressource a été de trouver à se placer à Paris. Un de ses
amis, M. Malherbe, lui a donné retraite chez lui à l’Arsenal.
Il faisait à Gien des biscuits contre les vers qui s’engendrent
dans les enfants. Il a obtenu une permission de la Commission
de Médecine d'en débiter-, mais comme il demeure dans l’Arse¬
nal, il ne veut rien faire, sans que M. le Marquis de Paulmy
en soit prévenu.
Voulez-vous bien lui accorder vos bons offices et être per¬
suadé de toute ma reconnaissance et du sincère et véritable
attachement, etc ?. ,
Le duc de Luxembourg était le gendre du Marquis
de Paulmy. Vraisemblablement, il autorisa; peut-être
même avec un avis favorable, son iritendant, M. Du
Plessis, à présenter la requête du confiseur au gouver¬
neur de l’Arsenal. Toujours est-il que le 11 mars, la
lettre ci-dessus fut enfin remise à M..de Paulmy. avec
cette apostille, rédigée sans doute par le secrétaire du
Marquis ;
L’objet de la demande du sieur Ganeau est d’obtenir de M.
le Marquis dè Paulmy la permission de vendre dans l’enclos
de l’Arsenal et le jardin ses biscuits ét’quelques autres petits
oüvrages de sucrerie.
A la supplique du solliciteur était joint un prospec¬
tus et qui sait ? peut-être un de ces biscuits;mirifiques
dont il prônait si chaleureusement l’emploi. A défa:it
de ce « petit ouvrage de sucrerie », voici la savoureuse
réclame qui devait l’envelopper. Elle est un peu Ion-,
gue, mais si instructive !
_ 117 —
AVIS A L’HUMANITÉ
Biscuits Vermifuges
Très utiles à tout le public en général, et particulièrement,
aux enfants qui, la plupart, meurent des vers très promptement,,
ou qui, après avoir bien souffert, et passé plusieurs années;
dans des états de langueur les plus fâcheux, finissent par de
violentes coliqués, et autres maladies qui seront expliquées ici
plus au long.
AVEC PERMISSION
Le sieur Ganeau. demeurant à l’Arsenal, dans la seconde
couiq dans le corridor à droite, au-dessus du corps de garde,
possesseur du vrai et infaillible secret des Biscuits contre les
vers, tant des grandes personnes que des petits enfants, est'
autorisé de les composer, vendre et distribuer ou faire distri-'
buer sans aucun trouble. Gomme plusieurs personnes lui ont'
demandé l’usage et la façon de prendre ces biscuits, avant d'en'
prescrire l’usage, il a cru devoir faire observer au public les
signes ouïes symptômes les plus ordinaires auxquels on ne peut
trop faire d’attention, et d’où souvent la vie des enfants dépend,
puisque les vers obstruent les intestins et compriment les par¬
ties voisines par leur volume, en suçant le chyle destiné à nour¬
rir le malade, le privant par là même de sa subsistance, en
irritant les intestins et même en les rongeant : ce qui cause
très souvent.les suites les plus fâcheuses et même la mort.
. Or, on pourra connaître ces signes, lorsque le malade sen¬
tira des démangeaisons dans les narines, en se frottant souvent le
nez, des picotements dans la gorge et dans l’estomac, des envies
de manger à chaque instant, des maux de cœur, vomissements,
légères coliques et souvent de violentes, une abondance de
salive à jeun, une mauvaise haleine, surtout le matin, des pal¬
pitations, convulsions, évanouissements, des lièvres mêmes
qui ont le caractère de malignes, souvent le hoquet, fréquem¬
ment une toux sèche, un appétit très irrégulier et quelquefois
vorace, de la constipation, mais plus souvent une diarrhée de
matières mal cuites, le ventre assez gros et tendu, ce qui cause
très souvent des hernies ou descentes, le reste du corps mai-,
gre, une soif que la boisson ne diminue pas, le visage assez,
ordinairement mauvais, un pouls petit et irrégulier, de la tris¬
tesse, les yeux quelquefois éteints et entourés d’un cercle livide,.
des rêves effrayants. Quelques enfants sont agités et ne peu¬
vent rester un moment tranquilles ; d’autres auxquels les uri-
- 118
nés sont blanches, et qui ont une espèce de mucosité dans les
selles, des assoupissements longs et profonds, un sommeil
interrompu tout à coup par des tressaillements et des cris, des
grincements de dents, des pertes de la vue et de la voix qui
durent longtemps, des sueurs froides, des paralysies des bras
et des mains, ou des jambes, des engourdissements; et quelque¬
fois, après de longues et violentes coliques, il survient à l’ex¬
trémité du ventre un abcès par lequel il sort des vers.
11 convient donc d’employer à ces maladies les remèdes les
plus efficaces et plus importants, puisque les vers font mourir
la plupart des enfants, après avoir souffert des maux cruels
pendant plusieurs années.
Gomme il arrive aussi très souvent que les Enfants ont des
vers, quoiqu’ils se portent bien. Cette disposition à avoir des
vers prouve toujours des digestions imparfaites, et il y a quan¬
tité d’enfants qui périssent par les vers ; c’est pourquoi il faut
éviter de donner à ceux qui sont dans le cas décrit ci-dessus
des aliments de difficile digestion. Surtout donnez-vous bien
de garde de leur donner pour un remède des huiles, qui, sup¬
posé même qu’elles détruisent d’abord quelques vers, augmen¬
tent la cause, qui en laisse reproduire de nouveaux.
Usage des Biscuits
Ces biscuits se prennent le matin et à jeun, dans le décours
de la lune c’est-à-dire depuis son plein jusqu’à la nouvelle.
Il faudra observer de ne point laisser manger les malades,’
que 2 ou 3 heures après avoir mangé lesbiscuits, qui sont pour
les vers un poison et qui iraient à l’aliment qu’on aurait pris,
si l’on mangeait autre chose, ce qui empêcherait l’effet mer¬
veilleux qu’ils produisent, les faisant rendre par pelotons à
ceux qui en ont beaucoup.
Ils ne sont point mauvais à prendre, n’yayant dans.leur com¬
position, entre toutes les poudres et plantes distillées qui y en¬
trent, qu’une seule poudre qui donne un petit goût qui n’est
pas désagréable.
Ceux et celles qui ne voudront ou ne pourront point manger
les dits biscuits, les biscuits étant spongieux par eux-mêmes,
les tremperont à mesure qu’ils lés mangeront dans un verre
de vin blanc, que l’on aura versé le soir, dans un vase sans
le couvrir, afin qu’il s’évente, et dans le cas où quelques enfants'
ne boiraient pas de vin, il faudrait les tremper dans du lait, et
lorsque les biscuits seront mangés, faire boire au malade cë
qui restera de vin, ou de lait dans le verre: le.vin ne peut pas
— 119 —
incommoder le malade, d’autant mieux qu’il est éventé et qu’il
a perdu sa force.
Pour les grandes personnes, il en faudra deux, c’est la dose,
en laissant un jour d’intervalle avant de prendre le second.
Les personnes, qui sont sujettes à avoir des vers, feront
très bien d’en faire usage tous les mois, jusqu’à ce qu’elles
s’en trouvent entièrement dégagées.
Ces sortes de Biscuits ne purgent point; ils conviennent à
toutes sortes de tempéraments, même les plus faibles et les
plus délicats. On peut les prendre dans toutes les maladies
où on soupçonne des vers, ils n’altèrent et ne dérangent en
aucune façon la santé, n’y ayant rien dans leur composition
que de salubre ; ils ne peuvent jamais faire de mal et les fem¬
mes enceintes même en peuvent faire usage en tout temps. Ils
se conservent tant que l’on veut, sans rien perdre ni diminuer
de leur qualité, et, pour en faciliter l'usage à tout le public,
qui sera très flatté des bons effets et de l’avantage qu’il en
retirera, le prix de chaque biscuit sera de douze sols.
Nota : Que comme les biscuits ne causent aucun dérange¬
ment, on peut vaquer à ses affaires, aller et venir ; ils n’exi¬
gent point d'autre régime, que celui de s’abstenir de fruits
crus, surtout verts, de salade, fromage, pâtisserie et de choses
de trop facile et difficile digestion.
Vu et approuvé, à Paris, ce 15 avril 1774 .
Vu l’approbation, permis d’imprimer ce 17 avril 1774 .
DE SaRTINE.
Nota : Que le sieur Ganeau fait des envois en province à ceux
qui lui en demandent ; il prie ceux qui lui feront l’honneur de
lui écrire; de bien mettre leurs adresses, indiquer la voie par
laquelle il les fera parvenir et d’affranchir les ports de lettres,
qui autrement resteraient en rebut.
Le « sieur Ganeau » n’avait oublié dans son mani¬
feste contre les vers qu’un seul point, c’était d’éclairer
sa lanterne, autrement dit de faire connaître la ou les
drogues vermicides assurant l’efficacité de ses « mer¬
veilleux » biscuits.
Il est vrai que cette composition était un « infail¬
lible secret ». Toutefois, la Commission de médecine
qui avait « donné la permission de débiter » ce ver¬
mifuge (Ganeau n’eût pas osé risquer un mensonge)
ne devait pas en ignorer le principe actif ou prétendu .
— 120 —
tel. Que pouvait-il bien être? Le Calomel? Mon bis¬
cuit n’est pas purgatif, affirme Ganeau. Le confiseur-
thérapeute n’avait certes pas incorporé dans sa pâte
de la poudre de L’ingestion en eût été
particulièrement laborieuse, pour ne pas dire imposr
sible. Ganeau parle, dans son prospectus, de « pou¬
dres et de plantes distillées». N’aurait-il pas employé
un alcoolat de tanaisie ?
Quoiqu’il en soit, son biscuit et ses autres « sucre¬
ries » ne purent trouver grâce devant le maître de
la maison.
M. de Paulmy, depuis qu’il présidait aux destinées
de l’Arsenal, poursuivait un rêve qui faisait peut-être
grand honneur à ses idées de décentralisation, mais
qui n’était que très médiocrement goûté du gouver¬
nement. 11 eût voulu que l’enclave sur laquelle s’éten-,
dait sa juridiction, devînt, de ce fait, comme un Etat
autonome et presque indépendant. Il y recevait sans
doute de très honnêtes gens, mais il n’accueillait pas
avec moins de bienveillance des personnalités fort
peu recommandables et il n’entendait pas que cette
excessive indulgence pût prêtera la critique. Or, il
n’était plus, à cette époque, de ces retraites inviolables
qu’on appelait jadis des lieux d’asile; et les maisons
princières elles-mêmes devaient s’ouvrir devant un
ordre du roi. Aussi, M. de Paulmy, qui était un tradi-
tionnaliste, entrait-il souvent en conflit, sur ce terr
rain, avec les représentants de l’autorité souveraine,
les fonctionnaires, les ministres et surtout la police,
institution qu’il faut ménager et même respecter, car
elle seule a le droit d’avoir toujours raison, quand elle
a tort.
Donc, M. de Paulmy, après une résistance déses¬
pérée, avait dû maintes fois céder devant la volonté
royale, quand Ganeau s’avisa de transporter ses péna¬
tes chez son bon ami Malherbe et d’y préparer sa
publicité, escomptant une tolérance qui s’était déjà si
libéralement prodiguée. Mais il ne plut sans doute
pas au gouverneur de l’Arsenal, de s’attirer quelque
nouvelle observatiomà propos d’unempirique, si auto-
-^.-121 —
risé qu’il fût par la Commission de Médecine. Et,)
d’une ligne, sur le placet présenté par Du Plessis, M-
de Paulmy signifia son congé à Ganeau :
« Ordonner à M. de Malherbe de renvoyer cet
homme de chez lui. »
Et, comme le dit fort plaisamment M. Henry Martin,
« Le sieur Ganeau dut aller poursuivre ailleurs sa
campagne contre les vers. »
Mais que devinrent ses biscuits ?
UN CERTIFICAT MÉDICAL
PAR UN CHIRURGIEN LANGUEDOCIEN DU XVm» SIECLE
par lo D' ClinrleH VIDAL, (de CaBtrea)
Voici le texte d’un certificat où l’on peut lire que
les fractures de cuisse ne guérissaient pas mieux au
xviii® siècle qu’à notre époque, qu’on dit être une
époque de décadence physique.
Tout en haut de la page, le chirurgien, homme
pieux, a ti’acé une croix. Peut-être était-ce simple¬
ment l’habitude ou bien une obligation pi-otocolaire ?
Je possède un compte de fournitures pharmaceuti¬
ques daté du 30 juin 1758, destiné à Mgr de Barrai,
évêque de Castres, où la même croix existe. Je ne
trancherai pas la question quoique je sois en droit
de douter un peu de la foi et de la piété d’un chirur¬
gien du xviii* siècle, du siècle de VEncyclopédie !
11 est vrai, qu’à cette époque, on fréquentait simul¬
tanément la loge et la sacristie. C’était de bon ton.
Quoiqu’il en soit, voici ce certificat. J’en transcris
l’orthographe textuellement.
t
Nous jean françoies audibert Métré chirurgien jouré du lieu
de mont Cabrier diosseze et ssneseusée de toulouze Certiiiion
et alœstonsa qui il appartiendra comme jean François bringuier
avitant du lieu de Mont Cabrier Comme il y a anviron sept
Bull. Soc. fr. hUt. méd., XIII, 1914 9
— 122 —
ou houit anées une roue de charette loui passa seur la quisse
droiette dont louij Cassa antierement l'os liumême dont de
pouls loui faict porter lajeambe de travers se qui l’erapeche de
marcher livrement que de quil faict une moiendre coursse il
est oublige de s’arette in six por dire presque a chaque pas
par a port quil il sent une douleur vive de plus ancore il y a
anviron quatre ou sinqu anées qu’il resent un coupt de pie de
cheval sur la lanbbe doict dont il louy decrouvist de la gran¬
deur d’un demy pie la pou jouques au crâne dont je feus oblige
de louy faiere troies sutures otrement dit dounne troies poiens
dont je le panssa (1) plus d’un moies et demy pour treter
cette plee et de pouis sella louij Couze une grande douleur de
tete seurtout lorsqu’il et oublige de marcher ou faire une lon-
gou corsse ou la moiendre fatigue dont louy sanble que’ tout
tome autour de louij comme sil estet ataque d’une vertige au
foie de Ce nous louij avons alor de la presantte ralation pour
san servir comme j on joujera a propos faict a mont Cabrier
Ce vintedeux avril mille sept cens sinquante un.
J.-P. Audibret, M‘‘'® Chirurgien joure.
Ce certificat est rédigé sur un papier timbré (déjà !)
au chiffre de Toulouze etcoûtant : (?) sol (2), 3 deniers.
Le format est celui de notre papier timbré actuel.
LES ORIGINES DE LA SYPHILIS EN DANEMARK
par le O' J.-W.S. JOH.VSSO.V (do CopenUa^ue)
Il va sans dire que dans la discussion sur les deux
théories concernant les origines de la syphilis, l’année
même de la découverte de l’Amérique doit jouer un
rôle, mais il me parait en même temps que ce rôle
perd de sa valeur à mesure qu’on s’éloigne du grand
foyer méridional. Ainsi, des cas de cette maladie datant
(1) Panssa çouv pansai. Aujourd’hâi encore, dans notre région langue¬
docienne, beaucoup de gens disent ; fe panssa, j'allas... pour : je pansai,
j'allais..., manière de s’exprimer qui n’a cependant aucun point de con¬
tact arec son équivalent en langue d'oc. En langue romano-castraise,
panser se dit : pensa, et je pansai; penseri; aller se dit : ana, j'allais :
angueri.
(2) Le chiüre est illisible.
— 123 —
de 1493 ou même de plus tard ne peuvent sei’vir qu’à
constater l’origine européenne, et une enquête faite
dans les pays septentrionaux de l’Europe me semble
pouvoir donner un fondement utile, mais non indis¬
pensable à la théorie de l’origine européenne.
Quant aux sources pour l’étude de l’histoire de la
syphilisen Danemark, elles senties mêmes que dans
d’autres pays. Mais en somme il n’existe que très peu
de monuments littéraires, soit manuscrits, soit impri¬
més, antérieurs à 1500. Il existe quelques chroni¬
ques, mais la littérature médicale était peu déve¬
loppée; les rares manuscrits en danois de cette épo¬
que sont généralement des collections de recettes et
d’ordonnances, et ils ne contiennent pas d’explica¬
tions sur l’invasion de la nouvelle maladie. Il en est
de même pour les rares livres imprimés avant 1500.
Les quelques faits que je viens vous présenter ont
été recueillis par le D’' F.-Y. Mansa dans son livre
intitulé : Contributions à l'histoire des épidémies et de
Vhygiène publique en Danemark (1) publié en 1873,
livre basé sur les mêmes principes que le livre très
connu de Schnurrer (2). Il donne dans son livre quel¬
ques notes sur la première apparition de la syphilis
en Danemark, mais si on m'objecte que ces faits sont
sans douté connus de beaucoup de personnes, je ré¬
pondrai que n’étant pas tout à fait d’accord avec l’au¬
teur quant à l’interprétation de ces faits, il m’a paru
utile de les présenter ici en leur entier.
Mansa dit (p. 120) : « D’après Huitfelds et aussi
d’après P. Parvi Rosenfontani Chronicon Johannis
Regis Daniæ^X'an 1495 est l’année de la première appa¬
rition de la syphilis en Danemark ». Mais Huitfeld
dit tout autre chose. Il dit : ( 3 )
Vdi forneffnde Aar 1495 vaar saa haard en Vinter j oc saa
slor en Snee | at hele Landsbyerne vaare olfverfogen | saa
mand ikke kunde see Hus.
(1) F.-V. Mansa.. Bidrag til Folhesygdommenes og Sundhedtplejens
Hislorie i Danmark. KiôbenhaTn, 1873.
(2) F. Schnurrer. Chronik der Seucheti. Tübingen, 1823.
(3) Arrild Huitfeld. Danmarckis RigU Krônicke, Kitibenhaffn,
1662, Part. 6, II, p. 1012.
_ 124 -
DenneSommerbegyntis ùdiKongCarlsLeyreforNeapolis |
han haffde belagt | en ny Siugdom | kaldis Frantzoser | eller
■Po'cker | som mand aldrig tilforn haffde visl alT udi Ghristen-
beden'! huor med Gud haffver vill straffe voris Ondskab,
Wluct oc, Synder | som vi dagligen formeere | oc ickeafstaa.
[Pendant l’année 1495, l’hiver l'ut très rigoureux et
la neige tomba en telle quantité, que lés villages
élnicnt si couverts de neige, qu’on ne voyait pas les
maisons.
Cette année commença une nouvelle maladie,nom¬
mée mal français ou vérole, dans les campements du
roi Charles, devant Naples, maladie jadis inconnuè
dans le monde chrétien, par laquelle Dieu désirait
nous punir pournotre méchanceté, pour notre luxure
et pour nos péchés, que nous augmentons de jour en
jour et dontnous ne nous détournons jamais].
La chronique de Petrus Parvus Rosaefontanus (1)
mentionne aussi l’hiver affreux de 1495.
Anno proximo qui fuit salutis humanæ 1495, tanta frigoris
in bruina asperitas erat, tantequeniuium moles passiin conglo-
meratæ, ut agrestium casarum culmina superantes, desuper
homines in rliedis iter expeditissime facerunt.
Secuta in aestate maxima lues vulgo Gallica scabies dicta,
Germanis ac Danis ante ea tempora non solum incognita, sed
prorsus inaudita, multa hominum millia. infecit : quæ reatuum
nostroi'um causa sic paulatim in omnes nationes posteairrepsit,
ut nullum usquam est rnorbus genus liodie ea vulgarius.
Ces deux citations ne se rapportent pas au Dane¬
mark, il y est seulement question de la première
apparition de la maladie en Europe, et l’année 1495
ne peut donc pas être indiquée comme celle de l’in¬
troduction de la syphilis chez nous.
Si sur ce point les conclusions de Mansa portent à
faux, d’autres faits rapportés par lui ont plus de va¬
leur. Dans une chronique anonyme (2) publiée par
(1) P. Parv! Rosefontani. Refulaiio caiumniarum cuiusdam Joan-
nis Magni Gothi UptaliemU [S. L.] 1560, connu également sous le nom
Chronicon Johannis regis Daciæ. Les pages ne sont pas chilTrées.
(2) Subms. Samlinger, I, 2,p. 164.
— 125 —
Suhm, il a trouvé ce qui suit : « En 1493 la maladie
vénérienne, le mal français, est venue pour la pre¬
mière fois en Allemagne et en Danemark » [1493 kom
den horeske Sygdom Francosser fôrst til Tj'dskland
og Danmark]. Il en conclut que si cette note est
exacte, elle démontre que la propagation épidémique
delà syphilis est plus ancienne que la campagne de
Charles VIII en Italie. Il est plus probable selon lui,
que seule la crainte de la maladie s’était répandue en
Danemark à cette époque, et que la maladie elle-
même n’était survenue qu’en 1502.
Mansa cite encore une note concernant l’apparition
de la syphilis. Cette note est écrite en bas de page
et l’auteur ne semble pas en faire état, car de son
temps le contenu de cette note ne s’accordait que fort
malavec les théories admises. Il avait trouvé ce qui
suit dans VAnnuaire de Roskilde de 1448 à 1549 (1) :
« En 1483 la maladie française, qui est appelée la
vérole se montra parmi les populations chrétiennes »
[1483 kom thenne suare frandzoske siuge oc kranc-
hedt, som kaldis pocker, eblant Christel folck].
Mais comme l’année 1483 lui semblait peu vraisem¬
blable, Mansa s’empressa d'ajouter, que cette date doit
être fausse.
Je ne vois pas pourquoi on ne peut pas admettre
cette date. Le texte de la chronique, que je reproduis
plus bas, a exactement la même forme que les autres
chroniques anciennes du Danemark et {'Annuaire de
Roskilde a maintes fois servi de source pour l’his¬
toire du Danemark. Il en existe de nombreux exem¬
plaires dans les bibliothèques ' du Nord et elle sert
souvent à compléter d’autres sources manuscrites de
l’histoire du Danemark. Enfin, il me paraît évident
qu’elle donne la date de l’apparition de la syphilis en
Danemark, car elle ne traite guère des évènements
étrangers à ce royaume. Je donnerai donc le texte
du chapitre, afin de le soumettre à l’appréciation du
lecteur.
(1) Roskilde Aarbogen^ 1448-1549. Monumenia Hisioriæ Danicæ. Histo-
riskc Kildeskrifler udgivne af lïol^erRordaw,}^ 187:î. p. 319.
— 126 ■
MGGGGLXXXIII besorde alu Danmarckis rigis indbyggère
den wdiiolde koning Hans troskafl, huldskaff oc mandskaff, oc
hand tesligeste igien them att holde wed long, skœll oc rett.
Vdij for"®(l). Aar blefF samme koning Haus mett stor œre
oc glede krontt tiill koning wdj wor ffrue kircke y Kiôbmen-
liaffn pingetze dag.
Samme aar kom thennesuare frandzoske singe ockranchedt,
som kaldis pocker, eblant Ghristet folck.
[En MGCCGLXXXIII tous les habitants du royaume
de Danemark jurèrent fidélité, dévouement et main-
lorte au roi élu Jean et celui-ci promit en retour de
respecter la loi et de donner à chacun son dû.
L’année dernière (2) le même roi Jean fut avec de
grands honneurs et avec allégresse couronné roi le
jour de Pentecôte en l’église Notre-Dame à Gopenha-
gue.
La même année cette maladie française, qui est
appelée la vérole, se montra parmi les populations
chrétiennes.]
Voilà tout ce que les livres imprimés nous appren¬
nent. Si l’on ne veut pas faire état de la date de 1483,
on ne peut pas nier, qu’il y a là une possibilité pour
une introduction de la syphilis antérieure à 1492. Il
faut à présent faire des recherches dans les manus¬
crits encore inédits afin de voir si le hasard confir¬
mera l’exactitude de cette date de 1483, mais je n’ai
pas grande confiance dans les résultats de ces recher¬
ches, à cause du petit nombre des manuscrits, qui
ont échappé aux guerres du Danemark et aux funestes
incendies de sa capitale.
(1) L’abréviation /br»* peut être lue forgangne ou forlœbne, ce qui
signifie dans le premier cas « l’année précédente » et dans le second cas
« l’année même » où la chronique a été écrite.
(2) Voir la note précédente.
— 127 —
ARREST DE LA COUR DE PARLEMENT
DU 20 MARS 1728
EN FAVEDR DD LIBRE CHOIX DD MÉDECIN PAR LES BLESSÉS
par le D' Henri ROCHÉ
Nous sommes depuis plusieurs années les témoins d'une
lutte ardente qui doit, soit assurer le triomphe de la médecine
fonctionnarisée, soit au contraire maintenir les privilèges indi¬
vidualistes de la liberté d’exercice. Hier c’était pour l’établis¬
sement du libre choix en ce qui concerne les accidentés du
travail, aujourd’hui encore le combat se poursuit pour obtenir
pour les mutualistes le droit au libre choix du médecin. Nous
sommes si bien mêlés à ces péripéties, celles-ci font si bien
partie de notre vie journalière que nous croyons difficilement
que ces questions aient déjà pu être posées avant nous ; c’est
même une constatation assez pénible que de reconnaître que
trop souvent tant de points essentiellement actuels et sur les¬
quels nous nous escrimons, ont déjà été vidés à fond et parfois
mieux que par nous et que notre ignorance des temps passés
nous a fait perdre un temps précieux au recommencement de
matières épuisées par nos prédécesseurs.
Quoiqu’il en soit, tirons au moins les conclusions qui décou¬
lent dé la similitude de vues qu’exprimaient les médecins du
xviii' siècle et ceux du xx® ence qui concerne le libre choix dans
la question des accidentés. Cela prouve au moins que le prin¬
cipe du libre choix a toujours eu la préférence des praticiens,
est conforme à leurs droits, ou du moins à l’opinion qu’ils en
ont. Quasi-unanimité de vues à notre époque, et unité de
vues remontant au début du xviii® siècle, sont des arguments
non méprisables et capables d’influencer les praticiens qui n’ont
pas encore pris parti.
Les confrères, en effet, qui de nos jours hésitent ou refu¬
sent encore de se solidariser en faveur du libre choix étendu à
tous les cas, doués généralement d’un esprit particulariste
outrancier, s’inquiètent de voir ces idées si favorables à tous
lés médecins indistinctement, soutenues par des syndicats et
des groupements collectifs. S’ils voulaient bien remonter plus
haut, ils verraient qu’au temps de la Royauté absolue comme
— 128 -
à celui de la République, seuls les droits de l’individu ne sont
respectés que si les individus se groupent pour les défendre.
A toute époque chacun ne peut compter que sur soi-même, et
la force sort de l’alliance des mêmes intérêts.
On verra, par les pièces que nous apportons, que, si de nos
jours nos droits d’exercice sont défendus par les Sociétés
médicales d’arrondissement et les syndicats, à cette époque,
au xviii® siècle, la Faculté de Médecine et les Chirur¬
giens de Saint-Gosme prenaient avec vigueur les initiatives
nécessaires.
En lisant ces mémoires, on constatera combien moder¬
nes sont l’inspiration des arguments apportés, et les conclu¬
sions proposées : toute la question du libre choix telle qu’elle
a été résolue dans la loi des accidents du travail s’y trouve
exposée avec précision — médecins du Châtelet, médecins
légistes s’y superposent exactement. D’une pareille identité
de vues du Corps médical à deux cents ans de distance n’est-
on pas en droit de conclure que le droit au libre choix est une,
formule angulaire. Faculté de Médecine, Chirurgiens de Saint-
Cosme, Sociétés d’arrondissements et Syndicats médicaux le
soutiennent depuis plus de deux cents ans en conformité’
avec les intérêts des blessés et des malades.
I
Mémoire pour M® Louis de Santeul, Docteur-Régent
DE LA. Faculté de Médecine en l’Université de
Paris.
La sentence, rendue en la Chambre criminelle du
Ghâtetet, le 21 juillet 1721, fait défenses à tous Méde¬
cins et à tous Chirurgiens de faire aucuns rapports,
sans avoir obtenu la permission ou l’Ordonnance du
Lieutenant Criminel. .Ce projet de Règlement
dépouille les blessez, ceux qui agissent pour les
decedez et les Juges mêmes du droit qu’ils ont eii
vertu de l’Ordonnance criminelle, de choisir tels
Médecins et tels Chirurgiens qu’ils veulent pour les
rapports en Justice.
La Faculté de Médecine et la Communauté de Saint-
Cosme ont senti le préjudice que le nouveau Règle*
ment ferait aux Blessèz et à ceux qui agissent pour
-- 129 -
les decedez, aussi ont-elles cru qu’il était de leur
devoir de se porter Parties intervenantes au Procès...
II
SoMM.\iRE DE l’Instance pour les Doyen et Docteurs
Régens de la Faculté de Médecine de Paris
Intervenants.
Contre les Médecins et Chirurgiens du Châtelet de
Paris, Intimés, Appellants et Dépendeurs.
La Faculté de Médecine s’élève contre un Règle¬
ment du Lieutenant Criminel du Châtelet de Paris,
du 22 juillet 1721, dont elle a demandé la suppres¬
sion ; parce que nul règlement de ce qui regarde la
Faculté de Médecine, ne peut procéder que de l’au¬
torité souveraine delà Cour. Aussi la Faculté n’y a-
t-elle point été appellée, et la disposition générale et
prohibitoire que ce prétendu Règlement contient de
faire des raports en Justice, sans être muni d’un'
ordre du Juge par écrit, est une nouveauté qui ren¬
verse tout à la fois et ses fonctions nécessaires et
détruit la disposition de l’Ordonnance criminelle.
La Sentence dont est appel fait défenses à tous
Chirurgiens de faire aucunes visites, Rapports, ni
ouvertures d’aucuns cadavres, au sujet desquels il y
aura des Accusés prisonniers, et dont la Justice aura
pris connaissance, et aux Médecins, d’assister et être
présens aux Visites sans ordonnance de Justice, et
sans avoir la permission par écrit du Lieutenant cri¬
minel du Châtelet, à peine de 100 livres d’amende.
C’est ce Règlement que l’on a fait injurieusement
publier à son de trompe et afficher jusqu’aux portes
de la Faculté, et qui ordonne encore qu’il sera inséré
dans ses registres et Archives.
Il est surprenant que par ce Règlement on ne se
soit pas mis en peine de faire une insulte caractérisée,
à des personnes publiques, qui n’ont jamais démérité,
et'que l’on ne voye aucunes poursuites faites contre
— 130 —
un nommé Valentin Delastre, accusé d’avoir jetté pai’
les fenêtres Marie-Anne Giroux la nuit du 7 au Siuin
1721.
Cette blessée avait été visitée par les Médecins et
Chirurgiens du Châtelet, qui avaient décrit et jugé la
blessure mortelle ; elle ne survécut que dix-neuf
jours après sa blessure; par conséquent, la blessure
est réputée avoir causé sa mort. Incontinent après
son décès, le père de la défunte, pour être plus en
état d’en poursuivre la vengeance, a requis le Sieur
de Santeuil, son médecin ordinaire, et les Chirurgiens
qui l’avaient pancé, de faire leur visite et raport. Ils
déclarent par cette visite et raport, qui furent faites
en présence de plus de cinquante personnes, que la
blessure qu’elle reçut à la tête avait été la cause de sa
mort : comme rien n’empêchait que l’on inhumât le
corps, et qu’ils étaient prests à sortir, s’étant
acquittez de leur ministère, un Particulier vint dire
que les Chirurgiens du Châtelet allaient venir : après
les avoir attendus plus de deux heures inutilement,
le sieur de Santeuil et les Chirurgiens qui venaient
défaire leur rapport, jugèrent à propos de rassembler
plusieurs pièces du crasne fracturé, pour les pouvoir
garder ou les montrer en cas de besoin aux Médecins
et Chirurgiens du Châtelet : on a prétendu que la con¬
servation de ce crasne était un enlèvement pour ôter
aux Juges la connaissance de la cause de la mort ; on
s'est servi de ce prétexte pour absoudre l’Accusé
prisonnier, quoique la causse de la mort fut bien cons¬
tatée par les dits Raports, et même par les pièces du
crasne, que le sieur Santeuil a offert de représenter.
C’est cependant cette conduite pleine de prudence et
de sagesse, que l’on a noircie, pour donner lieu au
Règlement que les Officiers du Châtelet sans autorité
ni pouvoir, ont prononcé contre tous les Médecins et
Chirurgiens.
Les Médecins et Chirurgiens du Châtelet, qui ont
fait rendre ce jugement, et qui en ont poursuivi
l’exécution, en sont eux-mêmes Appellans, et deman¬
dent d’être maintenus et conservez dans le droit
— 131 —
qu’ils supposent avoir exclusivement à tous autres,
de faire tous Rapports de blessez, soit qu’il y ait des
Accusez prisonniers, ou qu’il n’y en ait pas, corps
morts, tuez, noyez ou pi’écipitez, dont il y aurait ou
pourrait y avoir plaintes, Instances ou Pi’ocès devant
les Juges.
Le lieutenant Criminel n’avait point porté son
Jugement jusqu’à cette prétention, en prononçant la
Sentence que la Faculté de Médecine attaque.
La Faculté prétend que le droit de faire des Raports
en Justice appartient généralement parla disposition
de l’Ordonnance Criminelle de l’année 1670, à tous
les Médecins lorsqu’ils sont appeliez, convenus, ou
nommez d’office ; que dans tous les teins les Méde¬
cins et Chirurgiens du Châtelet n’ont fait que des
mouvements et des tentatives inutiles pour s’arroger
le droit exclusif des Rapports ^ et quand il serait vrai,
que non, qu’ils auraient eu apparence d’un Titre avant
l’Ordonnance Criminelle, il se trouverait absolu¬
ment confondu et anéanti par la disposition d’icelle.
En effet, l’Ordonnance de 1670 contient un Titre
particulier des Rapports et ce titre est composé de
trois articles qu’il suffit, de rapporter.
Toutes personnes blessées (dit le premier article)
pourront se faire visiter par Médecins et Chirurgiens^
ce qui aura lieu pour ceux qui agiront pour les per¬
sonnes décédées.
Tous Médecins et Chirurgiens sont donc admis par
la disposition de cet article à faire des Visites et des
Rapports, ou sur la réquisition des blessez ou sur
celle de ceux qui agissent pour les décédez.
Monsieur le Premier Président de Lamoignon
ajouta :
(Procès-verbal de l’ordonnance de 1670) « qu’au surplus on
pouvait observer qu'au Châtelet il y avait deux sortes de visites
qui se pourraient faire, l'une de l'ordonnance de Justice pour
lesquelles l'on commet toujours l'un des Maîtres Chirurgiens du
Châtelet qui sont officiers établis à cet effet : l'autre visite se fait
sans ordonnance de Justice, el en celle-là les Complaigneurs
peuvent se servir de tels Chirurgiens qu'ils veulent pour se faire
— 132 —
visiter, pourvu que le Chirurgien soit maître à Paris. Et pour
cet effet tous les Maîtres de Paris prêtent le serment au Châ¬
telet, et sont appeliez Chirurgiens Jurez.
L’observation de M. Talon sur ce même article est
aussi fort remarquable :
Il est juste (dit-il) de permettre aux parents et aux héritiers,
d’un homme décédé de faire visiter les blessures qui ont causé la
mort, et d'en faire le rapport. »
La raison nous dicte qu’une personne blessée doit
avoir la liberté d’appeler à son secours les Médecins
elles Chirurgiens dont il a le plus d’opinion, sans
s’embarasser si ce sont ceux que le Juge protège
plus particulièrement et que quand une personne
blessée vient à mourir de ses blessures, ceux qui
prennent intérêt à la personne décédée doivent avoir
la liberté de s’assurer des causes de la mort par les
lumières des Médecins et des Chirurgiens, sur la
capacité desquels ils se reposent ; et qu’enfin tous les
Chirurgiens de Saint-Gosme qui ont prêté serment au
Châtelet entre les mains du Lieutenant Criminel n’ont
pas prêté en vain ce serment, ce qui s’ensuivrait
néanmoins si leurs rapports ne méritaient aucune foi
en Justice.
...G’estpourquoi la Faculté a conclu par laRequeste
d’intervention, à ce que lorsque les Rapports se
feront par Médecins et Chirurgiens nommez d’office,
il soit libre aux blessez ou à ceux qui agissent pour
les décédez, d’appeller les Médecins et Chirurgiens
qui les auront traitez pour faire leur Rapport conjoin¬
tement ou séparément.
Monsieur Delpech, Rapporteur
Drouabt, Procureur.
III
Arrest de la. Cour de Parlement
qui maintient les Docteurs en Médecine de la Faculté
de Paris et les Maîtres Chirurgiens Jurez de Paris dans
le droit et possession de faire, à la réquisition des
— 133 —
Parlies, les visites et rapports des Personnes blessées
ou décédées.
_Maintient et garde les dits Santeul... les Doc¬
teurs-Médecins en l’université de Paris et les Chirur¬
giens de Saint-Cosme, dans le droit et possession de
faire à la réquisition des personnes blessées, toutes
visites et rapports, même visites et ouvertures de
cadavres à la réquisition de ceux qui agiront pour les
personnes décédées, lorsque les dites visites, rap¬
ports et ouvertures de cadavres n’auront point été
ordonnez par les officiers du Châtelet.
Ordonne qu’avant d’être procédé par les Médecins
et Chirurgiens du Châtelet aux visites des personnes
blessés en exécution des Ordonnances de Justice, les
Chirurgiens du Châtelet seront tenus d’avertir le
Chirurgien qui aura posé l’appareil du blessé, de se
trouver chez le malade aux joui's et heure par eux
indiquez... pour l’appareil posé sur la blessure être
levé en la présence du dit chirurgien qui aura posé lé
premier appareil...
Donné en Parlement 20 mai’s 1728 et de notre
Règne le 13”.
Signé : Le Beuf.
LES ALIÉNÉS A PARIS AU XVm® SIÈCLE
LE QÜÂBTIEB DES DÉMENTS A SAINT-LAZARE
par Marcel FOMSOYEUX:
A la maison des prêtres de Saint-Lazare, il y avait
à la fois un quartier de correction ou de mauvaise
conduite (1), et un quartier pour les déments et faibles
d’esprit : laissant de côté le premier, où l’on enfer¬
mait surtout des prêtres, rebuts de tous les dio-
(1) Le nombre de ces détenus était d’environ SO; il y avait chaque
année une visite faite par un président et un conseiller au Parlement ; la
série des procès-verbaux de ces visites de 1718 <\ 1788 est aux Arcb. nat..
X9'’ 1235.
— 134 —
cèses, et des jeunes gens de 20 à 30 ans, succursale
de la Bastille ou de Vincennes, nous ne nous occupe¬
rons que du second, dont la clientèle seule nous inté¬
resse. Nous avons la bonne fortune de posséder (1),
pour les déments de Saint-Lazare, les interrogatoires
faits par ordre du lieutenant de police La Reynie, sur
leur état de santé ; pour chacun est mentionné la date
d’admission et quelquefois la cause, et toujours un
aperçu sur les modalités de l’affection, ce qui en rend
l’intérêt pai'ticulièrement vif. Nous allons voir, par
divers exemples que toutes les variétés de la folie ou
à peu près, se trouvaient l'assemblées à Saint-Lazare.
Bien que ces rapports datent de 1722 et de 1727, beau¬
coup ont trait à des individus de la génération précé¬
dente, enfermés depuis fort longtemps, par lettres de
cachet signées de Colbert, de Seignelay et de Pont-
chartrain.
Ainsi Joachim d’illiers d’Entragues, porteur d’un
grand nom, était dans la maison depuis 40 ans, et on
n’avait constaté « aucun changement dans l’aliénation
de son esprit et de son imbécilité ». Guyet, ancien
conseiller en la juridiction des eaux et forêts de Paris,
avait pour manie de dicter des procès-verbaux et de
composer des vers; « il parle seul avec véhémence,
sans suite; il lui prend même de temps en temps des
excès de fureur qui inspirent une juste compassion ».
Firmin Fournier, fils d’un élu en l’élection d’Amiens
« n’est pas en état de dire son âge, et à peine a-t-il
l’usage de la parole. Il murmure entre ses dents quel¬
ques mots que l’on n’entend pas et sa démence ne
saurait s'augmenter », pourtant sa santé ne s’affaiblit
pas. P. Pérignon n’a aucun sentiment d’esprit, garde
un silence perpétuel, son corps, ajoute le rapport, ne
s’en porte que mieux; une note nous apprend cepen¬
dant qu'il mourut subitement.
Voici maintenant un officier de chez « Monsieur »,
nommé Germain, qui se croit chez les huguenots ;
Simon de Laubel, qui veut aller à Rome, se croit saint
(1) Bibl. nat., Collect. Clairembault, ms. 986, f-98etsqq.
— 135 —
Philippe, puis Louis XIV ; un Allemand, P. Hylfeld,
ancien capitaine au régiment de Furstemberg, perpé¬
tuellement taciturne ; un nommé Maubault, qui a
tué un homme dans la cour de Versailles, puis s’est
coupé les testicules; c’est un furieux, il faut l’emme-
noler quand on veut lui faire prendre l’air ; il va
jusqu’à mordre ceux qui l’approchent; puis divers
pensionnaires abrutis par la débauche.
Enfin, particulièrement nombreux à Saint-Lazare,
les prêtres : Antoine Docle du diocèse de Fréjus, fils
d’un chirurgien, qui se dit fils du Roi, ce qui l’a fait
arrêter à Versailles ; de la Motte de Selves, du dio¬
cèse de Sarlat, enfermé à 31 ans, le 31 octobre 1715,
qui prétend avoir été pourvu par le pape de la cure de
Mouchy, dans le diocèse de Beauvais et veut parler
au Roi, d’ailleurs assez calme; DuclosBrossard, con¬
damné le 12 mars 1692, qui se croit fils de la duchesse
de Ghaulnes; Maurice du Colombiers, du diocèse de
Gondom « qui passe sa vie, à prêcher l’huguenotisme
aux murailles de sa cellule » , il est tombé malade
pendant le rigoureux hiver de 1709, sans vouloir
prendre aucun remède, « et n’en a guéri que plus
promptement», ajoute le rapport ; un autre, du Lan¬
guedoc, Raymond Barthélemy de rEcould,quineveut
pas se chauffer quand il fait froid ; il se croit tantôt
fils du Roi, ou de M. de Pomponne, tantôt supérieur
de la maison ; il a d’ailleurs des moments de lucidité
puisqu’il lit son bréviaire et se confesse deux ou trois
fois l’an ; il n’en est pas de même de J.-Nie. Gravé,
du diocèse de Coutances, qui ne veut pas entendre la
messe, par impiété, plutôt furieux que fol, avec des
accès de fureur, pendant lesquels il faut le lier; quant
à Hubert de Morey, chanoine d’Autun, dont le frère
est chapelain du roi, il a fait du scandale dans la cathé¬
drale de cette ville; il prétend qu’on l’a changé en
nourrice, qu’il est d’une autre famille, et il a tenté
plusieurs fois de s’évader; un prieur de Bazinville, Le
Coq de Gorbeville, croit être chez l’évêque de Char¬
tres, ne parle que finances et bâtiment, chasse et vin
de Champagne.
— 136 —
Si les prêtres dominent à Saint-Lazare, il y a égale¬
ment des nobles de diverses provinces, un Breton,
M. A. de Lantivy^ incurable, qui parle latin, forme
des noms les uns après les autres, sans liaison
ni connexité, plaide contre lui-même, se répond
après s’être parlé, d’ailleurs d’une santé parfaite,
Louis de Beaurain, également d’excellente santé, qui
parle sans suite ; il faut l’écouter sans l’interrompre ;
J.-B. de Yonne, vicomte d’Azay, d’une famille noble
de Tours qui a mis lé feu dans un couvent par liber¬
tinage et a été quelque temps prisonnier au château
de Loches.
Il n’était pas sans intérêt de rapporter dans leur
caractéristique les motifs de renfermement de ces
pauvres déments, la plupart incurables. Parmi ces
détentions, qu’il y en ait eu quelques-unes d’arbitraires,
soit dans l’intérêt des familles, soit dans l’intérêt des
corps constitués, cela est possible et même probable.
En particulier, l’un des prêtres renfermés à Saint-
Lazare, l’abbé Blache, en 1693, s’est toujours défendu
dans ses nombreux mémoires, contreceuxqu’il appelle
ses bourreaux.
Au mois d’octobre 1693, M. le Président de Menars venant
visiter la prison, quand il voulut se faire ouvrir la porte de
certain cachot, le chef de la prison pour s’en excuser, lui dit
qu’il était inutile de l’ouvrir, parceque celui qui était enfermé,
et s’appelait Blache, était un prêtre insensé, détenu par ordre
du roi ; le discours obligea M. le Président de Menars de ne
pas faire davantage d’instance, et de faire seulement insérer
cette réponse sur son procès-verbal, mais par la suite on a
découvert la fourberie et la méchante foi des missionnaires
parceque dans le même tems qu’ils fesoient passer pour fou
M. l’abbé Blache aux yeux des gens du dehors, ils le recevaient
actuellement aux sacremens dans la maison deux ou trois fois
par semaine, et connaissaient parfaitement son mérite et son
innocence qui parut peu après avec éclat aux yeux de tout le
monde par son élargissement qui s’est fait pour lui d’une
manière tout à fait glorieuse (1).
Il est exact que Blache fut autorisé à quitter Saint-
(1) Bib. nut., Coll, Joly de Fleury, 1415, (• 9.
— 137 —
Lazare, ce n’en était pas moins, nous l’avons montré
par ailleurs, un déséquilibré (1).
Il ne manque pas de plaintes d’ailleurs sur le régime
auquel étaient soumis les déments de Saint-Lazare.
Quand ils sont un peu violens ou furieux, dit une relation de
1697 (2), ils [les frères servans] les chargent de chaînes et les
attachent comme des animaux sauvages, ou bien pour les
calmer entièrement on leur fait prendre des breuvages qui les
rendent tout bêtes et tout abrutis. On fait prendre de sem¬
blables médecines à d’autres prisonniers qui ont quelque
emportement ou quelque fièvre chaude qui les travaillent, et
en peu de temps ils deviennent stupides et perdent entiè¬
rement la raison que souvent ils ne recouvrent jamais.
Il ne faudrait pas prendre toutefois à la lettre ces
relations tendancieuses. Les Pères de Saint-Lazare,
comme les Frères de Saint-Jean-de-Dieu dans leurs
établissements à Charenton, à Senlis, ont traité ces
malheureux, avec la science du temps sans doute,
mais avec leur charité de toujours.
LES NAINS DANS L’ART ÉGYPTIEN
par le Félix REiOIH.l 1JL.X
Les nains sont fréquemment représentés dans l’art
égyptien. Ils jouaient un rôle important dans la
domesticité des rois et des nobles. Leurs fonctions
ne se bornaient pas, comme celles des bouffons du
moyen âge et de la Renaissance, à divertir les
maîtres; ils étaient employés surtout au service de
la meute et des bijoux. Je crois qu’ils jouaient aussi
le rôle de fétiches pour assurer le bonheur de la
maison (3). D’autres serviteurs difformes, bossus et
(1) M. Fosseyeux, L’abbé ÎUacbe ou le poison ata couvent, Mercure de
France, 1911.
(2) Bib. nat., Joly de Fleury, 1415, f" 6, v" , relation sommaire et fidèle
de i’afïreuse prison de Saint-Lazare que les missionnaires nomment pour
l’honneur pension et maison de retraite ou de correction (1697).
(3) Cette superstition a existe chez tous les peuples. Aussi retrouve-t-on
des représentotions de nains et de bossus dans un grand nombre de
pays. Nous n’en connaissons pas dans l’art assyrien; mais l’art grec à
Smyrne et à Alexandrie nous a laissé de nombreux types de bossus.
y BuU. Soc. fr. hUl. niid., XIII, 1914 10
— 138 —
porteurs de pieds bots leur étaient associés et parta¬
geaient avec eux ce privilège.
On trouve dans l’art égyptien des dessins et des
statues de nains; nous les examinerons successi¬
vement.
I. Dessins.
Quand on examine les murs de la tombe d’un per¬
sonnage puissant, on y voit dessinés les serviteurs
qui vaquent aux occupations domestiques. Parmi ces
représentations, on distingue de nombreux difformes.
Charcot et Richer reconnurent un sujet atteint de
double pied-bot varus (1), sur une tombe de Beni-
Hassan, de la douzième dynastie.
Fig. 1. — Nuin des tombeaux de Saqqui'uh
En 1900 (2), j’étudiai les nains sur les peintures
des tombeaux de Ti-Plitah liotep et Khou-Hotepher
à Saqqarah, cinquième dynastie, d’après les copies
exécutées par Mariette et conservées au musée Gui-
met. Ces nains sont surtout employés au service des
animaux et des bijoux. Ils conduisent des singes, des
lévriers, malaxent l’or, fabriquent des colliers [fig. 1).
Ceux-ci sont encore frequents dans l’art précolombien, au Mexique et au
Pérou, ce qui concorde avec les récits des conquérants qui signalent la
présence de nains dans le palais royal de Moutezuma b Mexico. Aux
Indes, sur le temple d’Amaravati, dont les bas-reliefs conservés au
Brilisli Muséum sont du iv' ou v« siècle de notre ère, on voit des nains
se livrer à des danses.
(1) CiiA-RCOT et UiciiUH. Les difformes cl les malades dans l’arl, Paris,
1889, p. 14
(2) D' Félix Uecnault, Bossus et nains dans l’art égyptien. Le Corres¬
pondant médical, [5 octobre 1900, p. 1] et Aeenir médical de Paris, juin
1907, p. 83.
— 139 —
Au contraire, les serviteurs préposés à la vente et
les souffleurs qui aident les nains à faire londre l’or
dans les creusets sont des sujets normaux, de gran¬
deur naturelle. D’après une tradition ancienne, les
travailleurs de métaux sont difformes et anormaux;
plus tard, les Grecs eurent, pour dieu des forgerons,
Vulcain, qui était boiteux et contrefait.
Un bossu, atteint de mal de Pott cervico-dorsal,
promène deux lévriers presque aussi grands que lui.
Les autres nains sont tous trapus, vigoureux, au
corps bien développé et aux membres ridiculement
courts; certains montrent des jambes arquées et une
forte ensellure lombaire. Ce sont les signes de
l’achondroplasie.
M. Plinders Petrie a trouvé des portraits de nains
dès la pi'emière dynastie; mais les dessins en sont
grossiers et en partie effacés, on ne peut dire à
quelle espèce de nanisme on a affaire (1).
Récemment, le D’’ Marc Armand Ruffer a fait une
excellente étude sur les nains dont il réunit, toutes
les représentations connues dans les tombes (2).
Celles-ci sont nombreuses, il s’agit le plus souvent
d’achondroplases, parfois de pieds-bots, de bossus.
Enfin, un rachitique est reconnaissable à la forte con
cavité antérieure de la jambe.
II. Statuettes.
Les doubles ou statuettes qu’on entei’rait avec le
défunt, fournissent également des représentations
de nains. Pour assurer au défunt la vie éternelle,
elles devaient être son portrait fidèle. Aussi ces
images de nains sont-elles très exactes, et permettent
un diagnostic précis.
Le nain Knoüm-ho-tep, dont la statue fut trouvée à
Saqqarah dans une tombe de la cinquième dynastie,
occupait à la cour la haute situation de chef de la
(1) Jean CAPAnr. Les Débuts de l'Art en Egypte. Bruxelles, 1904 p. 166.
167.
[2' Marc-Armand Ruffer. On dwnrts and olher dcformed persons in
ancicnt Egypl. BkW. Soc. archéologique d’Alexandrie, n” 13. Exirail, 1911.
- 140 -
garde-robe. M. Gaston Maspero en a donné en 1887
une excellente description où il relève les signes de
l’achondroplasie bien qn’alors cette maladie ne fût
guère connue.
Le nain a la tête grosse, allongée, cantonnée de deux vastes
oreilles. La figure est niaise. L'œil, ouvert étroitement, est
retroussé vers le tempes, la bouche mal fendue. La poitrine est
robuste et bien développée, mais le torse n’est pas en proportion
avec le reste du corps ; l’artiste a eu beau s’ingénier à en voiler la
partie inférieure sous une ample jupe blanche, on sent qu’il est
trop long pour les bras et pour les jambes. Le ventre se projette
en pointe et les hanches se retirent pour faire contrepoids au
ventre. Les cuisses n’existent guère qu’à l’état rudimentaire,
et l’individu entier, campé qu’il est sur des petits pieds contre¬
faits, semble être hors d’aplomb et prêt à tomber face contre
terre (1).
Charcot et Paul Richer(2), rapprochent l’ensellure
et la saillie des fesses, du « caractère sur lequel in¬
sistait le professeur Parrot à propos d’une naine achon-
droplase qu’il présentait à la Société d’anthropolo¬
gie ». Mais, pour eux, les jambes incurvées en dedans
« offrent la courbure caractéristique des os atteints
de rachitisme ». On sait aujourd’hui que cette incur¬
vation est le laitde l’achondroplasie. Porak (3) regarde
ce personnage comme une «preuve irrécusable» de
la représentation du nain achondroplase chez les
anciens.
Depuis, tous les auteurs citent Knoum-ho-tep,
comme un type d’achondroplase. Le D*’ Rufïer (4),
notamment, insiste sur le développement de sa mus¬
culature et proteste avec raison contre le terme de
niais que lui a attribué M. Maspéro ; la figure au con¬
traire, est finaude.
J’ai pu admirer au musée du Caire cette statue
d’une grande valeur artistique. J’ajouterai aux remar
fl) Maspéro. L'Archéologie égyptienne, 1887, p. 205.
(2) Charcot et P. Riciier. Les Difformes et les Malades dans l'art,
p. 17.
(.1) Porak. De l’Achondroplasie. IS’ohvcUcs archives d'Obstétrique et de
Gynécoloqie, 1889-1800. Ejclrait, p. 13,
(4) Op'. cil., p. 7.
— 141 —
ques de mes prédécesseurs que la forme de la tête
très basse, à front large, à grande circonférence, dé¬
bordant en arrière et latéralement, est celle d’un
achondroplase. Seul le front est un peu fuyant, ce
qui est la règle dans l'art égyptien.
Je signalerai encore une petite statuette en bois de
la douzième dynastie, n° 3206 (1), qui n’a pas été étu¬
diée au point de vue médical. Plus allongée, moins
trapue que Knoum-ho-tep, elle représente une naine
avec tous les caractères de l’achondroplasie classique
et elle mériterait de servir de type pour la description
de cette maladie. Le corps est long et plat d’avant en
Fig. 2 et 3. — Deux statuettes en bois représentant des naines
achondroplases. Musée du Caire
arrière, le ventre saillant, la cambrure lombaire
exagérée, les membres sont courts, les segments
rhizoméliques, étant proportionnellement plus courts,
la main est en trident, les membres inférieurs sont
incurvés en dedans ; les jambes sont malheureuse¬
ment cassées. La face ressemble à celle du boule¬
dogue, la racine du nez est écrasée. Le crâne est volu¬
mineux, haut, il déborde de tous côtés et en avant le
front surplombe la face {fig. 2).
(1) Voir p. 302 du Guide du Musée du Caire, édition 1912.
142 ^
Une autre petite statue en bois représente aussi
une naine; elle est sans numéro et se trouve à côté
-de la précédente dans la même vitrine. Elle est plus
grossière, mais elle a conservé des jambes dont on
voit l’incurvation (^fig. 3.)
Le sexe de ces deux naines est bien
indiqué par la vulve : ce sont les
seules achondroplases du sexe féminin
que j’ai rencontrées dans l’art égyptien.
Les nains étaient encore honorés à
l’époque ptolémaïque ; ils devaient tou¬
jours servir à la cour du roi et y occu¬
per des fonctions importantes, à en
juger par le magnifique sarcophage
de cette époque conservé un musée
du Caire, sous l’étiquette n“ 2061, Sur
le couvercle un nain, vu de profil, est
dessiné en creux. Il a les caractères
classiques de l’achondroplasie, micro-
mélie, membres épais, ensellure lom¬
baire, crâne débordant sur sa base et
nez camus (/î^. 4).
Fig 4 _ Nain nains ne furent pas seulement
achondrôpiase re- chez les Egyptiens des fétiches, des
fombëlu dëi’époë porte-bonheur, ils devinrent des divi-
que ptolémaïque. nités. Lcs dieux Phtah et Bès sont des
Musée du Caire. pathologiques.
Phtah, Parrotl’a reconnu en 1878, est un achondro-
plase. Il a un crâne volumineux qui déborde de toutes
parts sur une base trop petite, des fesses saillantes,
des reins ensellés, ;des membres courts, des jambes
arquées portées en dedans : ce dernier signe n’in¬
dique point, comme on l’a dit, du rachitisme, il carac¬
térise l’achondroplasie. Enfin, j’ai observé quelques
exemplaires, avec les mains déjetées en dehors, et
les avant-bras formant par rapport aux bras un angle
ouvert en dehors, déformations qui existent sur cer¬
tains achondroplases.
— 143 —
Ce nain fut, sans doute, d’abord un fétiche, un
porte-bonheur ; puis il symbolisa le renouveau de la
vie, et devint le dieu des morts, le dieu embryon. Il
fut encore le dieu primordial, on le représentait alors
sous la forme d’une momie tenant un sceptre.
D’auti’esdieuxlui empruntèrentsa formesi spéciale:
Horus embryon, debout sur des crocodiles, a aussi
une tête énorme, des membres courts, des jambes
arquées. D’ailleurs ces emprunts d’attributs d’une
divinité à l’autre ne sont pas exceptionnels dans les
religions polythéistes.
Bès n’a point les caractères de Phtah.
Fig. 5. — Le Dieu Rès d’après la statue provenant du Sërapeura.
Musée du Louvre
En 1897, j’opposai ces deux dieux et montrai que
le premier, dont Charcot avait fait un rachitique (1)
dont MM. Porak (2) et P. Richer (3) avaient fait un
(1) Cha-Rcot et Richer. Op. cil., p. 20.
(2) Porak. De l’Achondroplasie. Nouvelles atchives d'Obsiélrique et
de Gynécologie, 1889-1890, p. 226.
(3, P. Richer. L’Art et la Médecine. Paris, p. 187.
- 144 —
achondroplase, présentait les caractères du myxœdé-
mateux ou crétin. (1)
Je comparerai dans le tableau suivant les signes de
Phtah et de Bès à ceux d’un inyxœdémateux ; on verra
ainsi combien le premier s’éloigne, le second se rap¬
proche de ce type morbide.
PHTAH MYXŒDEMATEUX (2) BÈS
Enorme, comme celui Large à la base, i-é- Bas, large à la base, ré-
de^ l’hydrocéphale^ étroit tréci vers le sommet. tréci vers le sommet, front
Visage.
Triangulaire à sommet Large, lunaire, œdème Joues boursouQées, visa-
inférieur. Menton en poin- dur des joues et des pau- ge lunaire, plus large à la
te. Pas d'œdème. pières. base qu’au sommet.
Epaté.
Oreilles.
Normales.
Langue.
Ne sort pas de la bouche.
Cheveux.
Non représentés.
Sourcils.
Bien marqués.
Physionomie.
Infantile, mais n'a rien
de bestiale.
Epaté.
Epaisses ; l’Inférieure
est pendante.
Sort de la bouche, volu¬
mineuse, étalée.
Rares, gros, rudes.
Apaihique, bestiale, tête
penchée.
Epaté, large et camus.
Ecartées, sans repli.
Grosses, épaisses, l’infé¬
rieure est pendante.
Sort de la bouche, volu¬
mineuse, large, épaisse,
non appointie à son extré-
Ne sont pas représen¬
tés (3).
Marqués, épais dans
leur portion interne seule.
La portion externe man-
Bestiale.
Elevées, mais normales. Epaisses, écartées.
(1) F. Régnault. Le Dieu Bès était myxœdémateux Bull, de la Soc.
d'anlhropologie, Paris, 1897, p. 434.
(2) Les signes du myxœdème sont tirés du tableau qui termine le tra¬
vail de M. Bourneville : contribution & l’étude de la cachexie pachyder-
mique (synonyme de myxœdème) Progrès médical, 1890, t. II, pl. 140.
(3) Porte une barbe rare stylisée en quelques mèches longues; une
ligne réunit ces mèches sur le Bès du Sérapeum conservé au musée du
Louvre où il semble que cc soit un collier.
— 145 —
Bien développé.
Poitrine.
Saillie des muscles peo-
Ventre.
Normal, saillant comme
celui d’un enlant.
Bèglon lombaire.
Ensellée.
Organes génitaux.
Membres.
Courts, musclés.
Mains et pieds.
Larges, courts.
Jambes
Arquées aux genoux.
Très gros, très court,
masses graisseuses.
Œdème dur.
Ensellée.
Rudimentaires.
Gros, trapus, difformes.
Gros, œdème dur.
Courbées (2) et noueu-
poitrine. Pas de cou.
Large sans saillies mus¬
culaires.
Ensellée.
Petits.
Très courts, avec des
cuisses énormes.
Courts, à doigts égaux
mains épaisses.
Arquées, genoux en de-
Très gros, très large, Gros, large, sur quel-
paifois hernie ombilicale ques sujets, liernie ombi-
ou inguinale. licale (1|.
Parmi les statues, celles qui sont soigneusement
exécutées du dieu Bès, se rapprochent le plus du
type myxœdémateux. Mais même sur les terres
cuites populaires, certains signes persistent; crâne
diminué, abaissé, front fuyant, faciès lunaire, langue
tirée, et ces signes sont justement ceux qui carac¬
térisent le myxœdème.
Certaines représentations de Bès offrent un aspect
différent.
Tantôt c’est une myxœdémateuse avec des organes
génitaux féminins : une vulve (musée Guimetà Paris),
et des seins volumineux (musée Guimet et musée de
Turin).
Tantôt le dieu est monté sur les épaules d’une
femme aux jambes arquées, (avec un pied bot varus :
(1) Pour M. Poucet de Lyon, la ceinture portée sur cette région joue¬
rait le rôle de bandage herniaire.
(2) Cette incurvation est notée dans plusieurs observations de M. Uour-
neville; op. cit„ t. H, p. 5 et p. 62.
— 146 —
statuette provenant de Chypre au musée du Louvre (1).
On sait que Bès et Phtah servaient d’amulette, de
porte-bonheur, leurs statuettes olïVent un trou de
suspension pour cet usage. Il n’est donc pas étonnant
qu’on ait augmenté le pouvoir fétichiste de Bès en lui
marquant une vulve ou en lui donnant une porteuse
aux pieds bots.
Le dieu Bès apparut à la douzième dynastie (2) et
persista jusqu’à la fin de l’histoire d’Egypte. Son rôle
et, par suite, ses attributs furent souvent modifiés.
De porte-bonheur, dieu de l’amour qui figure sur leurs
articles de toilette des femmes, il devint une amu¬
lette pour les soldats, dieu de la guerre, brandissant
une arme. Souvent sa bouche agrandie ricane. D’au¬
tres fois son air bestial s’accentue et ses oreilles
dressées prennent une forme animale. On a vouluy
voir un dérivé du singe ; mais il n’en a point le pro¬
gnathisme accentué. C’est par exception qu’à l’époque
gréco-romaine, on lui donna une tête de singe (sta¬
tuette du musée de Turin), etc.
De Bès dérivèrent des divinités asiatiques et grec¬
ques : la Gorgone, ou plus précisément, une des trois
sœurs Gorgone, la Méduse dont le regard pétrifie
conserve les principaux caractères du dieu Bès :
faciès lunaire, langue épaisse sortant d’une bouche
élargie et ricanante ; les Patèques, divinités naines
et ventrues que les Phéniciens mettaient à la proue
de leurs navires pour les protéger ; les Gabires
enfin qui étaient peut-être la même origine bien
qu’Hérodote les déclare fils de Phath.
Le type du crétin existe dans l’art d’autres peuples.
J’ai observé dans l’art javanais ancien et dans celui
des Indiens de l’Amérique centrale, des sculptures de
femme au faciès lunaire, tirant la langue et rappelant
tout à fait la Gorgone. C’est que le crétin a toujours
été l’objet de la vénération populaire, il est encore
regardé comme fétiche par les montagnards alpins.
(1) Reproduit p.ir Chxrcot et Richer. Les Difformes et les Malades dans
/’aW. Paris, 1889, et par Paul Riciier, L'Art et la Medeeine, Paris, p. 189.
(2) The Gods of the Egyptians. W. Budge, London, 1904, t. II, p. 285-280-
— 147 —
OUVRAGES OFFERTS
Madame veuve Debrousse. S. 1. n. d., in-4“, 21 p., portr. (Don
de M. Fosseyeux).
Albrecht Buiîckhahdt. Démographie und Epidemiologie der
Stadt Basel, wahrend der letzten drei Jahrhunderte, 1601-1900.
Leipzig, Cari Beck, 1908, in-4‘’, 111 p., 1 pl.
Pierre Gallot-Lavallée. Un hygiéniste au XVIID siècle.^
Jean Colombier.^ rapporteur du Conseil de santé des hôpitaux
militaires, inspecteur général des hôpitaux et prisons du
royaume [1736-1789). Paris, Jouve, 1913, in-8°, 104 p.
Paul-Louis Ladame. E-rposé des titres et travaux scienti¬
fiques, novembre 1913. Genève, iinpr. J. Studer, 1913, in-8“,
19 p. •
Id. Michel Servet, sa réhabilitation historique, son caractère,
son œuvre comme savant et sa découverte de la circulation pul¬
monaire. Genève, H. Kundig, 1913, in-8“, 97 p., 2 portr. et
1 fac-similé.
Edmond Leclaih. Dissertation sur les moyens d'apporter un
secours prompt et assuré dans la ville de Lille, aux pauvres
malades... Lille, iinpr. H. Morel, s. d. [1910], in-8“, 22 p.
In. La fabrication des acides forts à Lille avant 1790. La
réunion d’un comité d'hygiène. Poitiers, impr. Bousrez, 1901,
in-8“, 15 p.
Léon Moulé. Glossaire vétérinaire médiéval. Leyde, E.-J.
Brill, in-S”, 66 p. Extr. du Janus.
Alfred Poussier. Recettes médicales normandes du XIIP siè¬
cle. Rouen, irapr. L. Wolf, 1913, in-8“, 7 p., 1 lig. Extr. de la
Normandie pharmaceutique.
Karl SuDHOFF., Des Mürehens Ende von der grossen Syphilis-
Epidemie in Europa, nach der Entdeckung der Antillen. Mün¬
chen, 1913, in-8“,.3 p., 1 fig. Extr. de Münchener medizinische
Wochenschrift, 49, 1913.
Vahram H. Torkomian. Eloge biographique du D'^ H. B. Mat-
téossian, à l'occasion du cinquantenaire de son doctorat, pro ¬
noncé le 18 mai 1913 à Péra. 1913, in-8“, 26 p. [en arménien].
Ernest Wickersheimer. Document pour servir à l’histoire de
la syphilis au A F® siècle ; les recettes d'un médecin franc-com¬
tois; la goarre de Besançon. Leipzig, F. G. W. Vogel, 1913,
in-8“, p. 412-417. Extr. de Archiv f. d. Gesch. d. Naturtv. u.
d. Technik, Festschrift Karl Sudhoff.
Carteggio inedito di G.-B. Morgagxi con Giovanni Bianchi
(Janus Plancus), con introduzione e note del Prof. Guglielmo
BiLANCiom e un dioscorso del Prof. A. Bignami. Bari, Soc.
— 148 —
tip. ed. barese, 1914, in-8°, XV_275 p. Classici delle Scienze e
délia fîloso/îa, se!\ scient., III. (Don'de M. ^G. Bilancioni).
Ernest Cordonnieii. Estudio sobre el « Modus faciendi »...
Mataro, tip. Abadal, 1904, in-S”, 12 p., fig. Publ. por la Rev.
dent. prof. (Don de M. P. Dorveaux).
In. Sobre el Liber Servitoris de Aboulcasis.,. Mataro, impr.
Abadal, 1906, in-8°, 19 p. (DondeM. P. Dorveaux).
N. Durân Descmvila. La Concordiapharmacopolarum barci-
nonensium... Barcelona, tip. de la Casa prov. de Caridad,
1903, in-8°, 30 p. (Don de M. P. Dorveaux).
N. Duràn Desumvila et Ernest Coedonniee. Notes sur ta
plus ancienne des pharmacopées officiellesi : la Concordia phar-
macopolarum barcinonensium. S.I., 1905, in-8°, 30p. Extr. du
Janus (Don de M. Paul Dorveaux).
W. Habeeling. Die Trinkwasserjûrsorge in den Heeren der
Vergangenheit. Berlin, Mittler, 1914, in-8“, 23 p. Extr. de
Deutsche militàrârztl. Zeitschrift.
L. Plantier. Pansement de brûlures par la levure de bière
ou de grains. Annonay, 1907, in-8'’, 3 p. Extr. du Bull, de la
Soc, méd.-chir. de la Drôme et de VArdèche.
Id. Les rescapés en médecine. Valence, 1908, in-S", 4 p.
Extr. du Bull, de la Soc. méd.-chir. de la Drôme et de l’Ar¬
dèche.
Id. Traitement de la paralysie alcoolique par la quintonisation.
Valence, 1908, in-8“, 3 p. Extr. du Bull, de la Soc. méd.-
chir. de la Drôme et de VArdèche.
Id. Traitement de l’incontinence essentielle d’urine par la
quintonisation. Valence et Paris, 1911, in-8“, 11 p. Extr. du
Bull, de la Soc. méd.-chir. de la Drôme et de l’Ardèche.
Id. La lithiase biliaire, conception nouvelle du traitement.
Annonay, irap. Hervé, 1912, in-8“, 11 p. Extr. du Bull, de la
Soc. méd.-chir. de la Drôme et de l'Ardèche.
Id. Chiromancie obstétricale ; la laxité des doigts, mesure de
la rèiropulsivité coccygienne. Annonay, 1913, in-8°, 3 p. Extr.
de Paris Médical.
Id. Discours de présentation de la thériaque du sieur Abrial
prononcé par Fr. Chomel, médecin et conseiller du Roy à An-
nonnay {1601-1682).'Paris, O. Doin, 1913, in-8.“ Extr. du
letin général de thérapeutique.
Id. Nécessité de l’exploration du foie dans la station debout.
Paris, J.-B. Baillière, 1913, in-4“, 2 p. Extr. de Paris médi-
— 149 —
Séance du 22 avril 1914.
Présidence de M. Paul Dorveaux.
MM. Tricot-Royer et Van Schevensteen, présentés
à la dernière séance, sont élus membres de la Société.
— Candidats présentés ;
M. le D‘' Ch. Berchon, secrétaire général de la
Société « les Médecins humanistes », boulevard du
Montparnasse, 86, Paris, par MM. Hahn et Wicker-
sheimer.
M. le D'' Léon Brodier, ancien chef de clinique à
la Faculté de médecine, rue de Bruxelles, T6, Paris,
par MM. Jeanselme et Payenneville.
M. le D*' Walther E. de Rodt, rue des Gentils¬
hommes, 45, Berne, par MM. Klebs et Wickershei-
mer.
— Lettres de démission de MM. Cayla, de Clos-
MADEUC et Deroide.
— M. Eugène Olivier présente le titre de récep¬
tion d’officier de santé de son arrière grand-père,
Adolphe Olivier, reçu à Lille en 1815. Ce titre offre
deux particularités intéressantes. Il nous montre
d’abord que le récipiendaire avait commencé ses
études de médecine à 11 ans, piiisqu’en 1815, à
19 ans, il justifiait devant le jury de huit années
d’études, soit sous des professeurs, soit dans les
hôpitaux, ce qui nous paraît aujourd’hui bien éton¬
nant. 11 nous montre ensuite que dès cette époque,
dans certaines villes, les écoles de médecine avaient
des sessions d’examen, présidées par un professeur
de la Faculté dont elles dépendaient. Dans le titre
qui nous occupe, ce fut la Faculté de médecine de
Strasbourg qui envoya Gerboin présider le jury médi¬
cal du département du Nord, ce jury ayant pour mem¬
bres Dourlen et Cavalier. Le titre est contresigné par
Coze, doyen de la Faculté de médecine de Stras¬
bourg.
BtUL Soc. fr. hUt. méd., XII, 1914
— 150
UNE DICHOTOMIE MÉDICO-PHARMACEUTIQUE EN 1690,
A PROPOS DE LA RACINE DTPÉCA
par le U" Ed. BONXEX
On conserve, à la bibliothèque du Muséum d’His-
toire Naturelle de Paris, un manuscrit autographe de
Tournefoit(l), sorte de registre de comptabilité, dans
lequel l’illustre miédecin-naturaliste, a inscrit les noms
des médecins et des savants français et étrangers avec
lesquels il était en côrrespondance, la liste des livres
qui composaient sa bibliothèque, les dépenses de son
ménage et celles de son voyage en Espagne, etc. et
enfin un curieux contrat dont voici la transcription
littérale et qui constitue une sorte de dichotomie
médico-pharmaceutique :
J’ay remis à Monsieur Alary le 7 mars 1690, 33 Hures
racines d’hipécacohana qu’il doit vendre et nous avons convenu
de partager le prolit au delà de cent Hures sur chaque Hüre et
en cas qu’il ne puisse pas s’en défaire je la reprendray. En
foy de quoy nous avons signé l’un et l’autre.
[signé] ’Tournefort , Alary
Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) docteur de
rUniversité d'Aix, sa ville natale, professeur de bota¬
nique au Jardin Royal des Plantes (1683), membre de
l’Académie des Sciences (1691), fut admis à la licence
en médecine, le 29 novembre 1695, dans le Jubilé aca¬
démique, institué par la Faculté de Paris, en faveur
des médecins provinciaux qui avaient fait partie de la
Ghambe Royale de Médecine supprimée en 1694 (2);
un an plus tard, le 7 décembre 1696, il recevait le
bonnet de docteur; quant à Pierre Alary, les archives
(1) Cf. Boinet, Catalogue des manuscrits de la Bibl. du Mus. d’Ilisl-
nat., n» 253 et Labitte ; Catalogue delà Bibl. scient, des de Jussieu, n*
403(5.
(2) Sur la troisième et dernière thèse quodlibétaire de Tournefort,
voir : lu note du professeur Bnmy in Bull. Mus. Hist. Kat., I, p. 76.
(le rJEcole Supérieure de Pharmacie de Paris nous;
apprennent quhl avait été reçu maître apothicaire le
25 juillet 1687, qu’il fut garde de la corporation de
1704 à 1706 et qu’il tenait olïicine, place Maubert,
dans un immeuble contigu au couvent des Carmes.
Quel fut le résultat du contrat et quel bénéfice
donna-t-il à chacun des contractants?, c’est ce que le
manuscrit de Tournefort ne nous dit pas et je l’ai vai-
ncmeiil feuilleté à ce sujet; mais la convention inter¬
venue entre Tournefort et Alary s’explique et se jus¬
tifie par cette particularité complètement ignorée, je
crois, que Tournefort habitait, en qualité de locataire,
chez maître Alary; je trouve, en effet, dans ce môme
registre, les deux notes suivantes qui figurent parmi
les dépenses de l’illustre botaniste :
Payé à M‘' Alary le loyer de la cliainbre jusques au premier
de novembre 1690.
et quelques pages plus loin :
Payé à Monsieur Alary tout ce que je lui devois du loyer de
ces deux chambres jusques à la Saint Jean de l’année 1692.
Introduit en France, pour la première fois, en 1672,
par un médecin-voyageur appelé Legras, ITpéca, dont
on connaissait mal la posologie et les indications thé¬
rapeutiques, ne donna que des mécomptes et fut dès
lors complètement délaissé ; mais, huit ans plustard,
un marchand du nom de Garnier, qui entretenait des
relations commerciales avec l’Espagne, importa à
Paris 150 livres de racine d'ipéca et, pour en assurer
le débit, il s'associa avec un médecin hollandais, Jean-
Adrien Helvétius, docteur de la Faculté de Reims;
celui-ci employa, contre la dyssenterie, la poudre
d’ipéca, cpmme un spécifique dont il connaissait
seul le secret et celte médication eut un tel succès,
tant à la ville qu’à la cour, que le Dauphin, fils de
Louis XIV, ayant été atteint de la dyssenterie, Col¬
bert et Daquin, premier médecin, appelèrent Helvé¬
tius pour traiter l’illustre malade et lui administrer
son spécifique; le Dauphin ayant été rapidement et
— 152 —
radicalement guéri, le Roi fit remettre à Helvétius
1000'louis d’or, sous la condition qu’il publierait la
composition de son remède ; Garnier se crut alors en
droit de réclamer la moitié de la somme, mais il fut
condamné au Châtelet et au Parlement par deux juge¬
ments extraordinaires et, dans la suite, Helvétius
devint écuyer, conseiller du Roi, inspecteur général
des hôpitaux de la Flandre française et plus lard
médecin du duc d’Orléans lorsque celui-ci fut Ré¬
gent. - : .
LE SERMENT DES APOTHICAIRES CHRÉTIENS
ET CRAIGNANT DIEU
pat- lo D' Paul DORVJB/lUX
Depuis un siècle, les erreurs publiées par
G.-L. Cadet [de Gassicourt] au sujet du serment
des apothicaires, ont été reproduites intégralement
par tous les auteurs qui se sont occupés de l’histoire
de la pharmacie en France.
Cadet écrivait, en 1813 {Bulletin de Pharmacie^
t. V, p. 483); « Lorsque le corps des apothicaires
[de Paris] fut érigé en communauté, ce patronage [des
médecins] subsista, et ce furent les médecins qui
rédigèrent la formule du serment que prêtaient les
maîtres apothicaires chrétiens et 'craignans Dieu.
C’est ainsi que Pintitule Brice-Bander on (sic), qui le
rapporte dans sa Pharmacopée. Ce serment est assez
curieux pour être cité en entier. Le voici : » (suit la
teneur dudit serment).
Dans ce passage il y a deux erreurs. D’abord les
médecins n’ont jamais eu à s’occuper du serment
des maîtres apothicaires jurés : tandis que les « Apo-
ticaires-Epiciers du Roy, privilégiez suivant la Cour »,
— 153 —
prêtaient serment devant la Faculté de Médecine (1),
les Maîtres Apothicaires de Paris juraient par devant
le Lieutenant Civil (à partir de 1667, par devant le
Lieutenant Général de Police) d’observer les statuts
■deleur corporation (2). Ensuite la Pharmacopée de
Bauderon n’a jamais contenu la formule du serment
reproduite par Cadet. Brice Bauderon, docteur de
Montpellier et médecin à Mâcon, a publié à Lyon, en
1588, un traité de pharmacie intitulé Paraphrase sur la
Pharmacopæe,\Q(\u.e.\ fut maintes lois réimprimé avec
de nombreuses additions jusqu’à la fin du xvii® siècle.
J’y ai cherché en vain la formule du serment des
apothicaires. En revanche, je l’ai trouvée dans lè
livre suivant : Les Œuvres pharmaceutiques du sieur
Jean de Rendu, conseiller et médecin du Roy à Paris,
traduictes, illustrées et mises en lumière, par M. Louis
de Serres, Dauphinois, docteur en médecine etaggrégé
à Lyon. A Lyon, chez Pierre Rigaud et associez,
1624 (3). Ce livre se compose de deux parties, dont
la seconde, consacrée à la « Boutique pharmaceu¬
tique », débute (p. 602) par le serment des médecins,
rendu en vers latins par Scévole de Sainte-Marthe (4),
avec (p. 603) « le serment des apoticaires chrestiens
et craignans Dieu » en regard. Intrigué par la pré¬
sence à cette place, de ces deux serments que rien
(1) Cf. Ritun, et insigniora saluberrimi Medicorum Parisiensium Ordi-
nis décréta. Editio altéra aathoritate lotius ejusdem Ordinis excusa,
M. Joanne-Baptisla Doïe Parisina, Decano. Paris, 1716, p 104-109.
(2) Comme tous les gens de métier, les apothicaires candidats à la
maîtrise devaient, après le chef-d’œuvre, prêter serment devant le Lieu¬
tenant Civil. Cette formalité remplie, ils étaient maîtres-jurés et avaient
le droit de « lever boutique », autrement dit de s’établir.
(3) 11 a été publié trois éditions des Œuvres pharmaceutiques de Uenou':
la première, dans le format ia-lf ; les deux autres, in-folio. La'dcuxième,
« augmenté d’un tiers », a paru è Lyon, chez Antoine Chard, en 1626,
et la troisième, qui n’est qu’une réimpression de lu seconde, est de
1637, « chez Nicolas tiuy, à Lyon ». Dans les éditions in-folio, on trouve
« le Serment des Apoticaires Chrestiens et craignans Dieu » à lu
page 469.
(4) Ce serment en vers latins est intitulé ; Jusjurandum medicorum
Uippocratico-Christianorum è Scævola Sammarthano heroïco carminé
redditum. Il a été ajouté par Louis de Serres aux Œuvres pharmaceu¬
tiques de Rendu.
— 154 —
tt’annouce, jeme suis reporté au texte latin de Renou,
dont l’édition princeps est intitulée : Joan. Renodæi
med. Parisien. Instiliitiojiuin phannaceuticaruni
libri quinque., quibus accédant de Materia medica
libri ires. Omnibus succedit Officina pharmaceutica,
sive Aniidolariwn ah eodem auctore commeittariis
illusLralum. Parisiis, apud viduam Gulielmi de la
Noua et Dionys. de la Noue, 1608 ; et j’ai eu la sur¬
prise d’y trouver, au recto du 12° feuillet liminaire
de l'Officina Pharmaceutica, une épître aux maîtres
apothicaires de Paris, qui manque dans la traduction
de Louis de Serres etdans laquelle Renou leur donne
toutes sortes de bons Conseils au sujet de l’exercice
de leur profession ; il termine en les invitant à accep¬
ter le serment suivant, calqué sur celui d’Hippocrate,
et à l’imposer à leurs apprentis (1) ;
JUSJURÀNDUM PhARMACOCOEORUM.
Herum Creatorem, unum in Trinitaie Deiun, quem
pia mente colo, palam tester, hæc omnia mepræsti-
turum.
In Christiana fide victurum et' moriturum.
Parentibus debiium honorem persoluiurum.
Medicis et præcepioribus quibus operam dedi, obse-
quium omne redditurum.
Nullum e.x antiquioribus ordinis nostri, ut nec
alium quidem, convitiis lacessiiurum.
Arlis dignitatem pro virili exornaiurum.
Ejus arcana non eliminaturum.
Nihil inconsultô aut spe tantum lucri facturum.
In acutis sine medicorum consensu purgantia non
daturum.
. Nullius illicitè verenda, nisi causa medicandi, con-
trectaturum.
Sécréta nullius detecturum.
(1) Jean de Renou termine ainsi son épilre aux apothicaires ; Qua-
Hl rectè exequi ralcatU, noslrum jusjurandum accipUe ; eo tyrones obs
iringile i aingnios ta officia coé'rcete, veslrum ordinem fovete ; nostras
lucubrationea videte, legUe, diacite, et bene vaiete.
— 155 —
Venena nulli unquam exhibiturum. .
Née danda, etiam hosti, suasuruin.
Conceplui perdendo medicamentum nequaquam
propinaturum.
Nec fœtui excludendo, nisi Medicis imperantibus,
paralurum. '
Medicorutn præscriptiones non iinmutàturuni.
Succedanea sine consilio non qdhibiturum.
Empiricorum exitiosam praxim improbaturum.
Opein licitè concedendam nemini negaturum.
Exoleta^ iinprobalaque médicamenta in Pliarrnaco-
poliis non servaturum.
Hæc voventi et facienli divinum faveat auxilium.
Dans l’édition posthume de son traité de pharma¬
cie, publiée à Paris en 1623 (1), Jean de Renou a
modifié le 4“ alinéa du serment des apothicaires de
la façon suivante :
Medicis et præceptorihus qùibus operam dedi, obse-
qiiium omne reddilurum, eos, nec verbo neç opéré læ-
surum.
On ne trouve aucune trace du serment des méde¬
cins dans ces deux éditions parisiennes.
Dans sa traduction de 1624, Louis de Serres a
rendu tout le texte latin de la première édition de
Renou, à l’exception des pièces liminaires, dont il
n’a conservé qu’une seule : le serment des apothi-
ca,ires. Gomme il a supprimé l’épître qui le précède,
on ne s’explique pas la présence de cette pièce en
(1) Jean de Renou, né à Coutances'vers 1560 U1 avait 48 ans en 1608),
est mort, d’après Hazon, « au mois d’août 1616 ». En 1623, une uou-,
velle édition de son traité de pharmacie fut publiée par Denis Moreau
libraire à Paris, d’après un exemplaire de l’édition princeps, revu, cor¬
rigé et augmenté par Renou lui-méme.
Cette nouvelle édition est intitulée : Dispensatorium medicum, cotilînens
Instilutionum pharmaccuücarum lib. V ; de Malaria medica lib. III ;
P/iarmacopeam itidem sive Anlidotarium varium et absolutissiiiium,
auctore Joan. Renodæo Medic. Paris. Regio... Paris, 1623. t,e serment
des apothicaires y occupe le verso du 13® feuillet liminaire. Au recto,
se trouve l’épltre Meritissimis dignissimisque viris Pharmaeopœis Pari-
siensibus, qui manque dans la traduction de Louis de Serres,
— 156 —
tête de la partie de son livre, intitulé : « Boutique
pharmaceutique ». Voici la teneur dudit serment:
Serment des Apolicaires Clirestiens, et craignons Dieu.
Je jure et promets devant Dieu, Autlieur et Créateur de
toutes choses, unique en son Essence, et distingué en trois
Personnes Eternellement bien-heureuses, que j’observeray de
poincl en poinct tous ces Articles suyvans.
Et premièrement je jure et promets de vivre et mourir en la
Foy Chrestienne.
Item d’aymer et honorer mes parens le mieux qu’il me sera
possible.
Item d’honorer, respecter, et faire servir en tant qu’en moy
sera, non seulement aux Docteurs Médecins qui m’auront ins-
truict en la cognoissance des préceptes de la Pharmacie, mais
aussi âmes Précepteurs et Maistres Pharmaciens, sous lesquels
j’auray appris mon mestier.
Item de ne mesdired’aucun de mes Anciens Docteurs, Mais¬
tres Pharmaciens, ou autres quels qu’ils soyent.
Item de rapporter tout ce quime serapossible pour l’honneur,
la gloire, l’ornement et la Majesté de la Médecine.
Item de n’enseigner point aux idiots et ingrats les secrets et
raretés d’icelle.
Item de ne faire rien temerairement, sans advis de Méde¬
cin, ou sous espérance de lucre tant seulement.
Item de ne donner aucun Médicament purgatif aux malades
affligés de quelque maladie aiguë, que premièrement je n’aye
pris conseil de quelque Docte Médecin.
Item de ne toucher aucunement aux parties honteuses et
deffendues des femmes, que ce ne soit par grande nécessité,
c’est à dire, lorsqu’il sera question d’appliquer dessus quelque
remède.
Item de ne descouvrir à personne les secrets qu’on m’aura
fidèlement commis.
Item de ne donner jamais à boire aucune sorte de poyson à
personne, et ne conseiller jamais àaucun d’en donner, non pas
mesmes à ses plus grands ennemis.
Item de ne donner jamais à boire aucune potion abortive.
Item de n’essayer jamais de faire sortir le fruict hors du
ventre de sa mère, en quelque façon que ce soit; que ce ne soit
par advis de Médecin.
Item d’executer de poinct en poinrt les Ordonnances des
Médecins sans y adjouster ou diminuer, en tantqu’elles seront
faictes selon l’Art.
— 157 —
Item de ne me servir jamais d’aucun succédané ou substi¬
tut, sans le conseil de quelque autre plus sage que raoy.
Item de desadvoüer et fuir comme la peste la façon de prac-
tiquer scandaleuse et totalement pernicieuse, de laquelle se
servent aujourd’liuy les charlatans empyricques et souffleurs
d’Alchymie, à la grande honte des Magistrats qui les tolèrent.
Item de donner ayde et secours indifféremment à tous ceux
qui m’employeront.
Et finalement de ne tenir aucune mauvaise et vieille drogue
dans ma Boutique.
Le Seigneur me bénisse tousjours, tant que j’observeray ces
choses.
Tel est ce fameux serment des apothicaires, ima¬
giné par un médecin de Paris en 1608 et traduit par
un médecin de Lyon en 1624. En 1853, le D‘ A. Phil-
lippe le reproduisait in extenso, d’après Cadet, dans
son Histoire des Apothicaires (p. 80-82), et le donnait
comme un document authentique du « milieu du
xin" siècle '>; depuis, aucun historien (1) de la phar¬
macie ne l’a révoqué en doute.
UN COMPTE D’APOTHICAIRE CASTRAIS
AU XVm» SIÈCLE
pat* lo D' Charle» VIDAL, (do Caatrea)
J’ai eu la chance de trouver un vieux compte d'apothicaire.
Immédiatement j’ai eu la pensée d'en faire part à la Société
française d’histoire de la médecine, sachant combien ses
(1) et. GHA.UVEL aîné. Essai de déontologie pharmaceutique, Saint-
Brieuc, 1854, p. 8 et 173. — Ch. Meniîîre, Obsemations sur le serment
professionnel des anciens pharmaciens, p. 10, Augers, 1875 (Extr. des
Mémoires de la Société Académique de Maine-ct-Loirc, t. XXXI). — E.
Grave, Etat de lapharmacie en France avant laloi du 21 germinal an XI,
Mantes, 1879, p. 136. Emile Gilbert, la Pharmacie à travers Icssiècles,
Toulouse, 1892, p. 307. — D' Robert GiiJlNCEkel, Les Apothicaires et l’an¬
cienne Faculté de Médecine de Paris, Dijon, 1892, p. 14. — L. André-
PONTIER, Histoire de la Pharmacie, Paris, 1900, p. 206. — Hermann
ScHELENZ, Geschichte der Pharmazie, Berlin, 1904,p. 493. — Marc UoN-
NORAT, Les origines des lois et règlements sur l’exercice do la pharma¬
cie en France, in Journal de Pharmacie et de Chimie, N* du 16 avril 1914,
p. 423.
— 158 —
membres s’intéressent à ces documents qui nous transportent
en pleine vie de jadis. ,
Voici ce compte ;
[Page 1]
Compte pour Monseigneur de Barrai, évêque de
Castres, qui doit au sieur Daussion âppre de la dite
ville :
Juin 1758 Du 13"'“ doit pour le jardinier du jardin
potacher [sic)
Une once et demie huile
d’amendes. 1 sol 6 deniers
plus demie once eau de
menthe. 1 sol
plus demie once de fleur
d’orange. 1 sol
plus pour le même un
clistère carminatil et
purgatif composé avec
la décoction de mellilot
de camomille, trois on¬
ces miel Jeanne, une
once et demie catholi-
cum simple. 15 sols
Le tout selon l’ordonnance
de M. Malzac.
Juin 1758 Du 14““ pour le même,
une' médecine purga¬
tive en deux verres com¬
posée avec une once po*
lipode de chêne, une
manipule fleurs de vio¬
lettes, autant de fleurs
de pêcher, une once
tamarins gras. Dans la
première prise \y ayant
fait fondre deus onces
— 159 —
manne et dilàjé cuinq
dragmes eatholicum
double et une dragme
sel d’ipsum. Dans la
seconde prise une once
manne, trois dragmes
eatholicum double et
deux dragmes sel dip-
sum selon l'ordonnance
de M. Malzac.. 1 liv. 6. sols
plus pour Monseigneur un
cart miel de Narbonne
livré à Saint-Jean do¬
mestique de pié. 8 sols
Du 16® pour le jardinier,
une médecine purgative
composée avec deux
■ onces et demi manne
fondèue, une once ca-
tholicum double et au¬
tres selon l’ordonnance
de M. Malzac. 1 liv. 10 sols
[Page 2]
Là partie sy dernier monte la
sommé de...........
Juin Du25'"®pourMonseigneur
de Baral une médecine
qui est, deus onces et
’ demi manne eh larme à
, 6 s. l’once.
, ‘ plus une dragme et demi
' ‘ écorce de mirobblans
. , Citreins livré à M. Cha-
' tillioh..
6 1. 3 s. 6. d.
6 1. 3 s. 6 d.
15 s.
4 s. 6 d.
7 liv. 38
Reçu de Monsieur Rous métré dautel de Monsei-
— 160 —
gneur de Baral, évéque de Castres la somme de sept
livres trois sols et le tiens qiute jusques à ce jovir-
d’huy ce trantième juin mille sept cent cinquante huit.
Danssion appre.
Ce compte d’apothicaire nous initie à la thérapeutique etàla
pharmacopée du siècle galant et nous montre comment formu¬
lait le médecin d’un évêque. Il nous donne aussi un aperçu
des prix des médicaments. II nous permet de penser qu’on
devait faire bonne chère chez l’évêque de Castres, ausssi bien
à l’office qu’à la table de Monseigneur. Que de purgatifs !
Mais ne sommes-nous pas au siècle aimable? au siècle de la
pléthore aussi? Enfin, son orthographe est fort amusante, c’est
pourquoi je l’ai transcrit, textuellement.
îiÉ&ENDBS ET SDPBRSTÏTÎONS THÉRAPEUTIQUES
LES PIERRES GRATTÉES ET LBDR POUSSIÈRE
pni> Énille HIVIÈRE!
Deuxième note {ï).
Dans une précédente séance, j’ai eu l’honneur de
vous entretenir du grattage des pierres (mégalithes et
tombeaux plus ou moins anciens) et de leur poussière
précieusement recueillie et utilisée thérapeutique¬
ment par la foi superstitieuse des populations d’au¬
trefois, en maintes localités, et d’aujourd’hui encore,
en quelques-unes d’entre elles. Il me reste, pour
terminer cette petite étude sur les Légendes et les
superstitions thérapeutiques, à vous parler aujourd’hui
de quelques autres mégalithes (pierres à cupules et
statue antique) et, dans la prochaine séance, des car¬
reaux de tonnerre ou haches polies, du dieu soleil,
de certains arbres votifs, enfin du culte de quelques
fontaines soi-disant miraculeuses.
Je vais le faire aussi brièvement que possible.
fl) Bulletin de la Société française d'Histoire de la Médecine, tome
Xm, 1914, pngea 82-94.
— 161 —
, yi ■' ' /
Pierres a cupules simples ou conjuguées.
A
Le mégalithe de Thoys.
Ce mégalithe est un bloc erratique, creusé d’une
soixantaine de petites cupules isolées ou conjuguées
de diverses façons, mais généralement deux à deux
ou trois à trois. Il est situé au hameau de Thoys,
commune d’Arbignieu, dans le canton et Parrondis-
de Belley, département de l’Ain. Il a été découvert
autrefois par un géologue bien connu. Faisan, décédé
il y a déjà un certain nombre d’années. Naguère
encoi-e les femmes et les filles d’alentour allaient,
certains jours de l’année, s’y livrer à des pratiques
bjzarres (1), que l’auteur ne fait pas connaître^ mais,
ayant vraisemblablement comme but, pour celles-ci,,
c’est-à-dire pour les jeunes filles, un mariage p.rq-,
chain, pour les femmes de combattre la stérilité dont
elles étaient atteintes ou l’impuissance des maris dont
ejles étaient les épouses.
B
La PIERRE DE Barthélemy.
Il s’agit d’une « pierre à cupules de notre époque »,
dont je dois la connaissance à M™* B. Crova (de
Cherbourg),, membre de la Société et des Congrès
préhistoriques de France,.auteur de très intéressantes
découvertes en Mauritanie, alors que son mari, capi¬
taine de frégate, était gouverneur de la région.
«A la sortie de la ville de Cherbourg, dit M“® Crova,
dans un chemin conduisant au village d’Octeville et
dénommé actuellement rue Waldeck-Rousseau, se
trouve une humble chapelle presque toujours close...
Bien que dédiée au Saint-Sauveur, on en célèbre la
fête le jour, de Saint-Barthélemy, en mémoire d’un
(1) A. Callet. Derniers vestiges du paganisme dans l'Ain.
162 —
certain ermite, Barthélemy Picquerey qui vivait au
dix-septième siècle.
Après sa mort, survenue en 1659, il fut inhumé au
seuil de la chapelle... et son tombeau devint l’objet
d’une grande vénération... H est recouvertd’un bloc de
ce calcaire, dénommé pierre de C’ae7^, employé dans
la contrée pour les belles constructions. Il est mo
derrie et sans aucun ornement, mais les nombreuses
cilpules qui le recouvrent lui donnent un aspect très
particulier, dit l’autéur.
En effet, chaque année, les fidèles qui y vont en
pèlerinage creusent des cupules sur la pierre tombale.'
La poussière ainsi produite et recueillie passe pour
être douée de plusieurs vertus : mélangée à la bouillie
des petits enfants, elle les préserve ou les guérit de
diverses maladies et les jeunes filles qui en mêlent à
leurs aliments se marient dans l’année » (1) . Ces mala¬
dies sont surtout « le rhumatisme et la tuberculose
osseuse», me dit Cvova, dans les renseigne-
mentscomplémentaires qu’elle abièn voulu me don¬
ner tout récemment (2), « J’ai entendu dire, ajoute-
t-elle, dans sa lettre, que les jeunes sujets, atteintsde
paralysie infantile, étaient portés sur la susdite pierre
à cupules, la pierre tombale de Saint-Barthélemy, et
que certaines gens citent même des guérisons ! »
Dans tous les cas, « il est un fait certain, c’est que
tous ne grattent pas la pierre, mais que beaucoup se
contentent d’y déposer le malade ». ,
Cette superstition de la poussière des cupules se
rencontre aussi dans une autre localité des environs
de Cherbourg, à Biville, c’est-à-dire « sur le tombeau
du bienheureux Thomas Hélye, inhumé, dans l’é¬
glise de ce village ».
C
La pieube grise du Chatel.ard.
Le fait de déposer des enfants sur une pierre, je le
(1) B. Grova. Une pierre à cupules de notre époque, survivance et su¬
perstition. (Compte rendu du sixième Congrès préhistorique de France,
session de Tours, 1910).
(2) B. Crova. Lettre du 28 janvier 1914.
163 —
retrouve dans le département de l’Ain, mais modifié
d'une façon des plus curieuses, unique même, si je
ne me trompe, car rien de semblable n’est à ma
connaissance ni à celle des personnes à qui j'en ai
parlé. Il s’agit de la pierre grise de la commune
du Chatelard, canton de Villars, arrondissement de
Trévoux.
(1 A cette pierre, on apporte de très loin, raconte
M. A. Gallet (1), les enfants mort-nés^ car on pré¬
tend que s’ils n’y recouvrent pas complètement la vie,
üs s'y raniment^ cependant, suffisamment tout au
moins pour recevoir le baptême ». Mais quelle est
cette pierre grise? un mégalithe pré-historique ? une
pierre tombale? l’auteur ne le dit pas.
J’ajoute enfin, d’après lui également, que dans
d'autres localités de la Bresse et des Dombes, il y
avait et il y a encore des pierres qu’on va gratter, soit
[jour les humains se guérir des fièvres dont ils sont
atteints, soit pour la cure miraculeuse des maladies
des poules et du bétail.
D
Le cercle de M.vné Guégan
Pendant le séjour que je fis, en 1904, dans les
Côtes-du-Nord, au château de Crampoisie, chez un
de mes regrettés collègues de la Société d’Anthro-
pologie de Paris et de la Société préhistorique de
France, dont il fut président, Lionel Bonnemère, j’ai
eu l’occasion de voir, au cours d’une excursion dans
le département voisin, c’est-à dire dans le Morbihan,
avec le comte Aveneau de la Grancière, qui nous y
conduisit tous deux, deux très intéressantes pierres :
l’iine à cupules, l’autre à écuelles. Elles font partie
d’un cercle régulier de pierres peu élevées, toutes en
grs^nit, dont elles occupent le centre.
Ce cercle, dénommé le Cercle de Mané-Guégan, est
« à l’extrémité nord-ouest delà commune de Guern, sis
à plus de quatre kilomètres du bourg, dans le can¬
ton et l’arrondissement de Pontivy (Morbihan), sur le
( 1 ) Loc. cil.
— 164 -
point cLilniinant de la montagne du même nom [Lan
Mané-Guégan), au bas de laquelle se trouve le village
de Niziave » (1).
Des deux pierres en granit qui présentent des cavi¬
tés, l’une est à cupules seulement, l’autre à cupules
aussi et à écuelles, comme je viens de le dire. La pre¬
mière comporte douze cupules^ mesurant de 0“Ü8 à
0“i0 de diamètre et 0‘‘'04 de profondeur. Sur la
deuxième pierre les écuelles sont au nombre de deux
et mesurent 0“20 de diamètre sur 0“10 de profon¬
deur; elles sont accompagnées de deux cupules, dont
le diamètre est seulement de 0“*03 et la profondeur
de 0™04.
Les cupules et les écuelles ne sont pas des cavités
naturelles ; elles ont toutes été creusées par la main
de l’homme, dans un but que l’on ignore. La seule
tradition parvenue jusqu'à nos jours veut que ces
écuelles soient celles des Koiûgans (2) « qui habitent
un tumulus voisin, le iumulus de Niziave et qui
chaque jour, à la nuit tombée, vont aux dites
écuelles préparer leur bouillie qu’aux pâles rayons de
lune, on leur voit manger ».
Quant à la poussière de la pierre ainsi creusée,
possédait-elle aussi, aux yeux des habitants, des
vertus curatives ou préservatrices de telle ou telle
maladie, de telle ou telle infirmité ? Personnellement
jesuistrès portéà le croire, néanmoins j’ai interrogé,
à ce sujet, ces jours derniers, le comte Aveneau de la
Grancière. Voici la réponse écrite que j’en ai reçue :
1“ Les cupules et les écuelles du Cercle de Mané-
Guégan ne sont pas des cavités naturelles, mais elles
sont bien creusées de main d’homme. Quant à préci¬
ser l’époque à laquelle elles ont été faites, cela ne
(1) Aveneau de la Grancière. Le préhistorique et les époques gaw-
toise, gallo-romaine et méropingiennc dans le centre de la Bretagne-Armo¬
rique, page 79. Vannes, 1903.
(2) Les Korigans « petits hommes au visage bronzé » qui faisaient des
sacrifices humains au rocher de granit du Guilly, « bien avant l’ère
chrétienne » et que, selon la tradition, « on voit encore la nuit passer
et repasser autour du roc, mais qui, dès qu’ils aperçoivent au loin un
être humain, s'évanouissent dans l’ombre en jetant des cris stridents ».
(A. DK LA Grancière. Loc. cit., pages 40-41).
— 165 —
me paraît pas possible. Cependant, si l’on se reporte
à des pierres semblables qu’on trouve répandues un
peu partout, on peut les faire remonter à une haute
antiquité. On ne peut, danstousles cas, rien affirmer.
2® La poussière de pierre provenant de leur grat¬
tage était-elle soigneusement recueillie et supersti¬
tieusement utilisée par les habitants de la région,
malades ou infirmes, en vue de leur guérison, comme
cela se voit en maints endroits ?
A cette deuxième question je dois répondre non.
Je n’ai rien entendu dire à ce sujet et j’ai, cependant,
questionné les Anciens du pays.
3“ Enfin, les pierres à cupules et à écuelles du
Cercle de Mané-Guégan sont-elles le sujet de quelque
légende et font-elles l’objet de la vénération popu¬
laire ? S’y rend-on en pèlerinage, à une époque quel¬
conque ou fixe de l’année, dans un but préservatif ou
curatif de quelque maladie ou infirmité ?
A cette troisième question, je ne peux répondre
encore que négativement. Je n’ai rien, absolument
rien entendu dire à ce sujet. Je ne connais que la
légende dont j’ai parlé et que vous rapportez dans
votre étude, c’est-à-dire celle des Korigans qui
habitent un tumulus Voisin, le tumulus de Niziave.
VII
Le cercueil de pierre de Saint-Molvan
En Bretagne, dans le département du Morbihan, ce
n’est plus sur une pierre (mégalithe, pierre tombale
ou autre, qu’on dépose superstitieusement des en¬
fants : soit mort-nés, pour leur obtenir une résurrec¬
tion passagère ; soit atteints de paralysie infantile
dans l’espérance d’une cure immédiate; dans le Mor¬
bihan, dis-je, c’est dans une pierre tombale, dans un
monolithe creusé de main d’homme, c’est dans un
sarcophage antique qu’on asseoit les enfants pliis ou
moins arriérés dans leur développement physique.
Je tiens le fait également de mon collègue de la
Bull. Soc. fr. hul. méà., XIII, 1914
— 166 —
Société polymathique du Morbihan, le comte Ave-
neau de la Grancière, qui le rapporte, ainsi qu’il
suit, dans une de ses importantes publications (1) ;
« Tout à l’extrémité sud-est de la commune de
Cléguérec (2), à l’entrée de la petite route qui conduit
de Stival à Malguénac, au bord du ruisseau qui, pre¬
nant sa source dans l’étang de Lestnrgant, en Mal¬
guénac, descend, presque en torrent, delà montagne
et va, après une courbe, s’épancher dans le Blavet,
s’élève pittoresquement la modeste petite chapelle de
Saint-Molvan ou Saint-Morvan.
« Dans l’intérieur de cette chapelle, laquelle date
de la fin du dix-septième siècle, on conserve un tom¬
beau monolithe en granit, dont la base s’incruste
légèrement dans le sol. Tout uni, sans aucune sculp¬
ture, ce sarcophage, de forme presque ovoïde, renflé
vers le milieu, est plus large à la tête qu’au pied ». Il
mesure 2'"20 de longueur et possède un couvercle
tectiforme, composé de deux pierres juxtaposées,
dont la partie supérieure est brisée. Il semble appar¬
tenir, de par ses caractères romains et mérovingiens,
dit l’auteur, à l’époque de transition, c’est-à-dire au
commencement du sixième siècle. Si l’on en croit la
tradition, il aurait renfermé- les restes d’un saint
breton, Saint-Molvan. De là son nom de cercueil du
susdit saint, de là les vertus thérapeutiques « que la
croyance des vieilles populations » lui attribue encore
de nos jours.
Ainsi « un enfant tarde-t-il à marcher ? est-il noué?
comme on dit dans le peuple, on le mène à Saint-
Molvan. Arrivé là, on l’asseoit dans l’intérieur du
susdit sarcophage, profitant du trou que le couvercle
brisé a laissé béant ; on invoque le saint breton, on
dépose une offrande, puis on repart, plein de-confianoe
dans le résultat du pèlerinage.
La croyance populaire est que les petits enfants
apprennent ainsi plus vite à marcher. ^ Il n’en est
(1) Avenkau de la Grancière. ioc. cjï., page» 20-24. Vannes, 1903.
(2) Chef-lieu de canton de l’arrondissement de Pontivy.
1G7 —
un seul dans toute la région de Pontivy, dit l’auteur,
qui n’ait pas été assis dans le tombeau de Saint-
Molvan. Et ceux-ci, devenus grands, vieux môme,
nous ont affirmé sç rappeler avoir subitement marché
en sortant du sarcophage. J’avais six ans, me disait
l’nn d’eux,, aujourd’hui vénérable vieillard, et c’est à
peine si je savais me servir de mes jambes, quand ma
mère, me portant à Saint-Molyau, me posa dans son
tombeau. A l’instant même, je ressentis un grand
froid, causé sans doute par la fraîcheur de la pierre (1),
puis une vive douleur, enfin, me levant brusquemeni,
je sautai hors du cebcueil et, sans l’aide de mes
béquilles, courant vers ma mère, je lui dis, tout effrayé
et en pleurs : Allons-nous en maintenant à La maison;
et je me précipitai vers la porte... »
VIII
Le bateau de Sainte-Avoye
M. Aveneau de la Grancière cite encore une autre
chapelle de rarrnndissement de Pontivy, la chapelle
de Sainte-Avoye, en Plumeret, qui contient une pierre
creusée, très probablement, un mortier mégalithi¬
que, dit-il.Cettepierre dite le Bateau de Sainte-Avoye,
possède les mêmes propriétés miraculeuses de ren¬
dre l’usage de la marehe aux enlànts noués et est
l’objet des mômes pratiques superstitieuses (2). Il
faut, cix)yons-nous, ajoute M. Aveneau delà Gran-
tÿère, remonter au-delà du christianisme pour retrou¬
ver l’origine de cette singulière pratique.
(Il tl est bon d’ajouter, au sujet de la fraîcheur du tombeau, que cette
pratique, connue dans tout le Morbihan, a lieu surtout le dernier
dimanche du mois de septembre, c’e6t-4..dire le jour dp pardon de Suint-
Mol van.
-2) Revuearc
chéologique, année 1894.
- 168 —
IX
La Vénus de Quinipily et son auge.
Après le sarcophage mérovingien de Saint-Molvan
et le mortier mégalithique dit le bateau de Sainte-
Avoye, il convient de citer la statue romaine, dite la
Vénus de Quinipily et son auge, dans laquelle vont
se baigner les femmes relevant de couches en l’invo¬
quant, et que viennent aussi trouver jeunes gens et
jeunes filles de la région, désireux de se marier dans
l’année.
Actuellement encore, dressée sur un haut piédestal,
dit M. Aveneau de la Grancière, dans le Mémoire
auquel nous avons emprunté, en la résumant, la
légende ci-dessus (1), au sommet d’une colline, à côté
de l’antique château de Quinipily, près de Baud, dans
le canton de ce nom (2), la statue en question était
originairement placée sur la montagne de Gastennec
en Bieuzy(3), où [christianisée], elle était l’objet d’un
culte qui ne cessa qu’à la fin du dix-septième siècle.
Du reste, la tradition, d’accord avec l’histoire et les
faits, rapporte que le paganisme avait édifié un
et un autel à Vénus, dont la statue en pierre, haute de
sept pieds et représentant une femme debout, nue,
s’élevait sur un monticule voisin de Gastennec. A ses
pieds, se voyait une auge de pierre grise, ayant une
longueur de six à sept pieds, qui servait, toujours
d’après la tradition, à la purification des prêtres et
des victimes dans les sacrifices offerts à l’idole. Cette
statue de Vénus, qui, d’après M. Aveneau delà Gran-
cièi’e, daterait du premier ou du deuxième siècle et
se rapprocherait, par ses formes archaïques, du style
égyptisant, ét&itàénomméea la femme de la Couardelfi)
(tï Aveneau dr la Grancière. Loc. cit.
(2) Arrondissement de PoDtivy.
(3) Village du canton de Baud.
(4) Groah er Goard (A. de la Grancière, loc. cit., page 109).
— 169 —
ou la vieille de la Couarde et, par abréviation, la
vieille Couarde, comme certaine ferme du voisinage,
appelée, dès le douzième siècle, la Coa/’rfe (c'est-à-
dire la Gwarde ou la Gardé) et aujourd’hui la
Couarde ». J’ajoute que les vestiges de l’époque
romaine(poteries, statuettes, bronzes, monnaies, voire
même une borne railliaire) abondent tout à l’entour.
Une voie romaine passe même près de là.
Quant aux pratiques superstitieuses dont la Vénus
christianisée était l’objet, elles consistaient à lui
« présenter en hommage de nombreuses offrandes et,
pour les malades, à la toucher avec une foi supersti¬
tieuse dans son pouvoir de les guérir. Les femmes,
après leurs couches, venaient prendre un bain, comme
je l’ai dit plus haut, dans l’auge placée à ses pieds.
Les jeunes gens et spécialement « les jeunes filles
qui avaiant envie de se marier lui faisaient leurs
olïrandes d’une manière indécente, dit l’auteur, pour
obtenir la réalisation de leurs souhaits (1). »
D’autre part, M. Émile Espérandieu, dans son
remarquable ouvrage sur les statues et bustes de la
Gaule romaine (2), publié par le Ministère de l’Ins¬
truction publique dans la Collection des documents
inédits, — le cinquième volume vient de paraître —
s’exprime ainsi qu’il suit au sujet de la Vénus de
Quinipily :
Cette statue était autrefois à Castennec-en-Bieuzy,
où elle était connue sous le nom de Groueg-houarn
« femme de fer » ; afin de mettre un terme au culte
superstitieux qu’on lui rendait, Charles de Rosmadec,
évêque de Vannes, ordonna de la détruire. En 1661,
pour le satisfaire, le comte Claude II de Lannion, sei¬
gneur de Quinipily, la fit jeter dans le Blavet. Les
paysans l’en retirèrent en 1664 et continuèrent de l’in-
(1) Relalion écrite vers 1701, dans Bizeul, Voies romaines du Morbi¬
han, page 141; Cayot-Délandre , page 390 (A. de la Grancièke. L<^c.
cil., page 109).
(2) Émile Espérandieu. Recueil général des bas-reliefs, statues et bus¬
tes de la Gaule romaine, tome iS', page 154. Paris, Imprimerie na¬
tionale, M DCCCC.XI. (Collection des Documents inédits sur l’His¬
toire de France).
— 170 —
voquéi*. En 1670, lë même évêque de Van'heè ênVoyâ
des maçdns pour la mettre eri piècëè ; mais, par
crainte des habitants ou par suite de la vénératioh
qu’ils éprouvaient eux-mêmes, ils se bornèrent à lui
entamer un bras et l’un des èeins, et la jetèrent dans
l’eaü pour la seconde fois. Vingt-six ans plus tard, le
comte Pierre de Lantiion, qui venait dé succéder à son
père, la fit repêcher et transporter aU château de
Quinipily. On la retailla « pour lui ôter ce qu’elle avait
d’indécent dans la forme », comme je l’âi dit tout à
l’heure d’après la Relation de Bizéul (1), citée par
M. Aveneau de la Grancièré. Le duc de Rohan, sei¬
gneur de Castennec, sollicité par les paysans de sa
paroisse, engagea, en 1698, un procès pour ravoir la
statue ; il le perdit au bout de trois ans, et la femme de
fer resta à Quinipily, où elle sert d’ornement de fon¬
taine, dans la cour du château, sur un piédestal
accompagné d’inscriptions, qui en font une Venus
Victrix\ a vœu de Gâius Julius Gésâr. »
Voici maintenant la description queM. Émile Bspé-
randieü en donne :
Granit gris. Hauteur, 2"'15.
Femme, debout, représentée lés pieds joints, les
jambes appuyées, par derrière, contre un pilier
carré, le front ceint d’une bandelette. Une sorte
d’étole qui lui descend du col, arrive, par devant,
jusqu’à mi-hauteur des Cuisses. « Les yeux sont à
fleur de tête et faiblement indiqués; le nez est aplati;
un coup de ciseau marque la bouche : de simples traits
raides et sans dessin forment les doigts des mains et
des pieds » (2). Le cou èst plus large que long ; les
seins sont maintenant peu proéminents ; les bras
extrêmement grêlés, sont coudés à angle droit et les
mains sont posées sur le ventre, l’une au-dessus de
l’autre.
Sur la bandelette, en relief, les lettres HT.
M. Espérandieu ajoute, en terminant, que d’après
(1) Biz.Kul. Les t’oies romaines dii Morbihan, page.\Ul (l’clntion del701).
(2) CaïoI-Délandhi;. Le Morbihan, page 3(10 cl planche lll.
— 171 —
M. Salomon Reinach, la statue de Quinipily, loin de
remonter à une époque ancienne ou d’être l’écho
d’une conception ai'chaïque, serait très postérieure
au dizième siècle.
X
Les pierres a l’œuf.
Il n’est pas jusqu’aux nombreux blocs erratiques
qui se trouvent dans le Biigey (1) sur lesquels on
aperçoit « un grossier dessin en forme d’œuf, où les
femmes vont en pèlerinage pour obtenir la fécon¬
dité ». Cette même superstition se rencontre d’ailleurs
en Bretagne, d’après ce que rapporte le marquis de
Nadaillac.
XI
La pierre levée de Saint-Pierre.
Je citerai encore, parmi les nombreux faits de
pierres objets de la vénération populaire dans le
département de l’Ain, celui d’une localité de la
Bresse, Saint-Pierre-lès-Mâcon (2), où les femmes
se rendaient nuitamment dans un bois, « s’y dé¬
pouillaient de tout vêtement jusqu’à la ceinture et
se frottaient — nous retrouvons ici la question du
frottis — se frottaient, disons-nous, les seins contre
une pierre Itivée [un menhir] pour avoir du lait et le
ventre pour devenir fécondes. Il y avait là une sorte
de rite que les femmes du pays se transmettaient
secrètement » les unes aux autres (3).
Je terminerai, dans la prochaine séance, cette com¬
munication sur les Légendes et les superstitions thé¬
rapeutiques, par certains faits relatifs au culte du dieu
Soleil, aux arbres votifs et au culte des fontaines dans
leurs rapports avec la médecine, c’est-à-dire avec la
thérapeutique superstitieuse curative et préventive.
(t) Le Bugéÿ, ancienne province de France qui avait pour chef-lien
Belley, aujourd’hui chef-lieu de l’arrondissement de l’Ain.
(2) Suint-Piiirre-lèt-lUdcon, commune du canton de Bagë-Ie-Chfttel,
arrondissement de Bourg.
(3) A. Gallet. Loc, cit.
— 172 —
LA MAISON AUX EMBLEMES MÉDICAUX
DU DOCTEUR LE BARON
par le l^rofeBeeur R. RL.A^IWCHil.RD
Ancien Président de la Société.
Dans deux notes récentes (1), j’ai signalé l’emploi
abusif des armes de l’ancienne Faculté de médecine
par une corporation médicale qui en faisait usage
pour dès opérations commerciales. Le fait que je dois
signaler aujourd’hui est d’une autre nature et tout à
l’honneur du confrère, aujourd’hui décédé, qui en a
eu l’heureuse idée.
Non loin de l’église de Montrouge, se dresse une
maison portant les numéros 30, rue Sarrette et 2, pue
Alphonse Daudet. Cet immeuble a été construit en
1899 par le D'' Le Baron, Président du Syndicat des
Médecins de la Seine. Le vestibule est orné de chaque
côté d’une toile marouflée représentant divers attri¬
buts médicaux et portant des indications explicatives.
A droite, deux médaillons circulaires, bordés de
bistre, se détachent sur un fond décoratif de feuilles
d’Acanthe.
Le premier médaillon représente les armes de
l’ancien Collège de chirurgie sur champ d'azur. Au-
dessus de l’écusson se déroule une banderolle por¬
tant l’inscription : consi | Lio 1 man | vqve. En bas,
une autre banderolle porte ces mots : collegivm
CHIRVRGORVM.
Le second médaillon, également accompagné de
deux banderolles, représente les armes de l’ancienne
Faculté de médecine de Paris. La banderolle supé-
(1) R. Bljinchard, Emploi abusif des armes de l’ancienne Faculté de
médecine de Paris. Bull- de la Soc. française d'histoire de la méd.,
Xll, p. 403-406, 1913. Revue Scientifique, p. 308-309, 7 mars 1914. —
Encore sur l'emploi abusif des armoiries de l’ancienne Faculté de
médecine de Paris. Bull, de la Soc. française d’hist. de la méd., Xlll,
p. 78-81, 1914.
— 173 —
rieure porte la célèbre devise : vbbi | et | orbi | salvs;
l’inférieure porte ces mots : facvl. medic. paris.
Entre les deux médaillons et à la partie supérieure
du panneau se détache un cartouche portant la date
1899.
Le panneau de gauche, dans lequel èst percée une
porte, nous présente également deux médaillons sur
fond bleu, entourés d’un cercle rougeâtre, sur un
fond discrètement décoré de feuilles d’Acanthe.
Le premier médaillon représente un Coq chantant,
de profil à droite, au bas duquel est inscrit ce mot
dans le cercle bistre : vigilantia. Au-dessus, une
longue et étroite banderolle décrit de nombreuses
circonvolutions et porte ces mots : hanc ædem | de-
LINEAVIT I ALE. LASNERET | ARCHITECTVS PARISIENSIS ]
A. R. S. H. I 1899.
Le second médaillon représente un Pélican tourné
à gauche, au-dessous duquel on lit dans le cercle
rouge : devotio. La banderolle sinueuse qui est au-
dessus porte cette inscription : hanc domvm ] ædifica-
VIT ÆRE SVO 1 JVLIVS LE BARON ANDECAVVS | PARISIENSIS
DOCTOR MEDICVS | A. R. S. H. ] 1899.
Entre les deux médaillons, au-dessus de la porte,
la date 1899 dans un cartouche.
L’escalier de cette maison est éclairé par dix
vitraux en verre blanc givré, à raison de deux vitraux
par étage. Chacun d’eux porte dans l’un des angles
supérieurs un médaillon décoratif dont on trouvera
ci-dessous la description. Chaque médaillon, de
forme circulaire, est circonscrit par un anneau bleuté
marqué de clous jaunes, doublé intérieurement d’un
cercle de feuillage stylisé; le champ est occupé par
un personnage ou un sujet concernant la médecine.
Dans les deux verrières consécutives d’un même
étage, le médaillon est à gauche sur la première
(série impaire) et à droite sur la seconde (série paire).
Premier médaillon. — Reproduction du petit
sceau de l’ancienne Faculté de médecine, avec son
inscription :
YPOCRATIS. SECRET, GLORIOSISSIM.
— 174 —
Deuxième médaillon. — RepmductioJi du
grand sceau de l’ancienne Faculté de médecine, avec
son inscription :
SiG. MAGISTRORVM. FACVLTATIS. MEDICINE. PA +
Troisième médaillon. — Il porte l’inscription :
Saint® cosme et damien patrons des CHiRüRGrENs+
et représente les deux saints sus-énoncés, dans
l’attitude, d’ailleurs assez vai'iable, qui leur est attri¬
buée dans les sceaux et armoiries des diverses com»
munautés des chirurgiens de saint Cosme. Au-des¬
sous, un cartouche avec ces mots : d’après un vitrail
de Méru-sur-Oise.
Saint Cosme et saint Damien sont représentés
debout, auréolés, en costume médiéval. Le premier,
de trois quarts à droite, lève de la main droite une
spatule et, de la gauche, serre contre lui un gobelet.
Le second est en robe et coiffé du bonnet carré, de
trois quarts à gauche; il examine un urinai qu’il élève
de la main droite et tient dans la gauche un rouleau
de parchemin. Cette attitude, bien que conforine, dans
ses grandes lignes, à celle que la tradition a consa¬
crée, ne concorde avec aucune des 164 ai’moiries
que le D'’ Dauchez a décrites, d’après VArmorial
général^ dans son très intéressant travail sur les
sceaux et armes des communautés de chirurgiens de
France (1).
Quatrième médaillon. — Reproduction du
sceau de l’ancien Collège des médecins de Lyon (2),
avec l’inscription :
SIGILLVM. eOtLEGII. MKDICORVM. LVGDVNENStVM.
(1) II. DiVyqiiRz, Les armoiries des Chirargie’ta de Saint Cosme aua;
xvi<', xvu«, XVIII' siècles (sceaux et armoiries des Communautés et Colle-
giàiesy suit'ies de la collection complète de ces armoiries (d’après l’Armo¬
rial dç. d’/lozief), Paris, s. d., in-8"f de 47 p.. jav«c 12 fig. dans le texte,
public vers 1893.
^B) Er. Poucet, Archéologie lyonnaise. Documènts pour-servinle.l'his-
taire de (a médecine à Lyon. Lyon et Paris, in.-4' de viii-74 p., 1885,,
avec fig. dans le texte ; et. p. 40, le litre et la couverture; — H. DAtidaEÉ,
Essaide sigillographie. Saint Luc patron des anciennes Facultés de médsi-,
cine. Paris et Lille, ln-8'de 35 p., 1891, avec 11 fi^. dans le texte; cl.
p. 29, fig. 6 et sur la couvortiire.
— 175 —
Au-dessous, dans un cantouche:
■s‘ iUC. PATUON. DES MÉDECINS.
Cinquième médaillon. — Représente Jean
Robin, le célèbre botaniste auquel on doit l’introduc¬
tion en France de la Légumineuse arborescente qui
porte son nom {Robinia pseudo-acacia), actuellement
si répandue en Europe. Il est vu à mi-corps, de trois
quarts à droite, tête nue, vêtu d’un pourpoint à col¬
let renversé. Sur le champ, en deux parties, l’une à
gauche, l’autre à droite, on lit :
ÆT. LVIII 1 AN 1€@8.
Autour du champ et en haut :
J. ROBIN FONDATEUR du R JARDIN BOTAN*'*™.
En bas, un cartouche porte ces mots, en 4 lignes
d’écriture cursive :
JoANNES Robinus I Omnes Herbas noui I Quot tulit
Hesperidum Mundi ^uot Eertilis HORTUS I Herba-
RUM SPECIES NOUIT HIC DNUS EAS.
Ce médaillon a été exécuté d’après une eau-forte
ancienne, sans titre ni si^ature, dont FAcadémie de
médecine'possède un exemplaire dans son impor¬
tante coHeCtion de portraits (1" série, tome XVII,
HP 2957).
Sixième médaillon. — Reproduction d’une sta¬
tuette en porcelaine, représentant Fagon, debout,
tourné de trois quarts à droite ; il est en costume de
cDuravec grande perruque; il s’appuie, tout courbé,
sur une canne.
Sur le socle :
Docteur Fagon,
A la droitedü personnage. Un grand pot de phar¬
macie, comme ceux où l’on conservait la thériaque,
sur la panse duquel est écrit :
FAGON médecin \ de \ LOUIS XIV.
— 176 —
Sur le socle du même on lit :
Biscuit en porcelaine ] de l’epoque.
Inscription circulaire :
DOCTEUR FAGON MEDECIN DE LOUIS XIV.
La collection de portraits de l’Académie de méde¬
cine (l™ série, tome VI, n" 1026) possède une simili¬
gravure sans légende ni indication de provenance,
représentant la statuette d’après laquelle a été exécuté
le médaillon ci-dessus.
Septième médaillon. — Reproduction du
revers d’un jeton de G. J. de l’Epine, doyen de la
Faculté de médecine de 1744 à 1746. Ce jeton, gravé
par Duvivier, représente l’amphithéâtre de Winslow,
dans l’ancienne Faculté de la rue de la Bûcherie,
actuellement occupée!par l’Association générale dés
étudiants. Fournié donne une image du jeton en
question (1).
Huitième médaillon. Reproduction du
revers d’un jeton de Louis Alleaume, doyen de la
Faculté de 1774 à 1776. Ce jeton, gravé par B. Duvi¬
vier, est figuré par Fournié (2).
Neuvième médaillon. — Symbolise la santé.
Dans un médaillon aux contours tourmentés, formés
de quatre angles saillants et de quatre demi-cercles,
une Gigogne passe à gauche, tenant dans son bec un
rameau. En bas, dans un cartouche : valetudo.
Dixième médaillon. — Symbolise l’intégrité.
Dans un médaillon analogue au précédent, une Sala¬
mandre au milieu des flammes. En bas, dans un car¬
touche ; INCORRUHTIO.
(1) . H. Foürmé, Les félons des doyens de l'ancienne Faculté de méde¬
cine de Paris. ChÂlon-sur-SaàDe, in-4“ de 181 p. avec 15 planches hors
texte, dont2 non numérotées, 1907 ; cf. pl. VI* fig. .71-73.
(2) Loco citato,fl. IX, fig. 101. , ,
— 177 —
TROIS DOCUMENTS DTCONOGRAPHIE MÉDICALE
(UNE PORTE GOTHIQUE ET DEUX VITRAUX)
pi-ésentés par lo Raymond BOSIIWIÎAIT (de I»orl«)
I. — Porte gothique.
Porte basse art franco-flamand, en
chêne, fin du xv' siècle, mesurant
0“09 d’épaisseur, OniSO, de largeur,
1“79 de hauteur.
Les deux tiers inférieurs comportent trois pan¬
neaux pleins sans sculpture. Le tiers supérieur est
composé de trois bas reliefs séparés par des colon-
nettes à clochetons et représentant des scènes d’inté¬
rieur.
Au centre : une malade, le buste soutenu par deux
coussins, est assise dans un lit à panneaux à ser¬
viettes. Un personnage, qui paraît être un médecin,
lui présente une potion qu’il va lui faire boire. Au
pied du lit, un petit chien jappant.
A gauche : une femme tient dans la main une
sei’ingue. A ses pieds, un basset muni d’une porte
ouvrante et dans lequel on devait vraisemblablement
renfermer les mortiers et le pilon, qui sont posés
dessus. Derrière elle, un dressoir.
A droite, 2 personnages, un homme et une femme,
celle-ci portant un vase à onguent. Un cordon de
feuillage très délicatement traité (grappes de raisin,
feuilles et vrilles de vigne), forme l'encadrement la
porte sur une gorge.
Traces de dorure et de polychromie.
La porte est complètement ancienne et n’a subi
aucune restauration. A la partie gauche, entailles
produites par les ferrements et dans la partie droite
un trpu pour la serrure.
Cette porte est curieuse à plus d’un titre. Les bas-
reliefs sont 4es sujéts civils, ce qui est une rareté
— 179 —
pour l'époque où même dans les intérieurs, on figu¬
rait volontiers des sujets religieux. La nature médi¬
cale du sujet permet de présumer que cette porte
ornait le domicile d’un confrère. L’existence d’une
Fig. 2
seringue entre les mains du personnage de gauche,
est presque unique pour l’époque, car il est certain
qu’on attribue généralement, au xvii® siècle la vulga¬
risation de cet instrument, qui excite si fréquemment
la verve satirique de Molière (1).
(1) Ün tndutagc du tiers supérieur de celte porte, a été ofterl par
M, Raymond Bonneau à lu. Société trançaiae d'histoire de îii Médecine,
et est conservé dans le Musée de la .Société.
180 -
II. — Vitrail suisse aux armes parlantes d’un
CHIRURGIEN.
Au centre, un écusson surmonté d’un casque et
entouré de larges volutes, porte un sapin aux côtés
duquel sont figurés un rasoir et une lancette.
Au-dessus de l’écusson : une devise religieuse avec
répétition du sapin ; au-dessousl’inscriptionsuivante:
Hans Jacob Denier chirurgus and des Grichts in Lan-
genthal und Anna Kugelmann sein Ehegemahl. Anno
1742.
III. — Vitrail chirurgical de la fin du
XVI® SIÈCLE.
Primitivement, quatre scènes chirurgicales étaient
représentées. Malheureusement, la scène du quart
supérieur gauche a disparu et a été remplacée par un
petit paysage. De cette première scène, on retrouve
sur la scène contiguë les pieds du malade et l’extré¬
mité de la table sur laquellè il devait être étendu.
A droite et en haut, opération sur la tête. Le malade
est assis les mains fixées sur l’abdomen, Paide tient
la tête, tandis que le chirurgien armé d’un instrument
s’attaque au front du patient. Un valet s’éloigne pour
vider une cuvette.
A gauche et en bas, le sondage. Deux aides sont
nécessaires pour tenir l’opéré dont, au surplus, les
jambes sont maintenues écartées et fixées à la table
par des lacs. Le chirurgien a saisi la sonde et l’engage
dans l’urèthre du patient. Un bassin est là prêt à re¬
cueillir l’urine.
A droite et en bas, l’amputation de jambe au tiers
supérieur. Le pied est fixé dans un étau, ressemblant
assez à un piège à loups. L’opérateur actionne une
scie à large lame, qui a déjà pénétré profondément
dans les chairâ;
Sur ces trois scènes, le costume des personnages
est identique. Le chirurgien portéla fraise et le pour¬
point à crevés; les bras sont nus.’Les aides portent
également la fraise, mais le pourpoint est uni et les
181 —
manches descendent jusqu’aux poignets. Quant aux
valets, ils ont un col rabattu sans la fraise.
Le vitrail a une bordure de rinceaux, mascarons et
statues de femmes se tenant les seins. Il est surmonté
d’une composition guerrière en grisaille, rehaussée
de jaune, représentant des cavaliers portant l’armiire,
occupés à pourchasser un personnage qu’ils traver¬
sent de part en part d’un coup de lance.
Fig. 3
L’antiquaire de qui je tiens ce vitrail depuis une
dizaine d’années, disait l’avoir acquis à la vente du
D” Dumonpallier ainsi que trois autres représentant
des allégories : la Bienfaisance, la Sagesse ou la For¬
tune, mais dont l’intérêt était moindre.
— 182 -
L’an dernier, il me tomba sons les yeux un article
anecdotique d'un confrèi’e sur une visite qu’il fit
au D'' Durnonpallier. Dans cet article, l’auteur au
cours de la description du cabinet où il était reçu
signalait un vitrail « de l’époque Henri IV représen¬
tant des scènes chirurgicales dont une amputation. »
Nul doute que le vitrail que je vous présente ne soit
celui qui ornait le cabinet du célèbre inventeur du
pessaire.
OUVRAGES OFFERTS
Charles Singer. Noies on some early référencés to tropical
diseases. Liverpool, at the üniversily press, 1912, in-4®, p.
379-402, 1 pl. et fig. Exlr. de of tropical medicine and
parasitology.
George ViAU. Le docteur Paul Paulin^ statuaire, Paris, 1914,
in-8“, p. 37-44, fig. fixtr. de L'Odontologie.
Staïuten der Vereeniging ooor Gescltiedcnis der Genees-^Na-
tuur-en Wiskundc gevestigd te Leiden .. Gedrukt bij C, de
Boer jr. te Helder, 1914, in-8“, 4 p.
D'' Goldschmidt. Notice sur des oases antiques. Paris, F.
AKan, 1914, in 8°, p. 20 26, 8 fig. Extr. de la Reoue unthro-
pologique.
Paul Douveauk. Lettres testimoniales délivrées en 1669 à
Jean Loret, de Bourges, serviteur apothicaire à Montpellier.
Dijon, imp. Jacquot et Floret, 1903, in-8", 3 p , l pl., Extr.
du Bull, de la Soc. synd. des pharm. de la Côte-d'Or.
lo. Les fourmis. Paris, 1905, in-8»^ p. 303-308. Extr, du
Bulletin de sciences pharmacologiques .
Id. Les éditions du Codex. Paria, 1909, in-8", 3 p. Extr. du
BuMetin desseiences pharmacologiques.
in. Historique du Crilhmuni maritimum L. Harlem, de erven
F, Bob», 19.09, iln-8", 9 p. Extr du/anus.
Id. Un diplôme d'apothicaire délivré par Fngon en 1108. Paris.
1911, in-8", p. 342-347. Extr. du Bull, de la Soc. fr. d'hist. de
la méd.
Id. Un diplôme d'apothicaire délivré par Pagon en 1708.
Paris, 1911, in-8", 4 p. Extr. du Bull, des sciences pharmaco¬
logiques.
Italo Levacher. .Memorie. leiieree documentiper service alla
biografia di Fr. Guill. Levacher[17Sü-181G). "ïveyiso Neneto,
tip. Vianello, 1911, iii-8", 184 p., portr.
- 183 -
R. MASSALOWiO et U. Gaspeiuni. Sulla osleo-artropalia Iper-
trofica pneumica. Roma, 1913, in-8“, 14 p., 4 pl. Extr. de
Policlinico .
G. PlaNCHON. IVüjfes sur l'histoire de l'orviétan et sur la con¬
fection publique de la thériaque à Paris. Pai'is, iinp. Marpon et
Flammarion, 1892, in-8“, 56 p. Extr. du Journal de phar¬
macie et de chimie.
Alfred Martin. Die .lost Ammannsche Pederzeiclinung ciner
Doppelmissbildung in der Wickiana der Stadlbibliothek zu
'/Jirich. Zürich, 1911, in-4“, 8 p., 1 fig., 1 pl. Extr. de Üe-
schichte der Familie Animann von '/Arich .
Emile Rivière. Les apothicaires parisiens au seizième siècle.
Paris, 1914, in-8“, 56 p., 5 lig. Comptes rendus de l'Associa¬
tion française pour l'avancement des sciences, mémoire hors
volume. Congrès de Nîmes, 1912.
Jules Drjvon Miscellanées médicales _et historiques. Notes
pour servir à l'histoire de lamédecine à Lyon. 6" série. Lyon,
Association typographique, 1913, in-8", 32 p.
In. Les anciens hôpitau.v de Lyon. Petits hôpitaux divers.
Lyon, Association typographique, 1914, in-8°, 68 p.
A. Guisan. Un médecin veveysan du XVJP siècle, écrivain
militaire : Gamaliel de la Tour. Berne et Lausanne, Wagner,
1914, in 8“, 7 p. Extr. de la Revue suissede médecine.
Charles JoüRDiN. Note sur trois crânes préJiistoriques dont
un trépané pendant la vie {^tumulus du bois de la Jeune-Ronce,
à Coiichey). Dijon, impr. Jacquot et Floret, s. d., in-8“, 8 p.
Id. Les médecins dijonnais et l'Académie de Dijon. Dijon,
impr. Jacquot, 1909, in-8®, 15 p. Extr. de la Bourgogne mé¬
dicale .
Id. Essai historique sur Vancienne Société médicale de Dijon.
Dijon, impr. Jacquot, 1910, in-8°, 27 p. Extr. de la Bourgogne
médicale.
Id. Note complémentaire sur l’historique de l'ancienne Société
médicale de Dijon. Dijon, impr. Jacquot, 1911, in-8®, 5 p.
Extr. de la Bourgogne médicale.
\o. La saignée chez les Cisterciens au XIF siècle. Dijon,
impr. P. Berlhier, 1914, m-8°, 9 p. Extr. de la Bourgogne
médicale,
Alfred Martin. Goteroff, Gutler, Gutlus. 7 m Paul Richter's
« Nocli einaltes Rezept vor die Blaternmale franzose ». Leipzig,
J.-A. Barlh., s. d., in-8°, 2 p. Extr. ie Archiv. fur Geschiclite
der Medizin, VI.
Id. Beitrag zur Geschiclite der Medizin. Berlin, 1906, in-8®,
2 p. Extr. de Deutsche Aezte-Zeitung.
— 184 —
Id. Aeltere Ansc/iauungen iibei' den Gebrauch des Einzelkelches
beim Abendmahl. Berlin, 1907, in-8“, 2 p. Extr. de Medizini-
sclie Klinik,
Id. Aus dem Leben der Bader im 16. Jahrhundert. Berlin,
1907, in-8“, 4 p. Extr. de Deutsche medizinische Wochens¬
chrift.
Id. Des Herzogs Christian von Braunschweig Verivundung
und seine kûnstliche Hand. Berlin, u. Leipzig, 1908, in-8“, 3 p.
Extr. de Deutsche medizinische Wochenschrift.
Id. Luihers Stellung zuni Gesundbeten. Berlin, 1908, in-8",
2 p Extr. de Medizinische Klinik.
I d . Kin Lobgedicht auf die Chinarinde vont .Tahre 1 783. Wien,
1909, in-8°, 3 p. Extr. de Pharmazeulisohe Post.
Id. Rômische Münzfunde in den Schwalheimer Sauerbrunnen
bei Bad-Nauheini. Der Sdnvalheimer Sauerbrunnen bei Bad-
Nauheim und das Friedberger .tudenbad in derDichtung. Fried-
berg i. Hessen, 1910, in-8°, 14 p. Extr. de Friedberger Ge-
schichtsblâtter, II.
Id. Nette Gesichtspunkle zttr Geschichtc des Badewesens und
der Sitüichkeit in Deutschland. Leipzig,G. Thieine, 1913, in-8“,
12 p., fig. Extr. de Deutsche medizinische Wochenschrift.
Raymond Neveu. L'état sanitaire de l'Afrique du Nord, dans
l'antiquité et de nos jours. Préface par R. Blanchakd, Paris,
J.-B. Baillière, 1914, in-8°, XII, 177 p.
Eugène Olivieb . L'ex-libris, les fers de reliure et cachets
de la bibliothèque de la Faculté de médeeine de Paris. Paris,
Société française des collectionneurs d’ex-libris, et A. Le-
quesne, 1914, in-8“, 19 p., fig. Extr des Archives de la So¬
ciété française des collectionneurs d'e.r-libris et de reliures artis¬
tiques.
Alfred M\nTi's. Bode, Friedrich, Dr. med., Geheimer Medizi-
nalrat. Badearzt in Bad-Nauheim..., 1811-1899. Darmstadt,
Grossherzogl, Staatsverlag, s. d.,, in-S", p. 56-57, Extr. de
Hessische Biographien, I.
Id. Der Dessauer Foltertrog und die Stellung der .furisten
und Aerztc zu seinem Gebrauch [eine Monographie'). Berlin-
Wilmersdorf, s. d.,in-8“, 16 p. Extr. de Klinisch-therapeutis-
che Wochenschrift.
— 185 —
Séance du 13 mai 191i.
Présidence de M. Paul Dorveaux.
MM. Bercuon, Brodier et de Rodt, présentés à la
dernière séance, sont élus membres de la Société.
— Candidats présentés :
M. le Df Olof Hult, Nybrogatan, 43, Stockholm,
par MM. Blanchard et Wickersheimer.
M. le D'' -Morisset, Mayenne, par MM. Hahn et
Wickei’sheimer.
M. le D*’ Antoine Satre, place aux Herbes, 3, Gre¬
noble, par MM. Dorveaux et Wickersheimer.
M, SÉviLLA, médecin vétérinaire, rue de Ghazelles,
24, Paris, par MM. Blanchard et Railliet.
M. le D‘ Sonnié-Moret, boulevard du Montpar¬
nasse, 42, Paris, par MM. Hahn et Wickersheimer.
— Correspondance :
Lettre de M. J. Lortel, rue de Londres, 44, Paris,
qui, à propos d’une communication récemment faite
à la Société (1), dit qu’il est prêt à montrer, par de
nombreux exemples, que la thérapeutique balnéaire
des médecins d’autrefois n’était pas exempte d’empi¬
risme et d’un « éclectisme un peu trop grand ».
— M. Goldschmidt fait don à la bibliothèque de la
Société d’une collection de livres de médecine an¬
cienne, dont on trouvera la liste sous la rubrique
Ouvrages offerts, et au musée d’une trousse ancienne
d’instruments pour la trépanation du crâne.
LE SERMENT DES APOTHICAIRES CHRÉTIENS
ET CRAIGNANT DIEU
[Addition.)
par le D' Paul DORVEAUX
Une erreur s’est glissée dans mon article sur le
serment des apothicaires chrétiens et craignant
(1) BulleÜn, xm (1914), p. 33-42.
BuU. Soc. fr. hisl, méd., XII, 1914 13
— 186 -
Dieu (1). J’ai dit que « les médecins n’ont jamais eu
à s’occuper du serment des maîtres apothicaires
jurés » ; or c’est faux. Les maîtres de la Faculté de
médecine de Paris ont obtenu, en 1336, du roi Phi¬
lippe VI, de Valois, un statut « contraingnant lesdiz
appoticaires et leurs variez etles herbiers à les jurer
tenir et garder [les ordonnances concernant leurs
métiers], devant ladite faculté, ou devant le doien, et
deux ou trois des maistres d’icelle (2) ». Mais cette
obligation fut de courte durée, car il n’en est plus
question dans les ordonnances suivantes.
Gomme tous les gens de métier, les apothicaires
candidats à la maîtrise ont toujours dû, après leur
chef-d’œuvre, prêter serment d’observer les ordon¬
nances qui les concernaient. A Forigine ce serment
fut prêté par devant « le mestre du métier ou son
lieutenant (3) ; puis, en 1336, la Faculté de médecine
obtint qu’il fût prêté par devant elle. Plus tard les
apothicaires jurèrent par devant le Substitut du Pro¬
cureur Général au Châtelet ou le Lieutenant Civil (4),
et, à partir de 1667, par devant le Lieutenant Géné¬
ral de Police.
MESURES PROPHYLACTIQUES CONTRE LA RAOB
A LA PIN DU XVm» SIECLE
par B. REBBR (de Genève)
La question des chiens et de la rage restera tou¬
jours un sujet d’actualité. Notre Bulletin vient de
publier un Mémoire « sur quatre cas de rage », qui
m’encourage à lui soumettre une lettre traitant des
chiens enragés et adressée, probablement encore au
(1) V. ce Buticim. 1914, p. 152.
(2) Denifle et CHATELAIN. Cliartularium VnivcraUalis Parisieiisis, t. II,
p. 462, Paris, 1891.
(3) Bùtoire générale de Paris. Les métiers et corporations de la ville
de Paris. I ; XIV'-XVIII* siècle. Ordonnances générales. Métiers de l’ali¬
mentation, par René de Lespinasse. Paris, 1886, p. 502.
(4) Histoire générale de Paris, p. 627 et 528.
— 187 —
xviii“ siècle, au Journal de Genève^ par François Tin-
gry, le célèbre pharmacien et professeur de chimie.
Tingry s’occupait de toutes les questions de quelque
utilité générale, partout, on le voit sur la brèche.
Non seulement les questions purement scientifiques,
comme la chimie, la minéralogie, la géologie, la bota¬
nique, la physique, mais encoi’e les arts et métiers,
les fourneaux pour les doreurs, un règlement pour
les cordonniers et selliers, etc., c’est-à-dire tous les
faits d’une utilité publique quelconque, l’intéressaient
vivement. Il est probable que je revienne prochaine¬
ment d’une façon plus étendue sur la vie de ce savant
naturaliste.
L’image de l’impuissance et de la crainte des gens
ne saurait être dépeinte mieux que Tingry ne l’a fait
dans ces quelques lignes.
En général, cet exposé montre l’état moral et scien¬
tifique d’une ville fermée il y a envii’on un siècle. A
tous les points de vue, un pareil exposé devient inté¬
ressant et même, aujourd’hui encore, instructif. On
assiste à des scènes de rue d’une ville qui n’était cer¬
tainement en aucune façon en arrière des autres
villes, au point de vue de l’intelligence et des insti¬
tutions. Des scènes de ce genre et d’autres apparte¬
naient à la vie publique de toutes les villes bien
organisées. Autant que de la rage, il s’agit, dans ce
document, de l’histoire de la culture de l’humanité.
Tout le monde convientque de toutes les maladies qui affligent
le genre humain, il n’en est point de plus affreuse que la
peste et celle que nous donne la morsure d’un chien enragé.
Elles portent tellement l’effroi avec elles que les personnes
dévouées par état aux soulagements des malades n’approchent
les malheureux individus qui en sont attaqués qu’avec la plus
grande crainte. En effet, l’homme le plus sage et le mieux
constitué n’a, quant à l’hydrophobie, aucun privilège sur celui
qu’une constitution faible menace d’une dissolution prochaine.
Le préjugé populaire qui relègue cette maladie au nombre des
incurables, opère un effet plus sensible sur le moral des per-
{i) Bullclia, XIU, p. 48.
— 188 ~
sonnes mordues d’un chien inconnu et celui de leurs amies
que ne ferait un pestiféré sur une ville, parce que dans ce
dernier cas [il] reste encore l’espoir de la guérison.
Le trouble qui résulte dans la société et dans les familles
de ces deux fléaux justifient les moyens que les gouvernements
mettent en usage pour en écarter les funestes eflets; mais,
parmi tous ces moyens, il en est quelques-uns de details
sur lesquels les observations ne peuvent point porter atteinte
à l’esprit de docilité dont tout bon citoyen doit donner l’exem¬
ple pour tout objet de règlement de police. C’est dans cet
esprit que je vous adresse cette lettre.
Il n’est peut-être point de pays comme le nôtre où l’on soit
plus attentif pour écarter de l’esprit des citoyens toute idée de
la rage de temps immémorial. Les valets de ville ont semé le
poison pour faire périr les chiens qui n’étoient attachés à
aucun domicile. C’est surtout à deux époques de l’année que
se faisait cette distribution de poison; dans le cour délété
et pendant les fortes gelées. Mais on ne scait par quelle fata¬
lité une ville qui prend tant de précautions pour attaquer
l’hydrophobie dans sa source est précisément celle qui a les
plus fréquentes alarmes sur cette maladie. Les précautions
sans doute deviennent les causes principales, ou contribuent
peut-être à entretenir les craintes et à donner l’allarme a la
première morsure d’un chien inconnu dont une mauvaise
humeur passagère paraît bientôt aux yeux du peuple effraye
avec tous les symptômes de la rage.
Quelques personnes ont pensé que le poison pris en petite
dose ou dégénéré par l’effet de la fermentation qu’il subit au
bout de quelques jours, pouvait donner aux chiens une mala¬
die dont le développement les conduit à la rage. L’effet que
j’ai vu produire un semblable poison sur un âne qui l’avait
mantré mstlfie à mes yeux cette opinion. Cet âne est mort dans
les convulsions de la rage, il mordait et ne lâchait pas prise,
c’est un fait connu. Combien de chiens de paysan qui, perdant
leur maître dans la ville ne savent plus en sortir qu’au bout
d’un certain temps. Toute ville fermée est sujette à cet incon¬
vénient 11 s’échappe enfin, malgré l'appareil de nos corps de
carde qui aura pu l’intimider pendant quelques jours, mais il
s’échappe emportant avec lui le germe d’une maladie qu'il a
trouvé dans le poison dégénéré ou en trop petite dose. Les
fumiers amassés à nos portes et qui contiennent encore les
restes vénéneux, offrent sans doute aux chiens qui rodent un
nouvel aliment à cette fatale maladie. On observe que le pre¬
mier bruit de rage vient plutôt de nos environs que de la ville
même,
Cette opinion a paru faire quelqu’impression sur les mem¬
bres du Gouvernement, si on en peu juger par les nouveaux
ordres qui joignent le raassolage au poison (1).
On auroit peut-être pu espérer des effets plus certains si,
en mettant la massue dans les mains du valet de ville, on leur
avoit ôté le poison ; mais ce dernier moyen est-il sans incon¬
vénient pour une ville comme la nôtre où les lumières assez
généralement répandues doivent nécessairement influer sur
l’urbanité des mœurs. Les scènes sanglantes ne sont point
faites pour nous, malheur à notre génération si elle s’y habi¬
tuait et si elle voyait sans émotion le massolage exécuté sous
ses yeux sur des animaux qui ont tant de droits à l’amitié de
l’homme et son attachement. Depuis longtemps, je gémissais
en secret sur la cruelle nécessité qui sacrifiait tant de victimes
à la tranquillité des familles, mais la scène qui s’est passée
samedi dernier sous les yeux de beaucoup de monde (2), me
fait un devoir d’exposer des observations fondées sur les
usages d’autres villes où le citoyen n’est point obligé d’acheter
par un spectacle rebutant la sécurité qu’il doit pour cet objet
aux soins du gouvernement.
A Strasbourg on a établi des colliers de l’Etat qui assujettit
chaque propriétaire du chien qui veut être tranquille sur le
sort de sa bête à une redevance annuelle. Cette redevance
annuelle est éteinte aussitôt qu’on rend le collier. Tout chien
qui est rencontré sans collier par un valet de ville, est mis en
laisse et conduit dans un endroit désigné où on le garde trois
jours avant d’être étranglé. Si dans l’intervalle de ces trois
jours le maître le réclame, il lui est rendu, sauf une petite
rétribution volontaire au profit du valet. Il se trouve beaucoup
de ces chiens arrêtés, parce que c’est une ville fermée comme
la nôtre, mais il y a peu de chiens enragés dans les environs,
peut-être, parce qu’on n’y répand pas de poison.
A Lyon la police a autorisé le régime à peu près semblable
les valets de ville saississent les chiens qui courent la ville
sans leur maître on sans muselière, et les conduisent à l’école
vétérinaire où il reçoit 20 sols de salaire, on met l’animal à
(1) Cet alinéa a été barré.
(j) Les valets de ville manquèrent dans les rues basses des Allemands,
un gros chien qui reçut le coup sur le col, quoiqu’étourdi, il prit la
fuite et fit retentir toute la rue des cris horribles que lui arrachait la
douleur. L’indignation générale fut le partage des volets de ville; deux
femmes, dont une était enceinte, se trouvèr'^nt mal et ce n’est pas la
première fois qu’on à été appelé à donner des secours aux personnes
émues par de semblables scènes.
— 190
l’attache pendant 3 jours et il est nourri aux frais de l’école.
S’il est réclamé le maître rend les 20 sols et en sus 30 sols par-
jour pour la nourriture de l’animal. S’il n’est pas réclamé il
sert après ce terme aux démonstrations anatomiques.
Voici deux régimes également suffisants pour écarter les
dangers de la rage en s’assurant des chiens rôdeurs, leur
exécution ne présente rien qui blesse la sensibilité et on ne
coure plus les dangers de rendre notre jeunesse cruelle envers
les animaux en la rendant le témoin de scènes sanglantes.
Mais quel est de ces deux régimes celui qui nous convient? Le
coller d’Etat serait bien vu par un grand nombre, mais il
éprouverait de fréquentes oppositions. Laissons donc le col¬
lier d’Etat, mais donnons de l’extension à la méthode Lyon-
noise.
11 est de fait que sur 100 chiens nourris dans la ville il s’en
trouve au moins 40 dans les maisons des particuliers assistés
de l’hôpital ou des Bourses, je connois une pauvre femme qui
à trois chiens. C'est un abus qu’on peut corriger par le nou¬
veau régime que je propose. Le voici :
1“ Chaque particulier feroit poinçonner le collier de son
chien d’une marque très distincte. Cette marque seroit mise
par un des serviteurs de l’hôpital et il recevroit une rétribution
convenue ;
2“ Le marqueur serait tenu à ne pas poinçonner les colliers
que lui présenteraient les personnes à la charge des hôpitaux ;
3“ Tout chien qui seroit trouvé par le valet de ville sans son
collier poinçonné seroit conduit en laisse dans un endroit
désigné dans une des cours de l’hôpital pour y être gardé
pendant 2 jours, lie valet de Ville recevroit 1 florin pour son
salaire ;
4“ Le chien seroit nourri pendant ces deux jours aux frais
de la maison, après lequel temps les valets de ville l’étrangle-
roient et en disposeroient suivant leur coutume.
5“ Si pendant ces deux jours le maître réclame son chien il
remettra à l’homme chargé de la marque des colliers, outre le
florin d’entrée 4 livres de france pour le premier jour et 3 livres
pour le second, en cumulant avec la première somme à charge
au receveur d’en rendre compte à la noble direction.
6“ Aucun de ces chiens arrêtés ne sera rendu à son maître
si celui-ci est à l’assistance de l’hôpital et des Bourses.
Par ce régime le nombre des chiens dirainueroit considéra¬
blement en très peu de temps, et on seroit à l’abri des chiens
rôdeurs sans poison et sans massolage public. Chaque paysan
qui sauroit qu’il faut 9 livres pour sauver son chien le tien-
— 191 —
droit en laisse quand il vient en ville et finiroit par ne le plus
amener avec lui. D’ailleurs de quel poids ne seroit point allégé
le magistrat chargé de veiller au maintien de la sûreté publique
quand il seroit sûr de faire plus d’effet avec moins de désa¬
grément. L’établissement une fois établi, il n’auroit pas le
chagrin de faire enlever à leurs maîtres des animaux auxquels
ils sont attachés et cela sur la simple dénonce qu’on l’a vu
aux prises avec un autre chien. Il laisseroit au maître sans
doute l’alternative d’opter entre une mort prompte ou bien les
frais qu’exigeroit sa pension au dépôt en supposant toujours
pour le dernier cas que cette pension ne passeroitpas les sus¬
dits 3-6 1. par jour.
Telles sont Messieurs, les observations et les moyens que
je crois les plus propres pour concilier les mesures du gou¬
vernement contre l’hydrophobie avec les ménagements que
nos mœurs, semblent exiger. Ces idées en peuvent faire naître
d’autres plus heureuses en présentant un plan d’une exécution
encore plus facile.
UNE INOCULATION EN 1797
RÉCIT D’UNE MÈRE
pur le U' Georges HERVÉ
I
L’histoire de l’inoculation variolique en France
n’est plus à faire (1), et l’on connaît les vicissitudes
par lesquelles a passé cette méthode jusqu’au jour où
l’avènement de la vaccine, tout au début du xix® siè¬
cle, la fit disparaître définitivement.
On sait que cinq ans après que le D'' Emmanuel
Timoni (de Constantinople) en eut révélé les bien¬
faits à l’Europe, De La Coste nous l’apportait de Lon¬
dres (1723), et que favorablement accueillie d’abord
par la Sorbonne elle-même, l’inoculation, malgré
l’appui du Régent, malgré la onzième Lettre anglaise
de Voltaire « sur l’insertion de la petite vérole », tom¬
bait presque aussitôt dans l’oubli.
(1) Voir Fr. Dezoteu.x et L. Valentin, Traité hist-orique et pratique de
l'inoculation; Paris, an VIII, in-8. — A.-N. Grandvilliers, Essai hUtori-
que sur l’inoculation de la variole. (Thèse de Paris, 18.54, n* 157.)
- 192 —
Mais, trente ans après, elle reprend faveur, grâce
aux mémoires de La Gondamine et au rapport d’Hosti,
où celui-ci rendait publics les succès obtenus en An¬
gleterre. De puissants patronages, des initiatives par¬
ties de haut, entraînent alors l’opinion : le chevalier
de Chastellux donne le signal en se faisant inoculer;
le duc d’Orléans appelle Tronchin pour inoculer ses
enfants (1756); toute la cour suit son exemple. De
1757 à 1759, la cause de la variolation est en progrès
manifeste, comme le prouve la vogue immense dont
jouit à Paris, dès 1760, Gatti, professeur à Pise, qui
avait vu inoculer en Grèce et à Constantinople, et
dont les succès sont tels que ses ennemis l’accusent
d’atténuer exprès le virus, et de ne point immuniser
ses clients (1).
Puis c’est la lutte entre inoculateurs et anti-inocu-
lateurs, l’arrêt suspensif du 8 juin 1763, arraché au
Parlement « à force de cris et de faits, ou exagérés
ou faux, arrêt qui, — dit Condorcet, — en rendant
l’inoculation impraticable, excepté aux riches, privait
de ses avantages le plus grand nombre des citoyens (2) ».
Après consultation de la Faculté, dont les voix s’étaient
partagées entre deux rapports contraires, la tolé¬
rance de la pratique inoculatoire n’en était pas moins
accordée.
Le perfectionnement de l’inoculation, quand Daniel
Sutton eut substitué la méthode des piqûres à celle
des incisions, hâta ensuite ses progrès. Dezoteux, la
même année (1767), fit connaître la pratique des Sut¬
ton, et appliqua leur méthode à Nancy. L’expérience
se poursuivit dès lors sur une échelle de plus en
plus grande, et avec des succès toujours crois¬
sants : inoculation des élèves de l’Ecole mili¬
taire en 1768; des élèves du collège de La Flèche, en
1769 (112 varioles bénignes et 10 sujets l’éfractaires,
sur 122); en 1774, inoculation heureuse de Louis XVI,
(1) Voir, il cc sujet, la lettre de Gatti sur l’inoculation de la duchesse
de Boufflers, dans la Gazette littéraire du 1"' septembre 1765, et celle de
Voltaire à M™* Du DelTand (16 octobre 1765).
(2) Condorcet, Eloge de M. de La Condamine.
— 193 —
de ses frères, et de la femme de l’un d’eux. Rien que
pour la Franche-Comté, Girod (de Besançon), en dix-
sept ans de pratique, réunissait une statistique de
23.955 cas, avec une mortalité de 1 sur 600 environ,
de 1 sur 300 ou 350 chez les enfants, et encore pour
des causes étrangères à l’inoculation elle-même.
En sorte qu’à la fin du xviiR siècle la variolation
n’avait pas seulement droit de domicile chez nous, il
est permis de dire qu’elle y avait cause gagnée ; et
nous voyons, en effet, après l’épidémie de variole de
1797, le gouvernement autoriser la Clinique d’inocu¬
lation fondée en l’an VI (1798) par l’Ecole de Méde¬
cine, clinique où enseignait Leroux, où Pinel et
Leroux inoculaient.
II
La popularité de l’inoculation resta très grande
jusqu’au moment où l’on connut la vaccine, ce moyen
prophylactique moins dangereux certainement, sinon
plus efficace. A la veille même du changement dû à la
découverte de Jenner (1), la confiance en l’immunité
conférée par la variole bénigne artificielle se montrait
à peu près générale en France dans toutes les classes
de la société, fondée qu’elle était sur les faits les
mieux établis.
Une femme de grand mérite, de Barentin de
Montchal (2), qui a laissé une Histoire abrégée de VAn¬
cien et du Nouveau Testament semée de courtes
réflexions pour les enfants et les adolescents (3), et dont
nous avons retrouvé, dans les papiers des Jauffret,
des Notes sur ma fille (manuscrites), curieux essai
d’observation psychologique surles premières années
d’une enfant, écrit alors :
(1) Le D'' D. Goldsclimidt a montré que les i>rcmiers essais d’inoculu-
tion jennérienne eurent lieu à Strasbourg, vers lu fin de 1799. {Revue
d'hygiène, 1902, p. 976 ; et Uie Prioritæi der Zivangsimpfung, in Strase-
burger mediz. Zeitung, 9. Heft, 1906 )
(2) Femme, croyons-nous, du lieutenant-général vicomte Louis de
Uarentin-Montchal, frère de C. L. Fr.-dc-Paule de Barentin, qui fut
garde des sceaux de France sous Louis XVI.
(3) Paris, 1804, 2 vol. in-12. .
— 194 —
On pouvait redouter l'inoculation avant qu’elle fût parve¬
nue au degré de perfection où elle est aujourd’hui; mais la
manière d’y procéder est devenue si simple et les avantages
en sont si bien prouvés, qu’on ne doit plus hésiter maintenant.
Plus on réfléchit à l'universalité de la petite vérole et à la certi¬
tude de ne l’avoir qu’une fois (du moins quant au général), et
plus il paraît constant que cette maladie est attachée à la
nature humaine, et qu’elle nous menace tôt ou tard. Ainsi ce
principe (ou germe) qui est en nous, peut ou nuire à la santé,
ou occasionner d’autres maladies s’il ne se développe pas
entièrement, ou enfin se développer dans un temps où l'on est
mal disposé, et occasionner alors complication de maux. L’ino¬
culation doit donc être regardée comme une des découvertes
les plus précieuses pour l’humanité, et de plus, dans l’enfance,
comme un moyen de santé. Et sous le rapport des scrupules,
on peut la considérer comme une saignée de précaution...
Mais M'”” de Barentin ne s’est pas bornée à ces
réflexions, que lui suggérait l’inoculation pratiquée
sur sa fille. Les Notes d’où elles sont extraites con¬
tiennent, de cette opération et de ses suites, un
exact compte-rendu jour par jour, qui nous a paru
mériter d’être conservé. Au point de vue historique,
il relate un des derniers cas, sans doute, que puisse
revendiquer l’inoculation non-jennérienne; au point
de vue purement clinique et médical, il ne manque
pas non plus de quelque intérêt.
Ma fille — rapporte M“® de Barentin — fut inoculée un peu
avant trois ans. La coqueluche (régnante alors) survint ensuite.
Cy-joint sont les notes de ses deux maladies, qui se passèrent
dans mes bras.
Ma fille fut inoculée le 14 février 1797, entre midi et une
heure, par trois piqûres à chaque bras, après la préparation
d’un bain. Elle avait ses 20 dents, et n’avait pas encore mangé
de viande. Le médecin visita les plaies tous les jours, et les
trouva, chaque fois, telles qu’on pouvait le désirer. Du qua¬
trième au cinquième jour, on essaya de la purger avec une
espèce de lait d’amande préparé qu’elle vomit en partie une
heure après, mais qui fit néanmoins un peu d’efifet vers le soir.
Le lendemain, on essaya encore de la purger par une infusion
de séné mondé, avec du miel dans de l’eau de pruneaux (ce
qui procura seulement une selle rougeâtre et très glaireuse).
Ensuite elle prit un bain de pieds soir et matin, jusqu’au
moment où la maladie se déclara.
— 195 —
Dans l’intervalle, ma fille se plaignit une fois ou deux de
ses bras. Le septième jour elle commença à devenir souffrante,
facile à chagriner et à irriter. Elle eut un relâchement d’urine,
ensuite un frisson. Le /iMtVièwe jusques vers le milieu du/ie«-
vième, elle éprouva un trè.s grand accablement, une grande
chaleur, une faiblesse à ne pouvoir se soutenir sur ses jambes,
dont elle se plaignait ; un dégoût qui alla jusqu’au sucre et
aux bonbons. On ne put lui rien faire boire, malgré une cha¬
leur qui brûlait, même par dessus ses vêtemens. Le médecin
ne lui avait pas trouvé de fièvre le matin. Gomme il ne revint
pas le soir, on n’eut pas d’autre preuve de sa fièvre d'érup¬
tion, Elle s’endormit sur les 9 heures, et passa une nuit pai¬
sible.
Le lendemain matin, elle demanda d’elle-même à boire, et
dit qu’elle était guérie. Les petites taches parurent (ce jour-là
et les suivans, elle montra de l’altération) ; elle avait retrouvé
ses jambes, son appétit ; mais elle était devenue impatiente,
colère ; et vers le milieu du jour elle avait tant d’agilité et de
fantaisies si singulières, que quoiqu’elle n’eût point de délire,
il était facile de s’apercevoir, même au son de sa voix, qu’il se
passait en elle quelque chose d’extraordinaire. Elle eut sur le
soir plusieurs accès de colère avec les cris perçans et aigus de
la douleur. Elle en eut un, entre autres, qui dura environ une
heure et pendant lequel elle s’obstinait à rester cul-nud par
terre; et malgré tous les moyens que l’on imagina pour pré¬
venir le retour de ses colères, la disposition s’en soutint pen¬
dant toute l’éruption qui s’est bien faite (il régnait alors un
vent de nord-est, sec et froid). Elle peut avoir eu cinquante à
soixante boutons, dispersés sur tout le corps ; le plus grand
nombre aux cuisses, très peu à la poitrine et au dos, cinq
seulement au visage.
A la suite de cette petite vérole, ma fille eut une coqueluche
assez violente, mais dont la durée n’a été que d’environ cinq
semaines. Du lait de poule le soir, et de Veau de serpolet en
boisson furent ses seuls remèdes. Dès le premier lait de poule,
elle éprouva un mieux sensible et eut une nuit calme. Elle
prit une seule fois l’émétique.
Nota. — Ma fille, depuis sa petite vérole, a eu jusqu’ici,
tous les étés, un assez grand nombre de boutons blancs à la
tête et sur la figure ; je les attribue en partie à un reste d’hu¬
meur, d’après l’impossibilité où l'on a été de parvenir à la
purger autant qu’il l'aurait fallu.
Cette observation de variole inoculée est, en
— 196 —
somme, celle d’un cas extrêmement bénin, nous pour¬
rions presque dire d’un cas type en ce genre, mais
où, cependant, un cours général régulier laisse
apparaître certaines manifestations inhabituelles.
Gomme d’ordinaire, la fièvre d’invasion éclate le
7® jour. Comme d’ordinaire aussi, la période d’érup¬
tion générale commence le 10“ jour de l’insertion, le
4® à compter de la fièvre d’invasion ; mais cette pé¬
riode se complique ici de phénomènes ressemblant
assez à du délire, et caractérisés par une altération
morale très marquée, par des colères dont les accès
persistent pendant toute l’éruption, d’ailleurs nor¬
male, avec le nombre ordinaire de boutons. En règle
générale, au contraire, les symptômes morbides,
améliorés dès le second jour de l’éruption, avaient
complètement disparu le troisième.
Quelques remarques encore. L’inoculation avait
été pratiquée la première dentition de l’enfant ter¬
minée, suivant la règle, pour éviter les accidents qui
en dépendent ; mais on recommandait autant que
possible de ne point inoculer au cours d’une autre
épidémie, et l’on a vu que la coqueluche était ré¬
gnante.
La préparation fut simplement d’un bain. Déjà
alors, Gatti et Girod avaient fait abandonner, les
accusant d’accidents, les antiphlogistiques, saignées,
purgatifs, au moyen desquels, dans le principe, on
préparait les sujets, en vertu de l’aphorisme de
Sydenham : Quo sedatior est sanguis, eo melius
erumpent pustules. Enfin, des purgatifs furent admi¬
nistrés pendant la période d’incubation ou d’éruptiori
locale : c'était se conformer à la règle. « Si c’est un
enfant d’une constitution humorale ou vermineuse,
— disaient Dezoteux et Valentin (1), — on le purge
encore une lois l’avant-veille ou la veille de la fièvre
d’invasion, s’il ne l’avait pas été convenablement
4 ou 5 jours après l’insertion, lorsque l’infection
locale est assurée. »
(1). Op. cil., p. 213.
— 197 —
LES EX-LIBRIS DE ALBERT DE HALLER
par le !>' Ed. BOMIVGX
Christophe-Jacques Trew, médecin et botaniste,
dont notre confrère M. Eug. Olivier a présenté et
décrit les ex-libris dans une de nos précédentes
séances (Cf. Bulletin XII, p. 393, octobre 1913) était
en rapports avec un autre illustre médecin-botaniste,
son contemporain, Albert de Haller (1) lequel ornait
les volumes de sa riche bibliothèque et les fascicules
de son important herbier, de deux élégants ex-libris
allégoriques, mais anonymes, aussi rares que peu
connus des collectionneurs, et dont voici la descrip¬
tion.
Les ex-libris de Haller existent en deux formats qui
diffèrent, l’un de l’autre, par quelques détails du sujet'
allégorique représenté dans la vignette centrale et
bien plus encore par les ornements et les accessoires
qui en forment le cadre.
Le grand ex-libris {fig. 1) signé : B. Bogue fecit,
mesure lOS™” de haut sur 130”'" de large; dans un
encadrement carré, agrémenté de guirlandes de fleurs
(1) HA-LLER (Albert de) né à Berne, le 16 octobre 1798, se rendit, en 1723,
ù l’Université de Tubingue pour y étudier la médecine, puis, en 1725, ù
celle de Leyde où il fut reçu docteur en 1727, après avoir soutenu la thèse
suivante : fltsscrteljo inaugularis, sisiens experimcnla et dubia circa diic-
tum salivalem novum Coschwitzianum (Lugduni Batavorum 1727, in-l"),
qu’il avait, du reste, déjà disputée à Tubingue, en 1724, mais sans la
faire imprimer ; c’est après la publication de cette thèse, que Trew lui
adressa son De vasisUnguæ salivalibus epislola ad A. Haller Norimbergæ
1734, in-4*) ; en 1736 Haller fut nommé professeur à l’Université de Gœt-
tingue qui venait d’être fondée par George II ; il y enseigna l’anatomie,
la chirurgie et la botanique jusqu’en 1753, date à laquelle il rentra dans
sa patrie où il exerça plusieurs fonctions publiques, judiciaires ou admi¬
nistratives, notamment celle de directeur des Salines de Roche, près Bex ;
il mourut à Berne le 12 décembre 1777. (Pour plus de détails sur la vie
et les nombreux ouvrages de Haller, consulter les Biographies générales,
mais plus spécialement, les Biographies médicales et la Biographie de
Albert de Haller par l'auteur de l’Essai sur la rie de J.-G, Lavater
(M"' H. Chavannes). Paris, 1845, in-8-, 322 pages et portrait.)
Le second ex-libris [fig. 2), de plus petites dimen¬
sions, mesure 10''“ de haut sur S*'™ de large ; l’enca¬
drement est composé de palmes, de volutes et d’or¬
nements plus ou moins contournés, supportant une
guirlande de fleurs qui déborde en larges festons sur
le sujet principal; à la base de l’encadrement et à
droite, quelques volumes, à gauche, un globe terres¬
tre, à la partie supérieure, Apollon, dieu de la méde¬
cine et de la poésie, nous rappelle que Haller a com¬
posé des pièces de vers et des poèmes tels que
VHymne au matin. Les Alpes, L'origine du mal, etc. ;
de l’autre côté, la peinture personnifiée .par une femme
tenant une palette, constitue une allusion discrète aux
planches d’anatomie et de botanique dont Haller avait
entrepris la publication; le sujet placé dans l’encadre¬
ment représente un paysage avec, dans le lointain,
la vue d’une montagne, tandis qu’au premier plan,
nous retrouvons la chenille étendue sur le sol, puis
le papillon les ailes éployées et, en arrière, un tronc
d’arbre avec une chrysalide suspendue à l’une de ses
branches ; comme dans le précédent ex-libris, l’enca¬
drement est muni de deux cartouches, avec cette dif¬
férence que l’inféi’ieur est destiné aux indications du
catalogue, tandis que le supérieur contient, sur trois
lignes, la devise : Non — tota — périt.
Trois artistes ont exécuté ou reproduit ce second
ex-libris; certains exemplaires sont signés: B. Roque
inv. ei^cwZ/».,quelques-uns G.-D. Heumann i745, d’au¬
tres enfin, qui diffèrent simplement par la position
du papillon, portent la signature J.-C. Schrader fec.
Ces ex-libris étant anonymes, et Haller ne s’étant
jamais occupé d’entomologie, on pourrait croire qu’ils
ont été composés pour un entomologiste du xviii® siè¬
cle, mais, comme je vais le démontrer, il n’y a aucun
doute sur leur attribution à Haller et le sujet reprér
senté est une allégorie»à la vie future et à l’immorta¬
lité de l’âme; il ne faut pas oublier,en effet, que Haller
chrétien sincère, spiritualiste et protestant convaincu,
a combattu, dans son Discours sur l'irréligion et dans
ses Lettres contre les incrédules et Sur les vérités les
plus importantes de la révélation, le matérialisme de
La Mettrie et l’incrédulité de Voltaire.
L’année qui suivit le décès de Haller, sa biblio¬
thèque contenant 25.000 volumes et son herbier com¬
posé de 60 volumes grand in-folio, furent mis en vente
et acquis en totalité par Joseph II, empereur d’Au¬
triche qui donna les imprimés à la Brera de Milan,
l’herbier et les manuscrits à l’Université de Pavie ;
mais en 1796, les Commissaires de la République
Française près l’armée d’Italie, chargés de recueillir
les objets d’art, de science et de curiosité conservés
dans les collections publiques des villes occupées par
nos troupes, saisissaient l’herbier et les manuscrits
de Haller et les expédiaient à Paris où ils arrivèrent
le 8 frimaire an V (28 novembre 1796); l’herbier et
Y Historia stirpium indigenarum Helvetiæ, 2 tomes
in-4® reliés en 4 volumes interfoliés et annotés de la
— 201
main de Haller, lurent attribués au Muséum d’His-
toire Naturelle (1), tandis que la Bibliotheca analo-
mica, 2 tomes in-4, reliés en 4 volumes interfoliés et
annotés et les Icônes anatomicæ^S fascicules in-folios,
reliés en 7 volumes interfoliés et annotés, prenaient
place dans la bibliothèque de l’Institut; sur tous ces
volumes, ainsi que sur la plupart des fascicules de
l’herbier, on peut constater la présence de l’un ou
l’autre des ex-libris que je viens de décrire et, parti¬
cularité importante à noter, sur les fascicules des
Icônes analomicæ l’ex-libris original de Haller est
accompagné, ou même en partie recouvert, par une
vignette de plus petit format représentant l’aigle bicé¬
phale couronné de l’empire d’Autriche avec, sur une
banderolle, la légende : « Bibliotheca Ticinensis ».
(Bibliothèque de Pavie) (2).
ANALYSE DE LA RÉSINE CARTHAGINOISE C,
PROVENANT D’UN SARCOPHAGE PHÉNICIEN
par le D' X,. REUXXER [de IVeucliûtel)
Le R. P. Delattre, membre de l’Institut de France
ayant découvert de nouveaux sarcophages de prêtres
carthaginois, dont les corps étaient embaumés et
entourés d'une masse résineuse, me pria d’entre¬
prendre l’analyse de celle qu’il avait désigné par la
lettre G. Cette masse brunâtre, inodore, friable, donne,
une fois pulvérisée, une poudre jaune brunâtre, homo¬
gène, qui, chaufféeentre deux verres de montre,émet
des vapeurs blanches, irritant les muqueuses, qui
se déposent sur les parois du verre à réactif sous
forme de petits cristaux blancs solubles dans l’eau
(1) Cf. Ed. Boknet. L’herbier et les manuscrits d'Albert de Haller
(Journ. de Bot. 111 [1889), p. 354 et Note sur un exemplaire de l’Historia
stirpium Uelvetiœ, annoté par Haller {Bull. Soc. bol. fr. XLI (1894),
p. CXLVIl).
(2) Pavie anciennement Ticinum.
— 202 —
bouillante. Cette poudre, chauffée avec de la potasse
caustique, donne une solution jaune brunâtre, en
émettant une forte odeur térébenthinée. Cette masse
se dissout en partie dans l’eau bouillante, l’éther,
l’alcool, le chloroforme, abandonnant quelques débris
végétaux, non reconnaissables à l’examen micros¬
copique.
Cette masse, traitée par de l’éther de pétrole, aban¬
donne à ce dernier une essence très aromatique, dont
l’odeur rappelle celle du thym et de la menthe.
Sa solution aqueuse jaune brunâtre, neutre (donc
absence de natron si souvent utilisé par les anciens
Egyptiens) (1) renferme des traces de henné (recon¬
naissable au précipité obtenu par addition du per-
chlorure de fer), à'acide cinnamique car cette solu¬
tion additionnée de permanganate de potasse et d’a¬
cide sulfurique donne de l’aldéhyde benzylique),
de sucre (réduction à chaud de la solution de
Fehling), de mucilage (précipité obtenu par addi¬
tion d’alcool), de tartrates, de chlorures^ de sulfates
de potasse de sodium et de calcium).
Sa solution éthérée, non fluorescente (donc absence
des baumes d’illourie et de Gurjun), claire (donc
absence de mastic), de couleur rouge brunâtre, ne
donne aucune des réactions spécifiques aux gommes-
résines à ombelliforme, à l’opoponax, à la myrrhe, au
bdellium, à la sandaraque, etc. Elle forme, à la ligne
de contact des deux liquides, par addition d’acide
sulfurique, un anneau rouge brunâtre, la couche éthé¬
rée se décolorant, mais elle ne donne aucune réaction
par addition d’acide chlorhydrique, d’acide nitrique, de
vapeurs de brome, d’hypochlorite de soude, qui forme
à la ligne de contact des deux liquides un anneau blanc
floconneux.
Le perchlorure de fer ne colore pas son résidu
(obtenu par évaporation de cette solution éthérée) en
rouge violacé. Ce résidu chauffé émet une forte odeur
térébenthinée.
(1) L. Heutter. De l’embaumement avant cl après J.-C. Pari», Vigot
(rères, 1912, in-8.
— 203 —
Cette soJutioii éthérée agitée : avec une solution
aqueuse de carbonate de soude lui abandonne son
acide cinnamique\ avec une solution aqueuse de bisul¬
fite de soude, sa vanilline, tous deux reconnaissables
à leurs réactions spécifiques.
Sa solution alcoolique jaunâtre, neutre, forme par
addition d’acide sulfurique, d’acide chlorhydrique,
d’acide nitrique un anneau blanc à la ligne de con¬
tact des deux liquides. Elle se précipite en un dépôt
jaune brunâtre par addition d’une goutte de perchlo-
rure de fer; jaune orange par celle de bichromate de
potasse, gris jaunâtre, par celle d’acétate de plomb. •
Sa solution chloroformique rouge brunâtre, évapo¬
rée, abandonne un fort résidu de bitume de Judée
reconnaissable à son odeur caractéristique et à la pré¬
sence du soufre.
Conclusions.
Nous pouvons donc présumer que les anciens Car¬
thaginois préparèrentcette masse résineuse ayantservi
à embaumer leurs prêti’es, en mélangeant de l’a^-
phalte, de la résine de térébenthine (odeur), de Vencens
(mucilage), du storax (acide cinnamique vanilline) à
de la résine de cèdre, qui se dépose lors de l'agitation
avec une solution aqueuse de carbonate de soude,
sous forme de gouttelettes huileuses brunâtres. Ils
l’aromatisèrent à l’aide de feuilles de henné, de
menthe eX de thym (débris végétaux), et thymol men¬
thol qui furent macérés dans du vin (tartrates,
sulfates, chlorures) et dans du miel (sucre).
Ces corps embaumés ne servirent pas de médica¬
ments à nos pères, comme ceux des anciens Egyp¬
tiens (1) qui furent souvent mutilés aux temps du
Moyen âge et de la Renaissance, '
Nous pensons intéresser les lecteurs de ce Bul¬
letin en résumant ici nos résultats-analytiques con¬
tl) Rbuttuk. Des tuédicuments provenant du corps humain utilises
«U moyen âge et au temps de la Renaissance. France médicale, 1913.
— 204 -
cernant les masses résineuses cai’thaginoises et
égyptiennes analysées qualitativement selon cette
méthode ou quantitativement selon une méthode, qui
nous est propre.
Les analyses de la résine carthaginoise, formant
un gros morceau l’ésineux gris jaunâtre nous permi¬
rent de déceler la térébenthine de Chios (Pistacia-te-
rebinthus) le storax, le bitume de Judée qui furent
préalablement macérés dans du vin (tartrate) voir la
méthode ancienne(1) pourdissoudre leurs parties solu¬
bles dans l’alcool, puis aromatisés de feuilles de men¬
the, de thym (thymol menthol) reconnaissables à leur
arôme et aux cristaux qu’ils déposent dans l’essence
obtenue en soumettant cette masse à la distillation,
aux vapeurs d’eau. Ils l’additionnèrent de la pulpe
d’un fruit ou de miel (sucre) souventutilisépouroindre
les parois des vases servant à la préparation de leurs
aromatiques. Ce dernier fut ainsi décelé lors de l’ana¬
lyse de la résine carthaginoise A, qui forme un gros
morceau brunâtre.
Cette masse est constituée par un mélange de
bitume de Judée, de storax, de résine de cèdre, de
térébenthine de Ghio et peut-être d’opoponax aroma¬
tisés par du henné, de la menthe et du thym. ana¬
lyse de la résine X (2) nous permit de déceler qualita¬
tivement et quantitativement qu’elle était formée d’un
mélange de résine de Syrie, de térébenthine de Ghio,
de styrax, de sandaraque aromatisés par du thym et
par de la menthe, tandis que celle de la résine cartha¬
ginoise n° I (3) était constituée par un mélange de sty¬
rax, de mastic, d’opoponax, de sandaraque, de baume
d’Alep, de bitume de Judée aromatisés par du thym
et par de la menthe.
Ges résultats analytiques furent ainsi que ceux qui
(1) ItÊütTËil. Les parfilius ég’yptiéûs. Bullelindela Soc. franç. d'histoire
de la médecine, XII, p. 169.
(2) Id. Analyse de la masse carthaginoise, X. Homme préhistorique,
no* 10 et 12, 1913.
(3) Id. De l’embaumement avant et après Jésus-Christ, Paris, Vigot
1912, in-8o.
— 205 —'
suivent, présentés à l’Acadépîi;é As Inscriptions (1)
et Belles-Lettres par M. lléWn' d^;VilIefosse.Geux se
rapportant à Ia résine cartlïügindise n° //, permirent
de déceler un mélange de ma§il^i&, de styrax, d’opopo-
nax, d’asphalte aromatisés, par delà menthe et par du
thym.
Notons que ces deux végétaux entraient dans la
préparation de la plupart des masses résineuses ayant
servi à embaumer des prêtres carthaginois, tandis que
le natron, ledéshydi’atant par excellence des anciens
Egyptiens, ne fut jamais décelé dans le cours de ces
analyses. Voici d’ailleurs nos résultats analytiques
concernant les masses résineuses utilisées par les
habitants du Nil, pour la conservation de leui’s cada¬
vres.
La masse /•eirjnea^e'entourant le corps embaumé de
l'amiral Heckan M. Saf (2) était formée par un mélange
de mastic, de styrax, de résine d’Alep, d’asphalte,
de natron, de quartz entourant de très belles perles
en or, des turquoises (3) et des débris végétaux de
Juniperus oxycedrus, tandis que celle, ayant servi
à conserver dans un vase lunéi’aire (déposé actuelle¬
ment au musée de Berlin) des viscères calcinés était
formée par un mélange de natron, de bitume de
Judée, de vin de palmier, de goudi’on et de baume de
Gurjun(4).
Les restes momifiés d'un jeune ibis (5) conservés
au musée de Neuchâtel, étaient conservés à l’aide
d’encens, de vin de palmier, de styrax, d’asphalte et
de résines non déterminées tandis que de jeunes
oiseaux (6) avaient été embaumés à l’aide de résine
de cèdre, de térébenthine, de bitume de Judée, macé¬
rés dans du vin de palmier et déshydratés à l’aide de
natron.
(1) Ib. Complet Rendue de VAcadémie det Inscriptions et Belles Lettres,
3 Not. 1911.
(2) Id. Comptes Rendus de l'Académie des SctencM(Paris, 25 Sept. 1911).
(3) 1d. De Vembaumement avant et après Jésus-Christ, p. 36.
(4 Ibid., p. 67.
(5) Ibid., p. 58.
(6) L. Reutteb. Sphynx, XVII, p. 110.
Bull. Soc. fr. hUt. méd., XII, 1914
— 206 —
Le styrax ou le storax, la menthe, le thym étaient
des antiseptiques et des aromatisants ainsi que le
henné qui servait à oindre la momie et à la colorer en
jaune.
Les résines de térébenthine, de mastic sont encore
des antiputrides de par leurs essences, tandis que
l’asphalte servait à durcir ces masses, préalablement
macérées dans un vin.
OUVRAGES OFFERTS
Celse. De Medicina libri octo, ex recognitione J oh. Anto-
nidæ Vander Linden, ed. 2“,Lugd.Bat., ap. Sal. Wageiiaer,
1G65, in-12.
Helvetius. Traité des maladies les plus fréquentes et des re¬
mèdes propres à les guérir, 1 .1, Paris, veuve Le Mercier, 1739,
in-12.
Georges de La Paye. Principes de chirurgie, 7= éd., Paris,
Maquignon aîné, 1785, in-12.
Nicolas Sténon. Elementorum Myologiæ Specimen seu mus-
culi descriptio geometrica. . Amstelodami, 16G9, in-12.
Davach de la Rivière. Le Miroir des urines.., 3° éd., Paris,
Caveiier, 1722, in-12.
Id. Le Miroir des urines. G'" éd., Paris, anXI (1803), in-12.
Michel Ettmuller. Méthode de consulter et de prescrire les
formules de médecine. Œuvre posthume. Lyon, T. Amaulry,
1698, in-12.
Histoire de l'Académie royale des Sciences (année 1734),
Paris, 1736, 10-4”, avec planches gravées.
(Les 8 ouvrages précédents ont été donnés par le D'' D.
Goldsch.midt.)
W. Haberling. Die Militærfilter des Advokaten Amy (1750).
S. 1., 1914, in-8, p. 321-332, fîg. (Extr. de Deutsche miliiær-
ærztliche Zeitschrift).
Alfred Martin. Geschichte der Tollwutbekæmpfung in Deut-
schland : ein Beitrag zur Volksmedizin, Giessen, 1914, in-8“,
p. 48-102, 1 pl. (Extr. de Hessische Blætter fur Volkskunde,
XIII).
G. Lang. Médecine ancienne. Catalogue XIX. Rome, 1914,
in-8”, 175 p. fig.
— 207 —
Séance du 10 juin 1914.
Présidence de M. Paul Dorveaux.
MM. IluLT, Morisset, Satre, Sévilla, Sonnié-
Moret, présentés à la dernière séance, sont élus
membres de la Société.
Candidats présentés :
M. le D‘' Birger Andersen, Arbinsgate, 1, Kristiania,
par MM. Fonahn et Wickersheimer.
M. Pierre Chevrolet, interne de l’Hôpital Saint-
Joseph, rue Racine, 5, Paris, par MM. Coville et
Gallot-Lavallée.
M. le D"' G. Ravarit, chef des travaux d’anatomie
pathologique à l’Ecole de médecine, rue Boncenne, 7,
Poitiers, par MM. Hahn et Wickersheimer.
M. le £)'■ Amédée Tardieu, villa du Funiculaire,
Mont-Dore, par MM. Blanchard et Richer.
Janus, Archives internationales pour l'histoire de
la médecine et la géographie médicale (Adresse :
M. le Professeur A. W. Nieuwenhuis, Jan van
Goyenkade, 44, Leyde).
BIOGRAPHIE (1) DU D-- LUCIEN LECLERC (1816-1893)
par le D' Paul DORVEACJX:
Président de la Société.
Issu d’une vieille et honorable famille de cultiva¬
teurs lorrains, Lucien Leclerc naquit à Ville-sur-
(1) Celte biographie a été faite d’après les papiers du Df Leclerc, les¬
quels m’ont été communiqués très gracieusement par son neveu, M. Al¬
bert Virtel, de Damas (Vosges). M. Virlel a bien voulu me prêter en
outre les articles nécrologiques consacrés à son oncle dans divers jour¬
naux politiques, ainsi qu’une photographie dont ragrandissement exé¬
cuté par M. Jacques Maheu, a donné le portrait ci-oint.
Illon (Vosges), le 13 septembre 1816 (1). Après de sé¬
rieuses études classiques faites au petit Séminaire
de Châtel-sur-Moselle, il vint à Nancy se préparer au
baccalauréat ès lettres sous la direction de l’illustre
Adolphe Franck, qui enseignait alors la philosophie
au Collège royal de cette ville. Reçu bachelier ès
lettres en 1836, il fut admis au baccalauréat ès
sciences physiques l’année suivante, puis il alla
suivre les cours de la Faculté de médecine de Stras¬
bourg, avec l’intention de devenir médecin mili¬
taire.
Le 21 avril 1840, il est nommé chirurgien sous-aide
auxiliaire aux ambulances de l’Algérie. Il débarque
(1) Nicolas-Lucien Leclerc, fils légitime de Nicolas Leclerc, cultiva¬
teur, et de Monique Grandcolas, son épouse, est né le t3 septembre 1816
et a été baptisé deux jours après (le 15 septembre). La date de sa mort
^10 avril 1893), m’a été donnée par M. Mathis, maire do Ville-sur-lllon.
~ 209 -
en Afrique le 10 mai suivant, et y demeure jusqu’au
25 décembre 1844. Pendant ce premier séjour, il s’ini¬
tie à la pratique de la médecine militaire et il explore
en voyageur avisé les régions où son service l’appelle.
Chirurgien sous-aide depuis le 13 juillet 1841, il passe
successivement : à l’Hôpital d’instruction de Metz
en 1844, à l’Hôpital de perfectionnement à Paris en
1845, à l’Hôpital d’instruction de Strasbourg en 1846,
de nouveau à l’Hôpital de perfectionnement à Paris
en 1847, et enfin à l’Hôpital de Thionville en 1848.
C’est de cette ville qu'en novembre 1848, Leclerc
adressa à la Gazette médicale de Paris, une très inté¬
ressante « Lettre sur quelques points de géographie
ancienne et moderne de l’Algérie », laquelle fut
publiée le 3 février 1849 (p. 86-88) seulement: cette
lettre est la première de ses nombreuses publica¬
tions.
Le 5 janvier 1849, il soutient devant la Faculté de
Paris sa thèse pour le doctorat en médecine ; il a
choisi un sujet qui l’intéresse au premier chef, VEtio¬
logie du goitre, car dans son village natal il y a tou¬
jours eu des goitreux; mais, ajoute-t-il (p. 77), « au¬
jourd’hui on en compte à peine une douzaine sur
1050 habitants ».
Le 9 mars, il passe au 70° régiment d’infanterie en
qualité de chirurgien aide-major commissionné, et
quatorze jours plus tard, il y est promu chirurgien
aide-major de 2° classe.
Le 5 novembre 1849, il retourne en Algérie, affecté
au régiment de zouaves, où il devient aide-major de
2° classe, le 23 mars 1852.
Sur ces entrefaites le coup d’état avait eu lieu (2 dé¬
cembre 1851); il avait été suivi du plébiscite des 20
et 21 décembre, qui conférait à Louis-Napoléon Bona¬
parte, président de la République, des pouvoirs
extraordinaires et préparait les voies pour le réta¬
blissement de l’empire. L’armée ayant par ordre pris
part au scrutin, Leclerc, qui était un républicain con¬
vaincu, inscrivit, à côté de son nom, un suffrage néga¬
tif sur le registre ouvert ad hoc.
— 210 -
A la suite de ce vote hostile au futur Napoléon III,
il aurait été « envoyé d’office aux zouaves pour cause
d’opinions politiques », dit un de ses biographes (1) :
c’est là une légende créée de toutes pièces, car Le¬
clerc était « aux zouaves » longtemps avant le plébis¬
cite.
Quoiqu’il en soit, si réellement Napoléon III avait
envoyé Leclerc en Algérie « pour cause d’opinions
politiques », il faudrait lui en savoir gré, car c’est en
Algérie que Lèclerc a trouvé sa voie et qu’il est
devenu un orientaliste éminent.
Après un séjour de dix mois aux hôpitaux de la
division d’Alger, il est nommé médecin aide-major
de 1'“ classe, le 10 avril 1853, et passe au 54® régi¬
ment d’infanterie, qui, le 22 août de la même année,
rentre en France pour aller tenir garnison à Aix-en-
Provence. Mais Leclerc a bientôt la nostalgie de l’Al¬
gérie ; il fait des démarches pour y retourner, et, le
31 août 1854, il est affecté aux hôpitaux de la division
d’Oran.
Médecin-major de 2® classe le 28 mai 1859, il est
désigné pour le 85® régiment d’infanterie et revient
de nouveau en France. Le 30 décembre 1860, il est
envoyé au 3® régiment de spahis, en garnison à Gons-
tantine, et le l®® février 1861, il rentre dans cette Algé¬
rie qu’il aime et qu’il devra quitter pour toujours le
3 juin 1864.
Des spahis, il passe successivement : au 53® régi¬
ment d’infanterie (9 mars 1864), avec le grade de méde¬
cin-major de 1®® classe; au 43® (26 mars 1866); puis
au 81® de la mémo arme (13 août 1869). Le 81® tenant
garnison à Paris, Leclerc, qui allait avoir droit à sa
retraite, comptait bien y terminer rapidement sa car
rière militaire et, une fois retraité, se consacrer tout
(1) Louis Jouve. Nos contemporains. Le D' Lucien Leclerc, de
Ville-sur-Illon [Mémorialdes Vosges, août 1879). —La légende créée par
Jouve a été reproduite, après la mort de Leclerc, dans les nécrologies
du Progrès militaire (15 avril 1893), de VImpartial, du Républicain des
Vosges, etc.
— 211 —
entier à ses chères études, lorsque la guerre franco-
allemande éclata. Au lieu de jouir d’un repos bien
mérité, il lui fallait faire campagne, et quelle cam¬
pagne !
Il part pour Metz avec le 81® de ligne (1) et il y
assiste, le cœur navré, à la débâcle de l’armée du
Rhin. Après la capitulation de cette ville (27 oc¬
tobre 1870), il lui est délivré, conformément à la con¬
vention de Genève, un laisser-passer pour lui, son
cheval et son ordonnance, en vertu duquel il « a la
permission de quitter la ville de Metz et de se rendre
où il voudra (2) ». Il se dirige sur Ville-sur-Illon où il
s’arrête quelques jours chez son frère, puis sur Lan-
gres, où il arrive le 29 novembre, et de là, il se rend
à Autun, où il prend le chemin de fer pour rejoindre
à Limoges le dépôt de son régiment.
Le 12 mars 1871, il obtient un congé de deux mois
avec demi-solde pour se rendre à Madrid : en réalité,
il va au palais de l’Escurial, étudier les nombreux
manuscrits arabes qui s’y trouvent.
C’est à Tulle où il tient garnison, qu’il est enfin tou¬
ché par la retraite à laquelle il aspirait depuis deux
ans (3). Cet évènement est porté à la connaissance du
81® de ligne par un « Ordre du Régiment » ainsi
conçu :
Par arrêté en date du 24 octobre dernier [1871J, M. Leclerc,
Médecin-Major de P® classe au 81® de Ligne, a été mis à la
retraite. Après 31 années de bons et loyaux services, sur les¬
quelles 21 ont été passées en campagne, M. le Docteur Leclerc
(1) Le 81® de ligne se fit remarquer à la bataille du 18 août pur sa
défense héroïque du Point-du-Jour. Il éprouva des pertes très sérieuses
à l’afifuire de Noisseville, les 31 août et l*' septembre 1870.
(2) Ce laisser-passer est ainsi conçu : « Monsieur Leclerc, Médecins
(sic) major de I. Classe, un cheval, un (sic) ordonnance infirmier a la
permission de quitter la ville de Metz et de se rendre où il voudra. Le
Lieutenant-Général de Division et Commandant. Signé ; VON KUM-
MER ». A gauche de la signature imprimée en capitales, se trouve un
sceau portant l’aigle de Prusse entouré de la légende suivante : KGL.
PR. 3. RESERVE DIVISION.
(3) Leclerc fut mis à la retraite le 24 octobre 1871, avec une pension
s’élevant û 2690 francs.
— 212 —
ne quittera pas le Régiment sans que nous lui adressions
l’expression de nos regrets bien sincères. Sa nature généreuse
et son dévouement absolu à ses malades lui avaient depuis
longtemps attiré l’estime et l’afTection générale. M. Leclerc
sera rayé à la date du 10.
Tulle, le 9 novembre 1871.
Le Lieutenant-Colonel du 81® de Ligne,
Signé : de Paillot.
Leclerc quittait l’armée avec le grade d’officier de
la Légion d’honneur (1), qui lui avait été décerné
pendant le blocus de Metz (30 septembre 1870).
Rentré dans la vie civile, il partage son existence
entre Paris (2) où il va commencer les grandes publi¬
cations qu’il projette depuis si longtemps, et Ville-
sur-Illon, où il ira pendant la belle saison jouir en fa¬
mille d’un repos bien mérité.
Leclerc a passé en Algérie un peu plus de 16 ans 1/2.
Il s’y est fait remarquer par le zèle avec lequel il a
soigné non seulement les soldats de l’armée d’Afrique,
mais encore les indigènes, vers lesquels il s’est senti
attiré dès qu’il les a connus. Cette affection pour les
Arabes et les Kabyles l’incita à apprendre leur langue.
L’arabe lui fut bientôt familier à tel point qu’il put le
lire à livre ouvert : alors il s’adonna à l’étude des trai¬
tés de médecine rédigés dans cet idiome, et il entre¬
prit d’en traduire quelques-uns. Puis ses études
s’orientèrent du côté de la très riche matière médi¬
cale arabe, dont il voyait de nombreux échantillons
chez les droguistes d’Algérie, et vers les livres qui
traitaient de cette science. Il commença par traduire
en français le Kachef erroumoûz^ sorte de dictionnaire
de pharmacologie, dont l’auteur, Abderrezzâq, est un
médecin algérien.
Le Kachef erroumoûz ayant été composé principa-
(1) Leclerc était chevalier de la Légion d’honneur depuis le 27 dé¬
cembre 1861.
(2) A Paris, Leclerc occupait une chambre de l’Hôtel de la Place du
Panthéon (aujourd'hui Hôtel du Panthéon), sis Place du Panthéon, 11.
— 213 —
lement avec des extraits de Daoud el-Antaky, d’Avi¬
cenne et d’Ibn el-Beïthâr, Leclerc remonta à ces
sources et traduisit successivement : le Tedkret (ou
Tedkirat) de Daoud el-Antaky, qui est un dictionnaire
de matière médicale très répandu en Algérie; puis le
deuxième livre du Canon d’Avicenne, qui fut de son
temps le traité le plus complet des médicaments
simples; enfin le Djamt el-Moufridat à'ihn el-Beïthâr,
qui est un dictionnaire de matière médicale bien supé¬
rieur aux précédents. De ces traductions deux seule¬
ment furent publiées : celle du Kachef srroumoûz et
celle du Djaml el-Mouf ridai.
La première parut d’abord dans la Gazette médi¬
cale de l'Algérie pendant les années 1866 à 1873, puis
en tirage à part en 1874. La seconde, qui était termi¬
née lorsque la guerre franco-allemande éclata, fut
imprimée, de 1874 à 1883, dans les volumes 23, 25
et 26 des Notices et extraits des manuscrits de la
Bibliothèque Nationale, sous les auspices de l’Acadé¬
mie des Inscriptions et Belles-Lettres. Leclerc l’inti¬
tula modestement : « Traité des simples par Ibn el-
Beïthâr », omettant de faire figurer sur le titre de
l’ouvrage, le nom du traducteur.
L’impression de ce « Traité » souleva au début
quelques difficultés, qui sont exposées dans la lettre
suivante :
Lettre de J. Mohl (1) au Z)' Leclerc.
Paris, 28 août 1874.
Monsieur, Quand je suis revenu dernièrement des eaux, j’ai
trouvé l’aEfaire d’Ibn Beïlhâr en très mauvais état. M. de
Slane (2) s'était plaint de notes peu polies que vous mettiez à
(1) Julius Mohl, orientaliste français d’origine allemande, membre de
l’Institut (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), professeur de
persan au Collège de France, né a Stuttgart en 1800, mort à Paris
en 1876.
(2) Le baron William Mac Guckin de Slane, orientaliste français d’ori¬
gine irlandaise, professeur d’arabe à l’Ecole dps langues orientales
vivantes, membre de l’Institut (Académie des Inscriptions el Belles-Let¬
tres), né à Belfast (Irlande) en 1801, mort à Paris en 1878.
— 214 —
ses propositions de changemens (sic) et avait déclaré qu’il ne
voulait plus donner son temps et sa peine pour être traité
ainsi. La Commission des travaux littéraires avait alors sus¬
pendu l’impression. J’étais très surpris et très vexé de cela,
car je m’étais donné beaucoup de peine à rendre possible la
publication de votre ouvrage, et je vous assure que ce n’était
pas facile ; ensuite j’avais obtenu avec beaucoup de peine de
M. de Slane qu’il acceptât d’être commissaire pour l’impres¬
sion, ce que nos règlemens (sic) exigent, et je voyais avec grand
plaisir que vous et lui faisiez votre affaire paisiblement. Main¬
tenant je vois que ses observations les plus simples vous irri¬
tent et donnent lieu à des réponses de votre part qui sont irri¬
tantes. Par exemple. Il y avait une phrase que M. de Slane
n’avait pas compris (sic), et il y met un point d’interrogation
pour attirer votre attention. Il avait mal lu et la phrase était
bonne; il suffisait d’effacer son point; mais vous répondez
qu’un écolier de quatrième aurait compris. Vous conviendrez
que ce n’est pas le style dans lequel on répond à un grand
savant, qui donne son temps et sa peine à revoir vos épreuves
et qui vous sert de garantie pour vous-même et pour l’Aca¬
démie.
Je suis convaincu que ce frottement n’existerait pas si vous
étiez ici et pouviez vous entendre avec lui de vive voix; mais
l’écriture est une chose raide (sic) et vous avez le style
rude.
Maintenant j’ai persuadé M. de Slane à reprendre la lecture
des épreuves et ai fait reprendre la composition à l’Impri¬
merie [.Nationale]; mais j’ai à vous demander deux choses :
1° que vous fassiez le moins de notes en réponse et les fassiez
dans un style plus poli; 2“ j’ai proposé à M. de Slane de dis¬
cuter avec lui vos différences et je vous demande pour cela
l’autorisation de me faire arbitre de ces différences. Je vois
que cela porte sur de très petits points et je suis convaincu
que je pourrai maintenir la bonne entente qui est nécessaire
pour que l’ouvrage marche. Prenez, je vous prie, tout cela
dans l’esprit dans lequel je l’écris; je vous ai depuis le
commencement suffisamment prouvé que je désire vivement
que cet ouvrage paraisse, et si vous voulez m’aider un
peu, je pourrai écarter les pierres qui se trouvent sur votre
route.
J’ai l’honneur d'être. Monsieur, votre très dévoué serviteur.
(signé :) J. Mom,.
P. S. — Je suis forcé de partir inopinément pour Londres.
Je partirai ce soir et serai de retour entre le 10 et le 15
septembre.
Leclerc répondit à Mohl par la lettre suivante, dont
il garda une copie :
Monsieur Mohl, J’ai attendu l’époque de votre retour pour
répondre à votre lettre. Je vous suis bien obligé de l’intérêt
que vous portez à mon travail, et reconnaissant de la peine qu’il
vous a donnée. Cependant, je trouve que vous me maltraitez.
D’abord la note que vous citez est une pure fiction. A une
observation : Qu est-ce que cela veut direl J’ai répondu que
j’écrivais pour des médecins et qu’un étudiant de première
année comprendrait cela ; c’est en effet dans la première année
d’études qu'on s’occupe de la botanique et de la matière médi¬
cale. Si j’ai donné quelquefois à mes observations une forme
nette e1 tranchante, c’est que j’ai voulu bien faire comprendre
à M. de Slane, qui l’a trop souvent oublié, que l’on n’est pas
improvisé médecin et surtout médecin spécialiste. Dès l’abord
je puis vous assurer que j’ai usé de beaucoup de déférence et
que j’ai souvent dépensé bien du temps à recueillir mes origi¬
naux, que je n’avais pas tous avec moi à Paris, pour faire
entendre que mes déterminations techniques étaient fondées
sur des études longuement et mûrement faites. Avec un de
mes confrères cela eût été parfaitement inutile. En acceptant
le contrôle de mon ouvrage, il me semble que M. de Slane
aurait dû songer à ses antécédens (1) {sic) et aux miens. Il
aurait dû d’abord se procurer un Dictionnaire de médecine,
qu’il aurait trouvé sur le quay (sic). J’apprécie aussi bien que
vous M. de Slane. J’ai vécu une vingtaine d’années en Algé¬
rie et je l'ai étudiée comme peu l’ont fait. J’ai là, dans ma
bibliothèque, Ebn Khaldoun (2) etBecry(3). Mais ces travaux
ne constituent aucune compétence en matière de médecine,
pas même en matière d’histoire de la médecine arabe. En lisant
les Prolégomènes, j’ai vu M. de Slane confondre le médecin
Razès avec Fakreddin Errazy et le chirurgien Çlzzahraouy (4)
(1) M. de Slane avait été interprète principal de l’armée d’Afrique.
(2) Prolégomènes historiques d’iBN-KuAi.DOUN, traduits en français par
M. de Slane. Paris, 1863-1868, 3 vol. in-4“.
(3) El-Bekri. Description de l Afrique septentrionale, traduite par
Mac Guckin de Slane. Paris, 1859, in-8” (Extrait du Journal asiatique).
(4) Eszahraouy, c’est Abulcasis, chirurgien arabe, sur lequel Leclerc a
publié, dans la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie (1874,
— 216 -
(sur lequel je viens de publier dans la Gazette hebdomadaire
une notice (l)qui fait honneur à l’érudition française, car c’est
la première fois que le fiat lux est fait sur son œuvre), avec le
disciple de Moslema, etc. Si je vous dis cela, c'est que des
discussions sont intervenues sur ces personnages.
C’est là du reste ce qui est arrivé à tous les illustres pro¬
fanes (permettez-moi le mot) qui se sont aventurés sur le ter¬
rain de la médecine : D’Herbelot (2) avec un traité d’algèbre
dans le traité des fractures d’Hippocrate; Pétis de la Croix
avec un traité des nerfs dans le h. (sic) de la superfétation (suit
un mot arabe). Casiri (3) a fait une foule de méprises dont
beaucoup ont été reproduites par Wüstenfeld (4) de confiance.
Saumaise et Bochart, malgré leur étourdis.sante érudition,
n’en ont pas moins trébuché pour n’avoir étudié la nature que
dans des textes. Si ce malheureux Bochart avait su de la
botanique autant qu’un étudiant en médecine de première
année (non 'pas un collégien de 4“), il n’aurait pas fait du
g-lchis à propos du kriiounim (5) de la Bible, qui se vendait si
cher au siège de Samarie. Il met au jour tous les élémens
(sic) de la question et voit sottement des pois chiches dans ce
qui n'est qu’une lichenée, à mon avis le torbet el asel (li) des
Arabes, ce dont personne ne s’est encore douté, d’après ce
que j’ai vu. Les uns, comme Dom Calmet, en sont aux pois
chiches de Bochart; d’autres, depuis saint Jerôme, à la fiente
de pigeon. A côté des trois grands noms que je viens de citer,
il en est un que je respecte, celui de M. de Sacy. Son Abdel-
latif[7), pour les questions d’histoire naturelle est un modèle
p. 537 et 569), une notice intitulée ; « Abulcasis. Son œuvre pour la pre¬
mière fois reconstituée par le D' L. Leclerc », dont il a été fait un tirage
(1) Je pourrai bientôt vous en adresser un exemplaire. (Note du
D' Leclerc.)
(2) D’Herbelot. Bibliothèque orientale. Paris, 1697, p. 976, col. 2 et
p. 977, col. 1.
(3) Micbel Casiri, orientaliste (1710-1791', a décrit et analysé les
manuscrits arabes de la bibliothèque de l’Escurial.
^4) Ferdinand Wüstenfeld. Geschichle der arabischen Aerzte und
Naturforscher. Gœttingen, 1840.
(5) Ce mot hébreu est transcrit chirjonim ou dibjonim par Bochart,
qui a écrit {Hierozoici... Pars posterior, Leyde, 1712, col. 38), un chapitre
intitulé : Probatur chirjonim vcl dihjonim, 2 Beg. 6. 25, esse eiceris
genus, non stercus columbarum, ut hactenus creditum.
(6) Cf. Ibn el-Beïtiiar. Traité des simples, traduit par L. Leclerc,
chapitre 538.
(7| Baron Silvestre de Sacy. Belation de l'Egypte par 'Abd-.4llatif,
médecin arabe du XIIP siècle. Paris, 1810, in-4*.
— 217 —
non seulement de cette netteté d’exposition qui est le cachet
de l’esprit français, mais d’une riche et saine érudition. Je lui
dirais volontiers : Dignus es intrare.
Si l’on parcourt la partie médicale du fonds arabe de Paris,
on voit aussi bon nombre de méprises. Les titres donnés ne
représentent pas du tout, aux médecins, leurs classiques bien
connus. Je pourrais vous en dire bien long là dessus ; mais il
faut se borner et conclure simplement que pour une spécia¬
lité il faut un homme spécial. Je crois être cet homme. Voilà
quarante ans que je m’occupe de médecine, et trente-cinq ans,
de médecine arabe. Depuis sa fondation, c’est-à-dire depuis
vingt ans, la Gazette médicale de l'Algérie n’a presque pas de
numéro sans un article de moi sur cette matière : traductions,
institutions médicales, etc. Je traite aussi l’histoire de la méde¬
cine arabe dans deux journaux de Paris. Quant à la matière
médicale, voilà le huitième ouvrage que je traduis, et celui que
je viens de publier, livré à la Gazette il y a douze ans (1), esf
un des moins considérables. J’ai traduit aussi Daoud el
Antaky et le 2* livre du Canon (2), avec un appareil de cri¬
tique plus considérable encore qu’avec Ebn el-Beïthâr, celui-ci
me fournissant des solutions que n’ont pas les autres. J'ai
remué ciel et terre pour avoir sous la main les traités géné¬
raux, les traductions latines, les commentateurs, les flores
locales, les voyageurs en Orient, etc., etc., etc., etc., etc.
Mes annotations de la traduction d’Ebn el-Beïthâr en font
foi.
Voilà huit ans que je m’occupe exclusivement de l’histoire
de la médecine arabe, dont le premier volume est prêt à
paraître, et qui en aura au moins deux (3), car je poursuis
aussi riiistoire de la médecine arabe en Occident. Et puis je
n'ai pas pu faire une histoire sèche, ou plutôt une noraencla-
clature bibliographique comme Wüstenfeld. Médecin, j’ai
écrit pour des médecins, et non pas comme l’auteur précité
pour des orientalistes en quête de renseignemens {sic). Ma
notice sur Âlbucasis est un spécimen de ma manière, et tous
nos grands devanciers sont traites dans ces proportions.
Mon histoire de la médecine, pour laquellej’ai consulté tous
les manuscrits de Paris et une bonne partie de ceux de l’Es-
(1) Le Kachef er-roumoûz, publié en 1874, a commencé à paraître dans
la Gazette médicale de l'Algérie, en 1866.
(2) Ces deux traductions n’ont pas été publiées.
(3) Les deux volumes de VHistoire de la médecine arabe, par Leclerc,
ont paru en 1876.
— 218 —
curial, les catalogues, etc., me fournit aussi des élémens (sic)
de technologie, et je fais un dictionnaire (1), que je complète
au fur et à mesure de mes lectures, tant dans mes innombra¬
bles extraits que dans mes imprimés.
J'avais adopté une méthode de transcription pour toutes mes
publications, qui en vaut une autre. Rectifiant la tradition,
sans trop s’en écarter, elle ne rebute personne et n’emploie
que des élémens (sic) français. 11 faut compter avec ses lecteurs,
et les miens sont des médecins, des naturalistes français.
Jamais je n’écrirai Barmekiya, mais BarmeJda. Je ne fais pas
œuvre de pédagogie ni de linguistique, mais je fournis des
matériaux à l’histoire de ma profession. Pour les linguistes,
mon index et mes têtes de chapitre [sic). Je n'admets pas non
plus les élémens (sic) anglais et allemands, et jamais je n'use¬
rai du double v (œ). M. de Slane, de son propre chef, a
changé tout cela, ce qui entrave et charge la publication.
Cependant mon Index est fait et bien fait. Mes notes sont aussi
remaniées. J’ai remarqué dans Sontheimer (2) environ 2.000
fautes. Sans pouvoir les signaler toutes, j’en ai signalé un bon
nombre. Je ne vois pas ces annotations reproduites. Est-ce
bien le moment de se gêner avec un compatriote de Vir¬
chow (3) ?
Vous me dites que M. de Slane est mon garant auprès de
l’Académie. 11 me semble cependant que je puis me passer de
sa tutelle sur le terrain de la médecine, surtout de la matière
médicale, dont le texte est si terre à terre. S’il s’agissait
d’autre chose, je n’aurais pas la fatuité de décliner cette tutelle.
11 est une collaboration que je réclamerais plutôt, celle d’un de
mes anciens collègues de la Société Botanique, dont quel¬
ques-uns sont de l’Académie des Sciences. Ne pourrait-on
pas communiquer des épreuves soit à M. Gosson (4), soit à
M. Planchon (5), soit à M. Fournier (6), etc., qui sont des
savans [sic) et des érudits? Ils féconderaient et compléteraient
surtout mon travail en plusieurs points obscurs.
(1) Ce dictionnaire n’a pns été publié.
(2) Sontheimer a publié une traduction allemande du Traité des sim¬
ples d’tBN el-Beituar (Stuttgart, 1840-1842, 2 vol, in-4»).
(3) Le professeur Rudolf Virchow (1821-1902), avait été particulière¬
ment dur pour les Français, pendant la guerre franco-allemande.
(4) Ernest Gosson (1819-1889) tut membre libre de l’Académie des
Sciences.
(5) Gustave Planchon (1833-1900), professeur de matière médicale à
l'Ecole supérieure de Pharmacie de Paris.
(6j D' Eugène Fournier (1834-1884), illustre botaniste.
— 219
Il y a quelque temps, j’avais adressé à l’Académie des Ins¬
criptions un travail sur une question intéressante et tout à
fait neuve, sur les derniers momens (sic) de l’Ecole d’Alexandrie
d’après lesdocumens (sic) arabes. Je croyais remplir un devoir
de reconnaissance, et j’avais proposé aussi la notice sur Abul-
casis que je viens de publier, ainsi que les notices de Gérard
de Crémone et de Constantin l’Africain, que je suis en train de
préparer: on ne m’a pas fait l’honneur de m’accuser réception.
Je crois pourtant avoir droit à quelques égards. Avant même
que M. Daremberg (1) ait crié à la médecine française : Kt-o-
riare aliquis (2), je m’étais préoccupé de payer la dette que
lui a imposée la conquête d’Alger. A la médecine arabe, j’ai
consacré mon temps, mon argent et ma santé, j’ai sacrifié
l’activité de service et bien d’autres choses qui tiennent une
large place dans l’existence. A cette mission que je me suis
donnée, je consacrerai mon dernier souffle et mon dernier
sou, si peu que j’en aie.
Tout finit par s’arranger, et l’impression du Traité
des simples fut continuée; mais ni Mohl, ni de Siane
n’en virent la fin, car ils moururent, le premier en
1876 et le second en 1878.
La traduction d’ibn el-Beïthâr achevée, Leclerc
voulutla compléter par les biographies d’une centaine
de médecins arabes qui s’y trouvent cités. Ce travail
était à peu près terminé, quand l’idée lui vint de
l’étendre à toute l’école arabe : telle est l’origine de
{'Histoire de la médecine arabe, dont les deux volumes
parurent en 1876.
Ces livres, qui s’adi'essaient à un nombre restreint
de lecteurs, furent tous publiés, sauf le Traité des
simples par Ibn el-Beïthâr, aux frais de l’auteur, qui,
selon l’usage, ne’dut point rentrer dans ses débours.
Pour les composer, il lui avait fallu une certaine
quantité d’ouvrages spéciaux, manuscrits et impri¬
més, dont il avait acquis la majeure partie pendant
son long séjour en Algérie. Parmi ses manuscrits
arabes, il y en avait un auquel il tenait particulière-
(1) Le D' Charles Daremberg (1817-1872) fut un de nos bous bislorieus
de la médecine.
(2) Exoriare aliquis nostris ex ossibus ullor! AmciLK, Enéide, liv. IV,
vers G2G).
— 220 —
ment, et qu’il considérait comme le plus précieux
de sa collection, c’était une copie en 4 volumes in-4'’
du Djamt el-Moufridat, d’Ibn el-Beïthâr, qui avait
appartenu au savant Si-Hamouda, de Constantine.
Avant le conflit franco-allemand, Leclerc habitait
Arcueil (1), village situé au sud de Paris et à proxi¬
mité du fort de Montrouge, qui était alors occupé par
une portion du 81® de ligne.
Dès que la guerre fut déclarée, ce régiment fut
mobilisé avec une telle hâte que Leclerc dut tout
quitter, sans pouvoir mettre quoi que ce soit en
sûreté. A la date du 21 juillet 1870, il écrivait à son
frère la lettre suivante :
Mon cher Nicolas, Nous avons été dirigés sur Metz, où nous
sommes campés. Nous avons été maladroitement déplacés,
comme je te l'ai dit, n’ayant pas le temps de nous reconnaître.
Nous sommes arrivés en gare (2), à 4 heures du soir, et nous
n'en sommes partis qu’à 11.
A Metz, difficulté de s’approvisionner, au point que l’on
ne peut maintenant trouver un pliant pour chaise de campa¬
gne. On nous dit qu’on nous donnera des tentes; mais il n’y
en a pas, et les magasins sont encombrés de choses insigni-
iiantes. Heureusement qu’un riche voisin nous a offert à quel¬
ques officiers, des chambres : cela nous évite de coucher par
terre. C’est autant de pris sur l’ennemi! J’ai acheté une peau
fourrée qui me servira probablement de lit de campagne.
Je ne sais pas si tu te rappelles encore Metz. Nous sommes
en grande partie campés à l’ouest, du côté de l’hôpital [mili¬
taire], non loin de la rue du Pontillroy, dans la grande pro¬
menade qui se trouve là. On ne sait pas encore quand on par¬
tira. On n’est pas prêt. C’est à peine s’ü y a deux ou trois
médecins d’ambulance envoyés, mais sans matériel, sans per¬
sonnel organisé. On avait parlé de courses faites par les
Prussiens à Sierck : c’est un malentendu, qui a occasionné
notre départ précipité. J’ai dû laisser ma chambre telle qu’elle,
et la conserver pour toute la durée de la campagne.
Je l’ai adressé deux mille francs de la gare de l’Est. Garde-
les bien et n’y touche pas. C’est ce qui m’est nécessaire pour
(1) Il demeurait à Arcueil, route d’Orléans, 8 bU, tout près du fort de
Montrouge.
(2) A la gare de l’Est, A Paris.
— 221 —
mon impression (1), que j’aurais fait faire plus tôt si j’avais eu
d'autre argent, ainsi que je l’espérais ; mais tu m’as mis des
bâtons dans les roues.
Quoi qu’il arrive, il faut que je fasse une vente à la Saint-
Martin, et que jen’aieplus à revenir là-dessus. Si mon impres¬
sion avait été commandée et en train, on m’aurait probable¬
ment laissé quelque temps, car je crois qu’on m’avait désigné
pour le dépôt, vu ma demande de retraite. Dans l’état des
choses actuel, il m’a fallu naturellement ne rien commencer.
Si j’avais eu seulement quarante-huit heures, je serais allé
porter mon manuscrit (2) et mon argent à un de mes amis (3),
pour se charger de l'impression ; comme cela tout se serait
arrangé, et je serais parti plus content encore, car Dieu sait
quand nous reviendrons et si nous reviendrons, et j’ai du tra¬
vail prêt à livrer.
Nous sommes encore à Metz peut-être pour une huitaine et
tu peux encore me donner des nouvelles de Ville[-sur-lllon].
Voilà que l’on commence à occuper nos troupiers. Nous ferons
une marche militaire tous les matins.
Je m’arrête, car je suis pressé. J’embrasse bien tous les
parens (sic).
Le 25 juillet, Leclerc écrivait la lettre suivante :
Mon cher Monsieur Judas, Nous ne sommes pas allés en
Alsace comme on l’avait dit, mais sur Metz, où nous sommes
restés quelques jours. Nous sommes maintenant à Boulay (4),
tout près de la frontière.
Gomme il faut tout prévoir dans une guerre comme celle-ci,
j’ai pensé que vous pourriez bien vouloir vous charger de
conserver ma traduction d’Ebn Beitliâr et ce que j’ai de fait
de Vliistoire de la médecine arabe, allant jusqu’à la fin du
•v” siècle, moins trois ou quatre biographies. Si j’allais tré¬
passer par ici, je ne voudrais pas que ceci restât perdu chez
mes parens (stc). Je me propose un de ces jours d’adresserune
demande d’impression au Ministère, et je dirais quele manus¬
crit d’Ebn Beithâr est chez vous. Quant à Vllisioire de la mé¬
decine, j’y affecterais environ quinze cents francs, pour son
impression. Seriez-vous assez bon pour me répondre le plus
tôt possible ?
(1) L’impression <le sa traduction d’Ibn cl-DcïthAr.
(2) Le manuscrit de la traduction d’Ibn el-Bcïthûr.
(3) Le D' Judas, médecin militaire en retraite et orientaliste distingué.
(4) Boulay, petite ville située & 25 kilomètre^ à l’est de Metz.
Bull. Soc. /r. hut. mid., XIII, 1914
— 222 —
Je préviendrai mon propriétaire de Montrouge (sic), qu’il
ait à vous remettre les objets en question. Les quinze cahiers
de traduction sont sur la table. Quant à VHistoire de la méde¬
cine, la partie rédigée se trouve avec les documens (sic) dans
une des malles que j’avais emportées à Saint-Maur, laissées
dans la première chambre : le tout est dans un carton garni
de cuivre et de tresses.
Vous pourriez prendre aussi, si vous vouliez, les quatre
volumes du manuscrit original d'Ebn Beithâr, qui sont au
1®'' rayon de ma bibliothèque, recouverts eh coutil.
En attendant votre réponse, je vous souhaite une bonne
santé, ainsi qu’à Mademoiselle Judas.
Votre tout dévoué, L. Leclerc,
Boulay, 25 juillet 1870.
A cette lettre, le D'' Judas répondait de la façon
suivante :
Paris, 3 août 1870.
Mon cher ami. J’ai chez moi vos manuscrits; j’irai un de ces
jours prendre le texte d’Ebn Beithâr qui était trop lourd.
J’ai reçu, à la date du 30 juillet, une lettre du Directeur de
l’Imprimerie impériale qui me dit vous avoir, à la même date,
informé qu’il n’y a pas urgence, etc. (1), Il ajoute que je
(1) Voici la teneur de la lettre reçue par Leclerc :
Paris, le 30 juillet 1870.
Mo.nsieur le Docteur,
S. Kxc. M. le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Cultes,
m’a renvoyé la demande que vous avez bien voulu lui adresser dans le
but d’obtenir l’impression gratuite d’une traduction du Traité des Sim¬
ples d’Ebn Beithâr.
Les crédits annuellement affectés au service des impressions gratuites
par le budget de l’Imprimerie Impériale, sont entièrement épuisés pour
1870 et en partie aussi pour 1871. Je ne prévois donc pus de prochaine
réunion du Comité d’examen qui ne saurait, en l’état des choses, délibérer
utilement. Mais je n’en prie pas moins M. le Docteur Judas de me faire
parvenir le manuscrit de votre ouvrage, pour qu’il puisse être placé
sous les yeux du Comité dans sa séance la plus rapprochée (vers le mois
de Janvier 1871, vraisemblablement).
Agréez, Monsieur le Docteur, l’expression de ma considération très
distinguée.
l-e Conseiller d’Elat,
Directeur de l’Imprimerie Impériale,
Anselme Petetin.
A Monsieur le Docteur L. Leclerc, Médecin-Major nu 81» de Ligne,
3* Corps, l'e Division, au Bivouac de Boucheporn (Moselle).
— 223 —
pourrai cependant effectuer le dépôt lorsque je le jugerai con¬
venable, ce que je me propose de faire un de ces jours.
J’ai reçu de Strasbourg, à la date aussi du 30 juillet, une
lettre de Reboud(l); il était campé sur les glacis de la porte
de Saverne. Il se portait bien et conservait sa gaîté.
Pour moi, je vais assez bien. Ma sœur vous fait ses compli¬
ments les plus affectueux.
Tout à vous, A. Judas.
Cette lettre rassurante ne calmait qu’une partie des
inquiétudes de Leclerc, car il songeait toujours à sa
chère bibliothèque, si abandonnée, qui allait courir
les plus grands dangers.
Après la capitulation de Sedan, une bonne partie
de la population des environs de Paris, prévoyant la
prochaine arrivée de l’armée allemande, s’empressa
de venir se réfugier dans la capitale. A Arcueil, la
maison dont Leclerc occupait une chambre, fut éva¬
cuée par ses habitants. Elle ne tarda pas à recevoir
la visite de pillards qui la mirent à sac. Dans cette
circonstance, le mobilier et les effets de Leclerc fu¬
rent particulièrement maltraités. Le 15 septembre,
d’obligeants voisins vinrent constater les dégâts
commis et les réparer autant que faire se pouvait. Ils
mirent dans des caisses les livres et les manuscrits
épars surle parquet, et en référèrent au baron Larrey,
médecin inspecteur des armées, dont ils avaient lu
les lettres affectueuses, récemment adressées à Le¬
clerc. Grâce à la haute intervention de Larrey, les
onze caisses renfermant ce qui restait de la biblio¬
thèque du savant docteur, furent mises en sûreté par
les soins de l’intendance militaire dans le Magasin
central de l’habillement, campement, etc., sis quai
d’Orsay, 73. Leclerc les y retrouva en novembre 1871,
après sa mise à la retraite.
Dans cette Algérie qu’il avait parcourue dans tous
les sens, Leclerc s’était intéressé, en dehors de sa
profession, non seulement aux livres et aux manus-
(1) Reboud, qui était alors médecin-major au 3" régiment de tirailleurs
algériens, fut un illustre botaniste qui s’intéressa spécialement à la flore
algérienne. Il mourut à Saint-Marcellin (Isère) le 25 mai 1889.
— 224 —
crits arabes, mais encore aux indigènes et à leurs
mœurs, au sol et à ses productions, aux ruines et à
leurs inscriptions, à l’iiistoire ancienne et moderne
du pays, etc. Il avait rédigé sur toutes ces questions
de nombreuses notes, quelquefois illustrées, d’où il a
tiré les divers mémoires qu’il a publiés de 1849 à
1888, dans les journaux des sociétés savantes dont il
a fait partie : Société des antiquaires de France, So¬
ciété orientale de France, Société historique algé¬
rienne, Société de climatologie d’Alger, Société
archéologique de la province de Constantine, Société
asiatique. Société d’émulation du département des
Vosges, Académie d’Hippone, etc.
Leclerc, que sa passion pour l’Algérie avait fait
surnommer Varabe^ avait conservé une vive affection
pour sa petite patrie : ses travaux sur l’archéologie
vosgienne l’attestent, et surtout sa chanson de « la
Lorraine », qui se chantait sur F « air [des Enfants de
France, de Béranger ».
Ilmourut dans lecélibat, le lOavril 1893, à Ville-sur-
Illon, après une vie bien remplie et tout entière con¬
sacrée à la science. Sur sa tombe, le D*' Ghampy,
médecin à Uzemain (Vosges), prononça un discours
dont voici la péroraison :
Rentré dans la vieprivée en 1871, ce stoïcien dont le mérite
et les aptitudes auraient pu rendre tant de services à ses con¬
citoyens, soit dans nos assemblées départementales, soit
ailleurs, ne recherche ni les honneurs, ni le cumul des fonc¬
tions. Touteson activité est consacrée à la science etau bonheur
des siens. Sa famille sait mieux que nous tous, combien le
désintéressement et les vertus de l’homme privé étaient égales
à celles du savant, du médecin et du citoyen (1).
Le 14 avril 1893, M. Victor Loret, professeur à la
Faculté des Lettres de Lyon, écrivaità M. Albert Vir-
tal, neveu du D'' Leclerc :
Monsieur, J'ai été profondément touchédela délicate pensée
qui vous a fait m’annoncer vous-même, autrement que par la
(1) Le Républicain de» Vosgee, n* postérieur au 16 avril 1893.
— 225
banale lettre de faire part, la perte cruelle que vous et les
vôtres venez d’éprouver. Permettez-moi de joindre cordiale¬
ment mes propres regrets au deuil qui vous frappe.
Longtemps avant d’avoir le plaisir de correspondre avec le
D'' Leclerc, je le connaissais grâce à ses magnifiques travaux.
Nos relations se sont vite nouées, d’autant plus quénous étions
à peu près les deux seuls en France, à nous occuper de méde¬
cine et de botanique arabes. Deux personnes qui partagent la
même passion scientifique se sentent très rapidement attirées
l’une vers l’autre. J’ai de suite trouvé dans le D*' Leclerc, un
confrère d’une inépuisable bienveillance, qui a mis à ma dispo¬
sition, avec une grâce et une bonté que je ne saurais oublier,
sa vaste érudition et son importante collection de documents.
C’est vous dire combien je ressens vivement la perte que vient
de faire la science en sa personne. J’espère, néanmoins,qu’il
a pu terminer, avant de disparaître, le 3“ volume de son His¬
toire de la médecine arabe, dont il m'entretenait quelquefois
et que j’attendais avec une impatiente curiosité. Peut-être, en
tout cas, pourrais-je vous être utile, s’il avait laissé à publier
quelqueœuvre posthume, plus ou moins mise au point, caries
travaux du D’’ Leclerc sont de ceux dont il serait regrettable
de priver la science.
Recevez, Monsieur, avec mes sincères condoléances, l’assu¬
rance de ma parfaite considération.
Lh mort du D' Leclerc ne fut connue de la plupart
des sociétés savantes auxquelles il appartenait, que
l’année suivante. Le président de l’Académie d’Hip-
pone la signalait à la « réunion du 20 juin 1894(1)»,
et le lendemain, M. Barbier de Meynard, lisait à la
séance générale delà Société asiatique, la notice sui¬
vante où les erreurs abondent ;
Le D*" Leclerc n’était connu que d’un petit nombre d’entre
nous. Ancien médecin-major de l’armée d’Afrique, il avait pris
sa retraite depuis longtemps etpassait la plus grande partie de
l’année en province (sic), dans son pays natal. Il n’en a pas
moins compté parmi les collaborateurs les plus assidus du
Journal asiatique. Nous lui devons, entre autres contributions
savantes, une notice sur la version arabe de Dioscoride par le
médecin syrien Honeïn, un mémoire sur Aboul-Gasis, une
(1) Bulletin de l’Académie d'ifippone (1894). Bulletin n* 27, Bônp, 189.4 :
Comptes rendus des réunions, p. XXU.
— 226 —
étude préparatoire sur Ibn Beïtar, un mémoire sur Apollonius
de Thyane (sic) et plusieurs notices de bibliographie critique.
Son Histoire de la médecine en Orient (sic) restera, malgré un
certain désordre de plan et quelques erreurs de détail, un docu¬
ment toujours utile à consulter pour la connaissance du grand
mouvement scientifique qui, propagé par les médecins et tra¬
ducteurs syriaques, à transmis la science grecque à l’Europe
du moyen âge. Le Dictionnaire (sic) des simples d’Ibn Beïtar,
queM. Leclerc fut chargé (s/c) de traduire de l’arabe pour les
Notices et Extraits de l'Académie des Inscriptions, en 1877
(sic), n a pas une moindre importance pour l’étude de la bota¬
nique et de la pharmacopée orientales; c’est aussi une mine de
renseignements pour nos dictionnaires arabes, si insuffisants
encore en ce qui concerne la technologie des sciences natu¬
relles. L’union de deux spécialités si différentes chez le même
savant est bien rare, etnoussaurons toujours gréauD' Leclerc
d’avoir donné à ses études médicales et à sa connaissance de
la langue arabe, une aussi utile direction. Il a continué parmi
nous, avec une compétence peut-être plus étendue, les recher¬
ches de Sanguinetti et de Glément-Mullet, et son nom restera
honorablerrient associé à notre histoire. Puisse-t-il aussi trou¬
ver des continuateurs dans les rangs de notre armée d’Algérie
où l’érudition compte aujourd’hui des représentants distin¬
gués ! (1)
Enfin, M. Ernest Mercier, président de la Société
archéologique du département de Constantine, lui
consacrait dans le Recueil des notices et mémoires de
ladite Société, l’article suivant :
Dans le nécrologe de 1894 (sic), figure le D' Leclerc, mé¬
decin-major en retraite, qui appartenait à notre Société depuis
l’année 1861. Le D’’ Leclerc a été un des membres les plus
distingués du corps médical algérien, à une époque éloignée
de nous d'une trentaine- d’années. Archéologue, botaniste,
orientaliste, il était douéd’un égal talent dans chaque branche.
Après le départde Gherbonneau, en 1863, illui succéda comme
secrétaire de notre Société, et fut chargé du compte rendu et
des commentaires des inscriptions découvertes. Ses articles,
notamment celui sur le tombeau des Lollius, sont des mo¬
dèles d’érudition et de probité scientifiques. Malheureusement,
(1) Journal asiatique, 9* série, t. JV, p, 6-8, Paris, 1894 ; Procès-verba|
de la séance générale du 21 juin 1894.
— 227 -
il fut obligé, à son tour, de quitter le pays en 1865 (sic). Sa
traduction du botaniste arabe Ibn el Beïthâr lui mérita l’estime
des spécialistes et des récompenses largement justifiées.....
La Société archéologique remplitun simple devoir, en offrant
à sa mémoire l’hommage de sa reconnaissance et de son sou¬
venir sympathique (1).
Le D'' Leclerc faisait autorité en matière de méde¬
cine, de botanique, de zoologie et de minéralogie
arabes; aussi était-il journellement consulté sur les
termes spéciaux à ces sciences parles plus savants
orientalistes. Nombreuses sont les lettres qu’il en a
reçues et que possède son neveu, M. Albert Virtel.
M. Virtel possède également des lettres de médecins
éruditset d’illustres archéologues, adressées à Leclerc,
et toute la correspondance de ce savant, depuis son
premier séjour en Algérie. Dans le nombre, il en
est de très intéressantes qui mériteraient d’étre pu-
bliées(2).
Voici la liste des publications du D'' Leclerc ;
1849. Lettre sur quelques points de géographie ancienne et
moderne de l’Algérie. Gazette médicale de Paris, du
3 février 1849, p. 86-88. (Cettelettre avait été remise
à la Gazette en novembre 1848).
— De l’étiologie du goitre. Thèse pour le doctorat en mé¬
decine, présentée et soutenue le 5 janvier 1849,
devant la Faculté de médecine de Paris, Paris,
Rignoux imprimeur, 1849, in-4° de 79 p. (La page
77 est occupée par un chapitre intitulé : « Topogra¬
phie de Ville-sur-lllon ».)
1853. Extrait d’une lettre du Leclerc, laquelle « contient
l'exposé succinct des observations archéologiques,
recueillies par ce savant dans un voyage qu’il vient
de faire de Blidah à Tiaret ». Annuaire de lu Société
{\) Recueil des notices et mémoires delà Société archéologique du dé¬
partement de Conslaniine. Tomo 29, aonée 1894, p. 720-721, Gonstan-
tine, 1895.
(2) M. Virtel possède les lettres adressées à son oncle, le Df Leclerc,
par les savants suivants : Duremberg. Joseph Derenbourg, Hartwig
Derenbourg, Barbier.de Meynard, CJkerbonneau, D' Judas, Jules Mobl,
Reinaud, le baron de Slaqe, Zotenbci'g, Sichel, A. Delainarc,’Flourens,
Elie de Beaumont, baron Larrey, Liétard, Reboud, Léopold Delisle,
Jules Camus, Victor Lorot, etc.
— 228 —
Impériale des Antiquaires de France, 1853, p. 103-
104.
1854. De la médecine arabe, et particulièrement de la méde¬
cine arabe en Algérie. Montpellier, impr. de Ricard
frères, 1854, in-8® de 20 p. Extrait de la Gazette
médicale de Montpellier, 15“ année, 1854.
1856. Les oasis de la province d’Oran.Les Oulad-Sidi-Gliikli.
Revue de l'Orient, de l’Algérie et des colonies, bulletin
de la Société orientale de France, nouvelle série, t. IV,
p. 78-86, Paris, 1856.
1857. Les oasis de la province d’Oran et les Oulad Sidi
Cheikh. Gazette médicale de VAlgérie, 1857, feuille¬
ton de 7 numéros. Il en a été fait un tirage à part, à
Alger, en 1858.
— Observations de tænias. Ecorce de racine de grena¬
dier à haute dose. Expulsion de sept vers. Gazette
médicale de l’Algérie, 1857, p. 51.
— Extrait d’une lettre du D' Leclerc, alors en Kabylie.
Gazette médicale de l’Algérie, 1857, p. 159.
— Algérie. Etude sur le Médracen et sur le Tombeau de
la Chrétienne. Revue del’Orient, nouvelle série, t. VI,
p. 87-97, Paris, 1857. Laplanchequi auraitdû accom¬
pagner ce mémoire a été publiée en 1864, dans leiîe-
cueil des notices et mémoires de la Société archéolo¬
gique de la province de Constantine.
— Lettre concernant l’ère Mauritanienne. Revue africaine,
journal des travaux de la Société historique algé¬
rienne, l™ année, p. 217-219, Alger (1857).
— Ruines romainès sur les hauts plateaux. Revue afri¬
caine, l'“ année, p. 232.
— Lettre au sujet d’inscriptions arabes de Mascara, Ibid.,
p. 312.
— Epigraphie de Mascara etdes environs,/6/rf.,p. 475-478.
— Tombeau romain des environs d’Orléansville, Ibid.,
p. 478-483, avec 1 pl.
1858. Antiquités de la Kabylie. üepae africaine, 2" année :
1858, p. 140-145.
— Koukou, l’ancienne capitale de la Kabylie. Lettre écrite
de Souk-el-Arba (Fort-Napoléon), le 17 novembre
mi,Ibid.,p. 153-155.
— Traitement de la syphilis chez les Kabyles. Gazette
médicale de l'Algérie, 1858, p. 95.
— La matière médicale indigène à l’Exposition générale
de 1856 (stc). Ibid., p. 204-205.
— 229 —
1858. La chirurgie d’Abulcasis. Traduction française par le
D'' Lucien Leclerc. Ibid. Cette traduction a paru
comme feuilleton de la Gazette médicale de l’Algé¬
rie, pendant les années 1858 à 1861. 11 en a été
fait un tirage à part en 1861.
— De la caprification ou fécondation artificielle des figuiers.
Comptas rendus... de l'Académie des Sciences,
t. XLVII, p. 330-334 et 616.
1859. Des insectes du figuier mâle. Ibid., t. XLVIIl, p. 285.
— Ambulance de Souk-el-Arba (Fort-Napoléon). Plaie
pénétrante de l'abdomen avec issue de l’épiploon.
Guérison. Gazette médicale de l’Algérie, 1859, p. 1-2.
— Extrait d’une lettre du D*' Leclerc, dans laquelle il est
dit que, lors de la prise de Tolède par les Arabes,
ceux-ci y trouvèrent des richesses immenses, notam¬
ment 170 couronnes ornées de perles, de rubis et de
pierres précieuses. Bulletin de la Société Impériale
des Antiquaires de France, 1859, p. 155.
— Bou Kobrin, ou l’homme aux Deux Tombes. Revue
africaine, t. III, p. 398-400.
— Inscriptions arabes de Mascara. Ibid., t. lY, p, 42-46.
1860. Notice sur un médecin algérien du xvin“ siècle et
généralités sur la médecine et la pharmacie indigènes.
Gazette médicale de l'Algérie, 1860, p. 78-83 (Dans
ce mémoire il est question de Dâoud el Antaki et
surtout d’Abderrazzâq).
— La Médecine du Prophète. Traduction de M. Perron.
Compte rendu de ce livre par Leclerc. Gazette des
Hôpitaux, 1860, p. 421-422, 425-427.
— Campagne de Kabylie en 1850. Revue africaine, t. IV,
p. 426-433 ; t. V, p. 41-47 (Cet article est resté ina¬
chevé).
1861. L’euphorbe et le roi Juba. Ibid., t. V, p. 239-240.
— De la longévité en Algérie et particulièrement dans la
Numidie sous la domination romaine. Annuaire de la
Société archéologique de la province de Constantine.
1860-1861, p. 182-187, Constantine, 1861.
— De la population et de la longévité dans le nord de
l’Afrique, sous la domination romaine. Gazette médi¬
cale de l’Algérie, 1861, p. 4-9.
— La Chirurgie d’Abulcasis [titre en arabe], traduite par
le D'' Lucien Leclerc..., précédée d’une introduction
avec planches. Paris, J.-B. Baillière, juin 1861 (Alger,
impr. de A. Bourget, rue Sainte, 2), in-8® de X-XIV-
— 230 —
342 p., 3 planches (Extrait de la Gazette médicale de
l’Algérie).
1862. D' Leclerc et A. Berbrugger. La première proclamation
adressée par les Français aux Algériens. 1830. (Tra¬
duction du texte arabe, par M. Bresnier). Revue afri¬
caine, t. VI, p. 147-156.
— Rectification épigraphique. Ibid., p. 396-397.
— L’euphorbe. Ibid., p. 467-471.
— Un spécifique indigène contre la lèpre. Gazette médi¬
cale de l'Algérie, 1862, p. 22-23.
— Etude (s7c) historiques et philologiques sur Ebn Beïthâr.
Journal asiatique, 5® série, t. XIX, p. 433-461.
1862-64. Une mission médicale en Kabylie. Gazette médicale
de l'Algérie, années 1862, 1863 et 1864.
1864. Une mission médicale en Kabylie... avec une planche
de la Kabylie. Paris, J.-B. Baillière, 1864 (Alger,
impr. de l’Akhbar, J. Breucq, gérant), in-8® de IV-
251 p., 1 carte géogr.
— Le monument des Lollius. Revue africaine, t. VIII,
p. 153-160.
— Le monument des Lollius et Apulée. Recueil des notices
et mémoires de la Société archéologique de la province
de Constantine, 1864, p. 15-34.
— Inscriptions nouvelles recueillies à Constantine. Ibid.,
' p. 37-73.
— Une inscription [romaine] du Kaf-Tazrout. Ibid., p. 74-
77.
— Inscriptions [romaines] recueillies chez les Ouled Abd-
el-Nour par M. Féraud. Ibid., p. 78-90.
— Inscriptions [romaines] recueillies par M. le comman¬
dant Payen [dans le cercle de Bordj-bou-Arreridjj.
Ibid., p. 91-107.
— Note sur le Medracen, avec une planche. Ibid., p. 133.
— Notes pour servir à l’histoire de la syphilis chez les
Arabes. Gazette médicale de l'Algérie, 1864, p. 44-
46, 57-59.
1864- 05. Traité de la variole et de la rougeole par Razès.
Traduction française par Leclerc et Lenoir. Gazette
médicale de l'Algérie, années 1864 et 1865.
1865. Note sur les origines de la variole. Ibid., 1865, p. 70.
1865- 66. Avicenne. Canon, liv. IV. De la variole et de la rou¬
geole. Traduction de Leclerc. Ibid., années 1865
et 1866.
1866. Traité de la variole et de la rougeole de Razès. Traduc-
— 231 —
tion française par MM. Leclerc et Lenoir. Paris,
J.-B. Baillière, 1866, in-8" de lV-59 p. (Extrait de la
Gazette médicale de l'Algérie').
1866-73. Kachef-erroumoûz. Révélation des énigmes. Tra¬
duction du D"' Leclerc. Ibid., années 1866 à 1873.
1867. La Lorraine [chanson]. Air des « Enfants de France »
de Béranger. Annales de la Société d'émulation du
département des Vosges, t. XIII, 1''® partie, p. 121-122.
— De la traduction arabe de Dioscorides, et des traductions
en général. Etudes philologiques pour faire suite à
celles sur Ebn Beïlhâr. Journal asiatique, 6® série,
t. IX, p. 5-38.
1868. Beithar (Abou Mohammed Abdallah ben Ahmed Djiad-
din), article du Dictionnaire encyclopédique des
sciences médicales, Tpàr A.. Dechambre, t. VIII, p. 759-
760. (Dechambre a mis à la suite de cet article, une
note par laquelle il annonce que Leclerc « vient
d'achever une traduction complète d’Ebn Beïthâr,
dont le texte a été revu par lui sur les manuscrits »).
1869. Notice sur Ebn Beïthâr et sa traduction. Recueil de
mémoires de médecine, de chirurgie et de pharmacie
militaires, 2“ série, t. XXII, p. 348-352 (Ce mémoire
est rempli de fautes d’impression, contre lesquelles
Leclerc a protesté dans une lettre qui n’a pas été
publiée).
—■ De l’identité de Balinas et d’Apollonius de Tyane. Jour¬
nal asiatique, 6" série, t. XIV, p. 111-131.
1870. Ishoq ben Amran (ix« et x® siècles). Gazette médicale de
l'Algérie, 1870, p. 71.
— Observations sur le travail de M. Glément-Mullet,
publié dans le Journal asiatique [de] janvier 1870 [et
intitulé : « Etudes sur les noms arabes de diverses
familles de végétaux »!. Journal asiatique, 6® série,
t. XVI, p. 296-303.
1870-74. Des origines de la médecine arabe. Gazette médicale
de Paris, années 1870 à 1874.
1871. Note relative à l’influence qu'a exercée sur le déve¬
loppement scientifique, en Arabie, Ebn el Heitsam,
Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. LXXIII,
p. 403.
— Documents inédits sur l’incendie de la bibliothèque
d’Alexandrie par les Arabes. Annales de la Société
d'émulation du département des Vosges, t. XIV, P» par-
tie, p. 344-354.
— 232 —
1871-72. Histoire des institutions médicales chez les Arabes
(Extrait d’une Histoire inédite de la médecine arabe).
Gazette médicale de l'Algérie, années 1871 et 1872.
187.3. Inscription antique du musée d’Epinal, trouvée à Ville-
sur-lllon (Vosges). Bulletin de la Société Nationale
des Antiquaires de France, 1873, p. 162-164.
1874. Kachef er-roumoûz (révélation des énigmes) d’Abd er-
rezzaq ed-Djezaïry, ou Traité de matière médicale
arabe d’Abd er-rezzaq l’Algérien, traduit et annoté
par le D'' Lucien Leclerc... Paris, J.-B. Baillière et
fils, Ernest Leroux, 1874, in-8" de IV-39!) p. (Extrait
de la Gazette médicale de l'Algérie)
— Abulcasis. Son œuvre pour la première fois reconstituée,
par le D'' L. Leclerc. Paris, G. Masson, 1874, in-8"
de 20 pages (Extrait de la Gazette hebdomadaire de
médecine et de chirurgie, 1874, p. 537 et 569).
— Ishaq ben Soleiman Israïly. Gazelle médicale de l'Algé¬
rie, 1874, p. 141-142.
— Articles « Razès », « Réchideddin Aboulkheir ben
Imadeddoula » et « Réchideddin Ali ben Khalifa », du
Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales,
par Dechambre, t. LXXXI (3" série, t. II), p, 580-583,
598, 599-600.
1875. Ebn-Djezzar [Abou Djafar Ahmed ben Ibrahim ben
Abikha'ed, surnommé Ebn-Djezzar (le fils du bou¬
cher)], X® siècle. Gazette médicale de l'Algérie, 1875,
p. 94-95.
— Ebn-el-Beilhar. Gazette hebdomadaire de médecine et
de chirurgie, 1875, p, 97 et 129.
— Terminologie médico-pharmaceutique et anthropolo¬
gique française-persane avec détails sur la thérapeu¬
tique indigène et les maladies endémiques de la
Perse, etc., par J.-H. Schlimmer, ancien professeur
et médecin principal en Perse, etc. Téhéran, 1874.
Compte rendu de ce livre par le D® Leclerc. Ibid.,
p. 193 et 209.
1875-76. Revue sommaire de la médecine arabe. Gazette mé¬
dicale de Paris, années 1875 et 1876.
1876. La science arabe en Occident, ou autrement sa trans¬
mission par les traductions de l’arabe en latin.
Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie,
1876, 6 numéros.
— Histoire de la médecine arabe. Exposé complet des
traductions du grec. Les sciences en Orient, leur
— 233 —
transmission à l'Occident par les traductions latines,
Paris, Ernest Leroux, 1876, 2 vol. in-8“ [t. I, IV-
588 p.; t. II,.lV-527 p.].
1876. Articles « Cohen el Athar » et « Mousa ben Miinoun
[Maimonide] » du Dictionnaire Dechambre, t. XVIII,
p. 699, et t. LXII (2'= série, t. X), p. 226-227.
1877. Articles « Costa ben Luca » et « Formulaires arabes »
du Dictionnaire de Dechambre, t. XXI, p. 31 et t.
XXXIX (4° série, t. III), p. 658-660.
— Traité des simples par Ibn el-Be’ilhâr [traduit en fran¬
çais par L. Leclerc], tome premier. Notices et extraits
des manuscrits de la Bibliothèque Nationale et autres
bibliothèques, publiés par l’Institut National de France,
faisant suite aux Notices et extraits lus au Comité
établi dans l'Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres. T. XXIIL Paris, Imprimerie Nationale, 1877,
in-4“ de VIII-XVI-478 p. (L’impression du tome l®*'
a commencé en 1874. Le tome III et dernier a paru
en 1883).
1878. ]ja matière médicale de l’Orient et des pays coloniaux
à l’Exposition universelle [de Paris 1878]. Gazette
hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1878,
p. 565.
1880. Articles « Damiri », « Daoud el Antaky » et « François
de Piémont [Franciscus de Pe<le montium) » du Dic¬
tionnaire de Dechambre, t. XXV, p. 381 et 630, et
t. XLII (4® série, t. VI), p. 9.
1881. Articles « Géber », « Sérapion l’ancien », a Sérapion
le jeune », a Siméon Seth », a Sinan ben Tsabet »,
du Dictionnaire de Dechambre, t. XLIII (4® série,
t. VII), p. 194-197, et t. LXXXVIII (3« série, t. IX),
p. 246, 247, 665 et 738.
— Traité des simples par Ibn el-Beïthâr, tome deuxième.
Notices et extraits des manuscrits..,, t, XXV, Paris,
1881, in-4» de IV-IV-492 p.
1882. Sur la Bellima ILettre datée de Paris le 13 mai 1882].
Bulletin de l'Académie d’Hippone. Bulletin n® 18,
p. 126-128.
— Articles « Gérard de Crémone » et a Oribase » du Dic¬
tionnaire de Dechambre, t. XLIV (4' série, t. VIII),
p. 518-520 et t. LXIX (2® série, t. XVII), p. 542-544.
1883. Traité des simples par Ibn el-Beïthâr, tome troisième.
Notices et extraits des manuscrits..., t. XXVI, Paris,
— 234 —
^ 1883, in-4° de VIII-486 p. (Le tome l" a paru en
1877).
1883. Sur les ruines de la butte de Vaudémont. Bulletin delà
Société Nationale des Antiquaires de France^ 1883,
p. 271-273.
1884. Articles « Djabril », « Djorgis ben Djabril », « Omar
ben Ali el Moiisli wet» Syouthy », du Dictionnaire àe
Dechambre, t. XXX, p. 103, 104; t. LXXI (2= série,
t. XIX), p. 613-615; t. XCIII (3“ série, t. XIV),
p. 212).
1885. Articles « Ebn-Abi-Ossaïbiah », « Ebn-Botlan », « Ebn-
ed-Dakhouar », « Ebn-ed-Djami », « Ebn-Eddjez-
zar », « Ebn-Djezla », « Ebn-el-Reithar [Beithar] »,
« Ebn-el-Kadhi », « Ebn-el-Koff », « Ebn el-Kotbi »,
« Ebn-Ennelis », « Ebn-Essouidi », « Ebn-Essouri »,
« Ebn-Ouafedou Eben-Guefitli », « Ebn Ouahchya»,
« Ebn-Saklan », «Ecoles et enseignement en Orient»,
du Dictionnaire de Dechambre, t. XXXII, p. 9-24 et
401-405.
1886. Articles « El Kol'ti » et « Haly-Abbas » du Dictionnaire
de Dechambre, t. XXXlll, p. 558 et t. XLVIII (4® sé¬
rie, t. XII), p. 122-123.
1887. Article « Thabel-ben-Corra » du Dictionnaire de De¬
chambre, t. XGVI (3® série, t. XVII), p. 75.
1888. Article « Honein » du Dictionnaire de Dechambre, t. L
(4® série, t. XIV), p. 259.
— Tifàchi, naturaliste du Magreb. Bulletin de l’Académie
d’Hippone. Bulletin n- 23. Bône, 1888, p. 81-85.
— Remarques critiques [sur le mémoire de M. Gamussi,
intitulé ; « La rage, son traitement et les insectes
vésicants chez les Arabes »]. Journal asiatique, 8' sé¬
rie, t. XII, p. 357-360.
? La médecine militaire en Egypte. Girculaire du Gonseil
de santé d’Egypte aux médecins de l’armée sur la
prophylaxie et le traitement de la gale et de la
syphilis. Revue des médecins des armées, t. VH, p, 71-
78.
Lettre du D' Léclerc à
M. Albert Virtel, à Damas (Vosges)
— 236 —
LES MALADIES ÉPIDÉMIQUES ET CONTAGIEUSES EN
LORRAINE DU IX-^ AU XIX« SIÈCLE
pni' le Dr Hubert CLiEU
Médecin aide-major de l’“ classe
[Première partie)
Par sa situation géographique entre la France,
l’Empire germanique et les Pays-Bas, par sa richesse
qui attirait toutes les invasions, la Lorraine fut de
tous temps exposée aux épidémies les plus divei'ses
et les plus meurtrières. Depuis le Mal des Ardents
qui vint de France vei’s l’an 1000, depuis la danse de
Saint-Guy qui vint d’Allemagne quelques siècles plus
tard, jusqu’aux épidémies de typhus qui furent les
conséquences des guerres de l’Empire au xix° siècle,
la Lorraine soufl'rit de toutes les contagions, de toutes
les pestes que lui apportèrent les troupes en campa¬
gne ou que firent éclore des saisons désastreuses.
Nous avons divisé en quelques chapitres l’étude
de toutes ces maladies, quoique bien souvent il soit
difficile de faire un diagnostic exact : 1" la peste et le
Mal des Ardents jusqu’au xiv® siècle; 2“ la danse de
Saint-Guy et les éprinsons au xiv®, xv° et xvi® siècles;
3° toutes les épidémies désignées sous le nom de
peste du xiv® au xix siècle; 4° les autres maladies
contagieuses bien déterminées; 5“ la lèpre.
I. La Peste et le Mal des Ardents du ix' au xiv® siècle.
— Saint Goëry et les origines de la ville d'Epinal.
— Saint Antoine et les origines de Pont-à-Mous-
son. — Sainte Geneviève à Toul et à Nancy. — Les
râpures de la pierre du Saint Sépulcre de l'abbé de
Saint-Vannes., à Verdun.
La peste est signalée par Richard de Wasse-
bourg (1) comme ayant ravagé toute la Lorraine au
(1) Richard dr Wassebourg. Les Antiquités de la Gaule Belgique, 1549.
— 237 -
ix« siècle, en 825 et 875 ; cette dernière épidémie
avait été précédée d’une invasion de sauterelles.
Le fléau fait de nouvelles apparitions dans la pre¬
mière moitié du x* siècle, à la suite des invasions de
Normands et de Hongrois.
En 985, le roi de France Lothaire, profitant des
troubles qui agitaient l’Allemagne durant la mino¬
rité d’Otlîon III, avait envahi la Lorraine. 11 avait
d’abord assiégé Verdun, et la ruine du pays avait été
si complète, qu’un clerc qui venait d’étre nommé à
ce siège épiscopal fut si effrayé de l’état de désola¬
tion du diocèse, qu’il remoiîta sur son cheval et s’en¬
fuit, « ascenso mox equo reversus est (1) », A Toul,
dont il s’empara ensuite, la contagion qui fit suite à
la guerre et au pillage fut des plus meurtrières;
Vidric {in vita Sancli Gerardi) raconte que les rues
étaient encombrées de cadavres, que les maisons re¬
gorgeaient de morts et de mourants. La famine se
faisait cruellement sentir et saint Gérard, revenant
de Rome, dut faire distribuer les réserves de blé de
son palais épiscopal. De grandes processions furent
ordonnées et l’on porta solennellement les reliques.
D’auti’es épidémies sont signalées au début du
XI' siècle dans le Val de Galilée, où le clergé prome¬
nait dans les campagnes la châsse de saint Hydulphe
pour la guérison des malades; puis, en 1007, à Pont-
à-Mousson; mais dès cette époque, il est fort difficile
de distinguer la peste du Mal des Ardents.
Le Mal des Ardents ou feu sacré, encore appelé
feu Saint Antoine ou feu Saint Eloi, avait fait son
apparition en France avant le milieu du x® siècle.
Cette bizarre et cruelle maladie que l’on attribue
aujourd’hui à l’absorption de seigle ou de blé ergo-
tés, faisait de grands ravages en Lorraine dès la fin
du X® siècle, puisque c’est vers cette époque, ainsi
que nous allons le voir, qu’un hôpital fut fondé à
(t) ADonyme.de Saint Vannes apud Pertz., VI cité par Cii. Buvi-
GMER. Recherches historiques sur les maladies djtidcmiqucs cl conta¬
gieuses qui ont régne dans le Vcrdunois, in Mémoires de la Société Phi¬
lomatique de Verdun, V, 1853.
BU. Soc. fr. hUt. méd., XH, 1914 16
— 238 —
Epinal poui* recevoir les Ardents. Celte maladie
devait désoler la Lorraine pendant près de trois siè¬
cles, avec des recrudescences périodiques parfois
assez rapprochées, puisqu’elle est signalée comme
particulièrement violente dans la région mussipon-
taine en 1028,1041,1049, 1089, 1100, 1128, 1129,1130,
1180, 1186 et de 1195 à 1198. Elle semble avoir per¬
sisté encore jusqu’à la fin du xiii® siècle, même au
xiY“ à Verdun. Les vieilles chroniques insistent sur¬
tout sur l’épidémie de 1089.
« En ce temps-là, dit la Chronique d’Hirsauge, il
y eut, dans la Lorraine occidentale, une grande con¬
tagion. » Les malheureux atteints de cette horrible
maladie voyaient leurs membres se gangréner pour
se dessécher ensuite ou bien tomber en lambeaux
putréfiés. Ils traînaient, ainsi mutilés, une vie d’ago¬
nie parfois encore très longue. Richard de VS^asse-
bourg parie également de cette épidémie :
En l’an mil nonante fut grande famine par tout le pays de
Lorraine. Puis, survint un air corrompu par tout ledit pays,
qui engendra une maladie nommée le feu sacré. Par lequel les
bras, jambes, et autres membres des personnes estoient
enflammé, de sorte qu’ils se corrompoient et deseichoient
comme noirs charbons. Brief, ce mal tourmentoit tellement
ceux qui en estoient entachés que les uns mouroient miséra¬
blement, les autres se faisoient, par contrainte, couper lés
membres asseichez par ce mal, et les autres en estoient contre-
faicts par retraite et contraction des nerfs, vivant en tour-
mens et langueurs le surplus de leur vie misérable.
Nous ignorons quelles furent les mesures sani¬
taires prises à cette époque, ainsi que la thérapeu¬
tique que l’on opposait à cette affection, sauf en ce qui
concerne les amputations que faisaient pratiquer cer¬
tains malades. On recherchait surtout la guérison
dans l’invocation des reliques, et de grands pèleri¬
nages prirent naissance. Ces pèlerinages furent la
cause du développement de deux grandes villes lor¬
raines, Epinal et Pont-à-Mousson.
Celui d’Epinal fut le premier en date. Il n’y avait,
— 239 —
à la fin du x® siècle, sur les bords de la Moselle, au
niveau de l’emplacement actuel de la ville, qu’une
église récemment construite par l’évêque de Metz,
Thierri de Hamelan, au pied d’un très ancien château
fort, souvent ruiné par les invasions barbares, mais
toujours reconstruit. Pour enrichir cette église nou¬
velle, Thierry y apporta vers 984, les reliques de l’un
de ses prédécesseurs, saint Goëry, qui avait été
évêque de Metz au vu® siècle (1). Dès l’an 1000, les
Ardents, dévorés de leur horrible mal, accouraient
invoquer les reliques du saint qui s’était signalé par
de nombreux miracles; il en venait de toute la Lor¬
raine, de la ' Bourgogne, de l’Austrasie tout en¬
tière (2).
Adalbéron, successeur de Thierry sur le siège de
Metz de 984 à 1005, venait en personne soigner les
pèlerins, ainsi que le rapporte l’auteur de sa vie, qui
assistait lui-même à ce pèlerinage :
Je suis bien assuré de ne rien raconter qui ne soit entière¬
ment vrai; car moi-raème, sept jours consécutifs, je l’ai aidé
dans ce divin service, lavant les plaies des pèlerins ou les
essuyant de mes mains. Chaque jour, le nombre de ceux qui
étaient reçus ne s’élevait pas à moins de cent ou quatre-vingts.
Et pendant qu’on versait l’eau sur leurs blessures, sans doute
par l’effet de l’ardeur qui dévorait leurs chairs, il s’élevait
une vapeur semblable à un épais nuage qui remplissait la
maison et obscurcissait la vue. En même temps une puanteur
intolérable, dont l’odeur du soufre et de ce qu’il y a de plus
infect ne donne qu'une imparfaite idée, se répandait par¬
tout (3).
Le saint évêque fonda même un hôpital rendu né¬
cessaire par l’affluence des malades. « Les miracles
(1) D’une illustre maison d’Aquiluine, Gocry avait d’abord été soldat.
Atteint de cécité, il vint ù Metz auprès de l’évêque .Vrnould auquel il
succéda en 629. Bégin dans ses Leltrcs sur l'Histoire medicale du nord-
est de la France (Académie de Metz, 1839), dit qu’il exerçait, de son
vivant, lu médecine avec une grande habileté.
(2) Pour tout ce qui concerne Saint Goëry d’Epinal, consulter les
deux articles de l’abbé Ch. Cuapei.ieb, dans le Bulletin de la Société
Philomatique vosgienne de Saint-Dié, XI, p. 137 et XII. p. 63.
• (3) D’après l’abbé Ch. Chapelier, loc. cil.
— 240 —
que Dieu fit pour honorer les reliques de saint Goëry,
attiraient de toutes parts un si grand concours de
peuple, que l’évêque Adalbéron fut obligé de bâtir un
hôpital à Epinal » (1). Ce lut l’hospice conventuel
annexe du monastère des religieuses installées en ce
lieu vers la même époque. Dans les villes épisco¬
pales de la Lorraine c’était en effet l’évêque et, à
défaut, les abbayes qui devaient hospitaliser les
pèlerins. Cet hôpital était situé près de l’église, en
face de la grosse tour; il était bien distinct de l’hos¬
pice du Petit-Rualménil qui date du xiv® siècle et de
l’hospice Saint-Maurice, fondé en 1620 par les bour¬
geois d’Epinal. Il semble avoir existé dès les débuts
du pèlerinage et persista jusqu’à la Révolution, mais
il perdait peu à peu sa destination primitive à mesure
que disparaissait le feu sacré, néanmoins il resta
toujours sous la tutelle des chanoinesses qui y entre¬
tenaient les orphelins et des incurables.
Le pèlerinage aux reliques de saint Goëry amenait
une telle affluence au pied du vieux château qu’une
foire s’organisa, puis des marchands et même des
pèlerins s’installèrent définitivement. C’est ainsi que
s’étendit peu à peu la mince agglomération primiti¬
vement formée par les quelques cabanes de pêcheurs
assises aux bords de la Moselle, et ce fut Lorigine
de la ville d’Epinal. Les habitants gardèrent toujours
en grande vénération les reliques qui avaient été
l’une des principales causes du développement de
leur cité, et dans les siècles suivants ils eurent maintes
fois l’occasion de les porter processionnellement par
les rues de la ville, pour parer à quelque malheur ou
à quelque épidémie.
D’après Dom Calmet (2), la ville de Pont-à-Mous-
son eut un développement analogue : elle dut le nom¬
bre de ses hôpitaux ou Maisons-Dieu et l’accroisse¬
ment de sa population au concours de pèlerins qui
(1) Histoire de Metz, par le P. Benoit PtcXRD, ms. in t° de la Biblio¬
thèque d'Epinal.
(2) Dom Calmet. Histoire de Lorraine, Nancy, 1745.
— 241
venaient à une église dédiée à saint Antoine pour
être guéris du feu sacré.
Nous ne connaissons pas les débuts du pèlerinage,
mais c’est vers 1198 que les Aiitonins ou Antonistes
vinrent fonder dans la partie de la ville qui dépendait
du diocèse de Metz, un hospice pour recevoir les
Ardents (1). On connaît l’origine de cet ordre hospi¬
talier (2). Le corps de- saint Antoine ermite avait
été rapporté de Constantinople par Gosselin, sei¬
gneur de la Motte-Saint-Didier, en Viennois. Soldat
peu fortuné, Gosselin ne sachant où abriter son tré¬
sor sacré, le transportait partout avec lui, même à la
guerre. Il se décida pourtant à faire édifier une église
dans sa seigneurerie, mais la mort l’emporta avant
qu’il eut achevé son œuvre. Son parent. Guigne
Didier, ayant hérité du corps saint, en continuait le
perpétuel charroi, quand Urbain II, revenant de
Nîmes et s’acheminant vers l’Italie, fut renseigné sur
la façon curieuse dont on honorait ces reliques. Sur
son ordi’e l’église fut achevée et saint Antoine con¬
nut enfin le calme d’un domicile fixe. On construisit
un prieuré, que vinrent habiter des moines tirés du
monastère de Mont-Majour au diocèse d’Arles, et un
hôpital rendu nécessaire par l’affluence des Ardents^
venant implorer auprès de la relique la guérison du
fléau qui ravageait alors le Dauphiné. Cet hôpital
n’était pas desservi par les moines, mais par de pieux
laïques qui s’astreignaient à soigner le mal horrible
de ces malheureux; ils étaient dirigés par un Maître
ou Précepteur et portaient comme insigne sur leur
habit un T ou potence, dont se servent les impotents
pour assurer leur marche. Ces laïques furent érigés
plus tard en ordre hospitalier et prirent la règle de
saint Augustin, comme chanoines réguliers, sous le
nom d’Antonistes.
Quand ils vinrent installer leur succursale sur les
(1) Histoire de Metz, par les BéM£DICTins. Melz, 1769, 2 vol. in 4 ; II,
p. 308.
(2) Fleury, Histoire ecclesiastique.
— 242 —
rives de la Moselle, il n’y avait qu’une mince bour¬
gade aux deux extrémités du Pont-sous-Mousson;
cette agglomération prit rapidement une importance
plus grande par les longues théories de pèlerins qui
venaient invoquer saint Antoine et recevoir les soins
des hospitaliers. On avait organisé des foires qui, en
plus des malades, attiraient les commerçants et les
populations environnantes : la principale avait lieu
le jour de la décollation de saint Jean-Baptiste, mais
les droits perçus à l’occasion de celle qui coïncidait
avec la fête de Saint-Antoine, revenaient à l’hô¬
pital (1). Gomme cela s’était produit pour Epinal, le
pèlerinage pour la guérison du feu sacré fut une des
causes importantes de la formation de la cité (2).
On dut invoquer saint Antoine en d’autres points
de la Lorraine, car des chapelles placées sous son
invocation persistèrent longtemps en différentes loca¬
lités, notamment à Epinal. A Nancy, saint Antoine
était non seulement le patron des charcutiers, mais
aussi celui des arquebusiers de la ville, et dans
l’église des Cordeliers un tableau peint par Legrand,
en 1669, le représente avec le feu sacré tombé devant
lui à ses pieds.
Sainte Geneviève que les Ardents invoquaient à
Paris, semble avoir été également en honneur en
Lorraine. A Toul, par exemple, l’église Sainte-
Geneviève qui fut vendue et démolie en 1792, avait
été reconstruite autour de l’an 1000, par l’évêque Ber-
thold qui occupa le siège épiscopal de 996 à 1018. De
môme l’ermitage fondé au xvii“ siècle au point culmi¬
nant du plateau de Malzéville au nord de Nancy, occu¬
pait l’emplacement d’une très ancienne chapelle
dédiée à sainte Geneviève et datant elle aussi dè l’épo¬
que des épidémies de feu sacré (3).
(1) EuoiiNE Ory. Causerie sur Ponl-à-Moiisson. Pont-ù-Mousson, 1880.
(2) Les Antonistes eurent parla suite plusieurs établissements en Lor¬
raine, en particulier à .Metz où ils s'établirent en 1444, mais à celte
époque on ne mourrait plus du feu sacré.
(3) Elle appartenait aux ducs de Lorraine. En 1248 Mathieu II l'avait
cédée au prieuré de Varangéville qui la garda jusqu'en 1602. A cette
- 243
Hugue de Flavigny (1) parlant d’une épidémie qui
survint en 1042 et qu’il attribue au manque de vin et
de blé dont on avait souffert l’année précédente,
raconte que les ardents accouraient en foule aupi’ès
du bienheureux Richard, abbé de Saint-Vannes à
Verdun. Ce saint prélat guéi’issait les malades en
leur faisant absorber un mélange composé d’eau
bénite ayant arrosé les reliques des saints et de vin
saupoudré des râclures d’une pierre du Saint-Sépul-
chre. 11 avait coutume de préparer ce remède après
avoir dit sa messe, et l’affluence des malades était
telle, que l’on tenait toujours en réserve un vase
rempli de cette boisson pour ceux qui arrivaient en
retard, afin de n’être pas obligé de recourir à une
nouvelle aspersion des reliques. Plus tard, à la
demande de l’évéque de Verdun, on exposa les reli¬
ques de Saint-Vannes et on les porta en procession
par les rues de la ville au milieu d’un grand concours
de peuple accouru de tous les points du pays.
11 est difficile de préciser la date de l’extinction
définitive du feu sacré en Lori'aine. Dom Calmet en
signale encore une épidémie en 1243, et il semble
avoir persisté jusqu’au début du xiv" siècle.
11. La Danse de Saint Vit aux XIV’’ et XV* siècles. —
Comment on traitait les dansants. — Saint Vit à
Saverne et en Lorraine. — Les Esprinsons à Metz et
sainte Lucie.
L’an treize cent soixante et quatorze
A Metz advint piteuse chose.
Qu’en la cité, ville et champs
Gens dansaient du bien Sainct Jean.
Ce curieux événement n’était autre chose qu’une
épidémie de danse de saint Guy ou mieux de saint
époque elle ijassa au chapitre de la primatiale de Nancy, qui autorisa
l’installation d’ermites. Ch. Pfisteb. Histoire de Nancy. Nancy, llergcr-
Levruult, 1909, 3 vol. gr. in-8.
(1) Apud Pertz. Mon. genn. fiisior. X, lib. II, cité par Ch. UvviCMEn,
244 —
Vit, encore appelée danse saint Jean ou saint
Modeste. En 1373 elle avait fait quelques apparitions
en divers endroits, mais l’année suivante elle envahit
toute la vallée de la Moselle et aussi la vallée du Rhin.
Les Bénédictins (1) racontent que des personnes de
toutes conditions, hommes et femmes, jeunes gens et
vieillards, même des magistrats, des juges et des
prêtres, se trouvaient subitement frappés d’une sorte
de frénésie, et se mettaient à chanter et à danser
comme des corybantes dans les rues et sur les places
publiques. Cette maladie durait une dizaine de jours;
près de 1500 personnes en furent atteintes à Metz.
Lorsqu’ils avaient dansé pendant des heures entières,
les malades éprouvaient une sorte d’angoisse et se
plaignaient d’une vive douleur au bas-ventre ; ils ne
ressentaient quelque soulagement que par une forte
pression exercée à ce niveau au moyen d’une cein¬
ture très serrée ou d’une corde nouée d’une certaine
façon ; parfois aussi on les frappait violemment ou
bien on les foulait aux pieds lorsqu’ils étaient tombés
à terre. Les médecins pratiquaient le massage et les
prêtres faisaient des exorcismes.
Dans la suite cette maladie dégénéra en libertinage,
car dans la foule des vrais malades s’étaient glissés
des simulateurs et surtout nombre d’hystériques ;
Dom Calihet raconte que des femmes se prostituè¬
rent publiquement. L'autorité du Magistrat dut mettre
un terme à cette licence: les Treize firent proclamer
que tout danseur rencontré en ville serait fouetté ou
subirait le supplice de la xippe, qui consistait à
plonger le coupable dans un égout (3).
Une nouvelle épidémie éclata un siècle plus tard,
en 1463; on se contenta d’expulser les dansants de la
cité, et ce futle meilleur moyen d’arrêter la contagion.
(1) Histoire de Mets.
(2) Bégin. Metz depuis dix-huit siècles. Paris, Metz, 1845.
(3) Tableau historique, chronologique et médical des maladies endémi¬
ques, épidémiques et contagieuses qui ont régné à Metz et dans le pays
Messin, depuis les temps les,plus reculés jusqu'à nos jours, par le D'' Félix
Maréciixl. Metz, 1850.
— 245 —
Au cours d’une épidémie analogue survenue en
Alsace, à Strasbourg, en 1518 (1), on essaya d’abord
comme à Metz d’exorciser les malades ; certains
furent même traités comme sorciers et brûlés vifs.
Ce procédé ne donnant aucun résultat et l’épidémie
continuant son cours, on chei’cha d’autres moyens
thérapeutiques. On avait d’abord interdit le bruit des
instruments de musique, mais plus tard on en fit un
moyen de traitement : on rassemblait des musiciens
qui jouaient d’abord avec frénésie, faisant un
vacarme assourdissant ; puis très progressivement le
bruit allait s’atténuant, les sons trop aigus s’assour¬
dissaient, ce n’était plus à la fin qu’un doux murmure
musical. Cette cure étrange ne réussit pas mieux que
les exorcismes et dès lors on n’eut plus confiance
qu"en l’intervention de saint Vit à Saverne.
Ch. Bœrch cite une Instruction concernant les pau¬
vres personnes dansantes envoyées a Saint Guy, qui
nous apprend l’oi'donnance de ces pèlerinages théra¬
peutiques. On séparait les malades en trois groupes
avant leur arrivée à Saverne, puis on menait chaque
groupe à la chapelle où le prêtre célébrait la messe ;
après quoi, chaque malade faisait une aumône, puis
recevait l’absolution.
Cette chapelle est une sorte de grotte creusée dans
une roche de grès et dominant la vallée de 150 mètres
environ. L’autel et la grille d’entrée étaient autrefois
ornés de crapauds de fer, curieux ex-voto déposés en
ce lieu par les hystériques qui venaient invoquer saint
Vit.
Sanctus Vitus souffrit le martyr en Lucanie à l'âge
de 12 ans, sous le règne de l’empereur Dioclétien. Son
(1) Jusqu'ici la date de 1418 était généralement admise par les histo¬
riens de la Médecine, mais dans une étude très documentée sur l’his¬
toire de la danse de Saint-Guy en Allemagne, que notre collègue le
D' Alfred Martin (de Bud Nauheim) est en train de publier dans la
Zeitschrift des Vereins fur VoMsAuBtiç ,(1914, Heft 2), l'auteur démontre
que l’épidémie de Strasbourg u été'antidatée de cent ans.
(2) Essai sur la mortalité A'Strasbourg (1836), cité par Mand’iieux.
Notice historique sur les épidémies qui pni régné dans l’est de la France,
in Annales delà Société d'Emulation dhf Vosj^es, 1830.
- 246 —
corps avait été i-apporté en France par Fuirad, abbé
de Saint-Denis, au temps du roi Pépin. Vers 835,
Varin, abbé du nouveau monastère de Corbie, en
Saxe, exprima à Hilduin, successeur de Fuirad, le
désir de posséder cette relique pour affermir la foi
dans la Saxe nouvellement christianisée. Le corps de
saint Vit lui fut solennellement remis dans l’église
de Saint-Denis, le dimanche 19 mars 836, en présence
de l’évêque de Paris et des nobles du diocèse; puis
commença un voyage au cours duquel la relique
opéra de nombreux miracles sur les populations qui
se pressaient sur son passage. On parvint le 13 juin
à la Nouvelle-Corbie.
Le saint fut invoqué en Souabe sous le nom de
saint’Weit, dans une chapelle qu’il avait près d’Ulm,
par les hystériques et les dansants, qui affirmaient
que le jeune martyr avait lui-même souffert de cette
affection.
11 y avait à Metz une église dédiée à saint Vit et
les Chroniques racontent que sa vie et sa légende
furent joués dans cette ville en 1420. Il y eut aussi
une confrérie placée sous le vocable du même saint
à Blénod-lès-Pont-à-Mousson, dont l’église possède
des reliques et une statue le représentant sans autre
attribut que le palme du martyr. Des parents amènent
encore à son autel leurs enfants atteints d’épilepsie,
de chorée ou d’autres affections.
La même paroisse possède aussi des reliques de
saint Modeste, précepteur de Vitus et martyr comme
lui, invoqué également par les dansants. Le culte de ce
saint et celui de saint Vit durent s’implanter en Lor¬
raine à la suite du passage des reliques, lorsqu’elles
furent transportées de Saint-Denis à la Nouvelle-
Gorhie (1).
Saint Jean, qui donna aussi son nom à la maladie
des dansants, était invoqué à Metz. Les malades
(1) On a parlé d’une chapelle dédiée à saint Vit à Gondrecourt. En
réalité il ne s’agit pas de saint Vit mais de saint Vitre (corruption de
Victor) ; ce saint guérissait do la gale ceux qui venaient, avec confiance,
mettre la main dans un troq du mnr de la chapelle souterraine.
— 247
de cette ville étaient conduits dans la chapelle de
l’hôpital du petit Saint-Jean où ils étaient exorcisés.
On allait aussi à une chapelle qui lui était dédiée sur
les bords de la rivière de Gueldre.
Enfin on connaît le pèlerinage luxembourgeois
d’Epternach qui commémore les cures opérées par
saint Willihrod au cours d’épidémies analogues.
Cette étrange maladie dont on a discuté la véritable
nature, la rattachant soit à l’hystérie, soit à la chorée,
ne serait-elle pas due à quelque altération parasitaire
du blé comme le feu sacré était dû à l’ergot ? Linné a
décrit le Baphanisirum, qui croît en grande quantité
dans le champ d’orge de Suède, et qui causa dans ce
pays une aflection épidémique que Cullen a classée
dans sa Nosologie à la suite de la danse de Saint-
Guy (l). Ges épidémies, survenant surtout à la suite
de raisons malheureuses et de mauvaises récoltes,
ne seraient-elles pas dues à une cause analogue ?
Les Chroniques de Metz parlent d’une épidémie
dont on n’a pas exactement déterminé la nature et
qui éclata, en n>ême temps que quelques cas de peste,
vers la fin de l'année 1472 au cours d’un hiver plu¬
vieux et chaud. Cette affection, qui persista pendant
presque toute l’année 1473, était dénommée le mal
des aprinsons ou esprinsons.
Le Vendredy pénultième jour de juillet on fist procession
générale à Saint-Arnould, en louant Dieu d’icelles trêves et
paix, lui suppliant avoir pitié de son pouvre peuple et pré¬
server les habitants d’icelle cité de mortalité à cause que alors
on molroit fort en la cité des esprinsons.
L’empereur Frédéric III, désirant venir à Metz avec
son fils Maximilien, envoya au début du mois d’août
son médecin, maître Martin, pour savoir s’il ne cour¬
rait pas trop de dangers du fait de la mortalité qui
régnait dans cette ville. On lui apprit qu’il n’y avait
eu que quatre-vingts décès depuis le 24 juin; le
(1) Cullen Eléments de Médecine Pratique^ traduits de rq;figin.is par
Bosquillon. Paris, Méquignoi^Marvis, 1819, lU, p, 55-00.
— 248 —
voyage impérial fut donc décidé et l’entrée à Metz eut
lieu le 13 septembre (1).
On avait surtout recours à l’intervention de sainte
Lucie. C’est vers la fin du x** siècle que l’évêque
Thierri avait rapporté d’Italie les reliques de cette
sainte qui avait été martyrisée en Sicile vers
l’an 300 (2) ; il les avait placées dans un oratoire
spécial de l’église Saint-Vincent, et la dédicace avait
eut lieu en 972 en présence de saint Gérard, évêque
de Toul et de l’évêque de Verdun. Lorsque l'empe¬
reur Frédéric III vint visiter Saint-Vincent « il s'en
alla devant saincte Lucie où il fist son oraison bien
dévotement et mist sur l’autel saincte Lucie pour son
offrande ung florin de Rin, et dist à seigneur Jehan
du Vivier, gouverneurpour le cardinal de Sainte Sixte
abbé dudit monastère, que on tenoit peu de compte
de Madame saincte Lucie et que on debvoit douter et
réclamer ; car c’estait celle qui sur toutes les aultres
martirs, avait le don de donner garison à ceulpc qui
estoient malaides d'une malaidie qui alors couroit
fort en la cité, appelée les esprinsons (3) ».
La même maladie est encore signalée à Pont-à-
Mousson en 1500, à Metz en 1510 où elle frappa sur¬
tout les personnes âgées, puis de nouveau à Metz et
aussi à Trêves en 1517 atteignant des gens de tout
âge et de tout état. Les saisons avaient été bouleversées
(1) D' Fki.i.v Mahi'chai,. Op. cil.
(2) Ayant fait le vœu de rester vierge, Lucie avait refuse d’épouser un
jeune homme auquel sa mère l’avait imprudemment promise. Ce peu
généreux fiancé lu dénonça comme chrétienne et la fit emprisonner au
temps des persécutions de Dioclétien. Le juge se moqua de la vertu
de la jeune fille et lu livra aux plus dévergondés de ses valets ;
mais le Saint-Esprit immobilisa son corps comme nne statue, lui permet¬
tant ainsi de conserver intacte sa chasteté. Elle fut alors arrosée de
résine et d’huile bouillante, puis achevée d’un coup d’épée dons la
gorge. Enseveli d’abord en Sicile, son corps fut transporté plus tard eu
Italie par Faroald duc de Spolète. Dans la suite une partie de ses reli¬
ques furent emportées à Constantinople puis à Venise, l’autre partie fut
emmenée à Metz par Thierri qui voyageait en Italie en compagnie de
son cousin l’empereur Othon. Sainte Lucie, appelée aussi Luce, a été
souvent invoquée pour les maladies de la vue, sans doute à cause de son
(3) Las Chroniqueurs de la cille de Metz, publiées par Hucuknin, 1 v.
gr. in-8, Metz, 1838.
— 249 —
et les vivres étaient fort chers. Les mois de mai,
juin et juillet avaient été si secs que l’on craignait
de manquer d’eau et le peuple disait que, si Dieu n’y
mettait remède, l’eau coûterait bientôt plus que le
vin. Le mois d’août au contraire que l’on eut désiré
beau, chaud et sec, fut si pluvieux que l’on eut beau¬
coup de peine à lever le blé, l’avoine et les autres
récoltes. On dut mettre en vente le blé des greniers
de la ville et en interdire l’exportation, caries Lor-
l’ains, qui en manquaient également venaient s’en
pourvoir à Metz.
Que furent les esprinsons, éprinsons ou apprin-
çonsPNous n’avons pu retrouver dans les chroniques
la description d’aucun symptôme permettant de
caractériser la nature de cette affection. Certains
auteurs pensent qu’il s’agit de nouvelles épidémies
de danse de Saint-Guy, et font dériver esprinsons
du vieux verbe espringer et du mot allemand sprin-
ghen, sauter. Le D'" Maréchal (1) pense qu’il s’agit
plutôt d’une affection cholérique ou dysenlériforme
et que le terme d'éprinson n’est qu’une corruption
du mot épreiiite. Quoiqu’il en soit la nature exacte de
ces épidémies est encore discutable.
LËS ORIftINES DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS ;
SA SITUATION DANS L’UNIVERSITÉ NAISSANTE
pan le D' Bnncst WICKBRSHBIMBR
Si ancienne qu’elle soit, l’Université de Paris ne
l’est pas tant que le croyaient, en 1384, le « doyan
et chapitre de Paris d’une part, et le doyan de la
faculté et docteurs de decrès à Paris d’autre part »,
alors qu’ils étaient en procès. Une pièce de ce procès
contient sur l’origine à la fois athénienne et romaine
de la corporation, quelques lignes qui valent d’être
citées, car, à défaut d’autre mérite, elles ont celui de
(1) Op. cil.
250 —
prouver que dès le xiv' siècle, l’histoire des premiers
temps de l’Université de Paris était pleine d'obscu¬
rités :
Ceux de la faculté dient que en l’estude de rUniversité
de Paris qui fu à Rome, et depuis translatée à Paris, a quatre
facultés, de théologie, de decrez, de raedicine et des ars, et y
sont, depuis qu’il ot Université à Paris, et est la plus notable
et la pins ancianne du monde, car c'est celle que fu à Athènes,
et d’Athènes à Romme et de Romme fu translatée à Paris...
Lesdiz doyan et chapitre répliquent et dient que l’estude
et Université qui est à Paris fu avant l’incarnacion Nostre Sei¬
gneur quant aux facullez des ars et de medicine, et non pas
quant à decrez et théologie ; car à Athènes, où l’estude fu pre¬
mièrement, on ne lisoit point de théologie ne de decrez ; car
pour lors il n’estoit point de théologie ne de decrez, et sont
ceux de chapitre fondez avant que l’Université fust à Paris et
avant que la science de decrez fust ; et paravant on lisoit ou
cloistre de Paris des sciences qui estoient lors (1).
A partir du x" siècle, il y eut à Paris des maîtres
réputés, mais aucun d’eux ne réussit à fonder une
école durable. Au xtU siècle, la dialectique s’étant
perfectionnée, des méthodes nouvelles ayant été
introduites dans l’enseignement de la théologie, les
étudiants viennent à Paris de plus en plus nombreux.
Les écoles se multiplient, mais restent isolées les
unes des autres et, à cause de leur isolement, leur
existence est encore précaire. Leurs portes se ferment
à la mort du maître, à moins que celui-ci ne laisse
un élève capable de recueillir son héritage.Pour que
l’école dure, alors que les maîtres passent, pour
qu’une Université puisse s’établir à Paris, il faut tout
d'abord que le Roi accorde aux écoles des privilèges,
(1) Chartularium Universilaüs Parisiensis... coUcgit Henricus De-
XIFLE..., auxiliante Æmilio Châtelain..., III, p. 320-322. — En 1372,
Jean Gorbichon, dans le prologue de su traduction du De proprietalibus
rcruni de Barthélemy l’Anglais, dit de Charlemagne que « pour l’amour
que il avoyt à sapience et pour l’honneur et prouffit du royaulmc de
France, il fist transporter et translater l’estude de Homme à Paris ».
D’après une lettre écrite en 1418 par « lez recteur et maistres de l’Uni¬
versité de Paris », c’est en' Egypte qu’il faudrait chercher le berceau de
l’Université (Chart., IV, p. 356).
— 251 —
et c’est ce qui a lieu sous le règne de Louis VII
(1137-1180), ou au plus tard en 1200, sous celui de
Philippe-Auguste (1), il faut surtout qu’un lien réu¬
nisse ces écoles, il faut que leurs maîtres songent à
s'associer, et cette pensée leur vient tout naturelle¬
ment à l’esprit vers la fin du xii® siècle qui est, par
excellence, l’époque des corporations et des confré¬
ries religieuses ou civiles. Encore « que les insti¬
tutions scolaires, comme tant d’autres institutions
du moyen âge, ne se so[ie]nt pas établies du jour au
lendemain, par la vertu d’un décret législatif, mais
par une série de créations successives et de progrès
graduels dont l’histoire n’a pas conservé le souve¬
nir » (2), on peut dire que c’est vers l’an 1200 que
naquit l’Université de Paris.
Gomme l’a écrit Achille Luchaire (3), « la grande
association dite Université ne fut elle-même qu’une
juxtaposition d’associations scolaires d’une étendue
plus limitée... La corporation générale elle-même
(à Paris du moins), paraît avoir été la résultante de
deux associations... : celle des maîtres et celle des
écoliers ». Mais de quels maîtres et de quels écoliers
s’agit-il
On a cru longtemps, sur la foi de Du Boulay, que
l’Université de Paris s’était constituée par la réunion
de trois écoles, des deux écoles théologiques de
Notre-Dame et de Saint Victor, et de l’école de Sainte-
Geneviève, où auraient été enseignés les sept arts
libéraux, la grammaire, la rhétorique et la dialec¬
tique, l’arithmétique, l’astrologie, la géométrie et la
musique. Le P. Denifle a montré combien cette opi¬
nion est erronée (4). C’est dans l’île de la Cité, et là
(1) Chail., I p. 61. G’csl ainsi qu’cn 1446, le pi’ocui’cur du roi au
Parlement de Paris put dire : « Au roy en son royaume (car il y est
empereur et non subgect à homme), appartient seul, et non à pape, ne
autre, créer co^jis ne commune. Il a créé le coi-ps de l’Université et
grandement privilégié, et c’est bien raison, et est l'Université sa fille,
ainsi lui doit reverencc, honeur et subjelion. » {Charl., IV, p. 667).
(2) Luchaiiih, Achille. La Société fran^'aUc au temps de Philippe-
Auguste, p. 74.
(3) Ibid., p. 73.
(4) Denifle, P. llcinrich. Die Universitàten
I, p. 655 et suiv.
des MitlelaUers bis 1400,
— 25% —
seulement, qu’il faut chercher le berceau de l’Uni¬
versité de Paris, c’est de la réunion des écoles situées
dans l’île, soumises, par conséquent, à la juridiction
du chancelier de Notre-Dame, qu’est née l’Université
primitive. Ces écoles étaient déjà nombreuses au
xn“ siècle, car, en dehors de l’école de Notre-Dame,
placée sous la direction du chapitre de la cathédrale,
beaucoup de maîtres donnaient des leçons dans des
écoles privées, souvent dans leur propre maison.
La médecine, qui n’avait pas été entièrement négli¬
gée dans les écoles du haut moyen âge (1), avait-elle
trouvé place dans l’Université naissante ? Assuré¬
ment, et nous avons à ce propos le témoignage du
chroniqueur Guillaume Le Breton, qui nous apprend
que vers 1210 on enseignait à Paris l’art de guérir le
corps et de conserver la santé (2). C’est l’époque de
Gilles de Gorbeil, médecin du roi Philippe-Auguste
et auteur du célèbre poème De urinis (3).
Pourtant, les médecins semblent avoir joué, dans
l’histoire des premiers temps de l’Université, un rôle
assez effacé. Dans une lettre écrite dans le dernier
quart du xiP siècle (4), Guy de Bazoches nous apprend
que les sept arts libéraux, le droit et la théologie
ont élu domicile dans l’île de la Cité, mais il passe
la médecine sous silence. De même en 1208 ou en
1209, une lettre du pape Innocent III aux maîtres
parisiens porte pour suscription: « Universis docto-
ribus sacre pagine, decretorum et liberalium artium
Parisius commorantibus » (5) ; point de mention des
docteurs en médecine.
(1) Voir le chapitre Die Monchsmedizin vom 6. - 12. Jahrhundert, dans
PusciiMANN, Neuburcer et Pacel, Handbuch der Geschichte der Medizin,
I, p. (i24 et suiv. — Cf. Neuburcer, Max, Geschichte der Medizin, U (1),
p. 24tetsuiv. etDuBREUiL-CuAMBARPEL, Louis, Les médecins dans l'Ouest
de la France aux XI» et XII' siècles (Publications de la Société française
d’histoire de la médecine, II, un volume de XVI-292 p,;.
(2) Rigord et Guillaume Le Breton. Œuvres, éd. Delaborde, I,
p. 230.
(3) Voir le Carolinum, ^ème écrit par Gilles de Paris, pour l’instruc¬
tion de Louis, fils de Philippe-Auguste {Recueil des historiens des
Gaules, XVII, p. 298).
(41 Chart., I, p. 55-56.
(5) Chàrt., I, p. 67.
— 253 —
Si l’on fait abstraction des témoignages de Gilles
de Pai'is et de Guillaume Le Breton, c’est dans un
mandement épiscopal daté d’août 1213 (1), qu’il faut
chercher la trace la plus ancienne d’un enseignement
médical dans l’Université de Paris. Dans ce mande¬
ment, l’évêque de Paris, Pierre de Nemours, énumère
les termes de la convention qui détermine les droits
respectifs du chancelier de Notre-Dame d’une part,
des maîtres et des écoliers de l’autre. Il y est ques¬
tion, en particulier, de l’égler les formalités de
l’octroi de la licence et ces formalités diffèrent déjà,
suivant qu’il s’agit de théologiens, de décrétistes,
d’artistes ou de physiciens [phisicï].
Phisicus est le premier mot dont se soit servi l’Uni¬
versité pour désigner la médecine. En 1251, niedi-
cina fait son apparition dans le langage Universi¬
taire, et cela à l’occasion d’un serment auxquels
sont astreints les maîtres et les écoliers ;
Provisum est pro communi utilitate totius studii Parisien-
sis, quod universi studentes Parisius tam magistri quarn sco-
lares In theologia, decretis, medicina, artibus et grammatica
per sacramentum obligabuntur, quod omnes... ex quorum
mala vita pax et studium studentium in predictis facultaiibus
impeditur. ., revelabunt... (2).
Pendant longtemps, phisica et medicina^ phisicus
et medicus seront employés concurremment, mais il
faut observer aussi que les exemples ne sont pas
rares de textes où le mot phisica, au lieu de s’appli¬
quer à la médecine, désigne quelques-uns des arts
libéraux. Qu’il suffise de citer ici un passage des sta¬
tuts rédigés en 1340, par les maîtres de la P’aculté
de décret :
Item, nos attendentes, quod ubi non est fondamentum,
superedeficari non potest, nec est per arrupla postipositis
gradibus, sed gradatim et mature ad honores et scientias
altiores ascendendum, et grammatica, logica, phisica et cetere
inferiores sciencie sunt via et fundamentum ad alias superiores
sciencias, statuimus et ordinamus, nullum ad bachalariatum
(1) Chart., I, p. 76. Cf. p. 137.
;2) Chart., I, p. 223.
Bull. Soc, fr. hUl. méd., XII, 1914 17
— 254 —
in jure canonico seu facultate decretorum Parisius admitti
debere, quantumcumque per tempus juxta alia statuta ordi-
natum decretum et decretales audiverit, nisi in primitivis
scientiis prius sufTicienter fundatus fuerit (1).
On a remarqué plus haut l’expression « in predictis
facultalibus ». Le mot facultas se trouve déjà dans une
lettre adressée par le pape Honorius III, le 18 février
1219, aux écoliers parisiens ; il est dit dans cette
lettre, qu’un écolier ayant été examiné et ayant obtenu
la licence, pourra « libéré, in ea, de qua licentiam
obtinuit, regere facultate » (2). Facultas devient
bientôt d’un usage fréquent, surtout pour la théolo¬
gie {theologica facultas) ; en 1231, Grégoire IX parle
des « magistri artium et phisice facultatis » (3). Le
P. Denifle a fait observer que primitivement facultas
n’était pas le nom de la réunion des maîtres et des
élèves qui cultivent une science déterminée, mais
bien celui de la science elle-même, et c’est dans un
statut adopté en 1255 par les artistes (4), qu’il recon¬
naît pour la première fois dans facultas le consor¬
tium magistrorum. La distinction est peut-être sub¬
tile et il est malaisé de préciser le sens de facultas
dans certains textes, tels que ces lettres de 1254 où
l’Université a fait son propre éloge en des termes
qui ne manquent pas de grandeur :
Excelsi dextera paradisum voluptatis olytn plantavit Pari'
sius veneranduiii gignasium litterarum, unde sapientie fons
ascendit, qui in quatuor facultates, videlicet theologiam, juris-
peritiam, medicinam, necnon rationalem, naturalem, moralem
philosophiam quasi in iiij'”' paradysi flumina distributus per
quatuor mundi climata derivatus univer.satn terram irrigat et
(1) Charl., Il, p. 504. De même en 1444, à propos d’un projet de
réforme de la Faculté des arts, il est question d’écoliers de cette Faculté
« qui legunt textum tocius logice, phisice aut mctaphisice » {Charl.,
lV,p. 643).
(2) .CAaW., I, p. 87.
(3) Charl., 1, p. 144. Il ressort de ce texte que le mot phisica ne
désigne pas ici la médecine, mais une partie de l’enseignement dispensé
par la Faculté des arts.
(4) Deniflb, p. Heinrich. Op. ct<.,I, p. 71-72. — Charl., I, p. X, 278.
— 255 —
infundit, ex quo quain inultifarios, spirituales ac temporales
profectus christiana professio experilur, luce clarius patet
cunctis (1).
Il est permis de penser que le mot facultas a passé
plus tôt que ne le dit le P. Denille, de la science à
ses adeptes. Dans le texte de 1251 cité plus haut, il
semble bien que ce mot ne revêt pas un sens très
éloigné de celui que nous attribuons encore aujour¬
d’hui aux facultés de nos universités.
Quo*ï qu’il en soit, l’Université de Paris était encore
bien jeune lorsque ses maîtres se répartirent en
quatre groupes distincts, les théologiens, les décré-
tistes, les physiciens et les artistes. Sans doute ces
quatre groupes ne portèrent-ils pas tout d’ahord le
nom de Faculté^ sans doute, à l’exemple de l’Uni¬
versité, ne s’établirent-ils que « par une série de
créations successives et de progrès graduels ». Il
n’en est pas moins vrai que, dès les premières
années du xii” siècle, les maîtres appartenant à la
même branche de l’enseignement, éprouvèrent tout
naturellement le besoin de s’unir entre eux par des
liens plus étroits que ceux qui les attachaient aux
autres maîtres.
La Faculté de médecine, par cela même qu’elle est
formée des maîtres ou docteurs qui font acte de
régence en médecine dans l’Université, fait partie
intégrante de cette Université. Des droits et des
devoirs résultent pour elle de cette situation qui est
fort bien caractérisée dans la déclaration de l’Uni¬
versité de Paris du 12 juillet 1281 :
. . Hac edictali constitutione ad perpetuam rei metnoriam
decîaramus, facta facultatum théologie, decretorum, medicine
et arcium, in quantum ilia facta respiciunt privilégia Univer-
sitatis seu négocia, esse facta Universitatis, et per Universi-
tatem et nomine Universitatis debere fieri prosecutionem
canonicam et debitum sortiri effectura (2).
(t) Ckarl., 1.1). 252.
(2) Charl., I, p. 590.
— 256 —
Les maîtres de la Faculté de médecine, comme ceux
des Facultés de théologie, de décret et des arts, ont
droit à la protection de l’Université, mais, d’autre
part, ils s’engagent par serment à observer fidèle¬
ment les statuts de l’Université et à garder le secret
sur ses délibérations, à exiger un serment semblable
des bacheliers qui débuteront sous leurs auspices et
à ne pas enseigner, lorsque l’Université aura décidé
la cessation, c’est-à-dire lorsqu’elle aura ordonné, en
manière de protestation contre quelque injure grave,
que les cours devront être suspendus (1). Ils pren¬
nent part aux assemblées de l’Université, à la condi¬
tion toutefois d’être « actu regentes » (2), et lors¬
qu’une lettre est scellée du grand sceau de l’Univer¬
sité, l’un des leurs doit être présent (3); ils sont,
comme les autres maîtres, appelés à représenter
l’Université auprès du pape, auprès du roi de France,
ou devant le Parlement. Ils contribuent de leurs
deniers aux dépenses communes, mais aussi ils sont
admis à présenter les candidats de leur choix, lors¬
qu’il s’agit de désigner le titulaire de l’une des cures
ou de l’une des chapelles pour lesquelles l’Université
a le droit de présentation et les rôles contenant les
noms des maîtres de la Faculté de médecine qui sol-
licitentunbénéficeou unefaveur, sonttransmis au pape
en même temps que les rôles des Facultés de théo¬
logie et de décret, et que ceux des quatre nations
entre lesquelles se répartissent les maîtres de la
Faculté des arts. La Faculté de médecine participe
enfin aux nombreux privilèges de l’Université, royaux
(1) Chart., I, p. 242; II, p. 697. L'Université ne pouvait ordonner
la cessation, que lorsque celle-ci avait été demandée par les deux
tiers des maîtres dans chaque Faculté. II est arrivé que l’Université,
ne se contentant pas d’ordonner la cessation, ait renoncé à ses privi¬
lèges et ait de la sorte prononcé sa propre dissolution (1269) ; une fois
même (1229), les maîtres quittèrent Paris pour un temps, essaimant à
Angers, à Orléans, à Toulouse ou à Reims (Chart. I, p. 145),
(2) Chart., II, p. 157. En 1276, la Faculté des arts a défini ce qu’il
faut entendre par cette expression : « Per actu regentem, intelligimus
eum qui legit qualibet die legibili in scolis in habitu et hora débita,
nisi legittimum babet impedimentum... » {Chart., 1 p. 531).
(3) Chart., II, p. 158,
— 257 —
ou pontificaux, d’ordre fiscal ou d’ordre judiciaire, et
c’est ainsi que ceux qui la composent sont dispensés
de payer la plupart des impôts, qu’ils ne peuvent être
jugés que par les tribunaux ecclésiastiques et que
nul n’a le droit de les excommunier sans une per¬
mission spéciale du Saint-Siège. Le soin de faire res¬
pecter les privilèges universitaires appartenait soit à
l’évêque de Senlis, soit à l’évêque de Meaux, soit à
l’évêque de Beauvais, car c’était entre ces trois pi'é-
lats que les maîtres des quatre Facultés choisissaient
le « conservator privilegiorum Universitatis »,
La Faculté de médecine occupe, par rapport aux
trois autres Facultés, une place que la tradition a fixée
d’une façon invariable : après les Facultés de théolo¬
gie et de décret, avant la Faculté des arts. Elle est la
troisième des trois Facultés supérieures. Lors des
messes solennelles de l’Université, les médecins sont
admis dans la partie droite du chœur, en arrière des
théologiens, tandis que les décrétistes, et en arrière
d’eux les artistes, sont assis à gauche (1). L’arche
commune de l’Université, où est enfermé le grand
sceau, porte quatre serrures, qui sont, elles aussi,
disposées suivant l’ordre traditionnel (2).
L’Université du moyen âge est avant tout une ins¬
titution religieuse. A l’origine, elle se compose exclu¬
sivement de clercs; il est donc tout naturel que ses
Facultés aient pour chef suprême le pape. C’est au
Saint-Père que la Faculté de médecine s’adresse
comme à son protecteur natui’el, lorsqu’elle juge que
ses droits ont été lésés (3). 11 importe, par consé¬
quent, pour elle, de distinguer le faux pape du pape
véritable; de telles préoccupations l’agitèrent sou¬
vent à l’époque du grand schisme, et on a conservé
le texte de l’acte qu’elle fit dresser le 24 mai 1378,
à l’isue de la réunion où elle se déclara pour Clé¬
ment Vil, comme les Facultés de théologie et de
décret et les maîtres de la Faculté des arts apparte-
(1) Chart., m, p. 64 et 6,5.
(2) Chart ., III, p. 66.
(3) Chart., II, p. 357.
— 258 —
nant aux nations française et normande, alors que les
nations picarde et anglaise se rangeaient du côté
d’Urbain VI (1).
Après le pape, l’Université a pour chef le chance¬
lier de l’Eglise de Paris, ou chancelier de Notre-
Dame, de la cathédrale à l’ombre de laquelle elle a
établi ses premières écoles. L’évêque de Paris jouit
bien d’une certaine autorité dans les aflaires univer¬
sitaires, d’autant que les scholares sont justiciables
des tribunaux ecclésiastiques, mais le chancelier est
plus directement en rapport avec les maîtres et les
écoliers; c’est à lui que le pape a confié le soin de
remettre aux maîtres « les clefs de la science ouvrant
le trésor de la sagesse » (2), en d’autres termes, c’est
à lui qu’il appartient d’accorder la licence d’enseigner.
Dès 1212, le chancelier perd beaucoup de sa primitive
puissance; en 1222, les prisons qu’il avait fait cons¬
truire sont démolies sur l’ordre d’Honorius III, qui
décide que les écoliers coupables seront enfermés
désormais dans les prisons épiscopales (3), mais le
droit de conférer la licence lui restera, tout en lui
valant de nombreuses querelles de la part de l’Uni¬
versité et des Facultés.
D’ailleurs, à partir de 1222, le chancelier de Notre-
Dame n’est plus seul à conférer la licence d’enseigner
dans l’Université de Paris. Vers cette époque, cer¬
tains maîtres de la Faculté des arts, s’étant établis
sur la rive gauche de la Seine, dans le domaine de la
juridiction de l’abbaye de Sainte-Geneviève, s’adres¬
sèrent à l’abbé de ce monastère pour obtenir de lui
le droit d’enseigner, ce qui provoqua des protesta¬
tions, d’ailleurs inutiles, de la part du chancelier de
Notre-Dame (4). En 1227, des théologiens et des dé-
crétistes imitèrent leur exemple (5) et vers 1255 les
maîtres placés sous la juridiction de l’abbaye étaient
(1) Chart., III, p. 572.
(2) Gauthier de Chateau-Thikhry. [Chart, I, p. XI.)
(3) Chart., I, p. 103.
(4) Chart., I, p. 103.
(5) Chart., I, p. 111.
— 259 —
assez nombreux, pour que celle-ci sentit le besoin
d’avoir aussi son chancelier (1). Le droit de conférer
la licence, Sainte-Geneviève l’exerça surtout vis-à-vis
des maîtres de la Faculté des arts, et il n’y a pas
d’exemple qu’elle ait jamais créé un licencié en méde¬
cine. 11 n’en est pas moins vrai que l’abbé et le chan¬
celier de Sainte-Geneviève ont été des personnages
considérables dans les écoles; c’est ainsi qu’en 1284
ils furent chargés par le pape de réclamer aux maîtres
etaux écoliers des quatre Facultés, l’argent nécessaire
aux dépenses communes de l’Université (2).
11 reste à parler du pouvoir du recteur. Celui-ci
ne fut d’abord que le chef élu des quatre nations fran¬
çaise, normande, picarde et anglaise, entre lesquelles
se répartissaient les maîtres de la Faculté des arts,
mais auxquelles les maîtres des Facultés de théologie,
de décret et de médecine étaient étrangers (3). Il
devint tout naturellement ainsi le chef de la Faculté
des arts. Vers la fin du xiii” siècle, son autorité s’é¬
tendit aux maîtres en décret et en médecine, quel¬
ques années plus tard aux maîtres en théolggie. Encore
cette autorité ne deviendra-t-elle jamais bien grande
dans les trois Facultés supérieures. Elle se bornera
à la garde des deniers communs (4) et au droit, d’a¬
bord contesté (5), de convoquer les maîtres de toutes
les Facultés aux assemblées générales de l’Université.
Un mémoire de la Faculté de théologie, rédigée en
1359, nous apprend que l’étiquette observée dans ces
assemblées, n’était pas réglée de manière à flatter
l’amour-propre du recteur (6). On ne s’en étonnera
(1) Chart., I. p. 299.
(2) Chart., I, p. 601, 602, 628, 629. Cf. Féhkt, abbé P. L'abbaye de
Sainte-Geneviève..., I, p. 281 et suiv.
(3) Cf. WiGKERSHEiMEu, Ernest. Les médecins de la nation anglaise
ou allemande) de l’Université de Paris aux xiv« et xv® siècles. Bulletin
de la Société française d'histoire de la médecine, XII (1913), p. 285-348.
(4) Chart., Il, p. 188.
(5) Chart., I, p. 587.
(6) Chart., III, p. 61 et suiv. Cependant c’est au recteur Jobannes
Piscis que s’adresse le maître en médecine Johannes SalIredi, afin d’ob¬
tenir un certificat constatant qu’il a exercé la régence pendant l’année
1381 {Chart. III, p. 339).
— 260 —
pas, si l’on considère que bien souvent un maître
ès-arts revêtait la dignité rectorale, tandis qu'il étu¬
diait encore dans l’une ou l’autre des trois Facultés
supérieures.
En terminant cette note, je tiens à faire observer
qu’en dépit d’une opinion très répandue, rien ne
prouve que dans les premiers temps de l’Université
de Paris, « la Faculté des arts comprenait la méde¬
cine » (1). Aucun texte contemporain n’établit qu’au
moyen âge la Faculté des arts et la Faculté de méde¬
cine aient formé à elles deux une société plus étroite
au sein de l’Université.
A PROPOS DE L’AFFAIRE DES POISONS
LE CÉLÈBRE ÉDIT DE 1682
par le D' Ho^er GOCTLiAIlD (de Brie-Comle-Robort)
La réglementation de la vente des substances toxi¬
ques, pour être d’actualité, n’est pas une question
nouvelle. Les rois de France rendirent plusieurs
ordonnances (2) à ce sujet, qui intéresse si profondé¬
ment la sécurité publique.
La présente étude a pour but de l’appeler que la
législation moderne, tant au point de vue de la vente
des poisons que de la répression de l’empoisonne¬
ment, a son fondement dans le célèbre édit signé par
Louis XIV, à Versailles, en juillet 1682.
On sait que, sous le nom d’« Affaire des Poisons»,
on désigne l’ensemble des nombreux empoisonne¬
ments qui furent commis à Paris, de 1670 à 1680.
Ce fut le procès de la marquise de Brinvilliers, qui
mit, en 1676, la justice sur la piste d’une vaste asso¬
it) Franklin (Alfred). Recherches sur la bibliothèque de la Faculté
de médecine de Paris... Paris, Aug. Aubry, 1864, in-8, p. 3.
(2) Ce fut le roi Jean H (1350-1364) qui, le premier, réglementa la
vente des poisons. En 1631, Louis XIII édicta de semblables prescrip¬
tions. ù l'adresse des apothicaires et épiciers de Paris. (E. Gilbert, /.a
pharmacie it travers les siècles,IS92).
— 261 —
ciation de sorcières, devineresses, alchimistes, magi¬
ciennes, dont la vente des substances toxiques for¬
mait le principal revenu.
Bientôt, en l’année 1679, fut instituée la fameuse
Chambre ardente, siégeant à l’Arsenal, qui fit arrêter
ou citer devant elle quantité de personnages inconnus
ou illustres.
En présence du scandale, sans cesse croissant, et
où le nom même de la marquise de Montespan se
trouvait mêlé, Louis XIV, inquiet et effrayé, fit fer¬
mer la Chambre de Justice. Pour clore définitivement
cette sombre affaire, le roi rendit le célèbre « Edit
pour la punition de différons crimes ».
Je ne reproduirai pas ici, intégralement, ce docu¬
ment, d’ailleurs connu. Je me contenterai d’en faire
une analyse détaillée, accompagnée de nombreuses
citations (1).
Dans un majestueux préambule, Louis XIV, après
avoir constaté l’inefficacité des mesures prises jus¬
que-là contre les devins, magiciens et enchanteurs,
se déclare obligé de rendre une nouvelle ordonnance,
dont la rédaction lut, du reste, confiée à Colbert et à
La Reynie, lieutenant de police.
Puis, le Roi fait allusion aux séances tenues par la
Chambre ardente, laquelle venait de condamner de
nombreux accusés à des peines diverses, et dont le
rôle est désormais fini.
Les trois articles qui suivent s’adressent spéciale¬
ment aux sorciers et devineresses. Les uns et les
autres devront quitter le royaume sans délai. Ceux
qui auront pratiqué la magie seront punis exemplai-
(1) L’Edit fut enregistré par le Parlement de Paris, le 31 août 1682.
(Arch. Nat. Registre d’ordonnance royales. X** 8676. On en trouve une
copie dans divers ouvrages, entre autres dans le « Traité de toxicologie »
de Ghapuis (1897). Pour la préparation de cette notice, j’ai puisé surtout
aux sources suivantes : D' Légué. Médecins et empoisonneurs au
XVII' siéele. Paris, 1896; D' Nass. Les empoisonnements sous Louis XIV.
Thèse de doct méd., Paris, 1898; Dr Locard. Le A'K//« siècle médico-
judiciaire. Lyon, 1902 ; Fr. Funck-Brentano. Le Drame des Poisons,
Paris, 1899 ; P. Clément. La Chambre de l’Arsenal, Reçue des Deux-
Mondes, 15 janvier 1864.
— 262 —
rement; ceuv: qui seraient tentés, dans l’avenir, de
les imiter, paieront ce crime de leur vie.
On sait qu’au xvir^ siècle, la croyance en la puis¬
sance des sorciers était solidement ancrée dans l’ima¬
gination, même des gens les plus intelligents, —
voire des membres de la Chambre ardente. «Le siècle
du Roi-Soleil fut, vraiment, le règne de Satan. »
Plus de quatre cents sorcières, devins, magiciennes,
exerçaient alors, dans Paris, leur sinistre industrie.
Quelques noms sont dans toutes les mémoires : la
Vigoureux, Marie Bosse, ses deux fils et sa fille, et
surtout Catherine Deshayes, femme Monvoisin, dite
la Voisin. Ces sorcières — car le plus souvent,
c’étaient des femmes — ne se bornaient pas à tirer des
horoscopes. La plupart s’occupaient de médecine,
telle la Voisin, dont le dossier contient une recette
pour les boutons du visage, un remède pour la mi¬
graine, et une formule de «quintessenced’ellébore»,
pour assurer longue vie. Chez presque toutes ces
mégères, on découvrit des drogues, des plantes, des
instruments variés. Beaucoup faisaient des accouche¬
ments ; un plus grand nombre, peut-être, étaient des
avorteuses invétérées.
A cela encore, ne se bornaient pas leurs pratiques.
Une femme — souvent de la plus haute société —
avait-elle, ou croyait-elle avoir, à se plaindre de son
mari ? Elle accourait chez la magicienne. Celle-ci lui
conseillait, tout d’abord, quelques pratiques destinées
à ensorceler l’époux gênant, dont elle ne tardait pas
à prédire la mort prochaine. Finalement, l’évènement
désiré ne se produisant pas, la sorcière fournissait le
poison.
Quant aux pratiques sacrilèges des devins et
pythonisses — magie blanche ou messes noires avec
sacrifices d’enfants — La Reyniea écrit à leur sujet,
qu’ « il est difficile de présumer seulement que ces
crimes soient possibles ; cependant, ce sont ceux qui
les ont faits qui les déclarent eux-mêmes».
Il est certainement juste de dire que «la sorcelle-
He fut la cause première de tous les crimes qu’on
— 263 —
classe sous le nom d’Affairo des Poisons. Enchan¬
teurs, empoisonneurs, devins et magiciens devaient
logiquement être jugés par les mêmes magistrats,
punis des mêmes peines, et englobés dans la même
proscription. » (Nass)
L’article IV de l’Edit concerne les empoisonneurs :
« seront puiîis de mort tous ceux qui seront convain¬
cus de s’être servi de poison, qu’il y ait eu mort ou
non, comme aussi ceux qui ont préparé ou procuré le
poison. »
L’article 301 du Gode pénal reproduit presque les
mêmes termes. « Est qualifié empoisonnement tout
attentat à la vie d’une personne par l’effet de subs¬
tances qui peuvent donner la mort plus ou moins
promptement, de quelque manière que ces substan¬
ces aient été employées ou administrées, et quelles
qu’en aient été les suites. »
On voit que l’Edit ordonne le même châtiment
pour celui qui a perpétré et pour celui qui a préparé
«ce crime détestable ».
Car, l’empoisonnement est qualifié ici d’attentat
« le plus dangereux et le plus difficile à découvrir ».
Aussi, ceux qui en auront connaissance, devront-ils
le révéler, et leur dénonciation leur assurera l’impu¬
nité (1).
Il est vrai qu’au xvii' siècle, la toxicologie était
une science très rudimentaire. Pour les médecins
d’alors, tous les poisons provoquaient l’apparition des
mêmes symptômes.
Gendry {Des moyens de bien rapporter en justice,
1650) insiste sur les signes de l’empoisonnement,
quelqu'il soit.
Devaux {Varl de faire des rapports en chirurgie,
1693), qu’il est bien difficile d’indiquer des symtômes
certains d’empoisonnement.
(1) Cette impunité accordée aux complices des empoisonneurs qui se
faisaient dénonciateurs, n’existe plus dans la législation actuelle, con¬
trairement à ce qui a lieu, sous certaines conditions, pour le crime de
— 264 —
Un diagnostic clinique de l’intoxication mal assuré,
— une recherche chimique du poison presque enfan¬
tine, — un examen des lésions limité au foie, au cœur
et à l’estomac; voilà sur quoi reposaient les rapports
des experts.
Dans ces conditions, la Chambre Ardénte n’était-
elle pas autorisée, comme elle le fît d’ailleurs, à tenir
compte à peu près seulement des aveux des accusés?
L’article V est ainsi conçu. « La mort sera le châ¬
timent de celui qui aura essayé d’empoisonner quel¬
qu’un. »
De même, l’article 302 du Code pénal dit que « la
peine de mort est applicable, quelles qu’aient été les
suites de l’attentat. »
11 convient de remarquer que l’Edit royal, à une
époque où les supplices étaient nombreux et divers,
ne détermine pas celui qui doit être appliqué aux
empoisonneurs. C’est là une lacune d’importance
considérable, car elle laissait place à l’arbitraire dé¬
cision des juges.
L’article VI définit le poison « toute substance
capable non seulement de causer la mort, mais encore
d’altérer peu à peu la santé. »
L'article 317 du Code pénal contient également des
dispositions spéciales, relatives aux maladies et acci¬
dents causés « par l’administration volontaire, de
quelque manière que ce soit, de substances, qui,
sans être de nature à donner la mort, sont nuisibles
à la santé. »
Mais — différence capitale — tandis que la législa¬
tion moderne gradue la pénalité selon que la victime
est ou non l’un des ascendants du coupable, l’Edit
de 1682 ne parle nullement de l’empoisonnement
commis par l'accusé sur son père ou sa mère.
L’article VII, ordonne que o les marchands qui
délivreront de l’arsenic, du réalgar, de l’orpiment et
du sublimé aux médecins, apothicaires, chirurgiens,
orfèvres, etc., devront inscrire sur un registre spé¬
cial le nom et la demeure des acheteurs et la quan¬
tité vendue de ces substances. »
— 265 —
De tous les poisons employés au xvii® siècle (1),
l’arsenic était certainement le plus répandu. La faci¬
lité qu’on avait de se le procurer, son manque de
saveur, le peu de lésions, d’ailleurs inconnues alors,
qu’il détermine, expliquaient sa triste vogue. On
l’administrait, entre autres laçons : par la bouche, en
solution concentrée d’acide arsénieux ou en poudre
mélangée aux aliments, et par l’anus, en l’incorporant
au contenu d’un lavement. C’était « le Roi des poi¬
sons ».
Le Réalgar (sulfure rouge d’arsenic) et l’orpiment
(sulfure jaune d’arsenic) étaient, à coup sûr, d’un
usage moins fréquent. Leur insolubilité dans l’eau, la
couleur qu’ils donnaient aux aliments, les faisaient
réserver pour la préparation de poisons complexes.
Ils passaient pour être plus dangereux encore que
l’arsenic.
Le sublimé, moins employé aussi que l’arsenic,
était surtout administré en lavement, à cause de sa
saveur caustique. Peut-être, servait-il aussi à soigner,
hypocritement, les lésions cutanées pseudo-syphili¬
tiques, que causaient les linges imprégnés d’arsenic
(Nass.)
Quant aux autres poisons: vitriol, opium, antimoine,
ciguë, etc., leur usage paraît avoir été ti’ès restreint,
mais non exceptionnel.
L’ordonnance du 29 octobre 1846, a réglementé le
commerce des substances toxiques et déterminé leur
nomenclature (2).
Art. 1. — Quiconque voudra faire le commerce des subs¬
tances vénéneuses, sera tenu d’en faire préalablement la dé¬
claration devant le maire de la commune, en indiquant le lieu
où est situé son établissement. De même, les chimistes,
fabricants ou manufacturiers, employant une ou plusieurs de
ces substances.
(1) 11 est remarquable que dans l’Edit de 1682, il n’est parlé que de
quatre poisons. Le répertoire des substances couramment employées, au
xvn* siècle, par les empoisonneurs était en réalité beaucoup plus riche.
(2) Modifiée d’ailleurs légèrement par un décret du 8 juillet 1850.
Diverses circulaires ministérielles ont complété, depuis lors, ces dispo¬
sitions.
— 266 —
Art. 2. — Lesdites substances ne pourront être "vendues
qu’aux commerçants, etc., qui auront fait la déclaration pres¬
crite, ou aux pharmaciens, sur demande écrite et signée de
l'acheteur.
L’article VIII de l’Edit royal spécifie que « les poi¬
sons devront être, chez ceux qui les emploient pour
leur métier, gardés dans une armoire fermée à clef.
On consignera, sur un registre particulier, la com¬
position du remède contenant un poison, et le nom
de la personne qui doit en user. »
Dans l’ordonnance de 1846, on retrouve exactement
les mêmes prescriptions.
Art. 11. — Les substances vénéneuses doivent toujours
être tenues par les commerçants... et pharmaciens, dans un.
endroit sûr et fermé à clef.
Art. 3. — Tous achats ou ventes desdites substances sont
inscrits sur un registre spécial, côté et paraphé par le maire.
Art. 5. — La ve.nte des substances vénéneuses pour l’usage
de la médecine ne peut être faite que par les pharmaciens, et
sur la prescription d’un médecin, chirurgien ou vétérinaire
breveté. Cette prescription doit être signée, datée, et énoncer
en toutes lettres les doses desdites substances, ainsi que le
mode d’administration du médicament.
Art. 6. — Les pharmaciens transcrivent lesdites prescrip¬
tions, avec les indications qui précèdent, sur un registre, de
suite et sans blanc
Le paragraphe suivant de l'Edit de 1682 (Article IX)
fait « défense aux médecins, chirurgiens-apothicaires,
épiciers, droguistes, orfèvres, teinturiers, maré¬
chaux (1) et tous autres, de distribuer des minéraux
en substance à quelque personne que ce soit, sous
peine d’être punis corporellement, et seront tenus de
composer eux-mêmes ou de faire composer en leur
présence, par leurs garçons, les remèdes où il devra
entrer nécessairement desdits minéraux. »
Rien d’analogue n’existe dans la législation ac¬
tuelle.
(t) On sait qu’outrefois les maréchaux étaient à lu fois maréchaux-
ferrants et vétérinaires.
— 267 —
Quant à l’article X de TEdit, il n’a, pour nous,
qu’un intérêt purement historique. Il dit, en effet,
qu’ « aucune personne, à l’exception des médecins,
n’aura le droit d’employer des serpents, crapauds ou
vipères. »
On sait que la médecine de nos pères se servait de
ces animaux, dans un but thérapeutique. Les sorciers
et les empoisonneurs les utilisaient aussi. Avec le
crapaud, on faisait une « poudre à aimer (1) » conte¬
nant, sans doute, de la cantharide. Mais il y avait plus,
on empoisonnait un crapaud avec du sublimé ou de
l’arsenic. On le sacrifiait, aussitôt après; on recueil¬
lait son urine, que l’on considérait, — bien à tort,
d’ailleurs, — comme très dangereuse. On se servait
également du venin de l’animal en putréfaction, dont
la virulence était exaltée par le toxique. Le venin des
crapauds était un des poisons favoris de la Brinvil¬
liers.
Enfin, le dernier article de l’Edit royal accorde
« aux seuls médecins, chimistes et apothicaires, la
permission d’avoir un laboratoire. »
Lors des perquisitions ordonnées par la Chambre
ardente, on trouva, en effet, chez tous les accusés, un
laboratoire muni de presque toutes les substances
chimiques connues.
On a vu déjà que les sorcières possédaient de nom¬
breuses drogues, plus ou moins dangereuses. Un
groupe également important de coupables, était re¬
présenté par les alchimistes (2). Sous prétexte de se
livrer à la recherche de « la pierre philosophale »,
ceux-ci avaient un ou plusieurs laboratoires, parfai¬
tement organisés. La plupart, au lieu de poursuivre
la transmutation des métaux en or, trouvaient plus
lucratif de fabriquer de la fausse monnaie, ou, avec
(1) Cet article trahit une des principales préoccupations de La Reynie.
Il confirme les allégations, si souvent répétées, relativement à ces
poudret pour l’amour (pio M"' de Montespanvoulaitessaycr sur Louis XIV,
et qui pouvaient donner la mort. P. Clément, loc. cU., p. 420.
(2) L’un d’eux a laissé un nom. C’est Rabel, médecin célèbre en son
temps, inventeur de l’eau antihémorrahagique, encore usitée de nos
— 268 —
des plantes vénéneuses et des sels minéraux, de pré¬
parer des poisons. Quand ils ne délivraient pas di¬
rectement aux intéressés leurs toxiques, ils les leur
faisaient parvenir par l’intermédiaire des sorcières.
Nombre d’apothicaires, aussi possesseurs de labo¬
ratoires en raison de leur métier même, furent les
complices des empoisonneurs. Chargés ordinairement
d’administrer les lavements, ils pouvaient ajouter aux
médicaments des acides qui, déterminant un rétré¬
cissement aigu de l’intestin, étaient susceptibles
d’amener la mort par obstruction. (Nass.)
Tel est, en substance, le fameux Edit de 1682. Son
retentissement fut énorme. Les empoisonnements
par séries cessèrent en France. La sorcellerie et la
magie, quoique plus vivaces, furent, du moins, pra¬
tiquées avec plus de discrétion.
Si justifiées, si fermes, si pleines de sens étaient les
prescriptions royales que sur elles, à peine modifiées,
repose toute la législation moderne (1).
L’ORDRE DU DANNEBROG ET LA SCIENCE MÉDICALE
Pai* le Dr V. HAA.R (de Copenbague]
Le 15 juin 1219 fut une date importante dans la vie
du roi de Danemark, Valdemar II Sejer. II était allé
pousser la propagande chrétienne jusqu’au pays éloi¬
gné d’Esthonie, où il rencontrait une résistance éner¬
gique. Ce jour donc, le 15 juin, près du petit fort de
Lyndanise, il fut serré de très près par les païens qui
avançaient toujours. Pendant la bataille, l’archevêque
danois, Anders Sunesœn, était monté sur une colline,
prier Dieu pour la victoire des guerriers chrétiens ;
(1) Une commission nommée par les ministres de l’intérieur et de
l’agriculture a élaboré, récemment, une nouvelle réglementation do la
vente des poisons. Elle a pris l’avis du conseil supérieur d’hygiène et
celui de l’Académie de médecine. Aujourd’hui, ce projet est soumis à
l’approbation du Conseil d’Etat (avril 1914).
— 269 —
tant qu’il tenait les mains en l’air, la victoire suivait
ses compatriotes, mais aussitôt, qu’épuisé de fatigue
il les baissait, les Danois reculaient; il fallait donc
que les évêques, qui l’accompagnaient, lui soutinssent
les bras aussi longtemps que durait la bataille . Cela
ne suffisait pourtant pas à procurer la victoire aux
Danois, qui commençaient à perdre courage, et qui
pendant la bataille avaient perdu leur bannière. Mais
voilà qu’au moment où tout semble perdu, un dra¬
peau rouge à croix blanche descend du ciel. L’évé¬
nement miraculeux inspire de nouveau du courage et
de la lorce aux Danois, les païens sont mis en fuite,
etl’Eslhonie est conquise. On suppose que ce dra¬
peau, le ;< Danebrog » (brog= pièce d’étoffe taillée,
toile), comme on l’appelait, avait été donné par le
pape, mis en usage pour la première lois à cette occa¬
sion. (Guillaume le Bâtard avait déjà reçu du pape
un drapeau semblable, marqué d’une croix pour sa
campagne contre Harold Godvinson. Sur la tapisse¬
rie de Bayeux, le duc est représenté, la bannière à la
main gauche; on la voit aussi figurer sur le mât de
son vaisseau.) Le fait, que Valdemar depuis ce moment-
là, quitta les anciennes armes de sa famille et de
son pays (trois lions ou plus exactement trois léopards
bleus sur champ d’or) pour les remplacer parlacroix
blanche sur un fond rouge, nous montre la vénéra¬
tion et Ingratitude du roi, vis-à-vis de ce don céleste.
La bannière rouge est figurée sur les sceaux de Val¬
demar IV Atterdag (roi de 1340 à 1375), mais c’est seu¬
lement à partir du xv® siècle, qu’elle est sans cesse
mentionnée comme la principale enseigne militaire
des Danois.
On ne sait pas, jusqu’à quelle époque a été con¬
servée la vieille bannière, tombée, du ciel ; selon la
tradition, le roi Jean a dû l’emporter au pays des
Dilhmarses, où elle serait tombée entre les mains de
l’ennemi pendant la bataille de Hemmingstedt. Elle
resta là, suspendue dans l’église de Wôhrden pendant
plus d’un demi siècle. En 1559, le roi Frédéric II
conquit le pays des Dithmarses, et la bannière fut
Bull. Soc. fr. hisU méd., XII, 1914 18
— m -,
transportée à la cathédrale de Slesvig, où probable¬
ment la vétusté l’a réduite en poussière.
Depuis des siècles, la croix blanche sur un fond
rouge, sert de pavillon à la marine danoise, tandis
qu’elle ne figura longtemps que dans un angle du
drapeau de l’armée de terre ; ce ne fut qu’en 1842,
qu’elle fut adoptée comme emblème par l’armée da¬
noise. D’ici peu d’années, le drapeau national du Dane¬
mark aura donc atteint l’âge de 700 ans (1).
Aujourd’hui, le Danebrog Hotte sur les côtes nei¬
geuses du Groenland et sur trois petites îles des
Tropiques : Saint-Thomas, Sainte-Croix et Saint-Jean,
à des milliers de lieues de l’endroit, où, en 1219, il
nous tomba du ciel. Fait assez singulier, la croix
blanche sur fond rouge ligure encore dans les armes
de Reval, ville fondée en Russie par les Danois après
la bataille de Lyndanise, livrée près du fort de ce
nom. Un écu, portant les anciennes couleurs, se
trouve encore à Reval, dans l’église du Saint-Esprit,
mentionnée dès 1284.
Frédéric 111, qui enl648, âgé alors de 39 ans, monta
sur les trônes du Danemark et de la Norvège, fut élu
roi par les Etats. 11 dut accepter les conditions rigou¬
reuses d’une charte qui mettait tout le pouvoir dans
les mains de la noblesse. Neuf ans plus tard, les deux
royaumes s’engagèrent à la légère dans une guerre
contre la Suède. Le roi de ce pays, Charles-Gustave,
guerrier par excellence, assiégea Copenhague pen¬
dant près de deux ans. Les habitants de la capitale,
commandés par leur roi, se défendirent héroïquement
et sauvèrent le royaume danois-norvégien de la ruine.
Le dévouement des sujets vis-à-vis de leur roi crut
pendant ces années de détresse autant que leur haine
contre la noblesse puissante et égoïste; le Tiers-Etat
(1) Tant que le royaume de Norvège fut uni uvec le Danemark, il se
servit du même drapeau. Après la séparation de 1814, la Norvège entra
en union personnelle avec la Suède. Pendant le temps que dura cette
union, elle changea de drapeau plusieurs £ois, mais n’abandonna jamais
tout à fait le Danebrog. Quand, en 1905, la Norvège se sépara delà Suède
pour former un royaume indépendant, elle adopta un drapeau, où l’on
voit le Danebrog avec une croix bleue dans le blanc.
— 271 —
prit peu à peu conscience de sa propre valeur et
comprit qu’il était de force à agir. Les circonstances
étaient donc favorables au coup d’état, par lequel
Frédéric III, après la fin de la guerre et la conclusion
de la paix, se fit reconnaître roi par droit de succes¬
sion, abolit la charte et devint monarque absolu. On
pourrait qualifier de démocratique ce coup d’état, en
tant qu’il ôta à la noblesse le pouvoiret les privilèges.
La bourgeoisie acquit une certaine influence dans le
gouvernement, et eut accès aux charges publiques
comme la noblesse, mais les paysans furent oubliés.
Frédéric III mourut en 1670, mais l’évolution com¬
mencée sous son règne se poursuivit sous celui de son
fils Christian V.
Pour faire briller la cour et tenir en échec l’an¬
cienne noblesse, Christian V créa une noblesse supé¬
rieure avec les titres de baron et de comte. Ces titres
furent prodigués aux nobles immigrés, venant sur¬
tout de l’Allemagne, et à des bourgeois distingués
par le gouvernement, mais souvent ils furent refusés
par l’ancienne noblesse. En outre, le roi institua une
étiquette qui éveilla l’admiration d’un Louis XIV et
deux ordres : l’ordre du Dannebrog (1) et l’ordre de
l'Eléphant.
Dans toutes ces entreprises, le roi était secondé par son
ministre, Peter Grilfenfeld, homme d’une intelligence remar¬
quable. Celui-ci, qui compte parmi les plus grands hommes
d’Etat du Danemark, naquit à Copenhague en 1635. Il était
d’origine bourgeoise et sa famille portait le nom de Schuma¬
cher. Il étudia successivement la théologie, la médecine et la
politique, d’abord à Copenhague, plus tard, pendant un voyage
de huit ans, dans diverses Universités de l’Europe. De retour
en Danemark, il eut en 1663, les charges d’archiviste et de
bibliothécaire royal. En 1671, il fut anobli sous le nom de
Grilfenfeld et reçut le titre de conseiller privé. Deux ans plus
tard, le roi Christian V le revêtit de la dignité de grand chan¬
celier, le créa chevalier de l’Ordre de l’Eléphant et comte.
En 1674, il fut nommé chancelier de l’Université de Copen-
(1) Aujourd’hui encore le nom officiel, mais peu correct, de l’ordre est
« Dannebrog » par deux n.
— 272 —
hague. De plus, l’empereur Léopold le créa comte de l’Em¬
pire. GrifFenl'eld refusa l’alliance d’une princesse d’Augusten-
bourg ; on attribua ce refus à son penchant pour la princesse
de Tarenle, Charlotte-Amélie de la Trémouille, parente de la
reine, qui vivait à la cour danoise. Le grand chancelier
régnait, peut s’en faut, en monarque absolu, montrant des
capacités prodigieuses, mais il se créa, cela va sans dire, de
nombreux ennemis. Pendant une absence du roi en 1676, on
le jeta en prison, et bien que les preuves contre lui lussent
bien faibles, le tribunal le condamna à perdre ses biens, ses
emplois et à avoir la tête tranchée. Sur l’échafaud, on commua
la peine de mort en prison perpétuelle.
Il passa quatre ans à la citadelle de Copenhague et dix-huit
autres à Munkholm, petit îlot rocheux et dénudé, près de Dront-
heim en Norvège. En 1698, il fut mis en liberté et mourut
dans la misère, à Drontheim, l’année suivante, quelques mois
avant Christian V. 11 avait alors 64 ans.
Le 12 octobre 1671, le roi Christian V conféra pour
la première fois l’ordre du Dannebrog à vingt-trois
nobles, de rang élevé, parmi lesquels se trouvait
Griffenfeld. Ce ne fut qu’en 1695 qu’on promulgua
les statuts; l’ordre devait être conféré exclusivement
à des nobles, et le nombre des titulaires était fixé à
cinquante. Avant 1671, il n’existait donc pas de che¬
valiers ni d’ordre du Dannebrog, mais Griffenfeld,
afin de donner plus d’éclat à l’ordre, chercha à prou¬
ver qu’il avait été fondé par Valdemar Sejer, en 1219,
après la bataille de Lyndanise. Pour cela, il s’adressa
à un homme qu’il croyait à même de lui fournir cette
preuve, à son ancien précepteur, le médecin et ana¬
tomiste, Thomas Bartholin (1616-1680), professeur à
l’Université de Copenhague.
Cet homme singulier s’était attiré une grande réputation par
ses nombreux travaux scientifiques, notamment par son Ana¬
tomie, qui a été traduite dans toutes les langues, même en
mandchou et en chinois (1) ; ce fut encore lui qui publia la pre¬
mière revue de médecine. Aujourd’hui, il est connu surtout
(1) Ms. datant des environs de 1700, à la Bibliothèque roya'e de
Copenhague (Exposition permanente, n* 575).
— 273 —
par ses découvertes du canal thoracique chez l’homme (1) et
du système lymphatique (2); cette dernière découverte que
Bartholin fit en collaboration avec Michael Lyser coïncide
pourtant avec celle du Suédois Olof Rudbeck. En sa qualité
de savant, Bartholin était excessivement naïf et crédule, et
cela même eu égard à son temps. Mais il avait le don de faire
école, de flairer les capacités des autres, et en les aidant dans
leurs travaux scientifiques, il savait se faire attribuer une
grande partie de l’honneur des découvertes faites par ses
élèves. Il savait aussi écarter de l’Université de Copenhague
tous ceux qui n'étaient pas ses proches parents. Dans cette
Université, la seule Université danoise, il régna presque en
despote pendant plusieurs années, étant aussi subtil vis-à-vis
des hommes et du monde, qu’il était naïf en matière de
science comme savant. Bien que Griffenfeld fût son cadet de
19 ans, les deux hommes entretenaient des relations étroites.
Nés et élevés, comme ils l’étaient, dans la même ville et dans
le même milieu, ils apprirent encore à se connaitre davantage
pendant les années où Griffenfeld (alors Schumacher), étudiait
la médecine. Une remarque que Bartholin fît à cette époque,
nous montre que celui-ci se rendait parfaitement compte de
l’intelligence supérieure de son jeune élève, âgé alors de
15 ans (3). Plus tard, quand Griffenfeld eut atteint une posi¬
tion élevée, ce fut sans doute une admiration sincère, qui
poussa Bartholin à lui dédier le second volume des Acta Haf-
niensia : « Illustrissimo et Excellentissimo | Heroi | Domino
Petro I Gomiti in Griffenfeld, etc., etc. ». On peut juger jusqu’à
quel point Bartholin avait l’intention d’honorer Griffenfeld par
cette dédicace, si l’on se souvient que le premier volume avait
été dédié à la très Sainte Trinité : « Deo Triuni | Creatori
meo I Salvatori meo | Sanctificatori meo | Ter Optimo | Ter
Maximo | Soli potenti clementi benigno, etc., etc., etc.».
Griffenfeld ne s’était pas trompé en s’adressant à
(1) Thomœ _ Bartholini D. et Prof. Reç. De Lacteis Thoracicis in
homlne brutUq •. nuperrimè obaervatis, Hiaioria Anatomica... Hafniæ,
GIDICLII, in-4*.
(2) Thomœ Bartholdu, Vasa Lymphatica, Niq>er Hafnicæ in Animan-
übuê inventa, Et Hegatis Hafniæ...,CI3lCLIII, in-à*.
(3) Voy. : Collegii Anaiomici Dispulatio Octava De üreteribus Et Yesica
Urinaria, Qvam D. O. M. A. Sub Prœsidio Viri Celeberrimi, Kxcellen-
tiss : Experientiss, Dn. Thomœ Bxrtholini Casp. F. Hedici Et Analo-
mici Apud Hafniens : primarii, ejusdcm; Facultat. Profess : P. Faut,
et Prom. ætatem colendi Publicœ diequisitioni subjlcit Petrus Joacb.
SciiUMAGHEaus A. MDCL. 20. Februar. borie locoq; consvetls. Haf-
niœ, Literis Georgii Latnprechtii, in-4°.
— 274 —
Bartholin pour obtenir de lui la preuve que l’ordre
du Dannebrog existait déjà 450 ans avant sa fondation
en 1671. Bartholin lui fournit cette preuve dans un
in-folio (1) fort savant, qui parut peu de temps avant
la chute de Griffenfeld. Il démontrait par de longs
développements fondés sur de prétendus vieux par¬
chemins et sur des médailles, que l’ordre en question
avait été fondé par Valdemar Sejer, en 1219, et que
ses successeurs l’avaient honoré en le portant eux-
mêmes. Quant à ce dernier point, il le prouve par une
gravure, représentant le roi Valdemar IV Atterdag
en habit de cérémonie, portant la croix du Danne¬
brog ifig. 2). L’argumentation de Bartholin est éntiè-
rement basée sur des documents prétendus ou mal
interprétés et sur des gravures falsifiées. Le susdit
portrait, que Bartholin prétendait avoir copié d’après
une vieille tapisserie au château de Copenhague, n’est
qu’une copie truquée, empruntée à un recueil de por¬
traits des rois du Danemark, gravés par l’excellent
graveur Haelwegh et publiés par Jœrgen liolst (2), Le
globe a été raturé et remplacé par la croix [fig. 2, cf.
fig.i).
Tout ce qu’on peut alléguer pour la défense de
Bartholin, c’est qu'il n’avait probablement pas pensé
qu’on allait prendre ces preuves trop au sérieux : il
ne se donna pas seulement la peine d’eïfacer le
numéro 91 que l’on voit bien distinctement sur la
planche de Haelwegh, et qui n’a aucun sens dans le
livre de Bartholin (3). En outre, il devait savoir que
les gravures de Haelwegh, publiées depuis 30 ans,
étaient connues de tout le monde.
(1) De EqvestrU Ordinis Danebrogici Ab AvgvslUsimo Rege Du. Chris-
ttano V. Dan. Norveg. etc. Monàrcha Nùpcr Tnstaûrâli Origine... Dis-
sertatio Historica. Anno 1676, Hafniæ, Sumtibus Danielis Paulli.
(2) Regum Danios Icônes Accuratè exprosBœ Hafniai Alb. Haôl-vVegh
Fecit et Excudit [1646] in-fol".— Le texte est rédigé par Jœrgen [Geor-
gius] liolst et dédié « Illustriao Generoso Heroi Dà. Gasparo Coignet De
La Thuillerie Barôni De Gourssons, Ooitiiti ConsîstoHali Christianissinii
Regis Galliarum Consilario intimo, et ad Régna Septentrional! a Legato
extraordinarîo... ».
(3) 91 signifie portrait n* 91, Le recueil contient une série de portraits
de rois, remontant jusqu’aux environs de l’an 1000 av, J.-C.
276 -
La même année (1676) où parut le grand travail sur
l’ordre du Dannebrog, Bartholin publia le quatrième
volume des Acta Hafniensia \ on y trouve (n® XXV,
p. 66) une lettre du 20 novembre 1676, intitulée : De
Eqvestri Ordine Danebrogico. L’auteur est un fils de
Bartholin, Thomas Bartholin le jeune (1659-1690),
âgé alors de 16 ans. La lettre fait part à Angelico
Aprosio, qui vivait alors à Gênes, du résultat des
recherches de Thomas Bartholin l’aîné sur l’ordre
du Dannebrog. Ce n’est peut-être pas sans intention
queThomasBartholinjun. adressa la lettre àce savant,
que Tiraboschi appelle « un erudito ma fantastico
e capriccioso scrittore ».
La documentation de Thomas Bartholin l’aîné fut
universellement acceptée de son temps et elle l’est
encore aujourd’hui, car le Chapitre des Ordres
royaux de Danemark admet encore en 1914 que
l’ordre du Dannebrogfut fondé en l’an 1219. Nous igno¬
rons si l’épître de Thomas Bartholin le jeune a été
aussi favorisée, mais ou sait que l’ordre en question
a joué un rôle dans la vie de son frère, Gaspard Bar¬
tholin le jeune (1655-1738).
Homme de grands talents, il débuta par des tra¬
vaux scientifiques et fut à l’âge de 19 ans nommé
professeur de philosophie à l’Université de Copen¬
hague. Jeune encore, il publia divers travaux de
valeur, traitant principalement de l’anatomie, acces¬
soirement d’archéologie et d’histoire. C’est lui qui, le
premier, trouva et décrivit chez la femme les glandes
qui portent son nom (1), alors que Duverney, sous
lequel il avait étudié, les avait découvertes chez la
vache. On lui doit en outre la découverte du canal de
la glande sublinguale (2). Maiscomme presque tous les
savantsdanois de son temps, sur lesquels on fondait des
(1) Gaspari Bartuolini Thom. Fil. De Ovariis Mvliervm Et Generationis
UUtoria EpUtola Anatomica. Romæ, Typis Pauli Mooetæ, MDCLXXVII,
In-12<>.
(2) Gaspari Bartuolini Thom. Fil. De Duclu Salivali Haclenm non
descripto Obeervatio Anatomica. Hafniœ, Typis- Reg. Majest. et Univer-
sitatis Typographi Joh. Phil. Bockenhoiler. Anno MDGLXXXIV, in-4*.
— 277 -
espérances, il quitta la carrière scient fique après que
l’absolutisme eut créé de si importants débouchés aux
capacités dans l’administration civile. Il obtint rapide¬
ment des charges publiques très élevées et finit par
être nommé président de la chambre des finances.
Cinq ans plus tard, le roi le combla d'honneur en lui
donnant (11 octobre 1729) l’ordre du Dannebrog «. le
cordon blanc », comme on l’appelait alors (1). Cet
honneur n’avait pas encore été décerné à un bour¬
geois. Gomme devise, il choisit le vers d’Ovide :
Invia virluli nulla est via (2). Deux ans plus tard, il
fut d’ailleurs anobli avec toute sa famille.
L’ordre du Dannebrog avait été fondé dans le but
d’affermir la monarchie absolue. Au cours des années,
le but changea tout naturellement avec la situation,
et en 1808 et 1809 le roi Frédéric VI entreprit une réor¬
ganisation totale de l’ordre, qui devint « un signe
extérieur de mérite civique », accessible à tous les
sujets du roi, « sans égard pour leur âge ou leur
état ». II aurait désormais quatre classes : 1“ les
grands commandeurs (de 1 à 3 à la fois) (3); 2° les
grands-croix, correspondant aux anciens chevaliers ;
3” les commandeurs; 4® les chevaliers, et en outre les
« Dannebrogsmænd » ou « hommes de Dannebrog»,
qui se sont distingués dans une humble condition.
Dans un petit lac, entouré de grandes forêts, à
36 kilomètres au Nord de Copenhague est situé le
magnifique château de Frederiksberg, bâti pendant
les XVI® et xvii® siècles. Ses imposants murs rouges
s’élèvent directement au-dessus du lac, et les hautes
(1) La croix de l’ordre du Dannebrog est suspendue i\ un ruban blanc
à liséré rouge; l’éléphant de l’ordre de l’Elépbanl a un ruban bleu
(2) Ovide, Meiamoiph., XIV, 113.
(3) Présentement il existe deux grands-commandeurs : le ezur Nico¬
las de Russie et le prince Valdemar de Danemark, veut de la princesse
Marie-Amclie-Frnnçoisc-Hclène, fille du duc Robert de Cliailres. Le feu
roi de Grèce était aussi grand commandeur.
278 —
flèches couvertes de cuivre vert, dorées en partie,
ajoutent une grâce singulière à la solidité de son
aspect. Dans la petite église du château, richement
ornée, on a suspendu tous les écussons des chevaliers
de l’Eléphant et des grands-croix de l’ordre du Dan-
nehrog avec leurs devises. A côté d’armoiries prin-
cières de tous les pays et de toutes les dynasties, on
trouve là une collection d’écussons d’hommes poli¬
tiques, d’officiers et de savants. La plupart des savants,
n’ayant auparavant pas de hlason, on dut en consti¬
tuer un pour l’occasion. Depuis 250 ans qu’existe
l’ordre, très peu parmi ceux qui se sont distingués dans
la médecine ont été nommés grands-croix; parmi les
Français, seuls, M. Louis Pasteur et M. Paul Brouar-
del, parmi les Anglais, seul Lord Lister ontreçu cette
distinction.
Nous n’avons pas à parler ici de ces trois savants;
nous nous bornerons à indiquer leurs relations vis-à-
vis de l’ordre du Dannebrog.
A Lord Lister l’ordre fut décerné en 1902, et son
écusson se trouve dans l’église de Frederiksboi’g.
M. le professeur Brouardel fut décoré le 10 no¬
vembre 1904, mais comme il n’a jamais envoyé de
dessin pour son blason au Chapitre des Ordres royaux
de Danemark, on cherchera en vain son écusson
parmi ceux des grands-croix à Frederiksberg.
Un intérêt spécial se rat|;â^che à l’écusson de M. Pas¬
teur. Il fut nommé grand-croix le 10 avril 1889. Son
écusson, pour la forme et la grandeur pareil aux
autres écussons des grands-croix, se trouve à l’église
de Frederiksberg. Il mesure O^OO de hauteur sur
O^SO de largeur; la partie supérieure étant fortement
courbée en avant, il paraît démesurément grand sur la
gravure {fig. 3). Le champ est en or, portant l’ins¬
cription suivante en lettres blanches : DOM : LUDV :
PASTEUR. I DIE X AUG : AN : MDCCGLXXXIX (1).
Au-dessus du blason, on voit une bande blanche,
destinée à porter la devise de Pasteur. Le blason,
(1) La nomination de Pasteur date, comme nous l’avons dit, du
10 avril et non pas du 10 août, comme l'indique l’inscription. Cette
erreur va sans doute être corrigée.
itouré du ruban blanc à liséré l’ouge, q
croix de l’ordre, est tout en or à l’ex
nbre en argent et de trois plumes, dont
une blanche et une bleue. Le timbre et les plumes
ont été ajoutés au blason par le peintre, M. Funch;
le reste est copié d’après une empreinte en cire du
- 280 —
cachet de Pasteur. La gravure de ce cachet repré¬
sente une médaille, que l’Académie Royale de Bar¬
celone décerna en 1886 à Pasteur. La médaille {Fig. 4),
est en argent oxydé (0"'08); du côté face est gravé
l’écusson de l’Académie avec une allégorie relative à
la prophylaxie de la rage. Au revers, on lit ceci :
« A Pasteur! Real Academia de Medicina de Barce-
Fig. 4
lona. Premio a los grandes descubrimientos cienli-
ficos 1886 ».
Si M. Pasteur faisait honneur au Danemark en
acceptant la grand-croix de son ancien ordre, il nous
est peut-être permis de rappeler que le Danemark
s’est en quelque sorte rendu digne d’un tel honneur.
C'est à Copenhague que pour la première fois l’anti-
- 281 -
sepsie a été introduite dans un service d’hôpital (Hô¬
pital royal de Frédéric; service de M. le professeur
M. Saxtorph) et dans une grande maternité (M. le pro¬
fesseur A. Stadfeldt) ; l’Université de Copenhague a
été la première à fonder un institut spécial pour la
bactériologie médicale (M. le professeur Carl-Jul.
Salomonsen). Enfin, n’oublions pas que la brasserie
de Garnie Garlsberg est la première institution tech¬
nique, qui ait été organisée selon les principes et les
conseils de M. Pasteur (M. J.-G. Jacobsen, MM. les
professeurs E.-Gh. Hansen et Kjeldalil).
M. Vallery-Radot m’a fait don de l’empreinte d’après
laquelle a été prise la photographie de la médaille;
de plus, il a été assez aimable pour me fournir des
renseignements sur cette médaille. Je le prie de vou¬
loir bien accepter mes sincères remerciements.
L’INCIDENT DU SALON DE MADAME HELVETIUS
(OlBiNIS ET L’ABBÉ MORELLET)
par Lucien I*1CQVÉ et Louis DUBOUSQCJEiT (de Brive)
Ge chapitre est extrait d’un livre fait en collabora-
ration avec mon distingué confrère et ami le D’’ Du-
bousquet (de Brive), Cabanis^ sa vie, son œuvre scien¬
tifique et philosophique.
Il concerne la brouille qui survint au moment de
la Révolution entre « les deux amis d’Auteuil », qui
avec l’abbé de la Roche étaient les hôtes habituels de
M“® Helvétius.
Guillois dans son livre : Le Salon de Madame Hel¬
vétius, dit quelques mots de cette rupture, mais
invoque pour l’expliquer un motif erroné.
Il nous a paru intéressant de connaître exactement
l’origine et les causes profondes de cet incident de la
vie intime deGabanis, parce que son étude projette
une clarté nouvelle sur le milieu dans lequel il a
vécu et aussi sur son caractère, et qu’il nous parait
— 282 —
indispensable de connaître l’homme intime avant d’ap¬
précier le savant.
Cabapis, l’abbé Morellet et l’abbé Martin Lelèvre
de .la Roche, vivaient paisiblement depuis plus de
quinze ans à Auteuil, auprès de Madame Helvétius,
leur aimable bienfaitrice, dans la plus étroite intimité
et dans une appai’ente communauté d’idées et de sen¬
timents, lorsqu’une brouille vint à les séparer brus¬
quement.
Guillois l’attribue à tort à une prétendue indélica¬
tesse, dont l’abbé Morellet se serait rendu coupable
en publiant contre Cabanis et Madame Helvétius, un
véritable pamphlet (1).
Or, celui-ci nous raconte dans ses mémoires, que
Cabanis se sépara de lui parce qu’il lui reprocha
d’avoir manqué de confiance, en ne le mettant pas
au courant de la publication d'un mémoire qu’il
avait adressé à l’Assemblée nationale, à l’occiasion des
troubles populaires du Bas-Limousin.
Une étude attentive des documents publiés, nous a
amené à reconnaître d’ailleurs, que cette raison n’avait
été en réalité qu’un prétexte et que depuis longtemps
des différences de caractère, d’éducation et d’idées,
préparaient entre les deux hommes une rupture défi¬
nitive.
Morellet nous dit bien qu’il avait pour Cabanis en
particulier, une très grande affection et une véritable
estime.
Celui-ci partageait-il à son égard les mêmes sen¬
timents? Nous l’ignorons, mais les événements de la
Révolution allaient surtout exercer sur leurs rela¬
tions, une inlluence décisive.
Depuis bien des années le salon d’Auteuil avait été
un des foyers les plus ardents où les Philosophes
avaient remué les idées nouvelles qui préparèrent la
Révolution. Jusqu’aux premiers mouvements qui
annoncèrent celle-ci, les opinions philosophiques et
(1) Contrairement à raflSrmation de Guillois, rabbé Morellet ne s'est
jamais apcusé dans ses mémoires d’une pareille indélicatesse.
— 283 -
politiques des trois amis (1) différaient peu en appa¬
rence, et leurs conversations portaient sur la liberté,
la tolérance, l’horreur du despotisme et de la super¬
stition, la suppression des abus et l’égalité devant
l’impôt.
Mais en 1790 les événements se précipitaient et
transformèrent complètement les esprits les plus sages
et les plus pondérés, et nous allons voir le pouvoir
que peut exercer la passion politique sur une élite
intellectuelle, qui semblerait cependant bien préparée
pour y résister.
La crise agricole et financière de 1788 avait accru
par la disette et le chômage, la misère déjà si grande
des paysans et des ouvriers. Ceux-ci en conçurent
une haine encore plus terrible contre les classes pri¬
vilégiées, qui figées dans leurs prérogatives sécu¬
laires, avaient refusé l’égalité fiscale. Les colères qui
couvaient dans le cœur de la nation firent explosion,
et la Révolution apparut comme la résultante des
besoins moraux et matériels dont le pays cherchait
la réalisation.
Le désir de réorganiser la société sur des bases
nouvelles, rendait solidaires toutes les classes de la
nation. Les meilleurs esprits se trouvaient obnubilés
et poussés par une sorte de contagion hors des limites
de toute modération. Les mêmes hommes qui en temps
normal eussent été indignés à la seule pensée de cer¬
tains événements en venaient à approuver d’un cœur
léger les mouvements populaires, les émeutes et les
crimes.
G. Lebon (2) a eu raison de qualifier ainsi dans un
livre récent la mentalité française et le trouble quasi
pathologique qu’elle subissait alors, en disant « qu’à
aucune époque de l’histoire, on n’a aussi peu saisi le
(1) C’est dans ce milieu que Cabanis s’orienta vers le matérialisme qui
lui fut tant reproché sous lu Restauration, et dont nous nous sommes
appliqués, dans une autre partie de notre livre, à dégager son œuvre
scientifique.
(2) Df G. Lebon. La Sévolulion franfaite et la paycholotfie det révolu,-
tions, Paris, s. d,, in-16.
— 284 —
présent, ignoré davantage le passé et moins deviné
l’avenir. »
Nous allons voir cependant que tous les hommes
de l’époque ne méritèrent pas le reproche que leur
adresse G. Lebon.
11 était utile de rappeler cet état d’esprit, pour bien
comprendre la genèse de l’incident d’Auteuil et appré¬
cier comme il convient, le fait capital qui l’a déter¬
miné. Mais il faut encore connaître les trois hommes
qui y furent mêlés et c’est en analysant les principaux
laits de leur vie, que nous pourrons pénétrer leur ca¬
ractère, apprécier leur éducation et comprendre leur
mentalité.
L’abbé Morellet le plus âgé des trois, était né en
1727. Les auteurs du temps nous font de lui une
curieuse peinture. Elève des Jésuites, il vint à Paris
faii’e sa théologie, en Sorbonne, où il connut Turgot et
Loménie de Brienne (1). Assidu du Salon de Madame
Geoffrin, il fit à 33 ans (1760) la connaissance d’Hel¬
vétius qui le présenta à sa femme et ne tarda pas à
devenir l’hôte de la maison et à y être traité en véri¬
table ami.
Gomme beaucoup de ses contemporains, il possé¬
dait des connaissances encyclopédiques, l’économie
politique, la métaphysique, l’art, la littérature.
Personnellement il n’inspirait guère la sympathie.
Sa tournure était vulgaire; son éducation laissait à
désirer par certains côtés. Sa conversation dénotait
parfois une certaine trivialité. Les usages du monde
lui étaient parfaitement inconnus et Madame Necker
le traitait « d’ours mal léché ».
Ses écrits sont intéressants à parcourir. Les opi¬
nions qu’il y exprime sont parfois contradictoires; il
s’y montre souvent ondoyant et divers selon la jolie
expression de Montaigne.
(1) Loménik De Brienne devint archevêque de Sens. Ce « Drêle » dont
1.0118 parle Madelin dans son volume France ei Home, fut un des quatre
prélats qui se sont parjurés en prêtant serment en 1791 ê la Coristitution
schismatique. Louis XVl lui avait refusé le siège de Paris, en donnant
comme raison qu’il fallait qu’un archevêque de Paris crût au moins en
Dieu.
— 285 —
Dans le mémoire qu’il adressa à l’Assemblée natio¬
nale sur la demande des députés de Tulle et dont la
publication devait avoirune influence décisive sur ses
relations avec Cabanis, il révéla des qualités remar¬
quables sur lesquelles nous l’eviendrons plus loin.
D’esprit calme et mesuré, il était acerbe à froid et
c’est ainsi qu’il devint un polémiste redoutable. Vol¬
taire l’appelait l’abbé « Mords-les ».
Il oubliait volontiers son origine religieuse et ne
conservait de l’abbé que le nom. Dans un « Petit écrit
sur une matière intéressante » il critique le clergé et
les croyances catholiques que plus tard il s’est vanté
de défendre.
Moins scrupuleux que Gondillac qui s’en était,
paraît-il, abstenu par respect pour sa qualité de prê¬
tre, il coWchoveéiVEncyclopédie avec Diderot,d’Alem-
bertet Marmontel qui avait épousé sa nièce. Il y écrit
des articles comme Fatalité, Fils de Dieu et Foi.
Ses démêlés avec le littérateur Palissot, nous mon¬
trent bien son caractère et méritent d’être briève¬
ment racontés (1).
En 1760, Palissot fit jouer aux Français, une pièce.
Les philosophes, qui eut un grand succès.
Il y critiquait avec beaucoup d’esprit les Encyclo¬
pédistes et particulièrement Helvétius, que Voltaire
d’ailleurs n’avait pas manqué de tourner en ridicule.
Ceux-ci plus habitués à attaquerleurs ennemis qu’à
être attaqués eux-mêmes, montèrent une violente
cabale contre la pièce, et dans un opuscule de 20
pages environ, Vision de Palissot, Morellet s’institue
le défenseur des philosophes et d’Helvétius qu’il ne
connaissait que depuis peu, attaque Palissot et vajus-
qu’à le calomnier.
Il eut en outre le grand tort dans cet opuscule,
qu’il n’avait d’ailleurs pas signé, de manquer à la
plus élémentaire galanterie vis-à-vis de la princesse
de Robecq, fille du maréchal de Luxembourg.
(1) On trouvera sur ce point d’histoire d’intéressants renseignementh
dans les deux thèses de doctorat ès leltreè de M. Delafarge en 1912. La
vie ei l’œuvre de Paliasol. — L'affaire de l'abbé Morellet en 1160.
Bull. Soc. fr. hUl. méd., 19
Déjà gravement atteinte d’une maladie de poitrine
compliquée de violentes hémoptysies, elle s’était lait
porter à la première des Philosophes, où elle avait
donné avec ardeur le signal des applaudissements.
Or, voici en quels termes (1) Moi’ellet lait allusion
à cette première : « et on verra une grande dame
bien malade, désirer pour toute consolation avant de
mourir, assister à la représentation et dire : c’est
maintenantSeigneur que vous laissez aller votre ser¬
vante en paixcarmes yeux ont connu la vengeance. »
Il n’était pas possible d’agir sous le couvert de
l’anonymat, avec une plus grossière brutalité et un
manque plus absolu de sensibilité (2).
D’ailleurs amis et ennemis ne ménagèi'entpas leurs
reproches. Plusieurs années après, il voulut bien
reconnaître qu’il avait outrepassé les bornes de la
critique littéraire dans son libelle contre Palissot,
mais il ne manifesta jamais le moindre regret de la
phrase inconvenante qu’il avait écrite sur Madame de
Robecq : il chercha au contraire à la justifier.
Quand on apprit que l’abbé Morellet était l’auteur
de l’opuscule anonyme, il fut envoyé à la Bastille où
il ne resta que deux mois (du mois de juin au mois
d’août).
La chronique raconte qu’il y fut très bien traité et
qu’il passa ses deux mois à lire Hume, Tacite et de
nombreux romans.
Fut-il au moins reconnaissant vis-à-vis du gouver¬
nement qui lui avait ouvert les portes de la célébrité
en refermant sur lui celles de la forteresse?
Plus tard, en 1784, Louis XVI lui accorda, grâce àla
protection de Malesherbes, une pension de 4.000 li¬
vres et le laissa entrer à l’Académie française.
On a prétendu que Morellet, d’abord très favorable
aux idées de la Révolution, était devenu plus tard un
(1) Il ne lut pas d’ailleurs le seul. Delafarge nous dit que d’Alembert
avait dit d’elle : ce n’est pus tout d’étre mourante ; il faut encore n’étrc
pas vipère.
(2) Madame de Robecq mourut deux mois après la représentation (De¬
lafarge.)
^ 287 —
adversaire déclaré du gouvernement, quand il se ren¬
dit compte que la disparition de l’Ancien régime allait
entraîner pour lui la perte d’un revenu de 30.000 li¬
vres, constitué par sa pension royale et aussi par sa
propriété de Thimer, dont il allait être expulsé, quand
fut décrétée la vente des terres et maisons attachées
aux bénéfices.
Malgré le peu de sympathie qu’inspire Morellet, ce
jugement nous paraît trop sévère. En effet, si au dé¬
but ses opinions politiques différaient peu de celles de
ses amis, vers le mois de juin 1789, une divergence
commençait à s’établir entre Cabanis et l’abbé de la
Roche d'un côté, partisans des théories nouvelles, et
Morellet qui redoutait l’anarchie naissante et les excès
populaires : celle-ci se manifesta surtout au sujet des
troubles qui venaient d’ensanglanter Paris, et de
l’Assemblée nationale qui semblait les approuver.
Il faut rendre à Morellet la justice d’avoir dès ce
moment prévu ce que serait la Révolution et d’avoir
eu une vue claire de l’avenir. Le 12 juillet, l’avant-
veille de la prise de la Bastille, il exprimait à Auteuil,
devant ses amis, toutes ses craintes au sujet du grand
mouvement parisien provoqué par le renvoi de Nec-
ker, et avec une grande lucidité, il faisait un tableau
très sombre des évènements futurs.
Cabanis et de la Roche très éloignés de partager ses
sentiments paraissaient au contraire dans leur aveugle¬
ment approuver tous les évènements et allaient jus¬
qu’à croire avec le peuple, aux projets qu’on attribuait
au Roi et aux Princes, de canonner Paris à boulets
rouges et de dissoudre l’Assemblée.
Madame Helvétius avec son grand tact de femme
intelligente, avait toujours su jusque là maintenir entre
ces trois hommes d’éducation très différente, une har¬
monie parfaite, en évitant de montrer à aucun d’eux
une préférence qui aurait pu déplaire aux autres.
Morellet lui reproche toutefois avec un peu d’amer¬
tume, une certaine tendance à se rapprocher au moins
en public des idées politiques de Cabanis et de la
Roche, et de n’accepter les siennes que dans l’intimité.
Que se passa-t-il alors dans l’esprit de Morellet ? Il
est difficile de le dire, mais pendant toute la durée de
la période dangereuse, il se tint prudemment dans
une retraite absolue et on n’entendit plus parler de lui.
Il n’en fut pas de môme de l’abbé de la Roche qui
joua au contraire à Auteuil en même temps que Caba¬
nis, un rôle politique intéressant dont nous dirons plus
loin quelques mots.
Né en 1740, il avait été bénédictin, puis grâce aux
relations d’Helvétius, il avait été sécularisé en obte¬
nant un bref de Rome, appuyé d’un titre de bibliothé¬
caire du duc de Deux-Ponts. Mais Morellet ne pouvait
manquer l’oçcasion de se montrer ingrat et peu cha¬
ritable à la fois, vis-à-vis d’un ancien ami et de leur
bienfaiteur commun; il prétendit qu’Helvétius l’avait
fait séculariser tant bien que mal. Il reconnaît toute¬
fois qu’il était un homme de bon sens et de bon esprit,
honnête et désintéressé (1).
L’abbé de la Roche montrait parfois une largeur de
conscience qui étonnerait aujourd’hui, mais qu’au
xviiP siècle, on appelait volontiers de l’indépendance
d’esprit.
Helvétius avait fait paraître un livre VEsprit, qui f ut
condamné à la fois par le Parlement, la Sorbonne, le
pape, les Jésuites et les Jansénistes.
Dans son deuxième volume YHomme, il exagérait
encore les doctrines émises dans le premier et en
arrivait à nier toute religion.
Ne pouvant le faire imprimer à Paris, il en confia
le manuscrit à de la Roche qui le porta en Hollande.
Que peut-on penser d’un prêtre qui se charge de
faire imprimer un livre ou l’auteur ne cherche qu’à
saper la religion? Cependant sa conduite ne surprit
personne.
C’est au cours de son voyage en 1771, que de la
Roche apprit la mort de son ami, qui lui léguait tous
ses papiers. Il revint de suite à Paris auprès de la
veuve de son protecteur, qu’il ne devait plus quitter.
(1) Morellet. Mémoire aur le. siècle ei.wr réeoloXion. fK<^Pr
çaiae. Librairie française de Ladvocat Palais-Royal, 2 Tolumes.
Il devint ainsi après Morellet son deuxième commen¬
sal.
Possesseur d’une petite fortune personnelle aug¬
mentée des libéralités d’Helvétius, il menait à Auteuil
une vie agréable et facile. Il n’exerçait pas les.fonc¬
tions du culte; il se montrait bon et généreux vis-à-vis
de pauvres. Latiniste érudit, il fît une bonne traduc¬
tion des Odes d’Horace et publia en 1795, les œuvres
complètes d’Helvétius et de Montesquieu. Il s’occu¬
pait en outre des beaux livres, qu’il collectionnait
en même temps que les belles estampes et les papiers
rares.
De caractère facile et doux, il montra cependant
pendant la Révolution plus de courage et de fermeté
que Morellet. Lui aussi avait subi l’influence des évè¬
nements, et Guillois nous apprend que rompant avec
ses habitudes tranquilles, il accepta d’être maire d’Au¬
teuil, pendant que son ami Cabanis qui l’appelait le
Gros maire, était nommé premier officier municipal
dans la même élection.
Un jour, il s’efforça au péril de sa vie, de sauver les
papiers de l’hôtel de ville que la populace voulait brû¬
ler. La foule faillit l’égorger.
Guillois nous apprend encore qu’attaqué et calom¬
nié, il poursuivit avec énergie ses accusateurs devant
le Châtelet, qu’il eût même le grand courage de tenir
contre Marat des propos qui le firent arrêter et empri-
sonner.Il ne dut la vie qu’à la mort de Robespierre. Ain¬
si donc, l’abbé la Roche qui à ce point de vue peut être
appelé « le bon abbé », fut séduit comme tant d’autres,
par les idées généreuses de la Révolution, mais sut j
résister quand celle-ci dégénéra en anarchie et devint
la Terreur.
Quant à Cabanis que nous suivons depuis son
enfance, nous nous bornerons à rappeler l’opinion,
de ses contemporains ou de ses commentateurs.
Or, tous les documents qui ont été publiés sur sa
vie et son caractère, sont unanimes.
Rémusat dans un article paru en 1844 et où il cri-
— 290 —
tique vivement sa doctrine, s’exprime en ces termes ;
« Ses vertus aimables, le charme de son amitié, de
son commerce, de son entretien, ont pénétré d’un de
ces souvenirs qui ne passent pas, au cœur des hommes
qui l’gnt connu. Son caractère élevé, la pureté de sa
vie, sa fidélité généreuse à ses opinions, l’indépen¬
dance de son âme ont laissé de lui une haute idée aux
hommes qui estiment de telles qualités (1). Quel con¬
traste avec Morellet!
Mignet fait de lui, homme privé ou homme public
un éloge analogue (2). Nous avons vu que pendant sa
jeunesse, Cabanis n’avait pas été constamment le déli¬
cieux jeune homme dont parlèrent ses contemporains ;
il avait présenté des mouvements de l’âme qui déno¬
tent une volonté très précoce, et en outre des soubre¬
sauts de caractère et des sautes d’humeur que pouvait
expliquer seule une nature fougueuse, que l’éducation
calma dans la suite et aussi les évènements si variés
et si mouvementés au milieu desquels il a vécu.
Plus tard il ne fut pas non plus toujours l’homme
calmé et mesuré dont Ponction le fit comparer à Féne¬
lon, par Andrieux (3).
Au cours de son existence très agitée, les disposi¬
tions de la jeunesse avaient en effet persisté chez
lui ; sa volonté ne subit pas de défaillance. II avait
de l’esprit de suite et une grande ténacité. Toujours
et partout il travailla avec une opiniâtreté invin¬
cible ; comme tous les hommes de volonté, il défen¬
dait énergiquement ses opinions et c’est ainsi que se
heurtèrent ces deux hommes de tendances si diffé¬
rentes.
Ce sont les mêmes raisons d’ailleurs qui expliquent
sa rupture avec le bon Roucher, poète des Mois,
qui avait été son premier ami à Paris et son protec¬
teur. Il est évident que lorsqu’une séparation se
(1) De Mmusat. Bevue des Deux-Mondes, octobre 1844.
(2) Mignet. Notice historique sur la vie et les travaux de Cabanis, lue
h ta séance publique de l'Institut, 15 juin 1850.
f3) Andrieux, auteur des pièces : l/clvétius el Soirées d’Auteuil, cilé par
Sainte-Beuve {passim).
— 291 —
produit entre deux hommes aussi liés que Cabanis et
Roucher, il faut en dehors de motifs bien spéciaux,
invoquer cette passion aveugle qui, au cours des
grandes perturbations politiques et sociales envahit
le cœur des hommes les plus policés, lorsque ceux-ci
sont décidés à faire prévaloir leurs opinions (1). C’est
ainsi que bien des amis se séparèrent au moment de
la Révolution.
Cependant il existait entre Cabanis et Roucher des
allînités que nous ne retrouvons plus entre les deux
habituels commensaux d’Auteuil.
Cabanis, malgré les manifestations parfois un peu
vives de sa volonté, nous attache par la douceur de
ses relations, la grâce de son esprit, la sensibilité et
la bonté de son cœur, son éducation qui le rend bien¬
veillant et indulgent dans ses relations (2j.
Morellet au contraire, comme nous l’avons dit,
manque de cette éducation qui fait le charme de
Cabanis ; il n’a aucune générosité de caractère ; il est
froid, sec et égoïste; il n’a pas non plus cette fran¬
chise et cette loyauté que tous les contemporains
s’accordent à reconnaître à son ami.
L’un est imbu des idées de la Révolution parce
qu elle olfre à la nation des espérances de liberté et
de mieux-ètre; l’autre les combat pour des motifs que
nous avons précédeminent indiqués et qu’il est difficile
de bien analyser. 11 y a bien entre ces deux hommes,
une opposition absolue de caractère et de principes
que nous retrouvons encore entre de la Roche et
Morellet.
Pour toutes ces raisons, l’accord entre les trois amis
devenait de plus en plus précaire, la gêne s’établis¬
sait dans le salon d’Auteuil. Les disputes se multi¬
pliaient et devenaient tous les jours plus vives au
dire de Morellet, lorsqu’un nouvel événement vint
(1) Notice historique sur Cabanis suivie d’un exposé très abrégé de
son ouvrage du Rapport du Physique et du Moral, par L. J. Moreau do
la Sarthe.
(2) On apprécie tout spécialementccs qualités danssa correspondance
avec Maine de Biran (Voir Arch. d’anthropologie criminelle, 1893),
tout à coup rompre leurs relations d’une façon défi¬
nitive.
Au début de l’année 1790, le Bas-Limousin, comme
d’autres provinces, était devenu le théâtre de graves
violences populaires. Des bandes de paysans
armés, ordinairement excités par des meneurs venus
de Paris, se mirent à piller et brûler les châteaux, à
couper les bois, à rompre les digues des étangs
nombreux en ce pays, menaçant de pendre quicon¬
que exigerait ou paierait les droits féodaux. Des
scènes très regrettables eurent lieu dans plusieurs
localités de la Corrèze, notamment à Allassac et à
Favars ou il y eut mort d’homme (1).
La ville de Tulle prit des mesures énergiques pour
réprimer les désordres, pendant que la ville de
Brive soulevait les émeutes et demandait l’abolition
des cours prévôtales, juridiction qui avait jugé et
condamné les émeutiers de Favars.
Les habitants de Tulle et des localités menacées
craignaient constamment le retour des désordres et
redoutantque par la suppression des cours prévôtales,
les propriétés et les gens restassent sans défense et
les crimes impunis, nommèrent des délégués chargés
d’aller à Paris demander à l’Assemblée nationale, le
maintien des prévôtés et la punition des coupables.
A ce moment Carat, un ami de Cabanis dont nous
reparlerons plus tard, et qui devint ministre de la
justice, faisait dans le Journal de Paris l’apologie des
violences et du brigandage De son côté la ville de
Brive avait envoyé en avril 1790 à Paris, l'avocat
Lachaise pour soutenir ses demandes.
Morellet avait rencontré celui-ci à Auteuil. 11 était
en effet en relation avec Cabanis qui le recevait comme
son compatriote, et c’est ainsi qu’il fut présenté à
(1| Seines ei Poriraiis de la rêeolution en Bas-Limousin, par le comte
V, de Seilbac. Paris, Librairie générale, 1878. — Louis Blanc. Histoire
de la Résolution. — Abbé Ma^gbe, Allassac etses œuvres. Société scientifir
que, historique et archéa/b'giqiie du Ras-Limousin. Brive. Roche impri¬
meur. — Le Bas-Limousin {Histoire de la Corrèze) par MM. BouacEOia,
Forot et PiFEAULT., B«boulet,. Librairie Ussel, 1912.
— 293 —
Madame Helvétius. Celui-ci ne se doraiiiî«ii^ÿr«Sw|n
causant avec Morellet qui l’appelait ‘wnTqjs-e^m
l’étudiant Lachaise, qu’il avait devant lui Ie^|^j|j(jSil8bu-
table défenseur des revendications de Tulle, contre
les demandes opposées de Brive.
En effet Monseigneur de Lubersac, évêque de
Chartres, d’origine limousine, beau-frère de
Monsieur de Clairac dont la maison avait été pillée
dans les derniers troubles, venait de charger Morellet
dont le talent d’écrivain était connu et qui avait déjà
fait ses preuves de polémiste de rédiger une adresse
à l’Assemblée nationale en réponse au plaidoyer des
gens de Brive.
C’est Morellet lui-même qui nous apprend dans
ses mémoires, qu’il est l’auteur de l’adresse et que
M. de Lubersac l’en avait chargé. Avec les docu¬
ments et procès-verbaux que lui avaient remis les
envoyés Tullistes au nombre de 83, il écrivit le mé¬
moire des députés de la ville de Tulle, relatif aux
troubles du Bas-Limousin (1).
Nous avons lu ce document avec le plus vif intérêt.
Le plan en est habilement disposé, le style d'une
clarté toute française et la logique du raisonnement
inattaquable, toutes qualités qui le rapproclient de la
manière de Voltaire.
Morellet décidé à travailler en silence, avait caché à
Madame Helvétius, la mission dont il avait été chargé.
11 n’avait parlé de son travail ni à Cabanis ni à l’abbé
delà Rocbe cju’il voyait cependant chacpie jour et avec
qui, il passait toutes ses soirées.
Pour justifier son attitude, il prétexta delà discré¬
tion qu’il devait à Monseigneur de Lubersac et aux
(1) Nous ignorions que le trayait de Morellet n’était pas signé par lui :
il en est résulté de grandes difficultés pour le découvrir. A la Bibliothè¬
que nationale nous n’avons rien trouvé et c’est sur les conseils de notre
érudit ami Victor de Swartc auteur de Descaries, ouvrage couronné par
l’Académie française en 1904, que nous avons cherché à la Chambre des
Députés. Là nous avons trouvé le mémoire tn extenso dans la première
série, tome X,V1, des Archives Parlementaires. Ce mémoire io'a pus été
mis au jour jusqu’ici depuis 1790 : il peut être considéré comme inédit.
Bull. Soc. fr. hUt. méd., XII, 1914
20
— 294 -
députés de Tulle qui lui en avaient confié la direction
et aussi de son désir de ne pas contrarier Cabanis,
citoyen de Brive, ni son ami député de cette ville. Ces
raisons sont d’une faiblesse qui étonne a priori de
la part d’un homme qui en maintes circonstances a
donné les preuves de son talent de polémiste et l’on
peut se demander pourquoi il n’a pas essayé de se
justifier autrement. Croyait-il sa cause mauvaise ? il
est permis de le supposer. Nous croyons plutôt que
la présence du député de Brive lui fit craindre des
indiscrétions, qui pouvaient être préjudiciables aux
intérêts de Tulle et qu’il préféra garder le secret.
Quoiqu’il en soit dès que l’adresse parut à l’Assem¬
blée nationale, elle ne tarda pas à faire les frais de la
conversation à Paris et à Auteuil.
Morellet nous raconte alors la scène qui se passa
à Auteuil : deux jours après la publication du docu¬
ment, celui-ci, revenait le soir de Paris selon son
habitude, il entra au salon ou se trouvait réunis.
Madame Helvétius, Cabanis et l’abbé de la Roche, il
salua, mais les deux amis ne lui rendirent pas son
salut.
11 demande une explication mais n’obtient pas
de réponse : ceux-ci se lèvent alors et le laissent
seul avec Madame Helvétius.
Morellet interrogea son amie avec insistance sur
l’attitude «de ces Messieurs».
Elle lui répond alors d’une façon à la fois ferme et
bienveillante que la publication de son mémoire et
le mystère dont il l’avait entouré,les avaitmécontentés,
et que malgré toute leur indulgence, ils avaient
raison d’être froissés d’un silence qu’ils n’auraient
jamais gardé à son égard, dans des circonstances
semblables. Elle ajouta qu’il avait eu le plus grand
tort de manquer de franchise envers des amis
auxquels il était uni par une vieille et grande intimité
et lui (Conseilla de renoncer à leur demander aucune
explication, parce qu’ils étaient décidés à ne jamais
lui pardonner et à ne pas modifier désormais leur
attitude. Madame Helvétius lui rappela en outre que
_ 295 —
Cabanis avait été tenu au courant des troubles du Bas-
Limousin par sa famille, ses amis de Brive et Lachaise,
et que tous différaient totalement d’avis avec le député
de Tulle, qui l’avait induit en erreur sur tous les
points.
Morellet avait-il réellement été trompé comme l’af¬
firma Madame Helvétius, sur la véracité des faits d’A-
lassac et de Favars ? ceux-ci sont cependant exposés
d’une façon si lumineuse qu’on est disposé à admettre
qu’ils n’ont été ni exagérés ni dénaturés et à penser
que la vérité est de son côté !
11 n’en est pas moins vrai que le procès de Tulle
fut révisé et les prisonniers rendus à la liberté. Mais
cette révision était-elle légitime ? En ces temps de
passion politique, au milieu d’opinions contradic¬
toires, la vérité était difficile à établir et l’on ne pou¬
vait guère compter sur l’impartialité des juges et du
public.
Quoiqu’il en soit, nous pouvons reconnaître avec
Madame Helvétius, sous les réserves que nous venons
de faire, que l’abbé manqua dans cette circonstance
à ses devoirs d’amitié et de loyauté. Son principal
tort a été de n’avoir pas eu le courage d’avouer à ses
amis la véritable raison de son silence. D’autre part il
est certain que les idées qu’il défend dans son mé¬
moire, durent heurter péniblement les convictions
que ses amis s’étaient faites sur les événements (1).
Toutes ces raisons et aussi la publication clandes¬
tine de l’adresse à l’Assemblée nationale devait
fatalement conduire à la rupture définitive.
L’abbé Morellet montra d’ailleurs dans cette cir¬
constance beaucoup d’égoïsme et une grande séche¬
resse de cœur vis-à-vis de ses amis. Il déplore surtout
dans ses mémoires, la rupture des relations qui
existaient entre Madame Helvétius et lui, et il nous
avoue que la perte de ses bénéfices lui a causé une
douleur moins cruelle.
(1) PiCQUé et Dubousquex. Les troubles du Bas Limousin en 1190.
Travail lu ü la Société archéologique du Bas Limousin,
— 296 —
Quant à ses amis, il en parle ainsi. Il nous dit que
«l’intolérance des gens de parti aurait dû lui épargner
au moins, une si fidèle amitié », età Madame Helvétius
«qu’il n’est pas lait pour essuyer patiemment les
insultes de ces Messieurs » et qu’il n’a plus qu’à se
retirer. Il se retira, en effet, dans sa chambre et «le
lendemain, dit-il, j’emportai mes meubles et mes
livres» promettant toutefois à sa bienfaitrice de venir
le matin la voir pour jouir en paix de son entretien
et de son amitié. Il nous montre encore que la perte
de ses habitudes lui a été pénible. « C’est ainsi, dit-il,
que s’est fermé pour moi, un asile que je m’étais
préparé pour ma vieillesse, par des soins, une assi¬
duité, un attachement qui méritait peut-être une
autre récompense, exemple douloureux du pouvoir
que l’esprit de parti exerce quelquefois, pouvoir des¬
potique, puisqu’un esprit aussi élevé que celui de
Cabanis ne sut pas même y résister».
C’est tout ce que Morellet nous dit de ses amis et
l’on conviendra que c’est peu.
Comme on le voit, la responsabilité de cette brouille
ne saurait d’aucune manière incomber à Cabanis et
celle-ci laisse intact le tableau que ses contemporains
nous ont transmis de lui {!).
OUVRAGES OFFERTS
Barbillon. Mon vieux collège. Paris, L. Vogel, s. d., in-4°,
81 p., fig.
H. CoviLLE. Un médecinmaritime au XVIP siècle, C. Dellon.
Paris, Jouve, 1914, in-8°, 72 p.
Léon Moulé. Les anciennes léproseries et maladreries de la
région vitryate. Vitry-le-François, iinp. du Messager de la
Marne, 1913, in-8°, 121 p.
(1) Le comte de Seilhac [Sciences et portraits de la Révolution en Bas-
Limousin, Paris, librairie générale, 1878) rappelle que dons les pro¬
testations à l’Assemblée nationale contre le mémoire des députés de
Tulle, Lachaise et Oesailleurs s’étonnent que la rédaction ait été confiée
il un prêtre « tenant doublement aux ci-dcvant privilégiés, et comme
ecclésiastique et comme participant encore aux largesses du Trésor
royal ». M. de Seilhac, dans une note, donne sans preuves le nom de
l'iibbé de Mondésir, docteur en Sorbonne, vicaire général de Besançon.
— 297 —
Séance du 8 juillet 1914.
Présidence de M. Paul Dorveaux.
MM. Andersen, Chevrolet, Ravarit et Tardieu et
le Janus, Archives internationales pour l'histoire de la
médecine et la géographie médicale, sont élus mem¬
bres de la Société.
— Candidats présentés :
M. le D'' Louis Geslin, médecin du « Dupleix »,
paquebot de la Cie des Messageries maritimes,
Colombo (Indes Anglaises), par MM. Neveu et Wi-
ckersheimer.
M. Emile Van Heurck, membre de la commission
administrative du Musée du Folklore, rue de la Santé,
6, Anvers, par MM. Tricot-Royer et Van Schevens-
teen,
M. le D'' WiTKowsKi (de Paris), adresse à la
Société, pour son Musée, un certain nombre d’objets,
parmi lesquels des statuettes égyptiennes et un ancien
trépan.
A PROPOS DE LA MAISON NATALE DE CABANIS
par le D' Lucien PICQKJÉ
Dans la séance de janvier 1914, notre collègue
M. G. Hervé nous a apporté la photographie de la
maison natale de Cabanis à Salagnac, près de Brive.
Cette photographie représente le derrière de la
maison et une grange qui a été construite en 1898,
ainsi qu’en témoigne une plaque de marbre qui
porte cette date avec le nom du propriétaire actuel
M. Horric de la Motte Saint-Geniès, ses armes, le
nom de l’entrepreneur Besse et celui du régisseur
actuel M. Glauzadi.
Sur la photographie que représente la façade,
l’aspect est très différent.
A droite et à gauche du bâtiment principal, formé
de trois parties et d’un joli aspect, se trouvent deux
autres bâtiments perpendiculaires, dont celui de
gauche est recouvert d’un joli toit à la Mansard.
Derrière ce corps de bâtiment se trouve un beau
chêne qui a au moins quatre siècles, un puits comblé
dont la margelle persiste encore et de l’autre côté du
chemin qui aboutit à la façade, une petite fontaine.
J’ai récemment visité l’intérieur de la maison dont
chaque aile est habitée. Les plafonds à poutrelles
dont parle M. G. Hervé ont disparu, mais toutes les
boiseries ont persisté.
La porte d’entrée présente les ferrures de l’époque,
un escalier avec une double rampe en bois sculpté.
Les portes des deux ailes sont également de l’épo¬
que.
En face de la façade principale et parallèlement à
elle se trouve la grange que nous avons indiquée.
- 299 —
UNE SOCIÉTÉ DE MÉDECINE A STRASBOURG
PENDANT LE PREMIER TIERS DU XIX» SIÈCLE
par le l>f O. G0L08CHUIDT
Strasbourg a constitué de bonne heure un centre
intellectuel très important; mais tandis que dès la fin
du xv° siècle il s’y était fondé une Société littéraire
sous les auspices de l’illustre savant Jacques Wim-
pheling, société prospère qui comptait Erasme parmi
ses membres, il n’y existait avant la Révolution fran¬
çaise aucun groupement scientifique de quelque
durée parmi les médecins. A vrai dire, on n’est bien
renseigné que sur les travaux de la Société de méde¬
cine créée à Strasbourg en 1842 et supprimée sous le
régime de la dictature allemande, en 1888 (1).
Des tentatives d’associations médicales ont été
faites à diverses époques, mais elles n’ont eu qu'une
vie éphémère. Ainsi, il existait déjà un Collegium
medicum à Strasbourg, en 1675, qui était subordonné
aux directeurs de la pharmacie et des accouchements
et tous les médecins de la ville étaient tenus d’en
faire partie; mais ce Collegium n 'pas une société
scientifique proprement dite, bien qu’il s’occupât
parfois de questions d’hygiène publique, en temps
d’épidémie surtout.
Le 14 frimaire an X, on créa une Société de méde¬
cine, qui devait avoir pour but « le perfectionnement
de la science et la publication en France des princi¬
paux travaux de rÀllemagne. Elle fournissait à ses
membres les moyens de se livrer à l’expérimentation
et plaçait parmi ses attributions essentielles le soin
de l’hygiène publique...; elle produisit des travaux
intéressants, mais ne tarda pas à s’éteindre. »
(Tourdes.)
(1) Bien qu’elle se soit exclusivement occupée de questions médicales,
on lui enjoignit alors de se dissoudre, sans donner aucun motif de cet
acte arbitraire.
— 300 —
Les médecins de l’hôpital civil organisèrent, en
1816, des réunions qui ne durèrent que peu de
temps.
Par contre, c’est au sein de la Société des sciences,
agriculture et arts du Bas-Rhin, fondée en 1799 (1),
que les médecins eurent leurs assises pendant une
quarantaine d’années; ils y formèrent une Section
dans laquelle figurent presque tous, sinon tous les
professeurs de la Faculté de médecine de l’épo¬
que.
La plupart des médecins de la génération actuelle,
même en Alsace, ignorent sans doute jusqu’aux noms
de ces maîtres, qui avaient une réputation de grands
savants; aussi évoquerons-nous leur image, en con¬
sacrant à chacun d’eux une petite notice biogra¬
phique, avant de faire connaître leurs travaux.
Les communications présentées à la Section de
médecine sont nombreuses (2) et comme elles ne sont
guère connues, nous avons entrepris la tâche d’ana¬
lyser les plus importantes, d’exhumer certains mé¬
moires qui méritent d’être tirés de l’oubli. Parmi
ces communications il en est de fort intéressantes;
certaines témoignent d’une clairvoyance remarquable
et leur ensemble donne un aperçu passablement
exact de l’état de la médecine au premier tiers du
xix" siècle.
Lobslein (Jean-Georges-Chrétien-Frédéric-Martin)
naquit en 1777 à Giessen (Grand-duché de Hesse-
Darmstadt), où son père, originaire de Lampertheim
(Alsace), occupait une chaire de théologie. Celui-ci
ayant accepté les fonctions de pasteur à Strasbourg,
son fils y fit ses études classiques et se décida pour
la carrière médicale, dont le goût lui avait été inspiré
par son oncle, Frédéric Lobstein, professeur d’ana¬
tomie et de chirurgie.
(1) Cette Société existe encore aujourd’hui.
(2) Nous eu avons compté près de deux cents.
— 301 —
Le jeune homme s’appliqua particulièrement à
l’étude de l’anatomie normale et de l’anatomie patho¬
logique, fut successivement nommé prosecteur, puis
chef des travaux anatomiques ; sa thèse inaugurale
sur l’embryologie le mit en relief et lui valut les
fonctions de directeur de l’Ecole départementale
Lobstein
d’accouchements du Bas-Rhin. Quelques années
après, Cuvier fit créer pour lui une chaire d’anatomie
pathologique, la première qui ait existé en France.
Lobstein s’y voua avec ardeur et réorganisa en même
temps le Musée d’anatomie, classant méthodique¬
ment les pièces et les multipliant sans cesse.
— 302 —
La chaire de clinique interne étant devenue vacante,
en 1821, Lobstein l’accepta en plus de ses autres
charges et malgré toutes ses nombreuses et absor¬
bantes occupations, il se livra encore à des recher¬
ches d’histoire naturelle, d’anatomie comparée, etc. ;
mais il est surtout connu comme anatomo-patholo¬
giste. Son Traité d'anatomie pathologique que la mort
l’a empêché d’achever (1), ses études sur l’embryo¬
logie, sur le nerf grand sympatique et de nombreux
autres travaux l’ont classé parmi ceux qui, à l’épo¬
que, ont le plus illustré ces branches de la mé¬
decine.
Le musée anatomique de Strasbourg est remarqua¬
ble par le nombre et la variété de ses pièces, ainsi
que par la finesse, la perfection des préparations
dues pour la plupart à des maîtres qui ont collaboré
avec Lobstein ou à ceux qui lui ont succédé, les pro¬
fesseurs Ehrmann, Küss, Kœberlé, Michel, Bœ-
ckel, etc.
Dans un rapport long et explicite, datant de 1824,
Lobstein indique que le musée d’anatomie de la Fa¬
culté de médecine de Strasbourg s’était dans le cours
des trois années précédentes enrichi de 449 pièces,
dont 74 se rapportant e l’anatomie normale, 64 à l’a¬
natomie comparée et 311 à l’anatomie pathologique.
Celles-ci représentent des lésions de la plupart des
organes — du poumon, du cœur, des artères, du cer¬
veau, des nerfs, des organes génitaux urinaires, abdo¬
minaux, etc. — Lobstein donne des notes expli¬
catives sur certaines de ces pièces et sur une partie
d’entre elles l’observation complète de la maladie
qui les a produites.
Voici un résumé de quelques-unes de ces obser¬
vations qui m’ont paru particulièrement intéres¬
santes :
I, Brûlures (Tun épileptique (2). — Un épileptique,
(1) Il est mort à l’âge de 58 ans et il n’a pu en publier que doux
volumes.
(2) Journat de la. Société des Sciences, Agriculture et Arts du départe¬
ment du Bas-Rhin. t. I (1824), p. 196.
— 303 —
âgé de 35 ans, au cours d’un accès donna de la tête
sur un brasier ardent. Bien qu’on le secourût presque
aussitôt, il eut des brûlures profondes s’étendant aux
épaules, à la partie supérieure de la poitrine, à la
nuque et surtout à la tête. Le cuir chevelu ne repré¬
sentait plus qu’une croûte noire, « la face n’avait
presque plus rien d’humain ». Le malheureux endura
les plus atroces douleurs; seul l’opium à haute dose
souvent répétée arrivait à les calmer. Après qu’une
suppuration abondante se fut établie, le cuir chevelu
tomba par lambeaux et le crâne dans ses parties dé¬
nudées se nécrosa. Les attaques d’épilepsie s’arrê¬
tèrent pendant quelques mois, puis reprirent avec
moins de fréquence cependant.
Ce cas est particulièrement curieux, en ce sens que
le malade a pu résister durant plusieurs années à cette
misérable existence ; il finit par succomber dans le
marasme.
A l’autopsie on a trouvé détruite et enlevée la
table externe de toute la calotte crânienne ; la table
interne était intacte, excepté en deux endroits où il
y avait destruction des deux tables et du diploé. Le
cerveau n^avait pas souffert ou du moins l’on n’y avait
rien trouvé d’anormal.
II. Grossesse extra utérine{l). — Unefemme enceinte
pour la deuxième fois sentit les mouvements du fœtus
à mi-terme, bien que ses règles n’eussent pas été
supprimées; une sage-femm,econsultée vers la fin de
la grossesse, « reconnut la présence de la tête de
l’enlant au-dessus du détroit supérieur. « Trois
semaines après cette exploration, la fempie éprouva
les douleurs de l’enfantement ; « la sage-femme ne sen¬
tit plus l’enfant et trouva même l’orifice de la matrice
exactement fermé ». Bientôt les douleurs cessèrent,
le bas-ventre s’aplatit; mais il y eut de la fièvre avec
diarrhée. Après deux mois, la femme fut prise à nou¬
veau de douleurs, mais cette fois vers l’anus. Le
médecin appelé, explorant le rectum, en retira d’abord
(1) loco cU., p. 190 et 194.
les os crâniens du fœtus, puis le reste du squelette.
La mère guérit (1).
III. Excroissance énorme sur la tête du clitoris. —
Cette tumeur sous forme de chou-fleur fut extirpée
par le professeur Ehrmann ; elle pesait « une livre
neuf onces et avait dix-sept pouces de circonférence ».
Le corps caverneux très allongé en formait le pédon¬
cule.
Lobstein considérait cette excroissance comme
étant d’origine syphilitique.
IV. Epingles à cheveux avalées par une neurasthé¬
nique. — Celle-ci avala un certain nombre de ces
épingles; il s’en suivit « une intumescence du bas-
ventre, un désordre dans les fonctions digestives, de
la fièvre lente et la mort. »
Autopsie: traces évidentes de péritonite : péritoine
épaissi dans presque toute son étendue, adhérences
entre l’estomac, le foie, le grand épiploon et le colon
transverse. Foie d'un jaune pâle, augmenté de volume
et un peu adhérent au diaphragme; à sa partie
moyenne et externe un abcès, où l’on trouve mêlée
au pus une épingle à cheveux dépliée et fixée par un
bout dans le parenchyme hépatique. Entre le dia¬
phragme et le lobe gauche du foie, deuxième abcès
contenant une épingle pareille à la précédente. Epi¬
ploon gastro-colique épaissi, induré, adhérant vers
le milieu de l’hypocondre gauche au péritoine qui
tapisse la face postérieure des muscles du bas-ventre ;
en cet endroit, l’épiploon était traversé de part en
part d’une épingle plus forte que les deux précé-
(1) Le professenr Stoltz qui, dans son article sur la grossesse extra¬
utérine, publié dans le Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques
(XVII, p. 130), mentionne ce squelette qu’il a vu au musée anatomique de
Strasbourg, ne parle pas de pièces anatomiques se rapportant à un
autre cas de grossesse extra-utérine décrit par Lobstein dans son rap¬
port et qui a trait è une femme qui mourut de péritonite, lorsque la
grossesse était arrivée presque à terme. Lobstein a fait l’autopsie et a
décrit minutieusement l’état de la matrice, du placenta, des ligaments,
des trompes et des autres organes avec les particularités qu’il a relevées.
— 305 —
dentes et pointue à ses deux extrémités. La place de
la perforation était marquée par une tache noire. La
rate renfermait de son côté une de ces épingles; elle
s’y était introduite par le bord libre et vers la partie
inférieure de l’organe, non loin de l’endroit d’où
partent les vaisseaux courts pour se porter à l’esto¬
mac. Son trajet était marqué par une légère coloration
du tissu splénique.
Le long de la courbure de l’estomac et vers le
commencement du duodénum, quelques taches
jaunes. Examinées de près, on y trouvait les ouver¬
tures externes de trajets plus ou moins longs,
cheminant entre les tuniques de l’estomac et abou¬
tissant à sa face interne; celle-ci n’était altérée qu'à
l’extrémité pylorique, où les tuniques étaient épaissies
et parsemées de points noirs, dont les plus superfi¬
ciels ressemblaient à des taches de rouille.
Nous rapprocherons de cette observation deux au¬
tres présentées, en 1823, à la Section de médecine par
Villars(l).
a) Une fille de 26 ans avait, dans le cours d’une
fièvre typhoïde, avalé une quantité d’épingles et d’ai-
, guilles. Quelque temps après sa guérison, elle
éprouva une vive douleur à l’index gauche ; son mé¬
decin retira à deux reprises chaque lois trois épin¬
gles entre le pouce et l’index gauches. De nouvelles
douleurs étant survenues au bras gauche, le corps de
cette personne fut examiné de plusprès et l’on trouva
de nombreux dépôts d’aiguilles ou d’épingles; on en
retira de l’avant-bras, de la cuisse, du bas-ventre, de
l’aîne et môme du vagin. On dut pratiquer plus de
cent incisions et l’on recueillit près de trois cents
épingles et environ cinquante aiguilles.
b) Une fille P..., sujette à des crises nerveuses, qui
se terminaient par une sorte d'extase « suivie d’un
profond sommeil durant souvent plusieurs semaines
entières », avalait avec frénésie à son réveil toutes
(1) Professeur de botanique à la Faculté de médecine do Strusboui'if
et correspondant de l'Institut.
— 306 —
les épingles dont elle pouvait se saisir sur les per¬
sonnes qui lui rendaient visite. Six mois après, on
constata des dépôts d’épingles aux bras, au bas-
ventre et aux cuisses, d’où on les retirait après inci¬
sion. La malade présenta de ces dépôts pendant plus
de dix ans et « finit par mourir de langueur. » A l’au¬
topsie on trouva la vessie, les muscles psoas et ilia¬
que hérissés d’épingles.
V. Anévrisme actif du ventricule gauche du cœur (1).
Le nommé H... fut atteint dans son enfance de scarla¬
tine et de chorée; vers l’âge de la puberté il eut
divers accès de «rhumatisme goutteux, dont quel¬
ques-uns portèrent sur la poitrine et motivèrent
plusieurs fois l’application de vésicatoires ». A 18
ans, il fut incorporé dans un régiment et se porta
bien deux années durant. Plus tard la goutte le reprit
et il eut un violent accès, en 1812. « La fièvre était
violente, le pouls plein et vigoureux, l’oppression de
la poitrine des plus alarmantes. Une éruption miliaire
cristalline couvrit presque tout le corps du malade
qu’inondaient de copieuses sueurs.... La moindre
impression soit physique, soit morale, augmen¬
tait les douleurs, l’essoufflement, les palpitations'
du cœur. » Au bout de sept semaines, H. put
faire une cure à la Hoube (2) et à Baden-Baden et
s’en trouva fort bien; il garda cependant de l’oppres¬
sion.
Nouvel accès de goutte, en 1817 : « La maladie,
fixée d’abord sur la portion lombaire de la colonne
vertébrale, se transporta sur les organes de la poi¬
trine. L’oppression était alors si forte que le malade
ne pouvait plus garder la position horizontale, mais
était obligé de passer les nuits dans un fauteuil et
([uelquefois même de se tenir courbé, la poitrine
appuyée sur le dos d’une chaise. »
A partir de là, essoufflement au moindre mouve-
(1) toco ct<., p. 334.
Station hydrothérapique dans le Grand-duché de Bade, qui eut long¬
temps une grande vogue en Alsace.
ment et à toute contrariété; amaigrissement marqué,
dureté et irrégularité du pouls. Cet état resta sta¬
tionnaire jusqu’en mars 1820; l’oppression augmenta
alors et le malade dut, pour la calmer, se tenir cons¬
tamment courbé, la tête fléchie sur la poitrine. « Dès
lors, des palpitations plus fortes, donnant à la main
appliquée sur la poitrine un coup sec, faisaient crain¬
dre l’existence d’un anévrisme actif du cœur». Ces
accidents furent combattus par des bains sulfureux
et un cautère sur le bras gauche.
Il y eut quelque répit, mais la maladie reprit bien¬
tôt son cours, sans qu’une nouvelle saison à la Hoube
et , à Baden-Baden y apportât de l’amélioration. Les
palpitations se sentaient maintenant à distance jus¬
que dans le creux de l’estomac. « Elles étaient iso¬
chrones avec le pouls, mais d’une extrême irrégula¬
rité, une intermittence étant suivie de plusieurs
coups précipités. La moindre affection morale ren¬
dait ces pulsations plus irrégulières encore et déter¬
minait en outre une dyspnée considérable. Celle-ci
ne fut pas d’abord permanente; elle était même pres¬
que nulle lorsque le malade se tenait tranquille,
mais se reproduisait aussitôt qu’il faisait quelques
pas dans sa chambre.. dès qu’il voulait se redres¬
ser ou lever la tête un peu haut ». Avec cela une
conversation prolongée et active ne l’essoufflait pas,
lorsqu’il se trouvait en posture voulue. Les fonc¬
tions digestives n’avaient pas été troublées jusque
là et le sommeil était resté assez bon.
Les symptômes s’aggravant encore, le malade eut
des accès de suffocation, dut passer les nuits dans son
fauteuil, la tête penchée sur la poitrine. Lorsqu'il
s’endormait dans cette position, on lui trouvait le
front en sueur, Içs carotides et les temporales bat¬
tant avec force, les muscles de l’avant-bras et de la
main agités par des soubresauts. C’était un sommeil
lourd, accom[)agné de subdélire, souvent interrompu
par des réveils en sursaut.
Les urines d’abord abondantes devinrent rares; il
y eut alors de l’anasarque, de l’ictère, de l’amai-
-308 —
grissement avec perte d’appétit. Enfin, dans les der¬
niers jours l’oppression devint extrême; le pouls
atteignit le dernier degré de faiblesse et de fréquen¬
ce et la mort survint finalement sans secousses ni
agonie.
La digitale avait longtemps soulagé le malade.
Pour amoindrir ses souffrances, on eut recours à
l’opium.
Avant de procéder à l’ouverture du cadavre, ajouteLobslein,
je me représentai l’état présumable des parties telles que je
m’attendais à les trouver, d'après les données que j’avais sur la
nature et les symptômes de la maladie. Je n’avais aucun doute
que le coeur ne lût attaqué d’anévrisme. La force et la dureté
du pouls, les coups secs que le cœur palpitant imprimait à la
main placée sur la poitrine, annonçaient de plus que c'était un
anévrisme actif. L’absence de la couleur bleue et violette de la
face, ainsi que de la bouffissure de cette partie, me faisait, con
jecturer que cet anévrisme devait avoir son siège préférable¬
ment dans les cavités gauches du cœur. Je croyais même entre¬
voir la cause prochaine de cet anévrisme ; je la faisais consis¬
ter dans quelque rétrécissement des orifices aortiques ou
auriculo-ventriculaires par l’effet d’une ossification ou incrus¬
tation osséo-pierreuse de ces parties. Je voyais dans le début
de cette maladie une goutte très ancienne, qui avait été mar¬
quée par plusieurs accès violents. Je n’ignorais pas que dans
cette maladie, il y a surabondance de phosphate calcaire et que
ce sel a une grande tendance à se porter sur les organes de la
poitrine, notamment sur la base du cœur et les artères coro¬
naires.
Je considérais donc la maladie organique de H... comme
un anévrisme actif des cavités gauches du cœur, dont la cause
prochaine était un rétrécissement des orifices par dépôt de
matière osseuse, et la cause éloignée l’arthritis.
Lobstein s’était aussi arrêté un temps à l’idée d’une
adhérence du péricarde au cœur ; mais il abandonna
cette idée pour celle d’un épanchement dans les
cavités du péricarde et de la plèvre.
Autopsie : poumons sains sans adhérences, pas
d'épanchement pleural. Absence de liquide dans le
péricarde qui, par contre, était adhérent au cœur
dans toute son étendue. Cœur plus grand qu’à l’état
3Ô9 —
normal ; il mesurait cinq pouces et demi depuis sa
base jusqu’à sa pointe et cinq pouces, neuf lignes, dans
sa plus grande largeur. Le diamètre longitudinal du
ventricule gauche était de quatre pouces, neuf lignes ;
l’épaisseur de ses parois vers sa base, de quatorze
lignes, celle des parois vers la pointe de neuf lignes ;
« les parois du ventricule droit n’avaient que trois
lignes d’épaisseur, il y avait donc manifestement ané¬
vrisme du ventricule gauche. »
A la face externe de la base du ventricule droit et
dans le sillon qui sépare ce ventricule d’avec l’oreil¬
lette se trouvait « une pièce osseuse de forme irrégu¬
lière, ayant un diamètre transversal d’uii pouce,
munie de pointes longues et assez acérées dirigées en
dedans vers la cloison des ventricules. » Cette pièce
dure, quasi éburnée, « était placée dans le tissu cellu¬
laire résultant de la dégénérescence du péricarde et
de la membrane externe du cœur ; mais ses pointes
étaient fixées dans la couche superficielle de la
substance musculaire du ventricule, à trois lignes
de distance du commencement de l’artère pulmo¬
naire. »
Valvules mitrales fortement ossifiées dans toute
leur étendue; dans chacune d’elles, une plaque dure
de quatre lignes et demie d’épaisseur. Orifice auriculo-
ventriculaire réduit à six lignes de diamètre par une
incrustation de six lignes et demie d’épaisseur. Les
deux valvules semi-lunaires de l’aorte qui sont sur¬
montées de l’orifice des artères coronaires, étaient
ossifiées clans toute leur étendue ; la valvule droite
« offrait en outre des végétations osseuses en forme
de petits champignons d’une texture dure, sèche,
pierreuse et qui, à l’instar de toutes les incrustations
irrégulières, n’étaient point recouvertes de la mem¬
brane fine qui tapisse intérieurement le cœur et les
vaisseaux. La troisième valvule n’était ossifiée que
sur ses bords. »
L’aorte présentait çà et là quelques points d’ossifi¬
cation, notamment autour des orifices des grosses
Bull. Soc. fr. hUt. méd., XII, 1914
— 310 —
branches qui sortent de la convexité de la crosse. Les
artères coronaires n’étaient point ossifiées.
Un peu de sérosité dans le bas-ventre ; foie aug¬
menté de volume, livide à sa partie supérieure.
Lobstein sé livre ensuite à des digressions sur les
ossifications etlespétrificationsstalactiformesrévélées
par l’autopsie et sur la part qui leur revient dans la
production des crises de dyspnée, à l’époque de la
formation des plaques osseuses dans l’épaisseur des
valvules mitrales et particulièrement de l’ossifica¬
tion des valvules semi-lunaires. «Je m’imagine, dit-
il, qu’alors il s’est opéré un épaississement dans les
parois du ventricule gauche, une hypertrophie de
cette partie du cœur et qu’il s’y est développé une
contractilité exaltée. Cette force étant donnée et le
rétrécissement de l’orifice aortique par l’ossification
des valvules établi, il a fallu nécessairement que le
ventricule gauche se dilatât et qu’il se formât un ané¬
vrisme actif de cette cavité... » Après que les végé¬
tations stalactiformes s’étaient greffées sur l’orifice
auriculo-ventriculaire et l’avaient considérablement
rétréci, le ventricule gauche « ne recevant qu’une
moindre quantité desangetavec une impulsion moins
forte, ne réagissait plus lui-même d’une manière aussi
énergique sur le sang qu’il avait reçu, ne palpitait
plus aussi violemment sur la main appliquée sur la
poitrine et n’imprimait plus au pouls la même dureté...
Mais en même temps la respiration devint de plus en
plus courte et pénible par la difficulté que le sang
des veines pulmonaires éprouvait à être reçu dans le
ventricule gauche du cœur. »
Cette observation paraîtrait aujourd'hui fort incom¬
plète ; il n’y est pas question d’exploration des orga¬
nes de la poitrine, de l’état des reins, d’analyse
d’urine, etc. Mais il faut rappeler que la communica¬
tion de Lobstein date d’une époque où les travaux
de Piorry et de Laënnec n’étaient guère connus. Le
professeur strasbourgeois parait avoir ignoré la pra¬
tique de la percussion et de l’auscultation, car il n’en
fait pas mention et s’il y avait été initié, il n’aurait pas
— 311 —
abandonné l’idée d’adhérence du péricarde qui était
réelle, pour celle d’un épanchement pleurétique qui
n’existait pas. D’autre part, on ne se livrait pas encore
du temps de Lobstein aux recherches de laboratoire,
qui sont de date récente. Mais telle quelle, l’observa¬
tion qui nous occupe est intéressante par le fait que
l’auteur, privé des moyens d’investigation connus de
nos jours, a porté un diagnostic exact d'anévrisme
actif du ventricule gauche, c’est-à-dire de myocardite
chronique, et décrit parfaitement la plupart des symp¬
tômes jusqu’à ceux de l'asystolie finale.
Masuyer, professeur de chimie médicale, a fait
l’analyse des concrétions recueillies à l’autopsie du
malade en question ; il a trouvé qu’elles étaient com¬
posées de phosphate etd’ui'ate de chaux et de soude.
Il résulte de cette analyse, dit Masuyer, que l’acide urique
existe dans les secondes voies ; qu’il est susceptible de se
porter tantôt sur les articulations où il forme les tophus arti¬
culaires des goutteux, tantôt dans la vessie où il forme les
concrétions pierreuses des fils de goutteux, tantôt sur d’autres
organes où il détermine tous les maux et les accidents de
l'arthritisme, qui se présente sous mille formes différentes et
qu’il occasionne dans différents organes la formation de con¬
crétions, soit tophacées, soit osseuses, par addition de phos¬
phate de chaux que Ton rencontre assez souvent dans les
cadavres...
Il est également évident que la matière de l'arthritisme est
Tacide urique; que tous les accidents de l'arthritisme, sous
quelle forme qu’ils se présentent, sont dus à cette présence
de l’acide urique dans les secondes voies, hors des couloirs
qui lui servent d’émoiictoire naturel...
Pour y ramener l’acide urique, Masuyer préconise
le régime lacto-végétarien et l’administration du
savon de potasse. A son avis, l’acide urique s’unit à
la potasse partout où il arrive en sa présence, pour
former un sel beaucoup plus soluble que Turate de
soude et d’ammoniaque ; il devient par le fait d’une
élimination relativement facile. La potasse du savon,
de même que celle contenue en quantité assez
notable dans le lait et les végétaux, venant à s’unira
*- 312 —
l’acide urique, favorisera de la sorte l’accès de celui-
ci dans les voies urinaires.
Fodéré, un autre maître de l’Ecole de Strasbourg,
dont nous aurons à nous occuper tantôt, ajouta à ces
observations de Masuyer une note, dans laquelle il
déclarait que l’acide urique et l’urée existant dans les
secondes voies provient, indépendamment de la pré¬
disposition héréditaire, spécialement de la faiblesse
des voies digestives, ainsi qu’on l’a déjà remarqué
pour le diabète. « Aussi se demande-t-il, s’il ne fallait
pas, tout en cherchant à neutraliser l’acide urique,
s’attacher à fortifier le système des digestions et à
éviter l’état de dyspepsie. »
En somme Lobstein a parfaitement diagnostiqué
l’existence d’une myocardite chronique chez un gout¬
teux, en s’appuyant uniquement sur la dureté du
pouls, le choc intense du cœur et sur le rétrécisse¬
ment présumé de l’orifice aortique. Les observations
de Masuyer montrent qu’on a déjà préconisé le régime
lacto-végétarien, en 1824. Enfin Fodéré, à la même
époque, a déjà émis l’idée que l'acide urique en excès
dans la circulation provient d’un trouble delanutri-
trition.
Epidémie de variole de 1825-182G (1).
La vaccine a trouvé de bonne heure un accueil favo¬
rable en Alsace; à en juger par une note du proies-
seur Coze (2), on en avait fait l’essai à Strasbourg
avant toute autre ville de France, même avant
Paris.
Le préfet du Bas-Rhin, Lezay-Marnésia, avait dès
1810 chargé les médecins cantonaux de se rendre
une ou deux fois par an dans les communes et d’y
vacciner gratuitement les enfants. Ils vaccinèrent tant
et si bien que durant des années il était devenu rare
(1) Nouveattx Mém. de la Soc. de» sc., agric. et arts du département du
Bas-Rhin, l, p. 232-274,
(2) Mém. de la Soc. des sciences, etc. I (1811), p. 124.
— 313 —
d’observer un cas de variole dans le département ;
mais la vaccine n’étant pas obligatoire, il se produisit
peu à peu de la négligence du côté des parents, du
relâchement de la part des médecins vaccinateurs et
finalement le terrain redevint propice pour une
reprise de la variole. Elle envahit en effet l’Alsace de
divers côtés et forma bientôt une vaste épidémie, qui
se prolongea de 1825 jusque vers la fin de 1826.
La Section de médecine de la Société des sciences,
agriculture et arts ayant été chargée par le préfet de
lui adresser un rapport sur cette épidémie, de lui
indiquer en même temps les moyens de la combattre
et de la prévenir ultérieurement, nomma une commis¬
sion avec Lobsiein comme rapporteur. Celui-ci décrivit
l’épidémie en un longmémoire, auquel nous emprun¬
tons les quelques détails suivants :
On compta dans le Bas-Rhin 3281 cas (1) de variole,
dont 264 cas mortels, parmi lesquels figuraient seu¬
lement ceux de trois personnes dûment vaccinées.
A Strasbourg, les varioleux furent en grande partie
isolés à l’hôpital.
Des enfants vaccinés avec succès ont impunément
couché avec leurs frères et sœurs atteints de la variole.
On a partout beaucoup vacciné et même revacciné,
car dans le public on avait une grande confiance dans
l’action préservatrice de la vaccine.
Des renseignements qu’il a recueillis et qu’il a minu¬
tieusement détaillés, Lobstein conclut :
1° Que la très grande majorité des personnes atteintes par
l’épidémie varioleuse n’avaient point été vaccinées ou, ce qui
revient au même, ne l’avaient pas été avec succès ;
2° Qu’il est constant que la variole a attaqué des individus
dûment et légitimement vaccinés, mais que sur ceux-ci elle a
été très bénigne et semblable à la varicelle (2) ;
3° Que la dififérence frappante entre la marche, les symp¬
tômes et la terminaison de la maladie chez les personnes non
(1) Chiffre établi d’après les rapports des médecias caDtooauz et que
Lobstein estime d’un tiers trop bas.
(2) On confondait encore varicelle et varioloïde.
— 314 —
vaccinées et chez celles qui l’ont été avec succès, dépend uni¬
quement de cette même vaccination ;
4° Qu’en conséquence la vaccine reste toujours un préser¬
vatif très précieux contre la variole, en même temps qu’elle
est un moyen certain de la priver de sa gravité et de ses dan¬
gers...
On ne saurait mieux dire encore aujourd’hui.
La Section de médecine de Strasbourg ne s’en tint
pas à ce seul rapport; elle résolut, en 1828, d’adresser
aux pouvoirs publics une supplique, dans laquelle
elle demandait qu’on établît l’obligation de la vaccine
et de la déclaration des cas de variole. Elle alla plus
loin : elle ajouta à cette supplique, à titre d’indication,
un projet de loi qui fut rédigé après une discussion
approfondie et qui répond encore à nos idées actuelles
sur les besoins du service vaccinal.
J’ai trouvé dans les archives de la Section de méde¬
cine ce projet de loi, les modifications qu’il a subies
au cours de sa discussion et un important document
du professeur Lauth, qui m’a permis de déterminer
que la priorité de la vaccine obligatoire n’appartient
pas, comme on l’admettait généralement, à la Bavière
par l’ordonnance royale du 28 août 1807, mais à la
principauté de Piombino et Lucca, où la vaccine est
devenue obligatoire par un édit paru le 26 décembre
1806, c’est-à-dire antérieurement de huit mois à l’or¬
donnance bavaroise.
J’ai porté cette rectification à la connaissance de
l’Académie de médecineet, dans le mémoire que je lui
ai présenté à ce sujet (Ij, j’ai fait les réflexions sui¬
vantes :
La principauté italienne en question était régie,
en 1806, par Élisa Bonaparte, sœur de Napoléon ;
celui-ci était grand partisan de la vaccine, vu qu’il a
fait vacciner le roi de Rome, en 1811, et que déjà en
1805, c’est-à-dire un an avant la promulgation de l’édit
(1) D. Goldsghmidt. Variole et vaccine dans le département du Bas-
Rhin pendant le premier tiers du XIX‘ siècle. Napoléon promoteur pro¬
bable de la vaccine obligatoire. 1905.
— 315 —
de Piombino et Lucca et deux ans avant l’ordonnance
de Bavière sur l’obligation de la vaccine, il avait exigé
que tous les soldats qui n'avaient pas eu la variole
fussent vaccinés \ qu’il avait même, d’après Parola (1)
etPeiper (2), déclaré la vaccine obligatoire en France
dès 1809 ou 1810. 11 y a donc lieu d’admettre, il est
pour le moins rationnel de penser qu’Elisa Bona¬
parte s’est inspirée des idées de son frère, pour les
appliquer dans la principauté de Piombino et Lucca
et que c’est Napoléon qui est le promoteur de la vac¬
cine obligatoire.
D’autre part, si l’on considère qu’Eugène de
Beauharnais, vice-roi d’Italie avait épousé à cette
époque une fille de Maximilien-Joseph, roi de Bavière,
l’allié obligé de Napoléon, il est également admissible
que le comte de Montgelas, premier ministre bavarois,
homme de progrès et de sens pratique qui devait se
trouver en relations suivies avec la cour d’Italie, ait
eu connaissance de la mesure prophylactique prise
contre la variole dans la principauté italienne, en ait
saisi l’importance et l’ait introduite dans son pays,
après l’avoir modifiée et complétée dans ses disposi¬
tions essentielles.
Lobstein a été l’un des plus actifs,sinon le plus
actif des collaborateurs de la Section de médecine.
En plus des travaux que je viens de faire connaître,
il en a encore fourni toute une série, mais qui sont
signalés seulement dans un rapport global du secré¬
taire général sans détails suffisants (3), pour qu’on
puisse en faire état. Voici les titres de quelques-uns
de ces travaux :
Examen de la position des testicules dans le foetus et leur
descente hors du bas-ventre dans le scrotum.
(1) L. Parola. Delà vaccination. Turin, 1877, p. 174.
(2) E. Peiper. Die Schuizpochenimpfung^ Î901, p. 29.
(3) Je me suis abstenu d'analyser deux travaux de Lobstein, bien qu'ils
soient publiés en totalité : VEssai d'une nouveUe théorie des maladies
fondée sur les anomalies de Vinnervaiion, qui ne repose que sur des hypo¬
thèses ; un Mémoire sur Vossification des artères d’un grand intérêt^
publié en 1811, parce qu'il a été reproduit et complété dans le Traité
d’anatomie pathologique du professeur.
— 316 —
Recherches sur la structure de la membrane qui renferme
l’œuf dans les animaux mammifères.
Structure de l’organe utérin dans l’espèce humaine.
Circulation du sangdans l’enfapt qui n’a pas encore respiré.
Fragment d’anatomie comparée dans le mandrill.
Anévrisme actif du cœur avec autopsie.
Chorée traitée par des frictions avec un aimant de « quatre-
vingt livres ».
Pancréas cancéreux.
Thomas Lauth
Thomas Lauth naquit le 19août 1758 à Strasbourg;
fils de médecin, il était destiné à suivre la carrière de
son père. Il fit ses études classiques et médicales
— 317 —
dans sa ville natale et, après avoir été reçu docteur en
médecine, se rendit à Paris pour suivre l’enseigne¬
ment de Desault (anatomie et chirurgie) et de Baude-
locque (accouchements). 11 fréquenta plus tard d’au¬
tres universités : celle de Londres où il connut Scarpa,
celles de Giessen et de Gœttingue. De retour à Stras¬
bourg, en 1782, à l’âge de 24 ans, il fut successivement
nommé médecin-adjoint du service d’accouchements,
prosecteur, professeur-agrégé, puis professeur titu¬
laire de la chaire d’anatomie normale. Il dut cesser ses
fonctions pendant la Terreur, mais les reprit aussitôt
après la réorganisation des Ecoles de médecine.
Thomas Lauth était très érudit; il connaissait plu¬
sieurs langues vivantes et rédigeait ses notes en latin
qu’il possédait à fond; il avait aussi étudié avec soin
les mathématiques, l’histoire naturelle et d'autres
branches scientifiques. Ses publications, qui sont
nombreuses, ont trait particulièrement à des ques¬
tions d’anatomie, soit normale, soit pathologique. 11
avait commencé une Histoire de l'anatomie, mais ne
put en livrer à l’impression que le premier volume.
Il était membre associé de l’Académie de médecine
et mourut en 1826, ayant la grande satisfaction d’en¬
trevoir que son fils Alexandre, qui déjà marchait sur
ses traces, serait un jour son successeur.
Nous avons prononcé le nom de Thomas Lauth à
l’occasion de l’épidémie de variole qui s’est abattue
sur l’Alsace, en 1825. Il était Pun de ceux qui ont
plaidé la cause de l’obligation de la vaccine, et lors
de la discussion qui intervint à ce sujet, c'est lui qui
fit connaître l’édit de Piombino et Lucca, édit qui m’a
servi à démontrer, comme je l’ai indiqué précédem¬
ment, que Napoléon I®'’ doit avoir été l’instigateur de
la vaccine obligatoire.
Nous avons, d’autre part, publié dans la Revue d’an¬
thropologie (1), la substance du mémoire de Th Lauth
(1) I). Goldschmidt. Les hommes porcs-épics à Strasbourg. Scvuc
d'Anthropologie 1913, p. 134-139.
— 318
sur les frères Lambert^ connus sous le nom à'hommes
porcs-épics. Avant que j’eusse découvert ce travail, on
ne connaissait, en fait de description de ces singuliers
sujets, que celle de Tilesius.
Th. Lauth les ayant vus, en 1802, exhibés à la foire
de Saint-Jean à Strasbourg, les a examinés de près et
a donné sur leur compte des détails précis, qui éta¬
blissent de façon nette et presque dans sa totalité la
symptomatologie de l’ichthyose cornée.
Tb. Lauth a de plus présenté à la Section de méde¬
cine un curieux Mémoire sur les ventriloques (1) ».
La plus haute antiquité, dit-il, fournit des exemples de l’art
singulier des ventriloques. Il est probable que la magicienne
que le roi Saül alla consulter à Endor, eut recours à ce phéno¬
mène pour tromper la crédulité de ce prince. Nous lisons dans
les livres sacrés (2) que cette femme avait assuré voir le spectre
de Samuel ; que ce fantôme n’ayant pas été aperçu par le roi,
la magicienne, sur ses instances, lui fit entendre une voix plain¬
tive qui répondit à ses questions. Or, cette voix n’était autre
chose qu’une contrepaction adroite, une véritable émission de
sons à la manière des ventriloques. Hippocrate, postérieur de
quelques siècles à l’auteur des livres de Samuel, parle du phé¬
nomène dont il est question ici, comme d’une chose connue de
son temps. Il dit, au livre V des Epidémies, que la femme de
Palémarchus, très malade, parla de la poitrine comme les ven¬
triloques (3) ou les engastriraythes, c’est-à-dire comme les
devineresses qui, inspirées par Python, ont coutume de rendre
les oracles avec des accents qui semblent sortir de la région du
ventre.
Par ce terme Python on a voulu désigner aussi la vapeur
enivrante que la terre exhalait à Delphes et qui était la cause
occasionnelle de ses célèbres oracles. La prêtresse ou la
pythonisse, assise sur le trépied et placée au-dessus de l'antre
pythien, recevait les émanations inspirantes qui passaient pour
un soufiQe divin. Mais il est certain que les ministres d’Apol¬
lon choisissaient toujours pour pythonisse une femme initiée
à l’art des ventriloques, art assez commun chez les anciens,
d’après les nombreux passages recueillis par Foës dans son
(1) Mém. de la Soc. des sciences, etc., 1811, T. I, p. 28.
(2) Sam., I, 28.
(3) Opp. ed. Foës, p., 1156.
— 319 —
ouvrage intitulé Œconomia Hippocratis, article Engastrimy-
thos.
M. l'abbé de la Chapelle a réuni, dans son intéressant
Traité sur les ventriloques (1), les faits rapportés à ce sujet
par les différents auteurs, et il a donné en même temps l’his¬
toire de deux individus de cette espèce, M. le baron de Men-
gen, résidant à Vienne, et le sieur Saint-Gille, marchand épi¬
cier à Saint-Germain-en-Laye.
Tlî. Lauth eut de son côté l’occasion d’observer
quatre ventriloques. Ce fut d’abord un Saxon, Chris¬
tophe Heyser, qui vint à Strasbourg en 1804; il avait
trente-six ans, était de taille moyenne bien prise. Sa
voix naturelle était basse; sa voix artificielle, très
claire, ressemblait à celle d’un enfant de quatre à
cinq ans. En appliquant un doigt sur son larynx, on
ressentait des vibrations identiques, qu’il articulât
des sons naturels ou des sons artificiels; mais ces der¬
niers paraissaient toujours partir de la partie infé¬
rieure du thorax, près du diaphragme. Les muscles
de la poitrine et du bas-ventre se contractaient alors
avec violence, de manière à produire de profonds
creux sous les hypocondres, cependant que la respi¬
ration restait suspendue et la bouche immobile, qu’on
n’observait aucun mouvement des lèvres, des joues
ou de la langue.
Th. Lauth eut ensuite l’occasion d’observer trois
autres ventriloques, les nommés Fitz-James, Lomon
et Thiemet. Leurs voix artificielles ne paraissaient
pas, comme celle de Heyser, sortir du fond de la poi¬
trine, mais du gosier. Heyser opérait toujours en
tenant entre ses jambes une poupée ou son chien et
conversait avec eux. Il ne disposait pour cela que
d’une seule voix artificielle, toujours la même, celle
du jeune enfant, alors que les trois autres ventrilo¬
ques diversifiaient leurs voix. Fitz-James a même
joué une pièce, dans laquelle il a rempli huit rôles,
variant sa voix dans chacun d’eux.
Heyser se fatiguait vite à cause des efforts muscu-
(1) Le ventriloque ou Vengastrimythe. Londres, in-8“, 1772, T. II.
— 320 —
laires auxquels il se livrait ; aussi faisait-il de fré¬
quentes pauses et ne prolongeait-il guère ses séances
au-delà d’une heure, alors que les autres pouvaient
parfois les faire durer au-delà de deux heures.
L’auteur conclut de là qu’il y a deux sortes de ven¬
triloques : les uns qui arrivent à varier habilement
leurs sons de voix, sans grands efforts musculaires;’
les autres qui, comme Heyser, en font au contraire
de très pénibles. Gomme celle de tous les soi-disant
ventriloques, la voix de celui-ci sort du gosier, « mais
au moyen d’une inspiration violente et prolongée, qui
exige des organes de la respiration un travail forcé et
sensible à l’extérieur. Par cette opération, la voix qui
sort de la poitrine dans la parole ordinaire, paraît y
entrer au contraire et se former dans la cavité abdo¬
minale chez cet artiste. » Aussi sont-ce seulement
ceux qui agissent comme lui, qui méritent réellement
de passer pour ventriloques.
Th. Lauth a encore fait d’autres communications,
mais comme elles n’offrent plus guère d’intérêt, je
ne m’y arrêterai pas.
Né en janvier 1764 à Saint-Jean-de-Maurienne (Sa¬
voie), Fodéré (François-Emmanuel) embrassa la
carrière médicale et se trouva, à 26 ans, de service à
l’armée d’Italie ; mais trop délicat de santé, il dut re¬
noncer à la médecine militaire et s’établit à Nice, puis
à Marseille. Il était âgé de 50 ans, lorsqu’il vint, en
1814, concourir pour la chaire de médecine légale
à Strasbourg et remporta la victoire sur des concur¬
rents de grande valeur. Fodéré était du reste déjà
fort connu par d’importants travaux, entre autres un
Traité sur Le goitre et le crétinisme, un Mémoire sur
l'épidémie de Valentine et surtout par son Traité de
médecine légale et d'hygiène. Ces travaux et ceux très
importants qu’il publia ultérieurement, l’ont fait
dénommer de là médecine légale.
— 321 —
Fodéré accepta, en 1819, la chaire des maladies
épidémiques laissée vacante par Rochard et la joignit
à la sienne. 11 mourut en 1835, à l’âge de 71 ans.
Bien qu’il fût devenu presque aveugle et sourd, il n’a
pas cessé de produire, jusqu’au bout de son existence,
des travaux d’une haute érudition. Son bagage scien¬
tifique est énorme.
Fodéré
Fodéré était l’un des collaborateurs les plus actifs
de la Société des Sciences, agriculture etarts de Stras¬
bourg et a (âit diverses communications à la section
de médecine ; voici le compte-rendu des princi¬
pales ;
De la salubrité en général. Nous retenons de ce
- 322 —
travail dont nous n’avons sous les yeux qu’un résumé
trop succinct, les points suivants :
1” L’eau-de vie de pommes de terre contient un
principe « vireux » ; elle devrait donc être proscrite
comme boisson et n’être permise que pour l’usage
industriel;
2“ L’auteur s’élève contre la trop grande négligence
des règles de la salubrité et préconise l’établisse¬
ment d’un code de police sanitaire, dont l’exécution
serait confiée à des médecins instruits ad hoc.
La première de ces propositions n'a rien perdu de
sa valeur; la deuxième est fort logique et pourrait
rendre des services inappréciables au point de vue
sanitaire, si elle trouvait une application judicieuse.
La variole à Strasbourg.
Nous avons déjà parlé de l’épidémie de variole qui
s’est abattue sur l’Alsace, en 1825. Fodéré (1) a décrit
la façon dont elle a été introduite à Strasbourg, l’im¬
portance qu’elle a prise, les mesures qui lui ont été
opposées et les réflexions qu’elle lui a suggérées.
La pratique de la vaccine était tellement en faveur
à Strasbourg que Fodéré, depuis qu’il était venu y
habiter, n’avait pas eu l’occasion de voir un seul cas
de variole jusqu’en 1825, et ses élèves ne pouvaient
en prendre connaissance que dans des leçons orales
ou dans les livres.
Arriva cette année-là à la foire de Saint-Jean, un
marchand de gaufres, avec sa femme enceinte et deux
enfants en bas âge (un garçon et une fille). Cette fa¬
mille venait de Metz, où régnait la variole; les enfants
n’étaient pas vaccinés et le garçonnet y avait fré¬
quenté des camarades atteints delà maladie. Il la prit
à son tour peu après sa venue àStrasbourg et fut in¬
terné, isolé à l’hôpital civil, en compagnie de sa mère
(1) Fodéré, Histoire d’une petite vérole où l’on a pratiqué la vacci¬
nation, etc. Journ. de la Soc. des sciences, agric. et arts du département
du Bas-Rhin, T. II (1825), p. 390.
— 323 —
et de sa sœur. Celle-ci fut vaccinée, mais trop tard;
la maladie l’avait déjà saisie et l’on vit chez elle les
boutons de variole et de vaccine se développer simul¬
tanément sans se contrarier. Les deux enfants gué¬
rirent.
La mère, qui était marquée de cicatrices de la petite
vérole, n’a été que peu atteinte; « elle fut seulement
prise sur le bras gauche, dont elle se servait le plus
pour soutenir ses enfants malades, d’un assez grand
nombre de pustules élevées, pleines d’une sérosité
purulente, qui se desséchèrent au bout du cinquième
ou du sixième jour après leur apparition, mais sans
aucun symptôme général.
« Je ne serais pas étonné, ajoute Fodéré, que l’en¬
fant qu’elle porte naquît avec des traces de variole,
comme l’illustre Jenner en a communiqué deux exem¬
ples au monde médical et que j’en ai vu moi-môme
deux autres. »
Bien que les élèves en médecine qui entouraient
les varioleux eussent été vaccinés, plusieurs d’entre
eux furent atteints, mais peu gravement.
Fodéré a pu se convaincre dans la circonstance de
l’efficacité de la vaccine et de son importance au point
de vue prophylactique. L’isolement des varioleux à
l’hôpital n’a pas été absolument eflfectif; les étudiants
qui voyaient les malades, habitaient la ville et il n’est
résulté aucune petite vérole de ce contact, soit immé¬
diat, soit médiat. Et Fodéré dans son enthousiasme
pour la vaccine « qui enlève tout aliment à la petite
vérole » et qu’il considère comme préservant à tou¬
jours de la variole, de s’écrier : « Qu’un autre Jenner
fasse aussi la même découverte contre la peste et la
fièvre jaune, et nous pourrons alors nous pasSter des
lazarets permanents ! »
Fodéré s’élève, d’autre part, contre l’avis émis, en
1822, par les médecins de Genève qui avaient, au nom
de la liberté des citoyens, opiné contre l’isolement
des varioleux. « En laissant une liberté illimitée, en
fait de petite vérole, celui qui est attaqué s’expose à
nuire à un grand nombre de ses concitoyens, ce qui
— 324 —
est une grande injustice. » Si donc le gouvernement
ne peut rendre obligatoire la vaccine, il semble
«qu’il a le droit, comme père de ses sujets et qu’il
est de son devoir, comme modérateur suprême, d’in¬
terdire toute communication avec les variolés.
ainsi qu’avec leur famille et de les séquestrer, de
manière à ce qu’ils ne puissent communiquer à autrui
une terrible maladie qu’il avait dépendu d’eux de ne
pas avoir... »
Fodéré qualifie en finissant, comme un modèle de
prudence et de sollicitude envers la population,
l’arrêté de 1825 corroboré par un avis ultérieur de
la municipalité, insistant sur la nécessité de recourir
à la vaccine pour se prémunir contre la variole, rappe¬
lant que les médecins communaux étaient chargés de
vacciner gratuitepient et prévenant qu’on prendrait
des mesures d’isolement envers ceux qui, méprisant
cet avis, s’exposeraient à la contagion.
Il y eut par la suite, à Strasbourg, d’autres cas de
variole que ceux indiqués par Fodéré; leur nombre
total fut de soixante et onze, avec seulement trois décès
survenus chez des non-vaccinés. Les trois quarts
presque des malades étaient des pauvres ; ils étaient
(l’office transportés à l’hôpital et séquestrés dans deux
salles, où ils ne pouvaient recevoir aucune visite, pas
même celle de leurs parents.
Ces détails prouvent à quel point on avait déjà à
Strasbourg, en 1825, la juste conception des mesures
qui sont nécessaires pour prévenir et enrayer la va¬
riole.
Accouchement prématuré (1).
Fodéré pose et examine les trois questions sui¬
vantes ;
Est-il des cas où, d’après l’expérience, l’accouchement pré¬
maturé artificiel est avantageux à la mère et à l'enfant et où, par
(1) Mérn. de la Soc. det tciences, etc., T, V (1828), p, 153-157.
— 325 —
conséquent, il est non seulement licite, mais encore néces¬
saire ?
Quels sont ces cas et quels sont ceux où il faut recourir à
d'autres opérations ?
Quelles sont les conditions qui peuvent rendre utile à la
mère et à l'enfant l’accouchement prématuré artificiel et quelles
sont les précautions à prendre en l’entreprenant?
Fodéré avait déjà traité ces mêmes questions en
1813; il y revient après avoir eu connaissance, en
1827, du lait suivant : Mme R..., âgée de 43 ans, de
petite taille, forte et robuste, était à sa neuvième
grossesse. Ayant le bassin trop étroit, on avait dû
les trois premières fois recourir à la crâniotomie pour
extraire le fœtus.
Enceinte pour la quatrième fois, elle éprouva une
violente frayeur, lorsqu’elle était au septième mois de
sa grossesse et accoucha normalement d’une fillette
qui vécut.
A ses cinquième, sixième, septième, huitième et
neuvième grossesses, amenées chaque fois à terme,
il fallut encore en venir à « l’expédient de percer le
crâne de l’enfant et de l’extraire avec des crochets
dentés. » Malgré cette mutilation, on ne réussit pas la
dernière fois à extraire le fœtus dont la tête et le
corps étaient par trop volumineux. On avait en vain,
pendant trois jours, fait des tentatives d’extraction ;
la femme mourut à la suite d’une violente hémorrha¬
gie qu’on supposa avoir été produite par la perfora¬
tion de la matrice.
Considérant que lors de sa quatrième grossesse,
interrompue au septième mois, l’accouchement pré¬
maturé normal de cette dame s’est effectué sans au¬
cun préjudice pour elle et lui a donné une fille qui est
restée en vie, alors qu’à ses huit autres grossesses,
arrivées à terme, il a fallu chaque fois sacrifier la vie
de l’enfant et qu’en dernier lieu la mère elle-même a
succombé. Fodéré se prononce formellement pour
l'accouchement prématuré artificiel, d’autant plus
qu’il arrive souvent que des femmes accouchent nor-
Bull. Soc. fr. hUl. méd., XII, 1914 22
— 326 —
malernent au septième mois de leur grossesse d’en¬
fants qui restent vivants. Il préconise même ce pro¬
cédé, dans les cas où la vie des femmes enceintes se
trouverait compromise pour d’autres motifs que le
rétrécissement pelvien, tels l’éclampsie, une grave
hémorrhagie, etc.
Des médecins anglais ont du reste, dès le milieu
duxviii'^ siècle, provoqué l’accouchement avant terme
chez des femmes ayant le bassin trop étroit. Les
accoucheurs d’outre-Manche les plus renommés
avaient adopté cette pratique, alors que seul en
France L. Petit s’en était franchement déclaré parti¬
san, que quelques autres l’admettaient avec des res¬
trictions et que Sue, Gardien, Baudelocque y étaient
absolument opposés.
Ces adversaires de l’accouchement provoqué avant
terme ont objecté entre autres « qu’il répugne à la
morale et à la religion, parce qu’il anticipe sur le terme
ordinaire de la nature et parce que sa pratique, une
fois établie et devenue commune, donnerait lieu à
l’abus criminel qu’on en ferait à des époques peu
avancées de la grossesse pour provoquer l’avorte¬
ment. »
Ce à quoi Fodéré répond :
1® .... Ma conscience, qui certes est aussi timorée que celle
de tout autre, n’a rien su trouver de contraire aux bonnes
mœurs et à la religion dans un moyen qui, étant bien conduit
et pratiqué dans des vues humaines et légitimes, tend à con¬
server l’existence à un plus grand nombre de femmes et d’en¬
fants...
2“ Il n’est pas vrai, absolument parlant, que le terme de la
naissance soit irrévocablement fixé dans l’espèce humaine à
celui de neuf mois révolus... La preuve en est dans le grand
nombre de sujets adultes nés à sept mois et par conséquent
viables, puisqu’ils ont conservé la vie, quoique nés en appa¬
rence très chétifs. D’ailleurs, la naissance à sept mois révolus
a déjà été regardée du temps d’Hippocrate comme naturelle.
De plus « des femmes accouchent régulièrement à sept mois,
sans qu’on puisse regarder cès couches comme un état maladif
et contre nature, puisqu’elles se relèvent très bien, elles et
leurs fruits.
— 327 —
3° L’abus fait de l’avortement relève des tribunaux : « il
appartient aux magistrats de réprimer les crimes commis avec
intention de les commettre ; mais ni eux ni les législateurs, ni
les casuistes ne sauraient condamner comme criminelle une
ressource saisie dans l'intention de conserver à la fois la vie
de deux êtres, lors même qu’elle ne serait pas toujours cou¬
ronnée de succès...
Fodéré demande après cela qu’on agisse avec cir¬
conspection et qu’on suive certaines règles. L’opéra¬
tion ne doit être entreprise qu’après une consultation
qui aura déterminé : a) que le bassin est trop étroit
pour que la grossesse, étant amenée à terme, puisse
avoir lieu dans les conditions voulues ; b) que le bas¬
sin n’est pas trop étroit pour livrer passage à un
fœtus de sept mois accomplis. 11 faudrait même atten¬
dre à sept mois et demi, si le rétrécissement n’était pas
trop considérable.
L’auteur conseille de plus entre autres précautions
à prendre, celle de recommander aux femmes, chez
lesquelles un premier accouchement a fait découvir
une forte étroitesse du bassin, de ne plus s’exposer à
une nouvelle grossesse.
C’est bien là, dit-il, un des cas où la femme est en droit de
se refuser au devoir conjugal et où la conscience et la tendresse
de son époux devraient lui imposer, comme l’une des plus
sacrées obligations, de ne plus exposer la compagne de sa
vie et le fruit de la conception à des dangers aussi imminents.
Mieux vaudrait encore qu’il intervint une disposition législa¬
tive qui éloignât du mariage les personnes du sexe mal con¬
formées, qui ne pourront jamais remplir l’un des buts les
plus essentiels de cette union, celui d’avoir des enfants. Mais
ces vœux ne se réaliseront jamais : l’instinct en ceci est plus
fort que la raison et l’on se flatte aisément que le danger
auquel on vient d’échapper ne se renouvellera plus (1) ; l’on a
un exemple dans la malheureuse femme, dont la triste fin m’a
fait écrire ce mémoire, qui s’est exposée neuf fois au même
(1) Rien de plus juste: j’ai observé un cas absolument pareil à celui
de Fodéré et qui confirme ses déductions. J’ai pour étroitesse pelvienne
provoqué l'accouchement avant terme de la femme d’un bellâtre italien,
après m’étre entendu à ce sujet avec une sommité de l’art obstétrical.
Elle accoucha d’un enfant vivant qui prospéra. C’était le premier résul-
— 328 —
péril et qui n’y a échappé une fois que par un hasard heureux...
Lorsque je suivais les cours d’accouchements à Paris, en
1787 et 1788 et qu’on nous conduisait au toucher de nom¬
breuses femmes grosses, dont plusieurs avaient différents
vices de conformation dans le bassin et que je gémissais sur
leur sort futur, ces femmes étaient beaucoup plus tranquilles
et plus indiüérentes que moi...
Fodéré, qui était le premier médecin légiste de
France, y fut également le premier à prendre sérieu¬
sement en main la cause de l’accouchement prématuré
artificiel. L’Académie de médecine avait déclaré,
en 1827, quen aucun cas il n'est permis de provoquer
L’expulsion du produit de la conception. Il était réservé
à un autre professeur de la Faculté de médecine de
Strasbourg, à l’éminent accoucheur Stoltz, de faire
annuler cette sentence. Ayant le premier en France
provoqué prématurémentl’accouchementd’une femme
pour cause d’étroitesse du bassin et ayant réussi (1),
il a montré qu’on pouvait sans crainte recourir à cette
opération obstétricale. Aujourd’hui elle n’est plus
guère contestée; mais ce qu’il faut retenir, c’est que
le mouvement en faveur de sa légitimité, de sa né¬
cessité dans des conditions données et de sa réus-
tat heureux des diverses grossesses de cette personne ; elle les avait tou¬
jours, sauf la dernière, amenées à terme et on avait dû chaque fois sacri¬
fier l’enfant pour délivrer la mère. Dana ces conditions j'ai engagé mari
et femme à s’en tenir là, insistant sur le risque que celle-ci courait
d’ètre emportée dans un accouchement ultérieur. La femme déclara
qu’elle préférait mourir que de voir son mari lui devenir infidèle. Elle
lut de nouveau enceinte et sans me consulter alla jusqu’à terme ; elle
succomba cette fois à l’hôpital aux suites des manœuvres obstétricales.
Ayant demandé au mari pourquoi, en homme dûment averti, il n’avait
pas tenu compte de mon avis, il s'exclama en se lamentant sur son
sort : « Que voulez-vous, c’est la natoure ! » (sic).
(1) Stoltz raconte lui-méme {Dict. de médecine et de chirurgie prati¬
ques, ï. 1, p. 294) dans cpielle circonstance il a agi : « Le hasard a
voulu, écrit-il, qu’au commencement de 1831, nous fûmes consulté par
une femme qui avait été délivrée deux fois déjà par la perforation du
crâne et les crochets {par Flamant et par Lobstein), pour cause de ré¬
trécissement du bassin. Nous avions nous-mème assisté à cette opération,
nous connaissions par conséquent la personne et l’état de son bassin.
Enceinte pour la troisième fois et désirant avoir un enfant vivant, nous
lui conseillâmes de se faire accoucher avant terme. Nous entreprîmes la
provocation de l’accouchement le cent-trente-deuxième jour de la gros¬
sesse ; elle lut couronnée d’un plein succès. »
— 329
site presque certaine, est parti de la Faculté de mé¬
decine de Strasbourg.
De VOpération du cancer (1).
Le professeur Osiander, de Gœttingue, ayant pu¬
blié, en 1808, une série d’observations où il dit avoir
exécuté plusieurs fois avec succès sur le vivant
« l’extirpation ou l’excision de matrices squirrheuses
ou cancéreuses », l’Académie de médecine et de chi¬
rurgie de Vienne a, en 1810, mis au concours les
questions suivantes :
Dans quelles conditions un squirrhe ou un carcinome quel¬
conque peut-il être opéré avec la perspective d’une guérison
complète? L’opération est-elle permise, alors même qu’il y a
lieu de présumer qu'elle sera insuffisante pour amener la
guérison ?
L’excision de la matrice non descendue est-elle possible ?
Si oui, indiquer le procédé le plus avantageux auquel on doit
avoir recours, les accidents qu’il faut prévoir, le moyen de les
éviter, les soins et le traitement post-opératoires.
Mentionner les squirrhes et les carcinomes de l'utérus qui
sont opérables et ceux qui ne le sont pas, etc.
Fodéré a longuement examiné (2) et discuté ces
questions et comme elles n’oflfrent plus guère d’inté¬
rêt actuellement, je me contente de citer quelques-
unes de ses conclusions, qui étaient des plus ration¬
nelles à l’époque où elles ont été émises et qui n’ont
pas encore perdu toute leur valeur :
1® L’opération du véritable cancer du sein est rarement
avantageuse aux malades;
2® L’extirpation de la matrice renversée et n'ayant pas
encore perdu son organisation et sa vie, ne doit jamais être
tentée, d'autant plus qu'on a des exemples rapportés par
Leroux, de Dijon et M. Gapuron, de matrices renversées
(1) Journ. de la Soc. des sciences, etc., T. Il (1825), p. 244 et 529.
(2) Son mémoire comporte 65 pages d'impression.
— 330 —
complètement qui se sont réduites d’elles-mêmes après plu¬
sieurs années de cette infirmité...
3° L’excision et l’extirpation d’une matrice cancéreuse sont
des opérations qui doivent être proscrites, comme ne présen¬
tant que des chances de douleurs inutiles et de destruction
plus prompte des malades.
4“ Il en est de môme de l’excision et de la cautérisation des
ulcères utérins lesquels, quoique ayant été pratiqués plus sou¬
vent que l’extirpation de toute ou d’une portion de la matrice,
n’en présentent pas davantage un seul exemple de réussite
bien constatée ;
5“ La proposition de l’extirpation de l’ovaire squirrheux
n’est pas moins absurde...
Et Fodéré ajoute cette boutade : « L’on s’occupait
autrefois trop peu d’anatomie et des malades succom¬
baient, qui auraient pu être sauvés par une opération.
Maintenant nous tombons dans un excès contraire et
il est bien à craindre que l’habitude des amphithéâ¬
tres n’engage à transporter de sang froid sur le vivant,
tout ce qu’on a trouvé d’exécutable sur les morts. »
Inondations et paludisme (l)
« L’année 1824 a été féconde en désastres de tous
genres : tremblements de terre, éruptions volcani¬
ques, ouragans, inondations. » Ces dernières ont eu
lieu dans une grande partie de l’Europe; Strasbourg
avec ses environs et l’Alsace en général n’y ont pas
échappé, loin de là. Fodéré entre dans de longs et
minutieux détails sur ces inondations, sur leur éten¬
due ainsi que sur les nombreux dégâts et catastrophes
qu’elles ont produits.
Ce n’est toutefois pas ici la place de reproduire le
récit de ces désastres, pas plus que les raisonnements
auxquels s’est livré l’auteur pour en déterminer les
causes. Je retiendrai seulement de son long mémoire
le fait d’une recrudescence accentuée de fièvres palu¬
déennes, qui eut lieu à la suite de ces inondations.
(1) Joura. de la Soc. des sciences, X. Il (1825), p. 184-220.'
— 331 —
Leur augmentation a été constatée tant à l’hôpital
militaire qu’à l’hôpital civil, ainsi qu’en ville et en
général dans toutes les localités du Bas-Rhin, où ont
eu lieu des inondations. On a aussi observé en plus
grand nombre, comme suite des fièvres intermit¬
tentes, « des congestions dans le foie et la rate... qui
étaient promptement suivies d’hydropisies. » Fodéré
attribue avec raison cet état de choses aux eaux sta¬
gnantes : à Strasbourg une quantité de joncs et autres
plantes entraînées dans les fossés des fortifications
y ont pourri.
Dans les campagnes, la plupart des villages n’étant point
pavés et chaque maison ayant sa mare à côté du fumier, il en
est résulté une stagnation des eaux de longue durée ; de plus
le sol d’une partie du département est formé d’une argile com¬
pacte, recouverte d’une couche plus ou moins épaisse de terre
calcaire, de sable et de terreau et cette composition donne
naissance, dans tous les cas d’inondations, à des flaques d’eau
et à de nouveaux marécages qui ne disparaissent que lente¬
ment. ..
Abordant les moyens prophylactiques, Fodéré
recommande : 1° une entente des administrations
civiles et militaires de Strasbourg pour l’assainisse¬
ment des fossés de la ville ; 2° d’ouvrir partout des
tranchées pour l’écoulement des eaux stagnantes ;
3“ de paver les rues des villages et leur donner une
pente, qui empêche les eaux d’y stationner ; 4“ de
niveler les parties du département plus basses que
les lits du Rhin et de l’Ill, « afin que de tous ces
points les eaux pussent s’écouler vers les rivières prin¬
cipales. »
Strasbourg était autrefois un nid de fièvre palu¬
déenne ; elle y régnait à l’état endémique et prenait
parfois le caractère épidémique. Fodéré parle de sa
recrudescence, en 1824, sans indiquer dans quelle
proportion elle a progressé, ni quelle était sa durée.
Nous n’avons en général pas trouvé de données sur
l’importance de cette recrudescence de la malaria
dans la population civile où, paraît-il, elle avait pris
la forme d’une épidémie. Lobstein a en eftet indiqué
— 332 —
dans un de ses rapports (1) que dans son service à
rhôpital civil, « les maladies le plus fréquemment
observées pendant le trimestre indiqué (le deuxième
de l’année 1824) ont été des fièvres intermittentes de
différents types. Ces fièvres ont régné épidémique-
ment depuis le commencement de l’hiver... » Mais
comme le plus souvent ces fièvres n’étaient pas trai¬
tées à l’hôpital, les indications de Lobstein ne suffi¬
sent pas pour préciser l’importance de l’épidémie.
Par contre J. Tourdes (2) fournit des détails sur
l’extension qu’a prise à cette époque la fièvre palu¬
déenne dans la garnison de Strasbourg (3).
Il commence par donner le tableau comparatif du
nombre de cas observés à l’hôpital militaire pendant
les années 1821 à 1824 avec ceux de 1825 à 1828.
1822
1823
1824
1825
1826
1827
1828
ir 2181 maladies 887 fièvres intermittentes sc
2260 » 948 »
. 2300 » 990 »
3249 » 1517 »
i 2592 » 1938 »
43 ( moyenne
43 ( 43 •/.
75 f moyenne
74 ( 63 %
moyenne générale » 58 °/„
Ce tableau montre une énorme proportion de
fièvres paludéennes sur les autres affections, surtout
dans la période de 1825 à 1828, où le nombre de ces
fièvres avait atteint la proportion de 63 0/0 de toutes
les maladies traitées à l’hôpital militaire.
(1) Journ. de la Soc. des sciences, etc., I (1828), p. 401.
(2) Tourdes, Joseph, né à Carlet, dans la Haute-Auvergne, en 1770,
était docteur en médecine de la Faculté de Montpellier à l’âge de 22 ans.
II fut bientôt appelé à l’hôpital militaire de Metz, puis passa à l’armée
d’Italie, fut attaché pendant trois ans à l’hôpital militaire de Pavie et
connut dans cette ville Volta, Scarpa et autres célébrités, surtout Spul-
lanzani dont il fut le collaborateur. Kn 1801, il devint professeur à
l’Ecole de médecine de Strasbourg et enseigna le premier en France la
pathologie générale. J. Tourdes cumula longtemps ses fonctions universi¬
taires avec celles de professeur à l’Ecole de santé militaire. Il apparte¬
nait à l’Académie de médecine en qualité d’associé non résidant, et mou¬
rut à Tâge de 71 ans. Son fils, G. Tourdes, l’éminent professeur de méde.
cine légale, avait succédé à Fodéré et fut doyen de la Faculté de méde¬
cine trnnférée à Nancy, à la suite des tristes évènements de 1870.
(3) Journ. de la Soc. des sciences, V, 1828, p. 401.
- 333
Tourdes avance, de même que Fodéré,que la cause
de la permanence et de la dissémination des fièvres
paludéennes, à Strasbourg, réside dans le grand nom¬
bre d’eaux stagnantes (fossés des fortifications, marais
dans le voisinage du Rhin et de l’ill) à proximité de la
forteresse. La citadelle entourée de tous côtés d’eaux
marécageuses, exposée particulièrement à celles
que produisent les inondations et les infiltrations des
eaux du Rhin, était surtout tributaire du paludisme.
Le régiment qui y était logé fournissait à lui seul pres¬
que autant de cas de fièvre intermittente que tous les
régiments casernés en ville (1).
On observait tous les types de cette maladie, depuis
les quotidiens jusqu’aux quartes voire, bien que rare¬
ment, des types pernicieux; elle prenait parfois la
forme chronique avec des suites. graves (engorge¬
ment de la rate, hydropisie, etc.) ; mais elle guéris¬
sait d’ordinaire, lorsqu’elle était traitée à temps.
Le sulfate de quinine était déjà en vogue à l’hôpital
militaire de Strasbourg ; Tourdes affirme même que
cet établissement a été le premier qui l’ait employé
en grand.
Recherchant la cause de l’augmentation considé¬
rable du nombre de fièvres intermittentes, pendant
les années 1825 à 1828, Tourdes s’exprima comme
suit ;
Strasbourg n’est pas la seule ville, où ces maladies aient
été plus fréquentes ; la même augmentation s’est fait remar¬
quer dans la plupart des contrées de la France et autres
régions de l’Europe ; les lieux même qui en étaient exempts
ou dans lesquels elles étaient extrêmement rares, en sont
devenus le théâtre. L’an dernier, parcourant les montagnes
de la Haute-Auvergne, j’ai été frappé du nombre de ces
maladies dans les hameaux, où elles étaient autrefois tout à
fait inconnues. Ce n’est donc pas à des causes purement loca¬
les que nous devons attribuer l’accroissement des fièvres
(1) Fodéré disait de son côté (Journ. delà Soc. des scienc., etc. Vol. I,
182.’>, p. 219) : « Les soldats mis en sentinelle sur les remparts et ceux
qui ont coutume de s’y promener, lorsque les régiments sont exercés
sur les glacis, ont été exposés surtout du cété de la citadelle à con¬
tracter la fièvré. s
— 334 —
intermittentes ; cet accroissement ayant été général, cette
cause a dû aussi être générale.
Tourdes est de l’avis de Fédéré en l’altribuant
aux pluies extraordinaires qui ont inondé, à la fin de
1824, une grande partie de l’Europe.
Les inondations causées par ces pluies, le débordement
des fleuves et des rivières qui en a été la suite, ont non seule¬
ment accru l’étendue des marais existants, mais ont encore
multiplié leur nombre. L’influence des marais ayant acquis
une plus grande activité, les lièvres intermittentes ont dû
nécessairement être plus communes et plus ordinaires. L’exten¬
sion des eaux marécageuses n’est pas une simple supposition,
chacun a dû être frappé de leur prodigieux agrandissement.
Ne voir dans l’accroissement des exhalaisons qui s’échappent
de ces eaux et dans celui des fièvres intermittentes qu’une
réunion purement fortuite et accidentelle, ce serait mécon¬
naître la connexion qu’on a remarqué de tous temps entre ces
exhalaisons et ces fièvres, et nier les rapports qui existent entre
les causes et les effets d’un même ordre.
Tourdes cite comme preuve à l’appui de cette
thèse, le fait que « les condamnés au boulet, enfermés
la plupart du temps dans leurs ateliers (à la cita¬
delle). .. sont plus à l’abri des vapeurs qui s’échap¬
pent des fossés et par là moins sujets aux fièvres
intermittentes ».
La croyance à l’action délétère des effluves ou
miasmes des marais qui était générale, ne devait pas
satisfaire l’esprit investigateur de J. Tourdes ; aussi
l’introduction de son mémoire commence-t-elle par
cette réflexion : « Un voile obscur couvre encore le
siège et la nature des fièvres intermittentes. »
Ce voile est aujourd’hui soulevé : M. Laveran nous
a fait connaître le rôle des anophèles dans la dissé¬
mination de la fièvre paludéenne et nous savons,
d’autre part, que ces moustiques déposent à la sur¬
face d’eaux stagnantes leurs œufs, qui s’y dévelop¬
pent et fournissent de nombreuses générations. Rien
d'étonnant après cela, si c’est particulièrement au
voisinage des eaux marécageuses que l’on est exposé
à devenir la proie et la victime de ces bestioles.
— 335 —
La fièvre paludéenne qui était, jusqu’au delà de la
moitié du siècle dernier, la maladie dominante à
Strasbourg et dans les localités environnantes, a pour
ainsi dire disparu complètement dans ces régions
par suite des nombreux et judicieux travaux d’assai¬
nissement, parmi lesquels il faut attribuer la part
principale à un canal de dérivation établi entre le
Rhin et l’Ill, garantissant les alentours contre un
débordement ultérieur de la rivière. On était déjà
arrivé auparavant à un degré d’assainissement du sol
fort important, grâce à des moyens tels que l’endi-
guement du Rhin, la rectification du cours de l’IIl,
le comblement de marais et bas-fonds. Leur assè¬
chement, même temporaire, suffit à réduire considé¬
rablement la mortalité palustre, comme j’ai pu le
constater à la colonie pénitentiaire d’Ostwald, près
de Strasbourg.
Etaient atteints dans cet établissement de fièvre
intermittente :
en 1861
1862
1863
1864
38 "/“ des jeunes détenus
62 » »
38 » »
22 » »
Il existait à proximité du domaine de la colonie
un routoir, vrai marais sans écoulement des eaux,
dans lequel pourrissaient les débris de chanvre.
C’est à ce voisinage que j’attribuais particulièrement
ces fièvres. Ce point de vue était justifié : on rectifia
le routoir, de façon à n’y plus laisser séjourner l’eau
que le temps nécessaire au rouissage du chanvre.
Deux ans après, les cas de fièvre intermittente étaient
tombés à 1 0/0.
Comme l’a déjà indiqué Fodéré, en 1825, c’est
donc bien dans l’aménagement du sol que se trouve
le moyen prophylactique le plus sûr contre le palu¬
disme.
Mais chose singulière, bien que le nombre des
marais ait beaucoup diminué autour de Strasbourg,
il n’en subsiste pas moins une assez grande quantité
— 336 —
dans son voisinage immédiat, comme le prouvent les
moustiques qui incommodent la population pendant
une partie de l’année. Ce sont les anophèles qui ont
presque totalement disparu ; il s’en trouve encore,
mais en très petit nombre. Comment se fait-il qu’ils
ne se développent plus, là où d’autres culicides con¬
tinuent à se multiplier ?
Ce problème demande peut-être encore des re¬
cherches; mais il est certain que la fièvre paludéenne
ne figure plus dans le cadre nosologique de Stras¬
bourg et de ses environs (1).
Duvernoy (Louis-Georges), né à Montbéliard en
l’année 1777, fait ses premières études dans sa ville
natale et se rend plus tard à Stuttgard, à Strasbourg,
puis à Paris pour y étudier les sciences naturelles et
médicales. A l’âge de 22 ans, il est à l’armée des
Alpes en qualité de pharmacien; deux ans après il
est reçu docteur en médecine à Paris où G. Cuvier,
son compatriote et parent, le retient pour collaborer
à ses Leçons d'anatomie comparée.
Duvernoy retourne à Montbéliard, en 1813, y pra¬
tique la médecine et se marie; mais Cuvier le récla¬
mant, il revient à Paris et y est bientôt nommé pro¬
fesseur adjoint de zoologie à la Faculté des sciences.
Toutefois, atteint de nostalgie, il préfère reprendre
le collier de médecin praticien et parcourt, en cette
qualité, pendant plus de vingt ans les vallées et les
montagnes de son pays.
A la suite de malheurs de famille, — il avait perdu
sa femme et plusieurs de ses enfants — il se décide,
en 1827, à accepter la chaire dhistoire naturelle à la
Faculté des sciences de Strasbourg. Il ne tarde pas à
acquérir, dans ses nouvelles fonctions, une grande
notoriété ; aussi se voit-il bientôt nommé doyen de
cette Faculté et appelé finalement à Paris comme
(1) Nous ayons traité cette question de la disparition de la fièvre
intermittente, à Strasbourg, dans un article paru dans la Revue d'hy¬
giène (mai 1907, p. 417).
— 337 —
professeur au Collège de France et au Muséum d'histoire
naturelle. L’Académie des sciences le comptait aussi
parmi ses membres.
Les travaux dus à l’activité de Duvernoy sont con¬
sidérables, il en a communiqué quelques-uns à la
Société des sciences de Strasbourg; mais comme ils
se rapportent presque exclusivement à l’histoire na¬
turelle proprement dite, je ne m’occuperai que de
l’intéressante note qu’il a rapportée à la Section de
médecine sur une grossesse double parvenue à terme,
durant laquelle l'un des jumeaux a péri au sixième
mois, sans que le développement normal de l'autre ail
été arrêté (1).
La femme enceinte de ces jumeaux fit une chute
grave au sixième mois de sa grossesse; arrivée à
terme, elle mit au monde une fille vivante bien cons¬
tituée, suivie immédiatement d’un fœtus (2) com¬
plètement desséché, ayant le développement osseux
de ceux de six mois environ. Les os paraissaient, à
première vue, dénués de chair et de peau; les parties
molles des parois abdominales étaient retirées vers
la colonne vertébrale et comme racornies; autour des
articulations, les ligaments maintenaient les os en
rapport.
Tête comprimée sur ses côtés et très aplatie dans
ce sens; pariétaux et temporaux rapprochés, mais
détachés de l’occipital avec bords faisant saillie sur
les côtés ; les deux branches de la mâchoire non
encore soudées dans l’angle qu’elles font en avant.
Côtés de la face rendus asymétriques par suite de la
compression des os, sous l’effet de la dessiccation ;
tronc et membres contournés dans leurs articula¬
tions et dans les parties non encore ossifiées. Quel¬
ques traces d’une sorte de croûte'charnue autour des
humérus et derrière les fémurs.
(1) Nouveaux Mémoires de la Société des Sciences, etc. T. II (18361
p. 223. ‘
(2) Les figures de la planche représentent les dimensions du fœtus
réduites. Ouvernoy l’a déposé au Musée d'histoire naturelle de Stras¬
bourg, où il existe peut-être encore, vu qu’il a pu être conservé dans
son état de momification, sans autre préparation.
- 338 -
Les vestiges de muscles les plus apparents se
voyaient aux épaules, à la région cervicale posté¬
rieure^ aux lombes et aux parois abdominales. La
région ombilicale présentait une saillie pyriforme,
d’où sortait le cordon ombilical desséché, racorni cl
mesurant environ 0'"41 de longueur.
Duvernoy, après cette description, ajoute que l’his¬
toire de cette grossesse prouve entre autres :
— 339 —
1“ Jusqu’à quel ^oint il peut y avoir indépendance de vie
et de développement de deux foetus dans les grossesses
doubles ;
2“ Que la mort d’un fœtus, convertissant celui-ci en un
corps étranger n’ayant plus de liaison organique avec la ma¬
trice, ne détermine nécessairement ni la mort de l’autre fœtus,
ni tout au moins son expulsion prématurée ;
3“ Que ce cas singulier est « un nouvel exemple de l’activité
de l’absorption qui a lieu dans l’utérus pendant la grossesse,
soit par les parois de l’utérus, soit par les enveloppes du
fœtus et des moyens de conservation qui en résultent pour la
vie normale.
Néà Nantes, en 1762, (René-Pierre) fit dans
cette ville ses études classiques et s’engagea à dix-huit
ans corn me sim pie soldat dans un régiment d’infanterie
— 340 —
à Caen, régiment privilégié du roi, auquel était atta¬
ché une école, destinée à former des jeunes chirur¬
giens pour l’armée. Flamant y entra comme surnu¬
méraire et, au bout d’un an, obtint par concours l’un
des premiers brevets qui furent accordés. Le régi¬
ment ayant changé de garnison pour se rendre à Nancy,
Flamant lut autorisé à poursuivre dans cette ville les
études médicales et obtint, en 1785, la laveur de les
continuer à Paris; il séjourna dans la capitale jus¬
qu’en 1787, fréquentant avec prédilection les leçons
de Devault (chirurgie) et de Lauverjat (accouche¬
ments). De retour à Nancy, il fut nommé démonstra¬
teur d’anatomie à l’école de son régiment et se fit
recevoir docteur en médecine.
Flamant resta attaché à l’armée en qualité de chi¬
rurgien, jusqu’à ce que la Convention réinstallât,
pour former des médecins militaires, desjÉcoles de
médecine à Paris, Montpellier et Strasbourg. Il bri¬
gua alors un poste de professeur à celle de cette der¬
nière ville et sa demande ayant été agréée, il fut char¬
gé de l’enseignement de la pathologie externe et de
la médecine opératoire, en même temps que des cli¬
niques de chirurgie et d’accouchements. Se sentant
une grande prédilection pour cette dernière branche
de la médecine, il se déchargea successivement des
autres et se consacra spécialement aux accouche¬
ments, en même temps qu’à la gynécologie et à l’édu¬
cation physique des enfants.
Le professeur Stoltz qui fut son élève préféré, son
successeur et son panégyriste, nous apprend (1) que
ce maître possédait une instruction aussi étendue que
solide ; qu’il était doué d’une rare facilité d’élocution,
développant avec chaleur et une lucidité d’esprit
remarquable les questions les plus arides et les plus
épineuses.
Flamant devait sa réputation à son enseignement
plutôt qu’à ses écrits ; il publiait peu, de parti pris.
(1) F. Al. Stoltz. Notice hitiorique eur Flamant, lue à la Séance géné¬
rale de la Faculté de médecine (de Strasbourg), en Décembre 1833,
— 341
alléguant qu’il ne savait rien de nouveau. Gela ne l’a
pas empêché d’être correspondant de l’Académie de
médecine et de hautes Sociétés savantes de l’étran¬
ger.
Il a cependant fait paraître en 1816 un Mémoire sur
le forceps et a, de 1828 à 1832, collaboré activement
au Dictionnaire des Sciences médicales.
A la section de médecine de la Société des sciences
de Strasbourg, il a communiqué le Mémoire sur un
bandage de la fracture de la clavicule (1) que nous
allons résumer.
Après avoir indiqué les préceptes d’Hippocrate et
de Paul d’Égine sur la fracture de la clavicule, l’au¬
teur constate que le premier a déjà bien saisi les indi¬
cations de la réduction de cette fracture, tandis que
le second eut l’idée de l’application d’une pelote sous
l’aisselle et que Richerand est mal fondé de préten¬
dre que « les Arabes et Ambroise Paré avaient entre¬
vu cette nécessité. »
Flamant montre ensuite les inconvénients des ban¬
dages qu’on employait de son temps, y compris celui
de Desault et de Boyer, et termine par la description
de celui qu’il a imaginé :
L’appareil du pansement consiste dans un petit sac de linge
de six à huit pouces de profondeur et assez large pour loger
le coude, terminé à son entrée par deux angles, dont celui
qui passe sous l’avant-bras doit-être plus long, afin de former
une espèce de gouttière pour le soutenir. A ces deux angles
on fixe deux bandes longues de trois aunes et larges d’environ
trois travers de doigt.
Le coussin ne doit pas présenter l’épaisseur invariable de
trois pouces ; souvent il s’est trouvé trop épais ; et a fatigué le
malade, au point de forcer le chirurgien à desserrer le banda¬
ge. Il ne s'agit pas, pour soutenir l’extension continuée, de
tenir les deux fragments bien éloignés l’un de l’autre ; il suffit
seulement qu’ils ne se pressent pas et dans le cas dont nous
parlons, une pelote dans le creux de l’aisselle, comme l’indi¬
que Faut cFEgine, eût rempli l’indication. Mais, lorsqu’on veut
employer le coussin, on lui donne la longueur de la moitié du
(1) Mim. de laSociilé des Sciences, etc. T, I (1811), p. 371.
Bull. Soc. fr. hist. méd., XII, 1914 23
— 342 —
bras à peu près ; on fixe à ses deux angles supérieurs deux
bandes de deux aunes de long et deux pouces de large.
Si le chirurgien est seul, il place le bras du côté malade sur
son épaule, en lui faisant décrire un angle droit avec le tronc.
Il applique la base du coin sous l’aisselle, conduit oblique¬
ment les deux globes devant et derrière la poitrine, jusque sur
l’épaule du côté opposé, où il les croise; descend sous l’ais¬
selle, où il les croise de nouveau et les ramène, l’un en
devant, l’autre en arrière, sur le coin, pour terminer par un
ou deux circulaires autour de la poitrine. S’il y avait de l’in¬
convénient à serrer cette cavité, on fixerait le coin au cou du
blessé.
On abaisse ensuite le bras contre le tronc ; on plie l’avant-
bras sur le bras ; on engage dans le sac le coude, qu’on appli¬
que contre les côtes : on porte la main devant l’épaule du côté
sain et l’avant-bras est soutenu par l’angle fait en forme de
gouttière ; on monte les deux globes en avant et en arrière sur
l’épaule saine, où on les croise sur une compresse pliée en
plusieurs doubles ; on revient par le même chemin sur le
coude, où l’on serre pour le relever et le presser contre le
tronc ; puis on remonte une seconde fois sur l’épaule, ou des¬
cend sous l’aisselle croiser les deux globes et on finit par un
ou deux circulaires autour de la partie inférieure de la poitrine
et du bras. On fixe les deux chefs avec une épingle, ou mieux
avec deux petits cordons cousus à l’extrémité des bandes. S’il
est nécessaire d’appliquer un appareil sur la /racture, on la
maintiendra au moyen d’une longuette fixée en avant et en
arrière aux jets obliques du coin ou du bandage du coude. On
coud sur le fond du sac une bandelette, que l’on noue par des¬
sus les croisées qu’on a faites sur le coude, afin de les empê¬
cher de glisser. Lorsque le sixième ou septième jour arrive
sans accident, on peut habiller le malade et le laisser prome¬
ner.
Cet appareil, ajoute l’auteur, a l’avantage de remplir parfai¬
tement les deux indications, proposées par Hippocrate et Paul
d’Égine, de modérer les mouvements d’élévation et d’abaisse¬
ment du bras, d’empêcher le coude de s’éloigner du tronc, de
maintenir sans épingles, de ne point comprimer sur la frac¬
ture, de laisser la poitrine beaucoup plus libre qu’avec les
bandages précédents, de pouvoir être appliqué par le chirur¬
gien le moins instruit, et dans un besoin pressant, de pouvoir
se panser soi-même.
Si l’on compare le bandage dont nous reprodui-
- 343 —
sons le dessin, à celui de Mayor, il y a des raisons de
croire que ce dernier n’a fait que modifier le modèle
de Flamant. Du reste il n’est pas improbable que le
chirurgien de Lausanne, de quatorze ans plus jeune
que le professeur de Strasbourg, ait été son élève,
vu que les Suisses (Mayor était Vaudois) venaient
souvent à Strasbourg pour y faire en partie ou totale¬
ment leurs études médicales (1).
Coze (Pierre) était le fils d’un agriculteur d’Amble-
teuse (Pas-de-Calais). Après avoir terminé ses études
secondaires, il se rend à Paris et y acquiert de
(1) Do toutes fasons Mayor a pu connattre le bandage de Plumant, par
la publication qui en a été laite dans le 1°' Tolume des Mémoires de la
Société des sciences agriculture et arts de Strasbourg, paru en 1811,
p. 371.
- 344 -
sérieuses connaissances en médecine. A l’âge de
25 ans il est médecin militaire, mais quitte l’armée
au bout de quelques années pour occuper le pv)ste de
prolesseur de clinique interne à Strasbourg, après
qu’on eût rétabli l’Ecole de médecine, supprimée avec
les Ecoles similaires en France à l’époque de la tour¬
mente révolutionnaire.
P. Coze a rempli de 1814 jusqu’à sa mort, surve¬
nue en 1821, les fonctions de doyen de cette Ecole,
transformée plus tard en Faculté de médecine. L’Aca¬
démie de médecine le comptait parmi ses membres
correspondants.
Le fils de P. Coze fut également doyen de la Faculté
de médecine de Strasbourg, de 1835 à 1857, et y intro¬
duisit de nombreuses et fort heureuses modifications.
Son petit-fils, Pierre-Léon Coze, était du nombre
des professeurs de cette même Faculté qui, après les
malheureux évènements de 1870, partirent pour
Nancy et y continuèrent leur enseignement.
P. Coze s’occupait particulièrement de topographie
et de statistique médicales, d’hygiène, etc. Il fut aussi
un des plus fervents propagateurs de la vaccine; c’est
à lui qu’est due la note que j’ai publiée ailleurs (1), où
il réclame pour Strasbourg la priorité de la vaccine
en France, vu qu’à Paris on n’a essayé le vaccin qu’en
mai 1800, alors qu’à Strasbourg on l’avait déjà ino¬
culé à un enfant en novembre 1799.
P. Coze a de plus présenté à la Section de méde¬
cine des observations sur le scorbut aigu, sur la tem¬
pérature des eaux courantes et stagnantes des envi¬
rons de Strasbourg, ainsi qu’une statistique sur la po¬
pulation de cette ville de l’an VI à l’àn X de la Répu¬
blique (2) ; je ne m’arrêterai que sur cette dernière
communication.
L’auteur évalue pour cette époque à une cinquan¬
taine de mille âmes la population de Strasbourg et
(1) D. Goldscbhidt. Réglementation et résultats de la vaccine obli¬
gatoire en Alsace-Lorraine. Rev. de médecine, novembre 1902.
(2) Mémoires de la Soc. des Sciences, agriculture et arts de Strasbourg,
U II (1823), p. 56-69.
— 345 —
présente ce relevé, dont il a puisé les éléments dans
les actes de l’état civil :
Années Naissances Mariages Divorces Adoptions Décès
VI 2219
VII 2129
VIII 2162
IX 2194
X 2124
10828
589 19
367 35
337 27
454 23
540 28
2287 132
0 1627
0 1669
0 1971
2 1731
3 1312
" 5 ^ ’ 8310
L’auteur reprend chacune de ces rubriques, les
commente ou y ajoute des réflexions.
Naissances. Parmi les 10828 nouveau-nés figu¬
rent 1916 enfants illégitimes, soit un enfant hors
mariage sur 4,56 légitimes. Notons qu’on comptait
alors à Strasbourg près de 4 naissances par ménage.
Mariages. Après le traité de Campo-Formio, on
estime que la guerre est pour longtemps éloignée des
frontières de l’Est ; aussi contracte-t-on 589 mariages
en l’a» VI. La guerre ayant recommencé, le nombre
des mariages tombe à 367 et à 337 dans les deux
années suivantes; sitôt la guerre terminée, il remonte
de nouveau à 454 et 540 durant les années IX et X.
Divorces. Les divorces ou séparations de corps sont
représentés dans ce tableau par 1 sur 17,33 mariages,
chiffre remarquable pour l’époque.
Adoptions. « Quoique Montesquieu, dit l’auteur, ait
condamné les adoptions en général, il me semble que
la loi qui les autorise ne peut être abusive dans un
pays, où l’égalité politique est constitutionnelle. Dans
les gouvernements aristocratiques ou monarchiques
on n’adopte, comme le remarque le célèbre écrivain
que nous venons de nommer, des enfants que pour
perpétuer des prérogatives ou des dignités : dans l’état
actuel de la France, c’est un acte de pure bienfaisance
que les magistrats ne sauraient trop encourager. »
Mortalité. On remarquera dans le tableau ci-dessus
la faible mortalité de l’an X comparativement à celle
des années précédentes. Coze l’attribue entre autres
— 346 —
à d’heureux concours météorologiques (sécheresse,
etc.); la faible mortalité de l’année en question a
d’ailleurs été observée dans les principales villes du
département du Bas-Rhin.
Dans les 8310 décès du tableau, figurent ceux de
244 personnes âgées de 80 à 90 ans et ceux de 27 vieil¬
lards de 90 à 100 ans.
Sont mortes, d’autre part, près d’une pour cent des
accouchées, ce qui d’après le chiffre des naissances
donnerait approximativement 108 décès parmi les
accouchées en cinq ans, ou en moyenne plus de 21
par an. Les mesures antiseptiques prises à l’heure
actuelle, pour garantir les accouchées contre l’infec¬
tion, ont bien diminué le danger auquel elles sont
exposées.
Ehrmann
Ehrmann (Charles-Henri) était strasbourgeois de
naissance et appartenait à une lignée de médecins.
Son grand’père, J. Chrétien Ehrmann, était physicien
de la ville de Strasbourg, maître de l’Ecole d’obsté¬
trique et de pharmacie, en même temps que doyen à
vie du Collège médical (decanus collegii medici).
— 347
Son père, J. Frédéric Ehrmann, était professeur de
clinique médicale et comptait Gœthe parmi ses
élèves (1), dans les années 1770-1771.
Son oncle, ami de Gœthe et du même âge que lui,
avait également embrassé la carrière médicale; il n’y
a donc rien d’étonnant à ce que Charles Ehrmann ait
marché sur les traces de cette lignée médicale (2).
Docteur en médecine à vingt ans (en 1812), il prit part
en qualité de chirurgien aide-major aux campagnes
de 1813 et de 1814. Après les revers de Napoléon et
le licenciement de son armée, il revint dans sa ville
natale, où il fut nommé médecin des prisons. Il
enleva peu d’années après, au concours, la place de
prosecteur (en 1818) et celle de chef des travaux
anatomiques (en 1822), succéda bientôt à Thomas
Laiith comme professeur d’anatomie normale et
obtint à la mort de Lobstein, professeur d’anato¬
mie pathologique, qu’on joignît cet enseignement
au sien.
Ch. Ehrmann succéda en même temps à Lobstein
dans ses fonctions d’accoucheur en chef des hospices
civils, fonctions qui l’obligeaient à instruire les élèves
sages-femmes, et c’est grâce à son intervention que
fut créé pour elles un internat à l’hôpital; jusque-là
elles avaient logé sans surveillance en ville.
Comme professeur d’anatomie normale et patholo¬
gique, Ehrmann eut aussi la direction du Musée d’ana¬
tomie; il s’y employa avec ardeur, inventoria, classa,
augmenta sans cesse la riche collection de pièces ana¬
tomiques déjà recueillies par ses prédécesseurs et qui
forma bientôt un des plus remarquables musées de ce
genre.
(1) D’après Lœper (Ses œuvres, XXI, p. 375), Gœthe aurait suivi les
leçons de J.Chrétien Ehrmann, ce qui me paraît invraisemblable, vu que
celui-ci n’était professeur que de nom, tandis que son fils était en qua¬
lité de professeur agrégé chargé de l’enseignement de la clinique, è
l’époque où Gœthe séjournait à Strasbourg.
(2) Son fils unique, Albert Ehrmann, qui en qualité de médecin mili¬
taire avait pris part à l’expédition du Mexique et en était revenu guéri
d’une attaque de fièvre jaune, fut emporté, en 1871, par la dysenterie
qu’il avait contractée pendant le siège de Metz, où il s’était multiplié
dans la rude besogne de médecin en chef.
— 348 —
Nommé doyen de la Faculté de médecine, en 1857,
Ehrmann garda ces fonctions avec celles de professeur
d’anatomie jusqu’à l’année 1867, époque à laquelle il
prit sa retraite ; il avait alors 75 ans et avait appartenu
à l’Université pendant près d’un demi siècle. Il se
livra encore à quelques travaux de prédilection,
jusqu’au moment où la mort vint le surprendre, en
1878.
Ehrmann a joui d’une haute considération bien
méritée en France et à l’étranger; de nombreuses so¬
ciétés scientifiques, l’Académie de médecine entre
autres, l’ont compté parmi leurs correspondants. A
Strasbourg, il était particulièrement estimé dans tous
les milieux, surtout parmi ses collègues et confrères,
qui l’ont maintenu pendant de longues années à la
présidence de l’Association de prévoyance des méde¬
cins du Bas-Rhin.
Ehrmann a présenté à la section de médecine des
observations de ligature d’artères, d’opération de ca¬
taracte, d’affections catarrhales, d’une hémorragie
nasale ayant occasionné la mort d’un jeune homme,
dont les fosses nasales et les fosses gutturales étaient
remplies de végétations, qui avaient « effacé les cor¬
nets et déjeté à droite la cloison des narines », etc.
Je ne m’arrêterai toutefois qu’à une communication
très intéressante d’Ehrmann, ayant trait à la situation
déplorable au point de vue hygiénique des prisons
civiles de Strasbourg (1), avant 1823.
Ces prisons se composaient alors : 1® de la maison
de correction, dite Raspelhus en dialecte alsacien,
qui sert encore aujourd’hui à ces fins ; 2® de quatre
tours (2) situées dans le quartier des Ponts-cou¬
verts (3) et qui ont fait partie d’anciennes fortifications
(1) Ch. EHRHA.NN. Coup d’œil sur l’état actuel des prisons ciriles de
Strasbourg. Journ. de la Soc. des $e. agric. et arts du Bas-Rhin. T. I,
(1824), p. 209.
(2) Il en existait cinq; l'une d’elles fut rasée, en 1860, après avoir été
incendiée par une main criminelle (Seyboth).
(3) Le nom de Ponts-couverts vient de ce que ces ponts étaient cou¬
verts de grandes toitures jusqu’en 1784.
— 349 —
de la ville, celles du xm* ou du xiv® siècle. La première
deces tours, appelée tour auxfers, était destinée aux
civils et militaires condamnés aux travaux forcés.
Dans la seconde de ces tours, on enfermait les pré¬
venus hommes; la troisième et la quatrième servaient
de maison d’arrêt, l’une pour les hommes, l’autre
pour les femmes.
L’insalubrité de ces tours était excessive ; leur
mobilier « se réduisait à quelques poêles, à un petit
nombre de couvertures, à quelques baignoires pour
les malades. En fait de linge, de literie et d’habille¬
ments, il n’existait aucune provision. » Les détenus
sans ressources conservaient la chemise et les vête¬
ments, dont ils étaient couverts en entrant dans la
prison, jusqu’à ce qu’ils tombassent en lambeaux.
Les hommes ne pouvaient se procurer quelque
argent par le travail ; ils « couchaient pêle-mêle sur
des lits de camp garnis de paille et jusque sur les
Les prisonniers étaient à peu près à la discrétion
des concierges pour le prix de location des lits et des
comestibles; on les menait les dimanches et jours de
fête aux offices religieux, « quand leur état de nudité
ne les empêchait pas d’y assister. Une malpropreté
dégoûtante, un état de dénuement et de misère étaient
une suite inévitable de l’abandon dans lequel se trou¬
vaient les prisonniers. »
Ce triste état de choses a disparu, en 1823, après
la construction de la maison de détention située rue
du Fil, derrière l’ancien Palais de justice qui est
actuellement occupé par la direction de police.
LereiouZZei (Dominique-Auguste), originaire d’Epi-
nal, fit ses études classiques au lycée de Colmar
(Haute-Alsace) et après avoir été reçu bachelier ès-
(1) Seyboth (Strasbourg historique et pittoresque, 1894, p. 435), dit
a-voir eu sous les yeux une pétition adressée à la municipalité de 1792,
dans laquelle « les malheureux détenus dans les fers, se plaignent do
n’avoir même pas de p'aille pour s’y coucher ».
— 350 —
lettres et ès-sciences, se rendit à l’Université de Fri¬
bourg en Brisgau, pour se familiariser avec la langue
allemande.
Etudiant en médecine à Strasbourg, en 1827, il fut
interne à l’hôpital civil et remporta plusieurs des prix
décernés annuellement aux élèves de la Faculté de
médecine.
Lereboullet
Le choléra venait d’éclater à Paris, en 1832; Lere¬
boullet demanda à y être envoyé pour étudier le fléau
encore peu connu. A son retour, il s’arrêta à Bar-le-
Duc, où régnait le choléra ; il y prodigua ses soins à
de nombreux malades, avec une abnégation absolue.
Il avait de la sorte pu réunir une quantité de docu-
— 351 —
mentspour sa thèse de doctorat qu’il consacra à cette
terrible affection (1),
Il soutint dans son mémoire la contagiosité de la
maladie, contrairement à l’opinion courante de l’épo¬
que, et la Société médicale de Bruxelles, en 1833, jugea
son travail digne d’être couronné.
Duvernoy, qui était professeur d’histoire naturelle
à l’Université de Strasbourg avant d’être appelé à
Paris, offrit au jeune docteur la place de préjîarateur
de zoologie devenue vacante. Quelques années après,
eh 1838, Lereboulletsefit recevoir docteur ès-sciences.
Duvernoy ayant accepté au Collège de France la
chaire d’histoire naturelle des corps organisés, l’en¬
seignement de la zoologie et de la physiologie ani¬
male à la Faculté des sciences de Strasbourg fut
dévolu à Lereboullet.
La partie essentielle et fondamentale du cours pro¬
fessé par le nouveau titulaire fut consacrée, dès 1839,
à rhistologié humaine et comparée et il eut l’incon¬
testable mérite d’avoir, le premier en France, inau¬
guré cet enseignement (Hergott). Il fut aussi l’un des
premiers à s’intéresser à l’embryologie et ses recher¬
ches d’embryologie comparée sur le développement
du brochet, de la perche et de l’écrevisse sont pleines
de constatations nouvelles et curieuses.
Lereboullet comptait parmi les naturalistes les plus
éminents de son époque; il a fourni une quantité de
travaux, dont plusieurs ont été couronnés par l’Aca¬
démie des sciences de Paris. Il ne s’est toutefois pas
cantonné exclusivement dans sa branche, mais a con¬
tinué de s’intéresser vivement à la médecine. Il a
pendant près de trente ans rendu compte des travaux
médicaux de l’Allemagne dans la Gazette médicale de
Paris, a écrit pour le Dictionnaire encyclopédique des
sciencesle remarquable article « Anatomie philoso¬
phique (2) » et a adressé à l’Académie de médecine
(1) Choléra mordus, observé à Paris etdansle département delaMeuse,
pendant l’année 1832.
(2) Pendant qu’il corrigeait les dernières épreuves de cet article, Lere-
boullet [ut frappé d’un coup d’apoplexie auquel il succomba. Il n’avait
que 61 ans.
— 352 -
un mémoire dans lequel, s’appuyant sur ses obser¬
vations microscopiques, il a décrit l’anatomie nor¬
male du foie et la nature des altérations patholo¬
giques dans le foie gras, mémoire qui lui a valu le
prix Portai.
J’ai été à même d’apprécier l’enseignement de cet
éminent professeur; je comptais parmi les nombreux
auditeurs pour lesquels c’était un vrai régal de suivre
son cours, dont l’attrait était rehaussé par une élocu¬
tion claireet aisée. Ses élèves l’aimaient, le vénéraient
non seulement pour ses qualités professorales, mais
encore pour sa courtoisie, son aménité et pourl’inté-
rêt qu’il témoignait à tous ceux qui s’adressaient à
lui.
Alors que de nombreuses sociétés scientifiques,
tant en France qu’à l’étranger, ont tenu à honneur de
compter Lereboullet parmi leurs membres, alors qu’il
figurait parmi les correspondants du Ministère de
l’instruction publique pour ses travaux historiques,
l’Académie des sciences, qui à cinq reprises l’a ré¬
compensé pour ses recherches dont elle a reconnu
la haute valeur, ne se l’est point attaché. 11 ne faut
pas s’en étonner : la grande modestie de ce savant
ne lui a sans doute pas permis de faire les démarches,
sans lesquelles on n’est pas reçu sous la coupole.
11 jouissait cependant d’une grande estime parmi
les savants de son époque (1).
A Strasbourg, Lereboullet a occupé successivement
(1) Lereboullet était en relations d’amitié ayec Geoffroy-Saint-Hilaire,
Milne-Edwards, Quatrefages, J. Müller, de Recklinghausen, Kœlliker,
le prince de Canino, etc.
Pour montrer à quel point on estimait ses travaux, citons un passage
d'une missive que Charles-L. Bonaparte lui avait adressée de Rome,
en 1844 :
a Cette lettre, écrivit celui-ci, vous sera remise, du moins je l’espère,
par mon illustre ami, le professeur Isidore Geoifroy-Saint-Hilaire, dans
la tournée officielle que l’Université lui fait faire dans les départements.
Je vous envie le plaisir de vous trouver avec lui et je voudrais être à sa
place pour discuter avec vous les questions que vous abordez, et qui sont
tellement intéressantes que je vous demande la permission de lire votre
lettre au Congrès de Milan dans la section de zoologie.
Peut-être voudrez-vous les développer davantage et ce serait un grand
cadeau que vous nous feriez, »
— 353 —
ou simultanément diverses fonctions honorifiques ; il
fut membre du Conseil d’hygiène et de salubrité,
secrétaire perpétuel de la Société des sciences natu¬
relles, président de la Société de médecine, président
de la Société des Sciences, agriculture et arts. C’est
de sa collaboration dans cette dernière Société et par¬
ticulièrement des travaux médicaux qu’il y a produits,
que nous allons nous occuper.
Epidémie de grippe à Strasbourg (1).
L’épidémie de grippe qui s’estabattue sur l’Europe
dans les années 1836 à 1837, régnant de façon intense
à Strasbourg, la Section de médecine de la Société
des sciences, agriculture et arts, désigna pour l’étu¬
dier une commission composée de MM. Ehrmann
(président), Forget, Hartung, Malle, Marchai fils et
Lereboullet, ce dernier comme rapporteur. La relation
que celui-ci a présentée n’est pas connue, ou du moins
n’est mentionnée par aucun auteur ; elle mérite cepen¬
dant de l’être par le nombre, la diversité et la préci¬
sion des renseignements qu’elle contient. Exception
faite de ceux fournis de nos joui-s par l’anatomie
pathologique, les recherches microscopiques et bac¬
tériologiques, recherches qui n’ont été entreprises
que longtemps après l’époque où se place le rapport
en question, celui-ci fournil une description complète
de la grippe avec des considérations qui n’ont rien
perdu de leur valeur.
La grippe, commence par dire Lereboullet, n’est
pas une maladie nouvelle; « elle appartient à ces
grandes épidémies qui viennent à des intervalles irré¬
guliers décimer les nations, sans qu’on ait pu jus¬
qu’ici ni en découvrir la cause mystérieuse, ni mettre
des bornes à leur invasion. Elle a reçu les noms les
plus variés suivant les temps et les lieux. Appelée
successivement par les Français tak^ ladendo, ho¬
rion, quinte, coqueluche, baraquette, follette, grenade,
(1) Noup, mém, de la Soc. de» tciencee, agriculture et artt du départe¬
ment du Bae-Rhin. 79,
- 354 —
coquette, petite peste, chapeau quarré, Qic., elle était
désignée en Alleniagne par les noms de Pips, Scha-
fhusten, Modekranhheit, BurzeLen, Ganser, Fiasse,
Kelen, etc., dénominations remplacées de nos jours
par celle de grippe ou à'influenza. »
Lereboullet mentionne £^lors les différentes épidé-
démies de grippe connues jusqu’à l’époque de son
rapport : ce n’est qu’à partir du xiv" siècle qu’on recon¬
naît avec quelque certitude les caractères de la grippe ;
elle paraît avoir régné en Italie dans les années 1323
et 1327. Une épidémie de grippe s’étendit enl387 sur
l’Italie, le midi de la France et sur tout le nord de
l’Allemagne ; « elle attaqua les neuf dixièmes de la
population et déjà on put remarquer son extension
générale et rapide, ainsi que la funeste influence
qu’elle exerçait sur les vieillards et les constitutions
débiles ».
Cette épidémie de 1387 est aussi la première de
cette nature que les chroniques mentionnent pour
Strasbourg.
Au XV® siècle, il y eut des épidémies dans les
années 1403,1411, 1414 et 1427 ; elles furent si géné¬
rales, écrivent des chroniqueurs, qu’on se vit obligé
de suspendre les audiences des tribunaux. A propos
de celle de 1427, Pasquier s’exprime comme suit dans
ses Recherches sur la France :
... Vers la Saint-Remi, cheust un air corrompu qui engendra
une très mauvaise maladie que l’on appelait ladendo, dit un
auteur de ce temps-là, et n’y avait homme ou femme qui
presque ne s’en sentist durant le temps qu’elle dura. Elle
commençait aux reins, comme si on eust une forte gravelle.
En après venaient les frissons et estait on bien huict ou dix
jours qu’on ne pouvait bonnement boire, ne manger, ne dormir.
Après ce, venait une toux si mauvaise que quand on était au
sermon, on ne pouvait entendre ce que le sermonneur disait,
par la grand noise des tousseurs, etc.
C’est sans doute à la grippe qu'il faut attribuer en
partie du moins, la grande mortalité observée à Stras¬
bourg en cette année, mortalité telle que, d'après un
chroniqueur, la grande cloche de la cathédrale, qui
— 355 —
sonnait pour tous les enterrements, se fêla à force
d’être mise en branle.
La grippe sévit encore gravement à Strasbourg
en 1510; elle envahit toute l’Europe, en 1557, et en
l’année 1580 elle parcourut non seulement l'Europe,
mais encore l’Asie et l’Afrique. On la signala partout:
« Envahissant les régions élevées et montueuses,
comme les régions marécageuses ou basses, se mani¬
festant par un temps sec et chaud tout aussi bien que
par un temps humide et froid, cette épidémie persista
pendant plusieurs saisons, quelle que fut la direction
des vents, et conserva partoutles mêmes caractères.»
Les épidémies de grippe du xvii® siècle appartien¬
nent aux années 1626, 1658, 1663, 1669, 1675 et 1693.
11 est à remarquer que jusque-là les épidémies
s’étaient étendues de l’ouest à l’est, tandis qu’à partir
du XVII® siècle elles ont suivi « une marche opposée,
de l’Orient à l’Occident ». On compta onz^e de ces
épidémies au xviii® siècle; la grippe envahit les deux
hémisphères et prit, en 1743, le nom à'influenza en
Angleterre.
En 1782, « l'influence épidémique fut si générale
qu’on vit des vaisseaux de guerre et des navires de
commerce en être atteints en pleine mer. »
Au XIX® siècle, la grippe continue sa marche
envahissante de l’est à l’ouest « et ce n’est pas à l’es¬
pèce humaine qu’elle semble borner son influence,
elle attaque aussi les animaux qui sont pris comme
l’homme de toux, d’écoulement par le nez, d’hémor¬
ragies nasales. »
Arrivant à l’épidémie de grippe de Strasbourg, en
1837, le rapporteur indique la durée de la maladie, —
elle était de trois mois — sa marche, l'influence que
l’état de l’atmosphère et de la santé générale a pu
avoir sur elle, etc. 11 estime entre 36.000 à 37.000 le
nombre des grippés : le premier âge en a le moins
souffert ; les vieillards au contraire ont presque tous
été atteints et généralement des formes les plus
graves.
Peu de familles ont été à l’abri de la maladie, alors
— 356 —
que les établissements publics ont relativement peu
souffert. 11 n’y eut aucun cas de véritable grippe au
lycée; le grand séminaire compta 30 malades sur
130 élèves et les prisons civiles 108 cas sur 360 dé¬
tenus.
Le rapport décrit ensuite en détail les symptômes
qui ont été observés ; ils sont exactement ceux que les
ouvrages classiques énumèrent encore aujourd’hui.
On y relève la prédominance des symptômes, soit
broncho-pulmonaires, soit gastro-intestinaux, soit
nerveux.
Pendant les premières semaines de l’épidémie, il
y eut plus d’angines que durant le reste de son cours ;
dans les périodes d’état et de décroissance, on a
observé en plus grand nombre des pleurésies et sur¬
tout des pneumonies.
L’épidémie s’est ainsi montrée plus grave à mesure
qu’elle approchait de sa lin ; a la mortalité n’a aug¬
menté d’une manière sensible que lorsque l’épidémie
elle-même avait cessé de régner. »
La grippe a souvent simulé le croup chez les enfants.
Des femmes ont eu des pertes utérines, d’autres ont
avorté; mais on n’a pas noté de troubles notoires de
la lactation qui pussent être attribués à la maladie.
Les vieillards, les catarrheux et les cardiaques sur¬
tout, ont gagné des pneumonies souvent mortelles et
parfois du catarrhe suffocant.
Dans l’immense majorité des cas, ajoute le rapporteur, la
grippe s’est terminée d’une manière favorable, mais le retour
à la santé a très souvent été précédé d’une longue convales¬
cence. La faiblesse et l’absence d’appétit subsistaient long¬
temps encore après la cessation des phénomènes de la grippe ;
la toux persistait quelquelois pendant des semaines entières ;
chez les vieillards surtout, elle se changeait souvent en catar¬
rhes pulmonaires très rebelles et très difficiles à guérir. Les
malades ne retrouvaient que difficilement leur disposition aux
travaux du corps et de l’esprit; quelques-uns se plaignaient
longtemps de pesanteur de tête et de vertiges et presque tous
éprouvaient une grande impressionnabilité au froid. Alors les
rechutes étaient faciles et causées par la moindre imprudence ;
alors aussi l’afiection préexistante reparaissait avec plus de
357 —
violence et marchait vers une terminaison funeste. Gette con¬
valescence lente et pénible, si peu en rapport avec la béni¬
gnité des symptômes, puisqu’elle s’observait même chez les
individus qui n’avaient été que faiblement atteints, est un des
traits caractéristiques de cette maladie.
Après avoir passé en revue la constitution atmos¬
phérique avant et pendant l’épidémie, Lereboullet
avance que « dans l’état actuel de nos connaissances,
nous ne pouvons expliquer ni le mode de production
de l’épidémie, ni sa marche régulière, c’est-à-dire
son accroissement toujours progressif, son état sta¬
tionnaire et sa déclinaison, malgré les changements
de température ou de pression atmosphérique... Par¬
tout identique malgré la diversité des climats, des
saisons, des tempéraments, des constitutions, des
habitudes, des mœurs, la grippe ne saurait évidem¬
ment tenir à des causes locales et individuelles ; elle
doit nécessairement dépendre de plusieurs causes
générales, qui jusqu’ici ont échappé à nos investiga¬
tions. »
Ges causes générales nous échappent encore. Il
est Vraisemblable, pour ainsi dire certain, qu’il s’agit
d’une infection microbienne, comme dans la rougeole
et la scarlatine ; mais de même que pources affections,
il reste à trouver le microorganisme qui est en jeu et
lorsqu’il sera connu, il faudra encore déterminer par
quel mécanisme il se propage au point de provoquer
simultanément des épidémies dans les pays les plus
variés. Nos anciens entrevoyaient bien le mystère,
mais ne disposaient pas, comme on le fait actuelle¬
ment, des moyens qui arriveront peut-être à le
dévoiler. En attendant, nous ne sommes guère plus
avancés sur ce point que nos devanciers de 1830.
Au chapitre traitement, nous relevons entre autres
l’emploi du sulfate de quinine et des bains généraux,
excellents moyens qui figurent encore aujourd’hui
parmi les meilleurs de ceux, qui servent à combattre
la grippe.
En somme, l’étude de LerebouHet est remarquable
par la clarté et la netteté de son exposition, par les
Bull. Soc. fr. hUl. méd., XH, 1914
24
— 358 —
nombreuses investigations auxquelles s’est livré l’au¬
teur et qui l’ont mis à même de fournir sur la grippe,
au premier tiers du siècle dernier, des détails qui
sur la plupart des points sont absolument complets.
L’allure singulière de cette maladie lui a suggéré des
réflexions qui méritent d’être retenues, car elles sont
encore de mise à l’heure actuelle.
Un mémoire inédit, présenté le 14 juin 1830 par
A. Lereboullet à la Section de médecine, a pour titre :
L'endurcissement du tissu cellulaire des enfants
nouveau-nés. 11 en avait observé un cas à l’hospice
de Strasbourg et en profita, pour se livrer à de nom¬
breuses recherches sur cette affection plus connue
sous le nom de Sclérème des nouveau-nés. Il fit ainsi
une monographie, qui témoigne hautement de sa
conscience scientifique par la multiplicité des docu¬
ments qu’il y a rassemblés, par la "clarté avec laquelle
il a exposé le tableau clinique de cette maladie, par
le souci qu’il a eu de donner une sanction thérapeur
tique à ses recherches. Ce mémoire constitue plutôt
une revue critique qu’un travail personnel, mais il
contient un ensemble de documents qui, actuellement
encore, seraient profitables pour celui qui voudrait
écrire l’histoire du sclérème des nouveau-nés.
A. Lereboullet a encore présenté à la Société des
Sciences deux mémoires fort importants, l’un sur la
Multiplication artificielle des poissons, l’autre intitulé :
Esquisses zoologiques de l'homme. Le professeur
strasbourgeois a dans ce dernier travail, épousé les
idées de Buffon et de Cuvier. Spiritualiste convaincu
comme eux, il appartenait à une époque où la théorie
de l’évolution et du transformisme n’avait pas encore
pris pied; celle-ci pose d’ailleurs un problème qui
n’est pas plus résolu que celui du monogénisme.
G. Masuyer, né en 1761, à Bellevestre (Saône-et-
Loire), étudia de bonne heure la chimie à Dijon et à
l’âge de 22 ans soutint à Montpellier sa thèse de doc-
- 359 —
torat en médecine. A partir de 1798, il professa pen¬
dant quarante ans la chimie à la Faculté de médecine
de Strasbourg.
Masuyer a communiqué à la Section de médecine,
entre autres travaux (1) ceux sur l'emploi de Vacé-
tate d'ammoniaque contre l'ivresse^ du chlorure de
chaux comme désinfectant et de la gélatine comme
aliment.
Dans une lettre ouverte adressée au directeur du
Journal de la Société (2), il revendique la priorité sur
les deux derniers points.
a) La désinfection des hôpitaux, des amphithéâtres
d’anatomie et autres lieux par le chlorure de soude ou
de chaux que l’on attribue à Labarraque, avait été
employée durant plus de dix ans à Strasbourg, avant
qu’il en ait parlé. Masuyer a d’ailleurs consigné dans
ses observations sur le typhus des armées et des pri¬
sons les avantages de ce désinfectant, et en a donné
connaissance par écrit au Conseil de santé des
armées. Son procédé consiste à semer le chlorure en
poudre sur le plancher entre les lits des malades ; il
en est enthousiaste :
Nous n’avons jamais vu, écrit-il, ce moyen employé dans
les salles où étaient des malades attaqués du typhus et autour
des lits de ces malades, sans qu’au bout d’une demi-heure ou
trois quarts d’heure au plus leur visage ne se soit trouvé
amélioré et leurs lits désinfectés. De cette manière se trouvait
prévenue l’expansion, au-delà des bords des lits, des miasmes
dont ils sont le foyer. Ces miasmes sont neutralisés et
détruits par le chlore, au moment même où ils sortent du
centre de leur émanation.
b) Masuyer raconte à quelle occasion on a offert la
gélatine des os comme aliment à la population de
Strasbourg. C’était pendant le blocus de cette ville,
en 1814; les vivres, la viande surtout, commençaient
(1) Nous avons déjà parlé de sa collaboration dans le travail de
Lobstein sur t Anévrisme actif du ventricule gauche du cœur.
(2) Journ. de la Société des Sciences... T. 1 (1824j, p. 154.
360 —
^ «i^nqùér. Le préfet' Lezay-Màrnésia (1) le manda
alors avec de Gimbernat, un autre chimiste, pour
savoir d’eux si l’on pouvait au moyen d’acides extraire
en grand la gélatine des os, au lieu d’employer le
procédé de Cadet qui laisse un goût raiice à la matière.
Ces messieurs furent d’avis qu’il y aurait avantage à
procéder par les acides et Masuyer fournit au bout
de jours de la gélatine au punch, au rhum, au
blanc manger et de la gélatine sans mélange parfai-
tepieiif) clarifiée. Après l’avoir goûtée, on jugea
qq’ellq pouvait être utilisée pour la confection de
soupes économiques. Le préfet lit alors transporter
tous les os des viandes consommées dans les hôpi¬
taux au laboratoire de la Faculté de médecine, « qui
bientôt en fut encStabré» ; on fournit ainsi quotidien¬
nement de cinquante livres à un quintal de gélatine
pour les soupes économiques jusqu’à la fin du
blocus. ,
Pendant que Masuyer s’occupait ainsi de la fabrica¬
tion de la gélatine, de Gimbernat en extrayait d’os de
mammouth qu’il avait trouvés dans le grand duché de
Bade et qu’il destinait à ce qu’il appelait des bouillons
antédiluviens.
Masuyer polémise alors sur l’antériorité de ce
qu’il appelle sa découverte sur Darcet qui, d’après
Michelot (2) proposait seulement vers la fin de mai
1814, alors qu’on devait savoir à Paris ce qui s’était
passé durant le siège de Strasbourg, l’emploi de la
gélatine des os pour les bouillons et les soupes éco¬
nomiques. Le professeur de Strasbourg se plaint de
(1) Le marquis de Lezay-Marnésia a laissé de profonds souvenirs en
Alsace, à cause des nombreuses et bienfaisantes innovations qu’il y a
introduites et qui lui valurent le surnom de Préfet des paysans. Il encou¬
ragea l'agriculture et l’élevage du bétail, améliora les voies de commu¬
nication, institua des Con^ces agricoles, etc. C’est sous son impulsion
que le corps des médecins cantonaux qu’il avait créé multiplia lès
vaccinations, au point que la variole avait pour un temps disparu dans
le Bas-Rhin. Il mourut en 1814, victime d’un accident de voiture. Son
monument dû à l’artiste alsacien Grass, existe encore devant le jardin
de l’ancienne préfecture de Strasbourg, aujourd’hui palais du gouver¬
neur (Statthalter) d’Alsace-Lorraine.
(2) Revue encyclopédique de janvier 1822, p. 5.
— 361
ce que « les découvertes faites en province ne font
jamais sensation en France que lorsqu’elles sont
reprises et prônées par les échos de la capitale. »
La lettre de Masuyer nous renseigne encore sur
les mesures prises à Strasbourg contre la dissémina¬
tion du typhus par les soldats revenus de Mayence,
où régnait cette maladie. Les arrivants étaient con¬
duits au corps de garde de la place Kléber, couchés
sur des lits de camp deux à trois heures, durant les¬
quelles ils étaient fumigés eux et leurs effets, puis
examinés ; ceux qu’on jugeait atteints étaient expédiés
à l’hôpital militaire, les autres envoyés en subsis¬
tance chez des particuliers.
L’emballement de Masuyer pour ce qu’il appelait
ses inventions n’a pas été partagé parle prof. Fodéré.
Dans une note qu’il publie à la suite de la lettre
de son collègue, il met la question au point. Pour
lui la différence entre les procédés de Masuyer et
de Labarraque consiste, en ce que celui-ci emploie
une solution de chlorure de chaux et de soude dans
l’eau, tandis que celui-là se sert de sel en poudre.
Tout ce que Fodéré a observé concernant l’efficacité
antiputride de cette substance dans les amphithéâtres
d’anatomie et les hôpitaux, lui a prouvé qu’on ne
devait pas trop s’y fier et qu’elle ne méritait pas les
éloges exagérés qu’on lui décernait. Quant à la pro¬
priété qu’on attribue au chlorure de mettre à l’abri de
la contagion, il déconseille la confiance aveugle en
ce préservatif, car ayant partagé les graves difficultés
du premier blocus de Strasbourg, il a vu beaucoup
de malades et de morts parmi ceux qui en avaient usé
et le typhus ne s’en est pas moins propagé.
En ce qui concerne la gélatine des os extraite par
le secours de l’acide chlorhydrique, Fodéré s’exprime
comme suit :
Il est certain... que M. Darcet ne peut prétendre à la
priorité en cette matière. Au surplus, c’est selon moi peu de
chose que d’avoir substitué l’acide chlorhydrique à l’ancien
procédé par la simple ébullition. J’ai goûté de la gélatine de
M. Masuyer parfumée de toutes les manières, comme il le dit
— 362 —
dans sa lettre, et je l’ai trouvée d’un goût très désagréable. J’ai
goûté aussi à la préfecture de la gélatine antédiluvienne de
M. de Gimbernat, qui m’a montré ses os de mammouth. Tout
ce que j’ai trouvé de plus intéressant en tout cela, c’est qu’ef-
fectivement, contre l’opinion d’un auteur qui a écrit en dernier
lieu sur les ossements antédiluviens, il est de fait que la géla¬
tine peut se conserver pendant plusieurs siècles dans les os.
Le besoin seul et la nécessité peuvent donner du prix à cette
substance comme aliment, lorsqu’elle est tirée des os, tandis
que son utilité dans les arts, rendue évidente par les recher¬
ches de MM. Darcet et Michelot..., forme le plus grand mérite
des travaux entrepris sur ces débris d’animaux.
Dans une communication faite l’an dernier à la
Société médicale des hôpitaux de Paris, M. E. Mau-
rin (de Clermont-Ferrand) (1) défend la valeur
nutritive de l’osséine.
L’idée première, dit-il, de faire servir la matière
organique des os à l’alimentation appartient à Denys
Papin qui publia, en 1682, un livre sur la manière
d'amollir les os et de faire cuire toutes sortes de vian¬
des en fort peu de temps et à peu de frais ; il recom¬
mande à cet effet son digesteur.
L’idée fut reprise par Provost d’Angers, professeur
de chimie à Madrid, vers la fin du xvm® siècle; et
par Darcet père et fils, au commencement du xix®; ils
étaient tous deux partisans convaincus des propriétés
nutritives des bouillons confectionnés avec la gélatine
retirée des os. Cette assertion ayant été contestée
d’autre part, la question fut portée devant l’Académie
des sciences, qui nomma une commission dite « de
la gélatine » pour se prononcer sur le litige. Après
dix ans d’investigations, Magendie fut chargé de faire
un rapport défavorable. Ce n’était pas l’avis de
Frémy : lorsqu’on octobre 1870, quand Paris était
menacé d’être assiégé par les troupes allemandes, il
assura que la gélatine, malgré l’opinion de Magendie,
avait des propriétés nutritives qu’il ne fallait pas
négliger à un moment où les moyens de subsistance
(1) E. Ma-urin. Recherches cliniques sur la valeur nulrilive et théra¬
peutique de l’osséine. Bull, et mém. de la oc. méd. des hôpitaux, 1913,
— 363 —
pourraient venir à manquer. Dans une communica¬
tion faite alors à l’Académie des sciences, il plaida
chaleureusement la cause de l’osséine et montra l’im¬
portance qu’il y aurait à la fabriquer en grand sans
tarder. Son opinion ayant été approuvée par les
membres compétents de la haute assemblée, le gou¬
vernement prescrivit d’urgence les mesures néces¬
saires pour approvisionner Paris de ce nouvel
aliment.
Cette coïncidence de l’utilisation comme sub¬
stance nutritive des os de boucherie pendant le siège
de Strasbourg, en 1814, et celui de Paris, en 1870, ne
manque pas d’intérêt.
Marchai (Laurent-Joseph-Anselme) était fils et
petit-fils de chirurgiens de l’hôpital de Strasbourg,
sa ville natale. Lui-même succéda à son père dans
ces fonctions qu’il échangea, plus tard, contre celles
de professeur de médecine opératoire et des maladies
syphilitiques. Il était aussi, comme son père, méde¬
cin en chef des prisons, y gagna le typhus exanthé¬
matique qui l'enleva en pleine activité et dans la force
de l’âge, à 49 ans.
Le professeur Forget a lu en séance publique de
rentrée des Facultés, en 1855, une Notice historique
sur Marchai, dont nous nous plaisons à reproduire
quelques passages.
Modeste et défiant de son propre talent, redoutant l’éclat de
la publicité... Marchai semblait avoir adopté pour devise le
sage conseil d’Epicure : « Cache ta vie »...
Membre de la Société des sciences, agriculture et arts du
Bas-Rhin, Marchai en devint le président, honneur que le
scrutin lui déférait périodiquement depuis plusieurs années.
Ces ovations réitérées, il les dut moins à sa position univer¬
sitaire qu’à la juste appréciation de ses connaissances vastes
et étendues en agronomie...
Le talent est le moindre élément de succès dans ce monde ;
Marchai possédait d’autres qualités plus précieuses aux yeux
du public, parce qu’elles sont plus à sa portée : c’est cette sol¬
licitude consciencieuse qui prépare et assure le succès ; cette
— 364 —
douceur, cette patience si méritoires en face de l’ignorance,.
des préjugés, de l’ingr^ititude populaires ; cette affectueuse
bienveillance dont la source est dans le cœur; cette ineffable
onction qui inspire et entretient la confiance, guérit quelque¬
fois, soulage le plus souvent et console toujours...
Philosophe par tempérament autant que par réflexion, il
était convaincu que le mal qu’on dit d’autrui ne produit que le
mal... Nul n’est grand homme qu’après sa mort.
« Et combien de héros ont vécu trop d’un jour ! »
Que de personnages illustres dont l’auréole glorieuse, œuvre
de toute une vie, s’est éclipsée en un clin d’œil au vent de la
fatalité!... Par contre, combien d’hommes pour qui le plus
beau jour de leur vie fut à vrai dire celui de leur mort !
Marchai appartient à cette dernière catégorie ; Une épidémie
meurtrière moissonnait les malheureux entassés dans la pri¬
son, dont il était le médecin. Esclave du devoir, intrépide en
face du danger, pendant un an et plus il brava chaque matin,
avec le calme du courage qui s’ignore, cette affreuse contagion
dont il devait être'une des dernières victimes...
Bien que s’occupant avec prédilection de questions
agronomiques. Marchai n’en a pas moins présenté à
la Section de médecine une série d’observations.
Citons l’intervention heureuse du sulfate de quinine
dans un cas, de fièvre intermittente pernicieuse et
et dans d’autres intermittences (de rhumatisme, de
sciatique) ; l’application avantageuse des lotions vi¬
naigrées dans la fièvre typhoïde, etc.
Forget (Charles-Polydore), naquit en 1800, à Saintes
(Charente-Inférieure). Il futM’abord chirurgien de la
marine et parcourut à ce titre pendant neuf ans les
pays lointains, assistant entre autres aux blocus de
la Corogne, d’Alger et recueillant maints documents
sur la fièvre jaune, la dysenterie, le scorbut, etc.,
qu’il devait utiliser plus tard.
En 1832, il concourut à Paris pour l’agrégation de
médecine et fut classé premier; deux ans après, il
emporta au concours la chaire de clinique interne à
Strasbourg, où il trouva son vrai champ d’activité.
Très lettré, très érudit, maniant la plume et la
— 365 —
parole avec une égalé .facilité, c’étâit le professeur
accompli. On écoutait ses leçons avec recueillement ;
sa parole animée, mêlée parfois i de saillies causti¬
ques, les rendaient d’autant plus intéressantes..
J’ai gardé toute fraîche dans ma mémoire, l’image
de ce maître, dont j’ai été l’interne, il y a plus d’un
demi-siècle.
De taille moyenne, il avait le dos un peu voûté, le
haut du crâne chauve, les joues creuses; ses lèvres
minces, un peu obliques, portant l’empreinte de
l’ironie et ses yeux vifs,, brillants, donnaient de suite
l’impression d’une intelligence supérieure.
Bien qu’atteint de bronchite chronique, il se trou¬
vait hiver comme été à huit heures du matin à son
poste, au chevet des malades. C’est après la clinique,
à la salle de conférences qu’on était surtout curieux
d’entendre la parole du maître. Il tenait d’ordinaire
les yeux fixés sur ses feuilles d’observations, parlait
avec volubilité et de façon à ne jamais lasser l’atten¬
tion; s’il relevait la tête, c’était le signe d’une sortie
spirituelle,. . ; ,
366 —
Il fut emporté rapidement, à l’âge de 62 ans, par
une pneumonie contractée au cours d’un déplace¬
ment qu’il fit, en mars 1861, pour se rendre à une
consultation dans le Haut-Rhin.
Forget a publié une quantité de travaux parmi les¬
quels figurent au premier rang ses traités de l’enté¬
rite follieuleuse et des maladies du cœur. Il a aussi
fait à la Section de médecine une série de commu¬
nications sur la scarlatine, l’albuminurie, la tubercu¬
lose, la congestion cérébrale, les fièvres malignes, etc.
A l’une des séances publiques annuelles de la
Société des sciences, il a détaillé le relevé des ma¬
ladies qu’il a traitées dans son service de l’hôpital
civil, pendant les années 1836 à 1839. Ce relevé peut
intéresser ceux qui voudraient comparer la morbidité
et la mortalité actuelles à Strasbourg avec celles de
cette époque; mais nous n’extrairons de ce travail
que certaines des réflexions, dont Forget émaillait
cette énumération pouV la rendre moins aride :
La santé est un bien dont on ne connaît le prix qu’après
Lavoir perdu; ce qui, pour le dire en passant, explique assez
bien les épigrammes adressées à la médecine par les gens
bien portants et la vénération que par un juste retour lui por¬
tent les malades...
L’hôpital est le miroir où viennent se réfléchir les besoins
du peuple, le livre que doivent consulter le législateur et le
philosophe, le nœud mystérieux où gît le problème de la per¬
fection sociale...
Pour prouver le mouvement, Platon marcha. Pour prouver
les ravages de la misère, il me suffira, sans faire crier la dou¬
leur, de compter les victimes...
La clinique résume à elle seule la mortalité d’une grande
partie de la population pauvre, qui vient y chercher l’économie
d'un linceul...
A propos de l’hystérie : a Généralement considérée comme
l’apanage des passions vives, du luxe et de la mollesse...,
connue dans le monde élégant sous le nom de vapeurs et de
maux de nerfs, l’hystérie s’est offerte trente-cinq fois parmi
cette population dont l’intelligence est opprimée parles labeurs
de la domesticité, chez ces femmes aux sens obtus, dont la
— 367 —
fibre nerveuse parait noyée dans la lymphe ensevelie dans le
tissu cellulaire. .., singulier problème de philosophie médi¬
cale...
Contre l’intempérance : « Sans prétendre que les maladies
du tube digestif dérivent toujours des vices du régime... on
conçoit que ceux-ci doivent contribuer à les produire et sur¬
tout à les aggraver... L’intempérance, quelque étrange que
cela puisse paraître, est pour le pauvre une cause plus fré¬
quente de mort que la pénurie ; mais comment lui persuader
que la diète remédie à la faiblesse, compagne des maladies;
que la diète lui rendra plutôt la force et la santé que le vin, le
café, le bœuf et les épices !
Cet axiome : il faut manger pour vivre, axiome de sens
commun appliqué à l’homme en santé, devient une sentence
homicide appliqué à l’état de maladie.
Ces citations dépeignent l’état d’esprit et le style
imagé familiers à Forget; il savait être mordant à son
heure. Gomme spécimen de sa verve agressive et de
son esprit critique, signalons un rapport inédit éma¬
nant de sa plume et relatif à une candidature au titre
de membre correspondant delà Section de médecine,
rapport que j’ai découvert dans les Archives delà
Société et dont voici quelques extraits :
Le docteur D.... vous a écrit pour solliciter le titre de
membre correspondant de votre Société; à l’appui de cette
demande il vous a transmis un mémoire manuscrit sur Yhys-
térie, un mémoire imprimé sur les sympathies et un troisième
travail également imprimé sur les crises. Vous m'avez chargé
de vous présenter un rapport sur cette candidature.
J’ai à expliquer, sinon à justifier, le long retard que j’ai mis
à répondre à cet honorable mandat. Et d'abord, quel intérêt
peut avoir un médecin du département de l’Oise, à faire partie
d’une société scientifique du Bas-Rhin? C’est un pur intérêt
d’amour-propre probablement. Vous connaissez une foule de
gens, dont généralement le bagage scientifique est assez
mince, qui se montrent très friands de titres académiques et
qui se complaisent à flanquer leur nom d’une éternelle litanie
de Sociétés nationales ou étrangères, comme pour compenser
la qualité sur la quantité ; à ceux-là il n’est pas défendu de
faire attendre en vain la satisfaction de leurs petites vanités.
Peut être n’est-ce pas le cas de M. D.
368 —-
IÇxaminant les, travaux présentés à l’appui de cette candi¬
dature et en premier Ijeu celui relatif à l’hystérie : « La femme,
dit Forget, est l’être sensible par excellence. Cette exquise
sensibilité est en harmonie avec sa situation dans l’ordre de
la nature et de la société. Cette faible créature jouit d’une vie
toute d’instincts et de penchants affectifs; à l’homme l’éner¬
gie des conceptions et des actes; à la femme la délicatesse et
la multiplicité des sentiments. Est-ce pour elle un privilège ou
une disgrâce de la Providence? La philosophie.peut hésiter à
se prononcer, mais la médecine n’hésite pas à répondre que
c’est un malheur ; car si la sensibilité est la source de jouis-,
sances ineffables, elle est aussi la source de toutes nos dou-,
leurs, et l’on sait combien la balance est inégale. Quoi qu’il en
soit, cette existence , toute sensitive de cette belle moitié du
genre humain l’expose à des maladies qui lui sont à peu près
exclusives; telle est l’hystérie, affection nerveuse caractérisée
par une , foule de phénomènes variables et souvent par un
formidable appareil àe symptômes convulsifs, heureusement,
plus effrayants que dangereux.
Cette affection désignée aussi sous le nom de vapeurs et de
ma w.r tie ner/'s est très obscure dans son essence, dans son
siège et dans ses causes réelles; de là une foule de travaux
anciens et modernes, où se traduisent les opinions les plus
diverses. Les anciens donnèrent à cette maladie le nom à.’hys¬
térie, supposant que l’utérus en est le point de départ, le sup¬
port, la cause formelle. Ils se fondaient sur l'aphorisme qui dit
que l’utérus est toute la femme et sur cet autre : que l’utérus est
un animal vivant dans un autre animal. Ils se figuraient cet
organe, l’utérus, bondissant dans la cavité abdominale ; ils
cherchaient à l’amadouer par des parfums, à le dompter par
des odeurs fétides. Ces idées métaphoriques ont cessé d’avoir
cours; mais le principe est resté, à savoir que l’utérus est le
siège de l’hystérie. Bien que des travaux importants aient eu
pour but de détruire cette opinion et de rapporter l’hystérie à
une lésion directe des centres nerveux, l’idée ancienne trouve
sans cesse des défenseurs et notre candidat, M. D..., est du
nombre. A ce point de vue son travail est assez complet; il
retrace avec fidélité les arguments qui militent pour son sys¬
tème, mais il n’a rien ajouté à la logique de ses devanciers et
il semble faire abstraction de travaux récents qui auraient pu
modifier ses idées. Bref, il ne nous a point consulté, nous qui
dans un travail publié il y a dix ans, croyons avoir démontré
que l'hystérie se produit fréquemment en l’absence de toute
lésion matérielle et fonctionnelle des organes génitaux; qu'une
— 369 ^
simple altération du sang suffît pour la produire ; qu'elle éclate
fréquemment sous l'influence de causes purement morales,
étrangères aux fonctions sexuelles', quelle existe sans lésion de
l'utérus, de même que toute lésion de l'utérus peut exister sans
elle. Que répondre enfin aux cas d’hystérie bien Caractérisée
observés chez l’homme lui-même?
Nous persistons à penser que l’hystérie est due à une modi¬
fication directe du système nerveux, où les troubles utérins ne
^ont qu’accidentels et accessoires, tout fréquents qu’ils puis¬
sent être. , . . . ' : '
En outre, l’auteur nous paraît être en arrière du progrès
par l’importance qu’il accorde à l’utérus, importance que la
science moderne a transportée à l’ovaire. L’ovaii e est l’organe
essentiel de la génération, c’est le testicule de la femme; l’üté-
rus n’est qu’un conduit, un réservoir, comme l’oviducte des
mammifères et le cloaque des oiseaux; à l’ovaire doit donc
être rapportée la presque totalité des influences attribuées à
l’utérus.
Je dois à la justice de faire observer que la pratique ne perd
que très peu aux théories de l'auteur, car il sait varier les
remèdes, selon la versatilité des causes provocatrices et c’est
là l'essentiel. Cependant nous aurions voulu lui voir tenir
compte de certaines découvertes modernes, telles que l’in¬
fluence sédative de l’éther et du chloroforme administrés par
inhalation, qui promettent d’heureuses ressources pour le
traitement des névroses en général et de l’hystérie en particu¬
lier.
M. D... paraît avoir du penchant vers les hautes questions
de philosophie médicale, penchant qui caractérise un esprit
d’élite et qui est trop rare de nos jours, pour que nous n’en
sachions pas gré à ceux qui le révèlent. C’est ainsi que dans
un travail inséré dans un journal belge, il traite longuement la
grande question des sympathies. Que le mot sympathie ait été
emprunté parla médecine à la psychologie ou réciproquement,
toujours est-il qu’étyraologiquement il signifie souffrir ensem¬
ble. 11 y a sympathie, quand il y a souffrance ou du moins
impression simultanée. C’est assez dire que les sympathies
jouent un grand rôle dans l’organisme, où tout se lie par
des influences réciproques, où chaque anneau est,solidaire de
la chaîne totale, où les actes sont comme une série d’échos
qui se répondent indéfiniment, soit dans l’état de santé, soit
dans l’état de maladie.. .
...Je me bornerai à un reproche qui consiste qu’en fait de
sympathies, comme en fait d’hystérie, notre auteur n’est pas
— 370 —
tout à fait au niveau des notions physiologiques actuelles : la
sympathie organique est un fait qui n’avait reçu jusqu’à ces
derniers temps qu’une interprétation assez vague ; si bien que
Bichat disait que le terme sympathie est un mot heureux, qui
sert de voile à notre ignorance quant à l'essence du phéno¬
mène. Eh bien! la science moderne a dissipé quelques-uns
des nuages qui couvraient le mécanisme des sympathies, en
révélant le phénomène de la réflectivité.
Notre auteur a fait sur les sympathies une œuvre classique,
mais peu progressive et incomplète. Autant nous en dirons de
son travail sur les crises. M. D... expose les idées des anciens
sur ce grand phénomène morbide. Confiants dans les forces
réparatrices de la nature, Hippocrate et consorts pensaient
que par sa seule énergie, la force vitale suffisait le plus sou¬
vent pour éliminer le principe ou la cause des maladies. Com¬
bat victorieux dont l’issue se révélait d’ordinaire par l’appari¬
tion, le retour ou l’exagération de certaines évacuations acci¬
dentelles ou naturelles; ainsi le saignement de nez, les sueurs,
les urines, les selles plus abondantes ou manifestant des carac¬
tères particuliers, étaient l’indice de la solution du mal. Cette
solution était religieusement attendue, hélas ! souvent en vain,
ou bien on la provoquait ou la favorisait par des moyens par¬
ticuliers; cette solution s’appelait crise, mot dont l’étymologie
signifie jugement. Ainsi la maladie se trouvait jugée comme on
disait encore et ce jugement se produisait à certains jours pré¬
fixes, dits jours critiques. Ce bel échafaudage était basé sur
l’autocratie de la nature, laquelle planait sur l’organisme
comme une puissance intelligente et tutélaire. Mais on a fini
par reconnaître que le principe vital errait et se fourvoyait
quelquefois, que cet officieux ami, comme l’ours de la fable,
écrasait parfois le malade avec la maladie et l’on a fini par le
surveiller de plus près et s’emparer de la direction du travail,
alors qu’on s’apercevait que la bonne nature elle-même don¬
nait dans le travers.
C’est à cette conclusion qu’arrive notre auteur, qui fait res¬
sortir ce qu’il y a de fallacieux dans les indices de ces crises
prétendues, lesquelles sont plus souvent l’effet que la cause
des actes réparateurs de l’économie.
En résumé, le docteur D... (si toutefois il est docteur, car il
ne prend pas ce titre) est un praticien laborieux, qui occupe
ses loisirs à autre chose qu’à des intrigues professionnelles et
qui, dans ses écrits, fait preuve d’une science réelle et d’un
esprit philosophique. Pour tous ces motifs, il me paraît digne
d’obtenir la faveur qu’il sollicite, dût-il ne l'ambitionner que
— 371 —
pour se parer d’un titre aussi honorable pour lui que stérile
pour nous. »
D’autres professeurs que ceux dont nous avons ana¬
lysé les communications, ont pris part à un moindre
degré aux travaux de la section de médecine :
iVoè/, professeur de médecine légale, doyen de 1796
à 1808.
R. Caillot^ professeur de pathologie externe et de
médecine opératoire, doyen de 1821 à 1835.
Gerboia., professeur de chimie et plus tard de
matière médicale et de pharmacie.
Goupil^ professeur de médecine légale.
Fée^ professeur de botanique.
Notons encore : Lorentz, directeur de l’Ecole de
santé, créée en 1794; /. J. Spielmann, directeur de
l’Ecole de pharmacie jusqu’en 1811; les professeurs
agrégés Aronsohn, MaUe (1), Rennes, Stoltz (2) et
Stœber (3).
A côté du corps des professeurs, siégaient dans la
section de médecine une série de médecins civils et
militaires : Gasté, Pascal, Richou, Brassier, Courbas^
sier, Uebersaal, Th. Boeckel, Hattung, d'Eggs, Suit-
zer, Graffenauer, Ristelhuber, etc.
Plusieurs de ces noms sont encore fort connus dans
le public, surtout dans le monde médical strasbour¬
geois d’avant 1870.
(1) MiLLLE ainsi que Gerboin ont rempli longtemps les fonctions de
secrétaire général de la Société.
(2) Stoltz, fils d’un officier de santé d’Andlau (Alsace), succéda a
Flamant comme professeur d’accouchements, devint du;en en 1867,
fonctions qu’il continua à Nancy, lors du transfert dans celle ville de la
Faculté de médecine de Strasbourg, en 1872, et qu’ilgarda jusqu'en 1878.
Stoltz était un professeur du plus haut mérite; après avoir pris sa
retraite, il revint dans sa maison natale et y mourut dans sa quatre
vingt treizième année.
(3) Stoebeb, un strasbourgeois, professeur de pathologie générale et
d’ophtalmologie, un vrai maître en celte dernière branche, s’occupait
aussi beaucoup d’hygiène et publia avec G. Tourdes, en 1864, l’ouvrage
important ; Topographie et histoire médicale de Strasbourg et du dépar..
temenl du Bas-Rhin.
— 372 —
Les communications faites par tous ces médecins
sont fort nombreuses et nous n’avons que'l’embarras
du choix. Citons ou analysons celles qui m’ont paru
offrir de l’intérêt :
Brassier (1). Considérations sur le choléra-morbus
des Indes et les moyens d’atténuer sa ^propagation et
sa gravité (2). . ■ ■ i
En juin 1832, un batelier venant du dehors à Saint-
Pétersbourg y est mort du choléra; la maladie fut
gagnée en moins de cinq semaines par 6000 per¬
sonnes, dont plus de la moitié succombèrent. Le gou¬
vernement français nomma alors des intendances sani¬
taires dans tous les départements frontières, avec mis¬
sion de prendre les mesures nécessaires pour s’oppo¬
ser à l’invasion du fléau.
On avait déjà l’intuition à cette époque que le cho¬
léra, comme la fièvre typhoïde et autres affections à
caractère épidémique, était dû à l’infection, à « une
infection miasmatique délétère », dit Brassier. Aussi
insiste-t-il sur les précautions, sur les mesures à
prendre en vue de l’extension du choléra jusqu’à
Strasbourg ou aux régions avoisinantes. 11 veut qu'on
défende les réunions ou agglomérations nombreuses,
attache une grande importance à la propreté en géné¬
ral (propreté du Corps, des habitations, des rues, etc.),
recommande d’éloigner partout les immondices et les
matières décomposables, de ne pas se laisser aller à
la peur, d’éviter les refroidissements, les fatigues cor¬
porelles et intellectuelles, les excès de table, les spi¬
ritueux et ainsi de suite, toutes mesures qui n’ont rien
perdu de leur valeur. •
11 faut aussi, selon Brassier, rejeter de la nourri¬
ture la salade ainsi que les fruits fraîchement cueillis ;
il allègue à ce sujet ce singulier motif : « ces végé¬
taux attirent avec avidité et combinent les miasmes
de l’atmosphère. »
On connaît le rôle qu’on a fait jouer au camphre
(1) Brassier, ancien médecin inspecteur du service de santé mili-
(2) Nottv. Mém. de la Soc. 1832, p. 74-101.
— 373 —
contre le choléra ; l’auteur admet son action préser¬
vatrice et à son défaut celle de l’ail. A l’époque on
prêtait à ces substances le pouvoir d’éloigner par leurs
émanations pénétrantes les éléments morbifiques ;
aussi voyait-on quantité de gens tenir constamment
entre les lèvres des « cigarettes de camphre » (1) et
l’aspirer, le fumer, comme on disait alors. On portait
aussi des sachets et des ceintures aromatiques, dans
la composition desquels entrait le camphre. Quant à
l’ail, on l’appliquait sur l’estomac, après l’avoir écrasé
entre deux linges et l’on en avalait une gousse à
jeun.
L’auteur préconise aussi le chlore et allègue en sa
faveur deux faits : Un négociant de Bordeaux, arrivé
en 1829 à Calcutta, y resta quatre mois et bien qu’en¬
touré de navires infectés de choléra, préserva l’équi¬
page du sien par des arrosages journaliers d’eau
chlorurée.
Hartzloff, chimiste de Moscou, se préserva par le
même moyen du choléra, lui et trente habitants.
Le règne du camphre et du chlore est passé ; ce que
j’en ai dit indique l’importance qu’on leur attribuait
jusqu’à l’époque de la découverte du bacille virgule;
le chlore toutefois n’a pas encore perdu toute sa
vogue.
Brassier s’élève contre les remèdes secrets tels
qu’amulettes à suspendre sur l’estomac, huile de
capéjut chlorurée dont le pharmacien Briant recom¬
mandait de se frotter la paume des mains ; il cite aussi
des exemples, où l’on est arrivé à d’heureux résultats
par des moyens simples, la diète ou un régime sévère.
Un médecin indien au service du gouverneur
anglais affirme avoir obtenu de grands succès, en
n’administrant aux malades que de l’eau pure et des
lavements. Gravier, médecin français à Pondichéry,
s’est bien trouvé de l’usage d’eau de riz en boisson et
en lavements.
Un colonel anglais a sauvé presque tous les mala-
(1) Tayaux de plume* d’oie ou autres petits tubes contenant du cam-
BuU. Soc. fr. hUt. méd., XII, 1914 25
— 374 —
des de son régiment, en leur faisant boire du lait avec
du carbonate de magnésie.
Dans une lettre expédiée de Saint-Pétersbourg, on
disait à l’auteur : « Toutes les personnes qui, loin
des secours de la médecine, se sont bornées à
boire du lait mêlé à de l’huile se sont bien tirées
d’affaire. »
D’autre part, Chavanne^ médecin à Mirecourt, pré¬
sente une relation de l’épidémie de choléra qu’il eut
à combattre en la même année 1832 (1). Les mesures
prises ou que devaient prendre les Intendances sani¬
taires, dont parle Brassier, n’avaient donc pas empê¬
ché le fléau de gagner la France.
Un soldat se trouvant en traitement à Bourbonne,
lorsque le choléra y apparut, se réfugia à Mirecourt
le 11 juin; étant déjà atteint du mal, il mourut le len¬
demain. On observa d’abord peu de cholériques jus¬
qu’au 12 août; mais à partir de là jusqu’au 1®^ octobre,
il y en eut journellement de 15 à 20 sur une popula¬
tion de 5500 âmes; 193 personnes furent ainsi attein¬
tes ; 88 ont guéri, 105 sont mortes.
Chavanne fait remarquer que le choléra a beaucoup
épargné les « ivrognes des classes supérieures» et
les mendiants [sic)\ la classe ouvrière fut au contraire
fortement éprouvée, elle fournit les neuf dixièmes des
malades.
L’auteur signale encore le fait que presque tous les
cholériques ont rendu des ascarides lombricoïdes par
la bouche ou par les selles.
Puisque nous en sommes au chapitre choléra, ajou¬
tons que Dieffenbach, ayant demandé son admission
comme membre correspondant à la section de méde¬
cine, présenta à l’appui de sa candidature un travail
sur cette affection, qui fut couronné par l'Institut de
France. Ce travail, analysé tout au long parle secré¬
taire général (2) de la Société des Sciences, agricul¬
ture et arts, n’est guère mentionné dans les ouvrages
classiques; aussi allons-nous en extraire certains
(1) Noup. mém, de la Soc, T. U (1836), p. 130.
(2) JVoiii'. wifm... T. n (1836), p. 141.
points intéressants que l’auteur, un des tout premiers
qui aient bien observé le choléra, a constatés dans la
période algide.
11 lut frappé par l’état de la peau à cette période, la
lenteur que mettent à s’effacer alors les plis qu’on y
fait, la difficulté qu’on éprouve à la trancher ; sec¬
tionnée, elle ne saigne pas, le chorion est vide
de sang ; le tissu cellulaire sous-jacent est rigi¬
de, sec, diaphane; les aponévroses, les tendons et
les cartilages sont d’un blanc moins argenté, moins
brillant, plus mous et plus flasques que norma¬
lement ; les muscles paraissent plus bruns, plus
foncés.
En incisant les veines, même celles de grosse
dimension, il s’en échappe à peine quelques goutte¬
lettes d’un sang noir, poisseux ; leurobstruction com¬
plète ne se rencontre d’habitude que dans l’axillaire
et la jugulaire interne, alors que les troncs moyens
sont presque toujours peu remplis de sang et que la
veine jugulaire externe est vide.
Les artères mises à nu paraissent ternes, affaissées,
atrophiées. En injectant une solution de gomme dans
les veines des chiens, Dieffenbach a vu se produire
la dyspnée, la raucité de la voix qu’on observe dans
le choléra.
11 a essayé la transfusion du sang chez trois cholé¬
riques moribonds, en vue d’exciter les mouvements
cardiaques ; il se produisit bien quelque amélioration,
un retour vers la vie, mais de peu de durée ; à l’au¬
topsie on remarquait que le sang noir des cholériques
ne s’était pas mélangé avec le sang qu’on leur avait
injecté,
Sur un cholérique qui allait mourir, l’éminent
chirurgien ouvrit l’artère humérale dans son tiers su¬
périeur, sans qu’il s’en écoulât une goutte de sang, y
introduisit une sonde élastique qu’il poussa jusqu’au
cœur; les battements de celui-ci devinrent momenta¬
nément plus fréquents, mais il ne sortit pas de sang
de la plaie et la sonde ayant été retirée n’en contenait
— 376 —
Ces constatations faites par Dieffenbach (1), qui cor¬
respondent d’ailleurs avec celles de Magendie, ren¬
trent encore actuellement dans le cadre nosologique
du choléra.
Parmi les membres les plus actifs de la section de
médecine figure M. A. Jos. Ristelhuber. Né à Saverne
(Alsace) en 1785, il accepta du service dans le corps
de santé militaire comme beaucoup d’élèves en méde¬
cine à l’époque des guerres de la Révolution et de
l’Empire. Arrivé au grade de chirurgien-major, à
l’âge de 22 ans, après avoir pris part à la bataille
d’Eylau, il renonça à la carrière militaire pour raison
de santé et se fit recevoir docteur en médecine.
Ristelhuber occupa longtemps les fonctions de
médecin de l’hôpital de Strasbourg et de médecin en
chef de l’hospice départemental des aliénés. C’est à
son initiative et sur ses indications que fut installé,
en 1835, à Stephansfeld l’asile pour ces dégénérés. Il
avait communiqué à ce sujet, plusieurs années aupa¬
ravant, à la Section de médecine un long et impor¬
tant mémoire intitulé : Programme d’un hôpital
consacré au traitement de l’aliénation mentale (2),
où il entre dans les plus minutieux détails sur ses
conceptions relatives aux établissements de ce
genre.
L’auteur demande qu’ils soient d’une architecture
sobre sous le rapport du style et du luxe.
Une grande simplicité est la beauté qui doit distinguer les
bâtiments d’un hôpital ; de la recherche et des ornements sont
des accessoires qui nuisent au caractère sévère qui lui appar¬
tient ... Le luxe des asiles consacrés à l’infortune consiste
dans le plus grand bien être à procurer à chaque individu, en
les plaçant commodément et d’une manière salubre ; le génie
de l’architecte ne doit s’y montrer que par des proportions
(1) L’auteur, pour prouver la toxicité du sang des cholériques, rap¬
porte que Casper a vu mourir des sangsues pendant leur succion sur la
peau de ces malades.
(2) Joum, de la Spciété... T. Il (1826,, p. 438.
sévères, des lignes pures et une ordonnance des masses que
l’œil parcourt facilement (1).
Après ce préambule, Ristelhuber s’occupe successivement
de l’emplacement à choisir pour une maison d’aliénés, de la
distribution et de l’aménagement intérieur des locaux destinés
d’un côté aux malades, de l’autre à l'administration ; des
mesures d'hygiène à prendre au point de vue de la propreté,
de l’aération et ainsi de suite,
Arrivant à la façon dont il faut traiter les aliénés et à ce
qu’il leur fautd’essentiel, il demande qu’ils trouvent les moyens
de se distraire, qu’ils disposent de promenoirs et de jardins ;
qu’on évite autant que possible les moyens de coercition, qui
sont le plus souvent inutiles.
Même les fous furieux, dans un hôpital où ils ont une sec¬
tion à part, doivent jouir de la faculté entière d’aller et venir de
leur loge à leur promenoir, sans aucune gêne et de leur propre
gré... Les emportements auxquels ces malheureux continuent
à se livrer, ont souvent leur source dans la mauvaise humeur
ou les procédés désobligeants des serviteurs placés auprès
d’eux... Un infirmier qui en approche avec appréhension les
mécontente ; celui qui est dur, inhumain, les exaspère par sa
seule présence. L’injustice les révolte et leur inspire un senti¬
ment que le temps n’affaiblit pas. Pour vivre avec les fous, il
faut être doué d’un esprit doux, patient et prévenant, savoir
compatir à propos à leurs maux et posséder un physique qui
les entraîne à la confiance; avec ces qualités, un infirmier aura
rarement besoin de se servir de la camisole de force... A
quelque degré d’irrégularité et d’effervescence que s’élève la
perturbation de leurs idées, les fous conservent un sentiment
instinctif de leur bien-être, qui ne les abandonne jamais entiè¬
rement, même dans le paroxisme de leurs fureurs, et ce sen¬
timent les ramène bien plus facilement qu’on ne le pense à
l’observation des règles qui leur sont imposées, quand c’est
une bouche bienveillante qui les leur rappelle et quand l’action
qui les maîtrise, ne leur laisse entrevoir ni dureté, ni colère,
ni terreur dans son exécution.
Parmi les autres communications de Ristelhuber,
(1) Ges préceptes sont des plus judicieux. Il arrive encore sou¬
vent que dans la construction d’un hdpital, l'architecte s’arrête trop à la
décoration extérieure au préjudice de l’installation intérieure. On dépense
de la sorte pour un luxe inutile et onéreux, des sommes qu’il serait bien
plus indiqué et beaucoup plus profitable de consacrer au bien-être des
malades.
- 378 —
arrêtons-nous à un cas d’extrophie de la vessie et à
la relation de lésions produites par la foudre.
I. Chez un homme, âgé de 52 ans, l’on voyait à nu
la surface interne de la paroi postérieure de la vessie;
la muqueuse vésicale était rouge, gonflée. L’urine
coulait par jets à travers les orifices des uretères;
plus bas, on remarquait « un corps vasculeux, érec¬
tile qui paraissait être le gland ». Celui-ci était imper-
foré, manquait de prépuce, mais avait un frein; on ne
voyait ni scrotum, ni testicule. Les épines antérieures
des os des îles étaient plus distantes que d’ordinaire
les unes des autres; aucune mobilité dans les sym-
phises, pas d’écartement entre les deux branches du
pubis.
La progression chez cet homme était pénible, mais
son infirmité ne l’a pas empêché d’être fort, robuste
même ; il éprouvait des sortes d’érections qui étaient
douloureuses et avait même des éjaculations de
sperme. Il présentait encore une autre singularité ;
l’absence de toute cicatrice ressemblant à l’ombilic.
Bien que cette observation manque de certaines
précisions, elle offre un grand intérêt à cause de la
rareté de l’infirmité en question et de l’âge avancé de
celui qui en était affecté.
II. Le 3 juillet 1823, la foudre tomba sur la che¬
minée d’une caserne, descendit jusqu’au premier
étage, où elle transperça une ivitre pour s’échapper.
Trois soldats furent touchés par le fluide, les nommés
Lartigue, Hargain et Lasserre ; ils furent tous trois
jetés par terre et perdirent connaissance.
Lartigue eut de légères brûlures à l’épaule gauche
et resta pendant quatre jours dans un état inquiétant.
Au bout de trois semaines, il fut toutefois sur pied,
mais se plaignait de douleurs au dos, 'à l’hypogastre
et au périnée. Il avait eu de l’anurie les trois premiers
jours après l’accident ; l’urine émise alors était chargée,
sédimenteuse et la miction devint pénible. C'était le
début d’une cystite.
Ayant repris son service, il tomba à la renverse à la
première décharge de son fusil et ses douleurs, tant
— 379 —
du côté de la vessie qu’ailleurs, revinrent de plus
belle. Un traitement prolongé à l’hôpital militaire les
atténua, mais il suffit du cahotement d’une voiture
pour leur donner de l’acuité. La cystite de Lartigue
s’étant aggravée, il fut réformé.
Hargain resta sans connaissance pendant quelque
temps et, comme son camarade, il ne tarda pas à être
pris de douleurs vésicales, suivies bientôt d’autres
symptômes de la cystite ; on dut même lui enlever un
calcul de l’urèthre, en pratiquant une boutonnière.
Son mal continuant à progresser, on le renvoya dans
ses foyers.
Quant à Lasserre, la foudre l’avait atteint à la jambe
droite, mettant de ce côté le feu à son pantalon et à
sa guêtre. La gangrène se mit bientôt dans ce membre
et il en mourut; mais ce qui est digne de remarque,
c’est que Lasserre éprouva comme ses camarades,
peu après l'accident, des difficultés d’uriner et res¬
sentit une douleur vive à l’hypogastre et au périnée.
A l’autopsie on trouva une vessie de petite capacité
avec une muqueuse enflammée; l’urine qu’elle con¬
tenait était mélangée de petits graviers.
Ainsi voilà trois soldats qui, frappés en même temps
par la foudre, furent à la suite atteints de cystite
grave. Or, ils étaient tous les trois sous les drapeaux
depuis près de cinq ans et aucun d’eux n’avait
encore ressenti de dérangement du côté des voies
urinaires. C’est donc bien sur le compte de la foudre
qu’il faut mettre la coïncidence delà production d'une
cystite chez ces trois militaires.
La Société des sciences, agriculture et arts, ayant
mis au concours diverses questions, la Section de
médecine en eût sa part. L’une de ces questions con¬
cernait la suette miliaire : en déterminer par l'expé¬
rience et robservation les caractères., la marche, les
complications et le traitement. Le corps médical de
Strasbourg était préoccupé de la marche singulière
et souvent meurtrière de cette maladie. Strasbourg et
en général diverses régions de l'Alsace en étaient
— 380 —
tributaires. Saltzmann (1) a décrit l’épidémie de Stras¬
bourg de 1734, Schaal et Hessert (2) celle de 1812 à
Rosheim et ses environs. On en connaît d’autres qui
ont sévi en Alsace à diverses époques : celles de
Bergbieten en 1823, de Dorlisheim en 1854, de
Geispolsheim en 1845, de Duttlenheim en 1854, du
Neuhof en 1857, etc. La miliaire existait du reste à
l’état sporadique dans plusieurs localités. Je l’ai
observée pour mon compte bien des lois, ai même
assisté à un cas de mort foudroyante et ai constatéla
miliaire régnant épidémiquement avec d’autres affec¬
tions. J’ai soigné comme étudiant avec le médecin
communal de Strasbourg, Robert, une épidémie de
suette et de variole. Ainsi que l’a dit celui-ci (3) :
« ces deux maladies ont coexisté plusieurs fois sur le
même individu. » Dans l’espace de 30 à 40 jours, il
y eut 55 cas de variole et 131 cas de suette miliaire.
Aronsohn a vu celle-ci unie à la fièvre typhoïde à
Molsheim; Ruef et Mangin ont constaté le même
fait à Bischoffsheim. Tourdes et Stœber(4) admettent
aussi ces coexistences: « Il n’apparaît guère, écrivent-
ils, de maladie générale accompagnée de fièvre inten¬
se, typhus, scarlatine, rhumatisme articulaire, sans
que la miliaire ne tende à s’y joindre ». Nous l’avons
observée maintes fois dans ces conditions, bien qu’on
n’ait voulu voir dans ces éruptions suettiques que
des sudamina sans importance, n’ayant rien de
commun avec la fièvre miliaire ; les éruptions
étaient bel et bien accompagnées des phénomènes
nerveux caractéristiques (anxiété précordiale, con-
triction épigastrique, palpitations, etc.) et de sueurs
profuses.
Chose curieuse, nous n’avons plus observé de ces
(1) G. R. Saltzmajin. Historia purrpurae miliarU albae, cum primis
Argentoratum nosirum et vicinium, ante biennium feres infectantis. Ar.iren-
torati, 1736.
(2) SCHAA.L et Hessaat. PrécU historique et pratique sur la fièvre
miliaire qui a régné épidémiquement dans plusieurs communes du dépar¬
tement du Bas-Rhin. Strasbourg, 1813.
(3) Gaz. méd. de Strasbourg. 1857, p. 85.
(k) Tourdes et Stœber. Topographie et Bistoire médicale de Stras¬
bourg et du département du Bas-Rhin, 1864, p. 413.
— 381 —
cas de miliaire à partir de l’époque, où la fièvre palu¬
déenne a disparu à Strasbourg et dans ses environs,
et l’on peut se demander, si cette disparition quasi
simultanée des deux maladies n’est pas une preuve
de la corrélation de cause à effet entre elles, une
preuve de leur parité étiologique, comme l’ont
avancé certains auteurs.
Nous arrêtons là notre revue, bien qu’il existe
encore beaucoup de communications dont nous
n’avons pas parlé; mais les unes n’offrent pas assez
d’intérêt, les autres sont trop sommairement résu¬
mées ou rapportées de façon trop incomplète, pour
qu’on puisse en faire état. Mentionnons toutefois les
titres d’un certain nombre d’entre elles :
Aronsohn. Du tétanos.
Boeckel Théodore. Variole mortelle.
Braconnot. Expériences sur le suc gastrique. — Du lait coloré
en bleu.
Brasier. Traitement de la fièvre intermittente par le charbon
végétal.
Caillot. Maladie bleue chez l’enfant.
Coze. Température des eaux courantes et stagnantes des envi¬
rons de Strasbourg. — Recherches sur la population de
Strasbourg.
Ehrmann. Ligatures d’anévrismes. — Polype nasal énorme. —
Opération de la cataracte.
Faure. Salivation combattue par Tiode.
Fodéré. Mort subite par rupture de la veine-porte. — De la
salubrité en général.
Forget. De la phtysie. — De l’albuminurie, etc.
Goupil. Sympathie de la peau avec la muqueuse gastro-intesti¬
nale.
Graffenauer. Empoisonnement par l’acide sulfurique. — Epi¬
démie de variole de l’an X et de l’an XI. — Expériences
médico-légales. — Du succin.
Kimmich. Un tableau de la médecine légale au commencement
du XIX' siècle.
Koch. Maladies vénérienne? ; leur introduction et leur propa¬
gation en Alsace (1).
(1) Nous avons analysé ce travail dans le Bulletin de la Société françnite
d'histoire de la médecine, i9lS,p. —VIS,
Lauth [Th). De l’usage interne du phosphore. — Histoire de
deux anévrismes.
ATa/Ze. Généralités sur la physiologie. — Expériences sur la
mort par introduction de l’air dans les veines. — Une
épidémie de méningite dans la garnison de Strasbourg, etc.
Marchai. Traitement de la lièvre typhoïde par , des lotions
vinaigrées. — Rhumatisme intermittent. — Fièvre inter¬
mittente pernicieuse, etc.
Masuyer. Traitement de l'ivresse par l’acétate d’ammoniaque.
Noël. Hémorrhagie périodique chez un jeune homme.
Pascal. État sanitaire de Strasbourg, en 1839.
Stoeber. De l'apoplexie. — Opération de la cataracte.
L’énumération de ces travaux — et je suis loin de
les avoir indiqués tous — montre quelle a été l’acti¬
vité de la réunion des médecins pendant le premier
tiers du xix* siècle et quel a été le cours des idées
médicales à cette époque.
Rappelons que la section de médecine faisait par¬
tie d’une Société, où d’autres sections s’occupaient
de littérature, d’archéologie, de sciences naturelles
et surtout d’agronomie. Les médecins ne restèrent
pas cantonnés dans leur branche spéciale, mais
beaucoup d’entre eux, des professeurs surtout, mon¬
trèrent une grande prédilection pour les questions
agricoles et leur prêtèrent un concours des plus
actifs, comme le prouvent quelques travaux dont nous
allons citer les titres:
Fodéré. — Mémoires sur la récolte du houblon, sur les
plantes oléagineuses, sur le pacage. — Notices sur les para-
grèles, sur la destruction de la cuscute, etc.
Coze. — Rapports sur la germination des blés, sur les
moyens de perfectionner l’agriculture, sur une fontaine fil¬
trante. — Rapports entre les animaux et les végétaux, ques¬
tion également traitée par Th. Lauth.
Marchai, — Rapport sur la destruction des courtilières. —
Emploi du plâtre comme engrais.
Stoltz (Jean-Louis), père du prof. StoUz. — Mémoires sur
la bêche, sur les vignes et sur les vins de l’Alsace.
Claude. — Des champignons vénéneux.
Pour terminer, reproduisons certains passages d’un
— 383 —
discours du prof. Forget (1) sur les rapports de l'agri¬
culture et de la médecine :
On peut dire de l’ordre social ce que Pascal disait de
rUnivers : c’est un cercle dont le centre est partout et la circon¬
férence nulle part (Pensées). En effet, les anneaux de la chaîne
humaine sont unis de telle sorte que la soustraction d’un seul
briserait la chaîne tout entière. Néanmoins, si les éléments de
ce tout harmonieux se lient et se fortifient mutuellement, il en
est quelques-uns qui ont entre eux des connexions plus étroites,
plus nécessaires et dont les influences réciproques sont plus
prochaines, plus évidentes, plus puissantes que d’autres.
En est-il ainsi de la médecine par rapport à l’agriculture?
Cette connexion n’est pas de celles qui frappent les yeux ;
elle paraîtra même tant soit peu forcée sinon paradoxale, d’une
part au médecin qui ne s’est jamais occupé spécialement d’agri¬
culture, d’autre part à l’agriculteur qui n’a jamais senti le
besoin de recourir à la science du médecin. Et pourtant, en y
regardant de près, on s’aperçoit que rien n’est plus naturel,
plus inévitable même que ces relations mutuelles.
L’agriculteur est le père nourricier du genre humain, c’est
lui qui par le sein de la terre, son épouse fidèle et féconde,
dispense la vie d’abord, puis la santé et par suite le bonheur à
l’espèce humaine. Le médecin est le grand redresseur de torts
de la nature; il est l’ennemi naturel et officiel de la douleur et
de la mort.
Après ce préambule, Forget prend le cultivateur à
sa naissance, le suit dans toutes les phases de sa vie,
montre les services qu’il peut attendre du médecin,
non seulement par son intervention en cas de mala¬
die, mais encore par ses connaissances forcément
acquises en hygiène et en sciences naturelles. Par le
fait, le médecin est jusqu’à un certain point à même de
donner un bon avis pour le choix des engrais et des
cultures, pour l’élève du bétail et autres problèmes
touchant à l’agronomie; mais il est surtout appelé à
intervenir dans les questions relatives à l’hygiène
privée ou domestique (habitation, choix des vête¬
ments, alimentation, etc.) et dans celles qui sont du
ressort de l’hygiène publique, notamment la surveil-
(1) For(;et était alors vice-président des sections réunies de la
Société des sciences, agriculture et arts de Strasbourg.
lance des écoles, l’installation des cimetières, le des¬
sèchement des marais et bien d’autres qui ont toutes
leur importance au point de vue du bien être public.
Ayant développé tous ces points et donné libre car¬
rière à son originalité, Forget finit sa harangue par
ces paroles :
Je m’arrête, car le secret d’ennuyer est celui de tout dire
et le thème dont j’ai fait choix est extensible à l’infini. Dans
les exemples que j’ai produits, à l’effet de mettre en saillie les
rapports de la science du médecin, c’est-à-dire des sciences
naturelles qui sont du domaine du médecin, avec l’agriculteur
et l’agriculture, je ne crois pas avoir franchi les limites du
vrai. Je ne dis pas du réel, car en réalité le médecin est rare¬
ment admis aux conseils du cultivateur; mais j’ai voulu faire
voir qu’il devrait l’être, si le cultivateur comprenait toujours
ses intérêts et si le médecin était toujours ce qu’il devrait être,
c’est-à-dire initié à toutes les notions qui, de près ou de loin,
ont trait à la vie et au bien-être matériel de l’homme confié à
ses soins.
Nous ne pensons pas avoir fait œuvre inutile, en
rappelant une partie des travaux d’une ancienne
Société de médecine, qui comptait parmi ses mem¬
bres un grand nombre de savants. En évoquant la sil¬
houette des plus célèbres d’entre eux, nous avons
éprouvé la satisfaction de rendre un dernier hom¬
mage à la mémoire de quelques-uns de nos maîtres,
dont le souvenir nous est resté cher.
Depuis le temps auquel se rapportent ces tra¬
vaux, la médecine a fait des progrès énormes.
Avouons toutefois, que si les chercheurs de l’époque
n’avaient aucune notion des nombreux problèmes
médicaux résolus de nos jours, ils avaient déjà l’in¬
tuition de certains phénomènes aujourd’hui élucidés.
Il faut aussi reconnaître qu’ils ont eu des vues très
justes dans diverses questions en litige. N’oublions
pas que Fodéré a le premier en France défendu
énergiquement la cause de l’accouchement prématuré
artificiel et que les médecins alsaciens ont été les pre¬
miers à plaider celle de la vaccine obligatoire.
— 385 —
LÉGENDES ET SUPERSTITIONS THÉRAPEUTIQUES
par Émile RIVIÉRB
Troisième note (1).
Daas mes deux précédentes communications sur
les Légendes et les Superstitions thérapeutiques (2),
j’ai traité tout particulièrement la question des
pierres (mégalithes, tombeaux et statues antiques)
auxquelles les populations d’autrefois attribuaient
des vertus curatives ou préventives de telles ou
telles maladies, de telles ou telles infirmités.
Aujourd’hui j’ai à exposer une série de faits rela¬
tifs principalement aux pierres trouées, au culte du
dieu soleil, aux arbres votifs, aux plantes des saints
guérisseurs, aux carreaux de tonnerre, enfin au
culte aussi de certaines sources ou fontaines soi-
disant miraculeuses en ce qui concerne leurs pré¬
tendues propriétés thérapeutiques.
XII
Les pierbes percées ou trouées.
Donc tout d’abord quelques mots sur un certain
nombre de pierres votives. Il s’agit des pierres per¬
cées ou trouées pour lesquelles la foi des populations
en leurs vertus spéciales est loin d’avoir disparu dans
différentes localités.
C’est ainsi qu’en Bretagne, d’après l’amiral Fleu¬
riot de l’Angle, les jeunes mariés allaient naguère
encore se frotter le ventre à la haute pierre de Plouar-
zel (3) [le menhir de Kerloas], « ce représentant, dit-
il, des forces génésiques du monde auquel les femmes
(1) Séance du 13 mai 1914.
(2) Bulletin de la Société françaUe d'BUtoire de la Médecine, tome
Xm, 1914, page! 82-94 et pages 160-171.
(3) Plouareel, commune du canton de Saint-Renan, arrondissement de
Brest, département du Finistère.
— 386 -
stériles vont demander leur fécondité ». Ce menhir
de Plouarzel, le plus grand du Finistère, — il mesure
plus de douze mètres de hauteur — présente sur
deux de ses faces opposées, à un mètre environ du sol,
une bosse ronde. M. Paul Sébillot, mon collègue et
ancien président de la Société d’Anthropologie de
Paris, qu’on ne doit jamais oublier de citer, lors¬
qu’il s’agit de folklore, raconte que, après s’être en
partie dévêtus, la femme d’un côté, le mari de l’autre,
chacun se frotte le ventre sur une de ses bosses.
L’homme prétend, en agissant ainsi, avoir des enfants
mâles plutôt que des filles et la femme espère, par
là, obtenir d’être la maîtresse au logis (l).
Près du bourg de Moëlan (2), les nouveaux mariés
se frottent^ dans un but semblable, à un monument
mégalithique, à un menhir percé, qui présente une
aspérité (3).
Il en était de même, dit encore M. A. Gallet (^oc.
ciA), de la pierre trouée, dénommée le Lithe au Roy,
près de Gressin (4).
On retrouve encore ici cette coutume curieuse du
frottis, dont j’ai déjà parlé précédemment.
(]iterai-je aussi, parmi les pierres percées, celle de
Fouvent-le-Haut, dans la Haute-Saône, « où il était
d’habitude ainsi que dans les villages voisins, dit
M. Paul Sébillot, que, lorsqu’il naissait un enfant et
après son baptême, les parents l’apportassent près de
ladite pierre et le fissent passer par l’ouverture.
G’était ce qu’on appelait le baptême de la pierre ; il
devait le préserver de toutes sortes de maladies et lui
porter bonheur pendant tout le cours de son exis¬
tence. Si, néanmoins, l’enfant devenait souffrant, on
lui faisait subir une seconde fois cette opération;
cela bâtait, disait-on, la guérison »,
(1) Pa.ul Sébillot. — Le culte des pierre» en France. (ReTue de l’Ecole
d’Anthropologie de Paris, tome VI, année 1902.
(2) Moëlan, commune du canton de Pont-Aven, arrondissement de
Quimperlé ^Finistère).
(3) PA.UL DU CnaTELLiER. — Inventaire des Monuments mégalithiques
du Finistère.
(4) Cretsin,
du canton et arrondissement de Relieur (Ain).
— 387 —
Un usage analogue avait cours autrefois aussi,
d’après Ch. Coquebert, au dolmen de Trie-Château,
dans l’Oise (1), que j’ai exploré en 1876 (2) et dont la
pierre d’entrée est percée d’un assez large trou. Les
habitants des environs avaient, de temps immémo¬
rial, l’habitude de faire passer par son ouverture les
enfants faibles et languissants, dans la ferme con¬
fiance que cette pratique devait leur rendre la santé.
Naguère encore, pour les préserver de la fièvre, on
les introduisait par ce même trou, dans le susdit
dolmen, de dehors en dedans, la tête la pre¬
mière (3).
Dans le département de l’Aisne, les jeunes mères,
pour conjurer la malchance, faisaient passer leurs
enfants par l’ouverture d’une pierre percée.
En Eure-et-Loir, pour garantir les nouveau-nés
des maléfices, Paul Sébillot rapporte encore qu’on
les faisait aussi passer par le trou du dolmen d’Allai-
nes (4), aujourd’hui détruit.
Ainsi cette foi superstitieuse dans les pierres
percées, qu’il s’agisse de mégalithes naturels, de
dolrnens, de menhirs ou de pierres tombales comme
celle de l’église de Saint-Menoux (5), dans l’Ailier,
se retrouve partout en France. Je pourrais citer
encore, en effet, d’après le même auteur, le Trou de
Saint-Jean à Marcamps (6), dans la Gironde ; la Borne
percée de Marlay-le-Vicomte,dans l’Yonne; la dalle
percée dite le tombeau de Sainle-Félicie, à Polain-
court (7) ; la pierre percée de Crans, dans la Haute-
Saône, etc.
(1) Trie-Château, commune du canton de Chaumont-en-Vexin. arron¬
dissement de Beauvais (Oise).
(2) Bulletin de la Société française de Numismatique et d'Archéologie ;
2* série, tome 1, page 88.
(3) G. Fouju. — Revue des traditions populaires, tome XIV, page
477, année 1899.
(4) Allâmes, commune du canton de Janville, arrondissement de
Chartres,
(5) Saint-Menoux, commune du canton de Souvigny,' arrondissement
de Moulins (Allier).
(6) Marcamps, commune du canton de Bonrg-sur-Gironde,. arrondis¬
sement de Blaye (Gironde).
(7) Polaincourt, commune du canton d’Amance, arrondissement de
Vesoul.
— 388 —
XIII
Le culte du Soleil, les Arbres votifs,
LES Bois sacrés.
A
Les autels Deo Soli.
On sait, comme le disait récemment, dans une de
ses intéressantes Chroniques hebdomadaires de la
Médecine (1), le publiciste qui signe Dioscoride, que
« le culte du soleil date des premiers âges de l’hu¬
manité et qu’il s’est poursuivi bien longtemps après,
jusque parmi des peuples en possession d’une civi¬
lisation très avancée ».
Maints auteurs en ont parlé et ont raconté les
curieuses légendes qui s’y rapportent. Naguère encore
M. Camille Jullian (de l’Institut) écrivait, dans un
de ses remarquables articles sur Les anciens dieux de
l'Occident, « qu’on fit de lui [le Soleil] le fils du Ciel.
Mais, de même que son éclat précis fait souvent
oublier la lumière diffuse du firmament, l’adoration
du Soleil devint, chez les Occidentaux, le rite princi¬
pal du culte céleste. On cherchait sur les hautes mon¬
tagnes le mystérieux berceau où il se cachait la nuit ;
on le supposait franchissant l’air sur un char... (2) ».
Je me bornerai donc ici. à rappeler qu’il y avait
autrefois aussi dans la Bresse et le Bugey, d’après
M. A. Gallet, dont j’ai eu l’occasion de citer, dans
mon travail, à plusieurs reprises, l’étude sur les Der¬
niers vestiges du paganisme dans l’Ain (3), qu’il y avait
autrefois, dis-je, nombre d’autels consacrés au Soleil.
A Bourg (4), à Vieu (5), à Pierre-Ghâtel (6), on a
(1) U Journal du 19 mars 1914.
(2) Revue politique et littéraire, Revue bleue, numéro du 10 ianvier
1914, page 33.
(3) A. CA.LLET. — Loe. cU.
(kl Bourg, chef-lieu du département de l’Ain,
(5j Vùu, commune du canton de Ghampagné, arrondissement de
Belley fAin).
[6) Pierre-Chdtel, commune du canton et arrondissement de Bellejr.
— 389 —
retrouvé des autels votifs « Deo Soli », Il existait
jadis, dit-il, à Bouligneux (1), — il y existe peut-
être encore actuellement — un usage singulier :
quand on voulait se guérir d’une fièvre ou d’une
maladie quelconque, on formait, avec de la paille,
une sorte de soleil à six rayons, on portait celui-ci
sur une éminence du sol, voisine de la localité,
et l’on s’agenouillait devant le simulacre de l’astre du
jour, en présence du soleil lui-même, à l’heure exacte
de son lever.
Dans plusieurs autres villages du même départe¬
ment de l’Ain, on célèbre encore aujourd’hui la fête
du Soleil en allumant des feux au solstice d’été.
« A Miribel (2), la fête du grand astre était célé¬
brée tous les ans, au jour des brandons. D. Monnier
la vit encore en 1853. Les filles et les garçons for¬
maient alors des rondes. Puis les jeunes filles,
quand le feu avait cessé de donner de grandes
fiammes, s’évertuaient à sauter par-dessus le bra¬
sier, car il était de tradition que celles qui avaient
pu le franchir, sans brûler leurs cottes, se marie¬
raient dans l’année. Et, pendant ce saut périlleux,
la ronde chantait :
Aux brandons, aux brandons !
Quelle longue farandole.
Attisons
Les tisons ! »
Il n’est pas jusque dans le Paris du vingtième siè¬
cle où, depuis quelques années, la fête du soleil ne
soit célébrée le jour même du solstice d’été.
A cet effet les membres delà Société d’Astronomie
et leurs invités se réunissent dans la soirée du 21
juin, à la tour Eiffel, en un banquet présidé par un
des leurs, pour ne se séparer que le lendemain matin^
après avoir assisté au lever de l’astre solaire « dis¬
pensateur des biens de la terre » et après avoir par¬
fois aussi chanté sa gloire.
(1) Boulimeux, commune du canton de ViUars, arrondissement de
Trévoux, departément de l’Ain.
{2) Miribel, commune du cahton de Hontluel, arrondissement de
Ti^vpux.
Bull. 6oc. fr. hUl. mêd , \ll, mi 26
— 390 —
En Angleterre également, en ce même jour, le
dieu soleil est fêté par ses adorateurs, comme en
témoigne le télégramme suivant envoyé de Londres
à l’un des grands quotidiens de Paris, le 22 juin
même de cette année (1914), que je copie textuelle¬
ment en raison des incidents auxquels la fête a donné
lieu.
« Londres. — Ce matin, dès l’aube, des adorateurs
du soleil se colletèrent furieusement avec des agents
de l’autorité.
« La chose se passait à Stonehenge, où, chaque
année, une société internationale dite « du Lien com¬
mun'» vient, au matin du jour le plus long' de l’année,
adorer le soleil, dès son lever, et célébrer, sur un
àes autels de pierre ({\i'on trouve à Stonehenge, près
de Salisbury, une sorte de service religieux.
« Ce matin, en vertu d’instructions du colonel X...
à qui appartient la demeure de Stonehenge, la police
voulut interdire aux fidèles du rite antique la célé¬
bration du service accoutumé. Ceux-ci en appelèrent
a la foule, venue assez nombreuse, et quelques cen¬
taines de personnes ayant pris lait et cause pour eux,
la police fut assez malmenée. Mais des renforts arri¬
vèrent et l’autorité resta maîtresse du terrain. »
B
L’Orme de Saint-Martin
LE Cerisier de Marlieux.
J’ajouterai, d’après mon collègue de la Cité, que
certains arbres furent également l’objet d’un culte
qui, dans les campagnes, « résista longtemps aux
efforts du clergé. Ce que voyant, l’église christia¬
nisa les végétaux auxquels restait attachée la véné¬
ration populaire, en plaçant alors, au cœur d’un vieil
arbre, de petites niches treillagées qui renferniaiènt
une statuette en plâtre, une statuette de la Vierge
généralement. C’est ainsi que M. O’Brien raconte
— 391 —
que, dans la commune de Saint-Martin-du-Mont (1),
il existe un orme colossal dans le chœur d"une cha¬
pelle, lequel orme était le but d’un pèlerinage très
suivi par les habitants des Dombes (2), comme étant à
la fois un préservatif et un curatif de la fièvre. On
a niché dans son tronc, dit-il, une statuette de la
Vierge en bois de même essence » (3).
Ceci me rappelle que, il y a vingt ans, on voyait
encore, non loin de Paris, dans les bois de Draveil{4),
certain rond-point où l’un des plus vieux arbres —
jadis un arbre votif selon toutes probabilités — était
porteur d’une de ses petites niches renfermant égale¬
ment une statue de la Vierge. Je me souviens très
bien l’avoir vue, à l’époque, dans son arbre.
Je ne saurais omettre de dire encore ici, à propos
des arbres, objets des superstitions susdites dans le
département de l’Ain, que,'à Marlieux-en-Dombes (5),
«les dames du lieu, qui désirent goûter les douceurs
de la maternité, vont dans un bois, voisin du bourg,
secouer certain cerisier, en invoquant le bienheureux
Saint-Guignefort » (6).
G
Les Bois sacbés
Enfin je dirai «qu’il y avait autrefois, dans l’Angou-
mois, des bois sacrés dénommés des Z,uc5». Ils ont
tous disparu, dit M. A. Favraud (7), au mémoire de
qui j’emprunte plus loin de nombreux faits relatifs
(1) Saint-Marlin-du-Mont, commune du canton de Pont-d’Ain, arron¬
dissement de Bour^.
(2) Le pays des Dombes, qui taisait partie du gouvernement de Bour¬
gogne, tormait jadis une principauté dont la capitale était Trévoux.
(3) A. Ga-Llet. — Loc. cit.
(4) Draveil, commune du canton de Boissy-Saint-Léger, arrondisse¬
ment de Gorbeil (Seine-et-Oise).
(5) Marlieux-en-Dombes, commune du canton de Villars, arrondisse¬
ment de Trévoux.
(6) A. Gallet. — Loe. cU.
(7) A. Favraud. — Quelques légendes et anciennes pratiques de la^
Charente. (Gompte rendu du huitième Congrès préhistorique de
France, session d’Angoulême, 1912, pages 884.^99).
— 392 —
au culte des Fontaines. «Ils ont tous disparu, mais
quelques noms sont restés ; Le Luc, le Grand-Luc
etle Petit-Luc, Les Lues, Le Luc d'Apollon, etc. Dans
la forêt ou bois sacré deBoixe, où ce dernier se trou¬
vait, le christianisme se substitua au polythéisme et
une chapelle fut construite et consacrée à Saint-
Pierre.
« A Montchaude (1), l’autel de Saint-Mathurin existe
seul au milieu des bois. Les mères y vont en pèleri¬
nage, le 10 mai, faire des vœux pour leurs enfants
malades. C’est probablement un ancien Luc, » ajoute
l’auteur.
XIV
Les Plantes et les Saints guéuisseuiis
D’autre part, M. A. Gallet raconte que, «dans les
hautes montagnes du Bugey, où l’on croit encore aux
sortilèges et aux sorciers, les bonnes femmes conti¬
nuent à aller, à l’heure de minuit, dans la pâle clarté
qui tombe de la vieille Pheeibé, per arnica süentiaLunæ,
cueillir sous les futaies, au creux des combes déso¬
lées, les simples et les solanées, comme les druides¬
ses antiques qui allaient couper la verveine et la
jusquiame avec des cérémonies et des incantations
mystérieuses...
Ne sait-on pas, d’ailleurs, qu’autrefois nombre de
plantes, bien qu’elles n’eussent aucune vertu curative
réelle, étaient « considérées superstitieusement par
le peuple comme douées de propriétés bienfaisantes,
dès qu’elles portaient le nom d'un saint guérisseur
ou qu’elles avaient une forme spéciale rappelant cer¬
taines parties du corps. C’est ainsi que jadis le chou
était recommandé soit contrôla péritonite, soit contre
les affections cérébrales, parce qu’on regardait sa
feuille comme représentant assez bien les replis du
péritoine ou l’écorce du cerveau (2) ». Et l’auteur, qui
(1) Montchaude, commune du canton et chef-lieu d'arrondissement
de Barbezieux (Charente).
(2) A. L’Esprit. — Médicaments, remèdes et produits d'allure religieuse.
{Bulletin de la Sociiit^ archéologique, historique et artistique, Le Vieux
PXPIER, 1914).
— 393 —
est aussi un de mes collègues de la Société historique
la Cité et à qui j’emprunte ces lignes, d’ajouter: ab
uno disce omnes.
Parmi les plantes ainsi pourvues du nom «d’un
saint guérisseur ou d’un personnage biblique » par la
reconnaissance populaire pour leurs propriétés thé¬
rapeutiques prétendues ou réelles, M. A. L’Esprit
cite: « la Nigelle ou Nielle, plante diurétique qui était
nommée la Fleur de Sainte-Catherine ; le Taminier
aux vertus purgatives, qui s’appelait le Sceau de Notre-
Dame, on le dénommait aussi l'Herbe aux femmes
battues, parce que, paraît-il, son emploi faisait dispa¬
raître les consécutifs aux coups que les maris de
ces temps-là administraient copieusement à leurs
épouses! Maintenant, ajoute l’auteur, on se revol-
vérise et les herbes, pour guérir les ti'ous des balles,
sont plutôt rares !... L'Armoise, tonique et vermifuge,
était l'Herbe de Saint-Jean, le Bouillon blanc était
l'Herbe de Saint Fiacre, etc. On en pourrait citer
comme cela une grande quantité.
« Par analogie, les pharmaciens ont donné des
noms de saints à une multitude de médicaments ».
M. L’Esprit en signale quelques-uns, comme l’onguent
Saint-Pardoux, le baume de Saint-Charles, les gouttes
de Saint-Marc, les tisanes de Saint-Riquier, de Saint-
Laurent, etc. ».
J’ajouterai, d’après Dioscoride (1) que j’ai déjà cité,
que « certaines drogues ont disparu des classifications
dressées dans les Traités de thérapeutique, comme
celles dites dépuratives, telles que les herbes
cueillies au clair de lune ou bien encore l’hysope,
qui, depuis les temps les plus reculés, servait au
prêtre à asperger les fidèles d’eau lustrale : asperge
me hysopo et mundabor ». Cependant l’hysope ou
hyssope (par deux s) officinale {Hyssopus officinalis
Lin.), genre de la famille des Labiées-Saturéinées,
est encore assez fréquemment employée en infusions
dans la bronchite chronique et dans les affections
chroniques des poumons.
(1) Dioscoride. — Chronique de la Médecine {Le Journal du 14 mai 1914).
— 394 —
Mais, si nombre de plantes et de médicaments sont
placés sous le vocable à.'un saint guérisseur, par con¬
tre, « chose singulière, peu de saintes sont invo¬
quées. Tout au plus connaissons-nous, dit M. L’Es¬
prit, le remède merveilleux de Sainte-Élisabeth-de-
Hongrie, le tonique de Sainte-André...e [par deux e]
et un racahout Sainte-Lucie. »
Je trouve également, de mon côté, dans le Formu¬
laire magistral de Bouchardat, certaines préparations
pharmaceutiques patronées par un saint guérisseur,
telles que, pour n’en citer que quelques-unes, le
thé purgatif de Saint-Germain., la pommade Saint-
André, la pommade anti-ophtalmique de Saint-Yves,
la poudre capitale de Saint-Ange, les pilules mercu¬
rielles de Sainte-Marie.
La poudre de Saint-Ange et la pommade de Saint-
Yves sont citées également par M. A. L’Esprit, qui
leur adjoint, dans sa nomenclature, les pilules de
Saint-Pair, réputées a contre les coliques ».
XV
Les Carreaux de tonnerre
Les haches de pierre, les haches polies elles-
mêmes, connues de tous temps et aujourd’hui encore
dans les campagnes sous le nom de pierres de ton¬
nerre ou de pierres de foudre, sont encore, dans les
Dombes, en grande vénération, sous le nom de
carreaux de tonnerre. Non seulement on les place,
comme dans nombre de villages d’autres régions,
dans l’angle des maisons pour garantir celles-ci de
la foudre, du feu du ciel, selon l’expression vulgaire,
mais on les recueille précieusement encore pour les
propriétés thérapeutiques que la superstition leur
attribue, pour la propriété de guérir certaines
maladies et particulièrement a les maux de ventre
et les coliques néphrétiques ».
Ces anciennes haches celtiques, comme les appelle
mon collègue de la Société historique des troisième
— 395 —
et quatrième arrondissements de Paris, la Cité, on
les recherche avec le plus grand soin encore « pour
se guérir de la varioloïde et de la variole, de la mor¬
sure des serpents, des maladies du foie, des ophtal¬
mies, etc.
« De plus, quand on passe devant un cimetière, la
nuit, on doit y lancer une pierre pour se préserver
des mauvais esprits... » (1).
XVI
Le Bonnet de Saint-Méhudeg
Ce bonnet de métal est une petite cloche en cuivre
mêlé d’argent datant du sixième ou du septième siècle,
que son poids et ses dimensions permettent de tenir
et sonner à la main, grâce à l’anse qui la surmonte.
Sa forme, à quatre pans ou faces, est à peu près celle
d’un bonnet carré.
Sa hauteur, anse comprise, est de 0“21 ; le diamètre
de son ouverture est de 0“18, tandis que son battant
mesure 0“13 de haut (2).
Elle est réputée, dans la population, pour ses ver¬
tus curatives, c’est-à-dire comme ayant la propriété
de guérir les maux de tête et les maux d’oreilles,
voire même, ajoute-t-on, la surdité. Pour ce, on la
fait sonner, puis on la pose rapidement sur la tête
du croyant, malade ou sourd.
La cloche ou bonnet de Saint-Mériadec appartient
à l’église paroissiale de Stival (3), où elle est conservée
dans la sacristie comme ayant appartenu, d’après une
tradition immémoriale, laquelle, a soin de dire
(1) A. Callet. — Loc. cit.
(2) ,Aveiiead de la GaAMCiÈRB. — Loc. c(ï., pages 99-101. (D'après Ifi
description qu'en a donnée le Vicomte Hersart de la Villemarqué.)
(3) Stwal dépend de la commune de Pontivjr (Morbihan). Le mot’
stival est une altération ou une forme différente du mot stmef qui, d'après
le dictionnaire de Le Gonidec, signifie « fontaine dont la source sort d'un
rocher et qui est ordinairement accompagnée d'un lavoir ». En effet, à
une petite distance du village du Reste, voisin de Stival, se trouve une
source qui s'appelle /clan er stifel (A, de la GRANCifeRE. — Loc. cit.';
page» 97-98.)
- 396 —
M. Aveneau de la Grancière, « ne saurait être justifiée
par aucun document», comme ayant appartenu, dis-je,
à un saint breton du nom de Mériadec, qui, assure-t-
on, s’en serait servi.
XVII
Le Verbou de Saint-Pierre
Dans son très intéressant mémoire, dont je parle
longuement un peu plus loin, M. A. Favraud, inspec¬
teur honoraire de l’enseignement primaire, raconte,
d’après M. A.-F. Lièvre (1), que, à Saint-Pierre-d’An-
goulême (Charente), les femmes stériles doivent aller
secouer le verrou de la porte de l’église, si elles
veulent avoir des enfants.
Il en était de même aussi autrefois à Saint-Roch(2);
mais comme ces pratiques, dit-il, incommodaient
l’officiant, celui-ci fit, un certain jour, enlever le susdit
verrou (3).
XVIII
Le CULTE DES Sources et des Fontaines
On saft qu’un grand nombre de sources et de fon¬
taines sont réputées en France pour leurs vertus
miraculeuses, pour leurs propriétés curatives ou
préventives de tels ou tels maux, de telles ou telles
infirmités. Elles le sont, comme les rochers et les
mégalithes préhistoriques ou autres (polissoirs,
menhirs, etc.), qu’on trouve le plus souvent dans leur
voisinage le plus proche. Elles le sont, comme aussi
les statues et les tombeaux de certains personnages,
dont j’ai parlé dans la séance du mois dernier, tous,
rochers et mégalithes, plus ou moins sacrés dès les
temps les plus anciens, puis ultérieurement chris¬
tianisés et placés sous le vocable d’un saint quel¬
conque, de même que certaines .statues et pierres
tombales, mais dont nombre d’entre eux sont en-
(1) A.-F. LlàvRE. — Exploration archéologique du département de la
Charente, page 4.
(2) Saint-Boeh dans la Charente également.
(3) A. Favraud. — loc. cit.
— 397 —
core l’objet de maintes superstitions et le sujet de
légendes que la tradition nous a conservées.
Après les faits dont M. le docteur Marcel Baudouin
a entretenu à plusieurs reprises la Société française
d'Histoire de la Médîcine;
Après la très intéressante communication de M. le
docteur Hubert Glen, parue dans un de nos derniers
Bulletins (1), sur Sainte-Claire et les Fontaines théra¬
peutiques des Vosges;
’ Je rapporterai aussi quelques légendes venues à
ma connaissance, légendes relatives également au
culte, dans certains départements, des sources et des
fontaines, dont la tradition nous a transmis le récit
de leurs vertus soi-disant préventives ou curatives
d’un mal quelconque, vertus auxquelles, dans les
campagnes, d’aucuns ajoutent encore, à l’époque
actuelle, une foi des plus entières.
Les fontaines miraculeuses, en raison du but
pour lequel les habitants de la région se rendent en
pèlerinage, soit en foule à certaines époques de
l’année, soit séparément et à dés dates non fixées à
l’avance, m’avaient paru, dans le principe, pouvoir
être divisées en fontaines que j’appelais fontaines
de prédictions et en fontaines que je dénommais fon¬
taines de guérisons. Aux premières appartenaient
notamment les fontaines aux épingles ou fontaines
aux mariages , dans les secondes je rangeais les fon¬
taines réputées exclusivement pour leurs prétendues
vertus thérapeutiques.
Mais un si grand nombre de fontaines dites sacrées
réunissent à la fois les deux spécialités : prédiction
et guérison., que je crois devoir renoncer à cet
essai de groupement.
A
La SouncE Saint-Sauveur
Tout d’abord je citerai, en quelque^ mots, ce que
(t) Hubert Sainte-Claire qui guérit les munas d'yeux ; fontaines
thérapeutiques des Vosges. Bulletin de ia Socidld française d'Histoire de
la Médecine, tome Xltl (1914), pages 70 et suivantes.
— 398 —
rapportait, en 1910, au Congrès préhistorique de
France, session de Tours, M“« B. Grova (de Cher¬
bourg), membre dudit Congrès, à propos de la pierre
à cupules devenue la pierre tombale, dont j’ai parlé
plus haut (1), de l’ermite ayant nom Barthélemy
Picquerey, mort en 1659 et inhumé au seuil de la
chapelle Saint-Sauveur.
La tradition de cette chapelle, dit l’auteur, est d’autant plus
intéressante qu'il se trouve près de là, à 50 mètres dans l’est,
unè source ombragée de quelques arbres. L’eau qu’on y puise
[à l’époque du pèlerinage annuel, c’est-à-dire le 24 août],
destinée à des ablutions, complète les vertus curatives de la
pierre tombale.
Enfin, une autre tradition rapporte que, dans un champ,
appelé encore aujourd’hui le Clos des Croix, se trouvaient deux
croix de pierre, qu’on disait avoir été élevées sur les tombes
de Dunois et du comte de Saint-Pol, morts au siège de Cher¬
bourg en 1359. Ces deux croix furent détruites en 1827 (2).
Dunois étant mort en 1417 et le comte de Saint-Pol en 1468
au château de l’Hay, ces croix pourraient très bien avoir été
des menhirs christianisés. C’est du reste l’opinion de plusieurs
archéologues de Cherbourg (3).
Il paraît probable d’après cela, ajoute M”' Crova, que la
chapelle Saint-Sauveur a été élevée sur un lieu sacré, exis¬
tant déjà à l’époque des monuments mégalithiques, et que la
coutume de creuser des cupules en serait un dernier souve¬
nir (4).
A la suite de cette communication, M. Marcel Bau¬
douin faisait remarquer qu’on se trouvait là <t en
présence d’une triple superposition de cultes: a) le
culte de la fontaine [ou source] qui, dit-il, doit avoir
commencé ; b) le culte de la pierre, à laquelle la fon¬
taine a dû donner ses qualités lorsque la pierre fut
(1) Voir page 161.
(21 L’abbé Desmons. — Histoire civile et religieuse de Cherbourg. (Ma¬
nuscrit de la Bibliothèque municipale de cette ville.)
(3) 11 ne reste aucun souvenir d’exhumation faite dans ce champ,
actuellement cultivé ; j’ai interrogé, dit Crova, un cultivateur de
l’endroit; il n’y a jamais trouvé ni pierres ni monnaies. Ce clos a servi
de champ de foire et le terrain a dà être fort remanié.
(4) B. Cbovx. — Loc. cit.
- 399 —
remarquée ; c) la christianisation du culte de la pierre,
d’où l’érection de la chapelle. »
Grova n’a pas pu découvrir les origines de cette
chapelle. Elle a appris seulement, par une communi¬
cation de l’abbé Leroux, vicaire général de Coutances,
que (( le plus ancien document la concernant datait
de 1332 » (1). La chapelle fut agrandie après la mort
du susdit ermite.
B
La Fontaine Saint-Martin .
Cette fontaine, placée comme nombre d'autres
soüs le vocable de Saint-Martin et à laquelle la
légende a fait, dans le Limousin notamment, une
renommée de thérapeutique médicale, se trouve sur
le territoire de la petite commune de Dinsac, à quel¬
ques centaines de mètres seulement du bourg lui-
même, dans le canton du Dorât, arrondissement de
Bellac, département de la Haute-Vienne,
Des renseignements qui m’ont été fournis à son
sujet par un propriétaire des environs, M. A. de
Montcourt, originaire de ce département et pharma¬
cien à BouIogne-sur-Seine, il résulte que les paysans
viennent de fort loin à la fontaine Saint-Martin de Din¬
sac, avec femmes et enfants, y amenant les malades,
en pèlerinage, principalement à une certaine époque
de l’année. Dès leur arrivée, les susdits malades ou
bien étaient plongés entièrement dans cette fontaine,
dont les eaux alimentent un petit lavoir y attenant,
ou bien seules les parties atteintes du mal, pour
lequel le pèlerinage avait été entrepris, étaient l’objet
d’ablutions spéciales, l’objet d’un lavage en règle
exécuté avec cette eau.
Je n’ai jamais ouï dire sérieusement, ajoute la lettre de mon
correspondant, qu’il se soit produit, bien entendu, une guéri-
(1) PouilU dû diocèse de Coutances, rédigé en 1332 et publié par
Au^ste Iiongnon (de l’Institut), article OctevUle r « Octeville. Ibi est
qusedam capella, quant rector gubemat et non est dotata ».
— 400 -
son quelconque. Cependant ces pratiques n’en étaient pas
moins respectées dans le pays.
Enfin, ô hygiène, certaines gens ne répugnaient pas à venir
boire, en vue d’une amélioration de leur santé, l’eau de celte
même fontaine Saint-Martin, qui avait servi aux susdites ablu¬
tions. D’ailleurs, je dois dire encore que si cette eau n’alimen¬
tait pas, à l’époque dont je parle, la commune même de Din-
sac, ce dont je ne me souviens pas suffisamment, cependant
elle était employée, je le crois bien, dans un petit village voisin,
appelé La Garparie, sans pouvoir, du moins, l’affirmer abso¬
lument.
M. de Montcourt ajoute, pour achever de relever tous les
faits qui ont trait à celle thérapeutique superstitieuseayant cours
dans la partie du Limousin qui avoisine le Poitou, que, du côté
de Verneuil-Moutiers, Azat-le-Riz, Darnac, toutes communes du
canton du Dorât, les habitants mettaient jadis et mettent encore
aujourd’hui, dans une grande terrine d’eau, des petits pelo¬
tons de laine de couleurs différentes, couleurs dont chacune
est, pour eux, représentative d’un saint guérisseur de, pour
ainsi dire, n’importe quelle maladie.
Le premier des pelotons çnf bouge, — c’est l’expression du
pays — c’est-à-dire celui qui, en s’imbibant d’eau, s’enfonce le
premier, indique, par sa couleur, le saint auquel le malade
doit se vouer, selon l’expression encore employée aussi dans la
région. Par suite, le malade doit se rendre en pèlerinage dans
la localité où le susdit saint a la réputation de guérir le genre
d’alTectlon dont il est atteint. Il s’agit alors, parfois, de fran¬
chir des distances de 20, 25, et 30 kilomètres, dans de petites
voitures traînées par des ânes et dont le confortable, le plus
indispensable à un malade même le moins souffrant, laisse plus
qu’à désirer.
Cette coutume de consulter ainsi le sort à l'aide de pelotons
de laine est surtout usitée pour les enfants atteints de coliques
persistantes, pour les épileptiques, les choréiques, etc.
M. A. de Montcourt dit encore, dans sa lettre, qu’il
se souvient parfaitement d’avoirvu, dans son enfance,
à l’entrée du bourg de Dinsac, près du presbytère,
« une croix couverte d'épingles jusqu’à une certaine
hauteur, jusqu’à la hauteur que les bonnes femmes
pouvaient atteindre sans difficulté. De plus, le mon¬
tant de la croix était entouré de brins de paille et,
dans l’église delà localité, le bénitier était rem[)}i, lui
— 401 -
aussi, d’épingles semblables et même de vieux sous.
Tout cela portail bonheur aux gens qui en faisaient le
dépôt accompagné d’une prière ; et ces menus objets
étaient scrupuleusement respectés par les habitants
du pays. Personne n’eût osé y toucher; nul, même
parmi les plus besogneux d’entre eux, ne se fut avisé
de s’approprier les sous ainsi déposés.
« Enfin, près de Montmorillon, chef-lieu d’arrondissement de
la Vienne,
Saiut Nicolas,
Qui marie les 611es avec les gars,
est tout particulièrement en faveur auprès des familles, dont
quelque membre est malade, dit en terminant mon correspon¬
dant. Lui aussi reçoit, par suite, à l’instar de la croix de
Dinsac, de nombreuses épingles. De plus, derrière la chapelle
qui lui est consacrée, à Montmorillon, il existe un passage
couvert, que les individus atteints, d’une affection rhumatis¬
male, doivent traverser pour obtenir du susdit saint, dit la
légende, soit une guérison parfaite, soit une amélioration plus
ou moins grande, si guérison ne peut (1}. »
c
La Fontaine
ET
LE Pas de Sainte-Geneviève.
Dans la commune d’Épinay-sous-Sénart (2), près
celle de Brunoy, il existait, avant la Révolution, une
abbaye de Sainte-Geneviève, célèbre, dit-on, où l’on
se rendait aussi en pèlerinage pour la soi-disant fon¬
taine qui s’y trouvait enclavée. Il s’agit, en réalité,
d’une source véritable dans laquelle les pèlerins, qui
venaient implorer la patronne de Paris, soit pour leurs
maux physiques, soit pour leurs infirmités, soit aussi
(1) Émile Rivière. — Le grattage de» pierres, mégalithe» préhitiori-
que» et tombeaux ; légende» et superstition». (Compte rendu du sixième
Congrès préhistorique de France, session do Tours, 1910,pages S6i-S71.)
(2} Épiaaÿ-»ou»-Séaart, canton de Boissy-Saint-Léger, arrondissement
de Corbeil (Seine-et-Oise).
— 402 —
pour des chagrins de toutes sortes, devaient en se
retirant, leur invocation terminée, jeter une pièce de
monnaie quelconque. Cette source se voit aujour¬
d’hui dans la cour d’une ferme, dont les bâtiments ont
été élevés sur l’emplacement de cette ancienne
abbaye (1).
Je ne dois pas omettre d’ajouter qu’il existait, il y a
peu d’années encore, dans cette même commune
d’Épinay-sous-Sénart, à peu de distance de ladite
abbaye, un mégalithe sis dans un terrain communal,
près des bois dits de Boussy (2). Sur ce mégalithe,
dénommé le Pas de Sainte-Geneviève (3), « la légende
voulait que la patronne de Paris eût imprimé la plante
' de son pied » (4). La pierre, autrefois fichée plus ou
moins profondémentdans le sol, a été, non pas détruite
mais renversée en 1845 et entièrement recouverte
par une masse de terre d’une certaine épaisseur
extraite;d’un fossé voisin. C’était à l’époque où l’État
s’emparait , du susdit terrain communal pour le faire
boiser et l’enclaver dans la forêt de Sénart, dont
il fait partie depuis lors.
Ce mégalithe ou menhir, si menhir il y a, comme
M. Charles Motheau (de Brunoy) est très porté à le
croire, est un grès semblable à ceux des menhirs
de Mandres, de Boussy-Saint-Antoine et de Brunoy,
que j’ai décrits il y a déjà un certain nombre d’an¬
nées (5). Il a été pendant longtemps, comme la fon¬
taine ou source voisine qui porte le même vocable de
Sainte-Geneviève, un but de pèlerinage pour les
infirmes, les malades et autres.
(1) Émile Rivière. — Le$ pierres dites à empreintes de pieds .* le Peu de
Sainte-Geneviève et le Pas de Saint-Jean. (Extrait du BuUetin de la
Société préhistorique de France, année 1904, pages 291-293.)
(2) Baussy-Saint-Antoine, commune aussi du canton, de Boissj-Saint-
Léger,
(3) Emile Rivière. — Les menhirs de Brunoy. (Association française
pour l’Avancement des Sciences, Congrès de Bordeaux, 1895.)
(4) Charles Motheau. — Essais préhistoriques sur Brunoy. (L’AbeiUe de
Seine-et-Oise, numéro du 24 février 1893.)
(5) Émile Rivière. — Association française pour l’Avancement des
Sciences ; Congrès de Bordeaux ,1895 ; Congrès de Carthage, 1896 ; Con¬
grès de Nantes, 1898 ; Congrès de Boulogne-sur-Mer, 1899.
— 403 —
Son surnom de Pas de Sainte-Géneviève lui pro¬
viendrait d’uné dépression ou cavité de certaine
dimension simulant l’empreinte d’un pied, dépres¬
sion qui aurait été « peu à peu agrandie par l’Àaôi-
tude que les pèlerins avaient d’y placer ün de leurs
pieds, à l'instar de Sainte-Geneviève, selon la lé¬
gende, leur prière terminée Cette dépression que
je n’ai pas vue, mes recherches n’ayant pas réussi à
retrouver, dans la forêt, l’endroit où la pierre est
encore enfouie, par suite, à découvrir celle-ci et à la
faire réédifier, comme j’en avais la ferme intention,
je ne saurais dire si elle est naturelle ou si elle
a été creusée, non par le pied de la sainte, bien
entendu, mais intentionnellement par la main de
l’homme et agrandie plus tard, si j’en crois ce qu’on
dit dans la région, par des pratiques superstitieuses
(grattage de la pierre ou autre).
D
Les Fontaines aux épingles ou Fontaines
AUX MARIAGES.
La superstition des épingles ietées dans les sources
et les fontaines prétendues miraculeuses, supersti¬
tion dont j’ai déjà eu l’occasion de parler, il y a qua¬
tre ans, au Congrès préhistorique de Tours (1) et
dont j’ai dit plus haut quelques mots au sujet de la
fontaine Saint-Martin de Dinsac (2), se rencontre
en maints départements. Mais je la trouve particu¬
lièrement citée par un de mes confrères en préhis¬
toire dans un mémoire des plus intéressants, lu par
lui au huitième Congrès préhistorique de France,
sur des Légendes de la Charente (3).
« Il n’y a pas encore quarante ans, dit-il, les
(1) Émile Ritiè&e. — Loc. cit.
(2) Voir page 399.
(3) A. FAVRA.UD.— Queljuei légendes et anciennes pratiques de la Cha¬
rente. (Compte rencltt du huitième Congrès préhistorique de France, ses¬
sion d’Angouléme, 1912, pages 884-899.)
— 404 ^
femmes d’Aunac (1) allaient en pèlerinage à la Fon¬
taine de Moutonneau (2), pour se guérir du mal caduc.
Il fallait jeter des épingles dans la fontaine, après
la prière d’usage. Le lendemain, les enfants repê¬
chaient les épingles pour jouer.
M. Favraud tient le fait de l’instituteur d’Aunac
lui-même, M. Lamiaud.
Cette même fontaine Saint-Vivien de Moutonneau
guérit également les gens, dit la légende, de la
goutte, de la fièvre, mais la coutume est aussi d’y
jeter des épingles.
A Saint-Quentin-de-Ghalais (3), les rhumatisants,
qui se rendent à la fontaine pour s’y guérir, y jettent
un cent d’épingles et de menues pièces de monnaie.
A Saint-Gourson (4), les jeunes filles des environs
vont, à certaines époques de l’année, jeter des épin¬
gles dans la Font-Pinelle, qui se trouve dans un pré
entre Saint-Gourson et Saint-Georges (5), pour savoir
si elles se marieront dans l’année. Près de cette loca¬
lité de Saint-Gourson également, sur le petit che¬
min qui conduit à Saint-Sulpice (6), dit encore
M. Favraud, se trouve une fontaine où garçons et
filles vont jeter des épingles pour savoir s’ils se
marieront dans l’année. La même foi superstitieuse
conduit aussi, dans le but d’un mariage égalemenjt
dans l’année, les jeunes filles à se rendre à la fon¬
taine de Planchemeunier, près de Sers (7), et à y
jeter des épingles.
« Au bas du plateau d’Angoulême, un peu au-dessous
(1) Attnac, commune du canton de Mansle, arrondissement de Ruffec
(Charente).
(2) Moutonneau, commune aussi du canton de Mansle.
(3) Saint-Quentin (de Chalais), commune du canton de Chalais, arron¬
dissement de Barbczieuz (Charente).
(4) Gourson, commune du canton et arrondissement de RuiTec (Chn-
(5) Saint-Georges, commune également du canton et arrondissement
de Ruffec.
(6) Saint-Sulpice, commune du canton et arrondissement de Cognac
(Ghari^nte).
(7) Sers, commune du canton de Villebois-la-Valettc, arrondissemént
d’ÂngouIéme (Charente).
— 405 —
de la chapelle et presque sur le bord de l’Anguienné,
se trouvait jadis une fontaine miraculeuse — elle a
été comblée par la construction d’une maison et ren¬
voyée plus loin. — Il y avait, au-dessus de ladite
fontaine, une niche renfermant une statue de la Vierge,
protégée par un grillage en fer.
« Les jeunes filles de la contrée y venaient, animées
d’une pieuse et sainte confiance, elles s’agenouillaient
et priaient ; puis, prenant une épingle à leur corsage,
elles la lançaient à travers la grille ; si l’épingle
s’attachait à la robe de la Vierge, ô bonheur, le
mariage aurait lieu dans l’année; si, au contraire,
l’épingle tombait dans l’eau, il en était de même du
mariage ».
Cet usage de jeter des épingles dans certaines
fontaines, soit en vue d’un mariage prochain, soit
dans un but thérapeutique, se rencontre dans des
régions fort éloignées les unes des autres. C’est
ainsi qu’il est cité également par M. Paul Sébillot (1)
comme se retrouvant en Bretagne, notamment dans
la Haute-Bretagne.
Ainsi, dit-il, fait-on ft dans la fontaine de Saint-
Goustan près du Croisic (2), pour savoir si on se
mariera dans l’année. Il en est de même dans lés
Côtes-du-Nord, où l’on se mariera prochainement, si
l’on jette une épingle dans une certaine fontaine et
qu’elle descende au fond de l’eau sans faire de tour¬
billon».
Je signalerai aussi, d’après le même auteur, la fon¬
taine de Sainte-Eugénie ou Sainte-Ujane, comme on
l’appelle dans la région, qui est en grande véné¬
ration.
« Chaque année, le second dimanche de mai, jour
de l'assemblée de Morieux (3), les paysans des com-
(!) Paul Sébillot. — Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne
tome I, pages 70-71. Paris, 1882.
(2) Le Croisic, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Saint-
Nazaire (Loire-Intërieure).
(3) Morieux, commune du canton de Lamballe, arrondissement de
Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord).
ull. Soc. fr. hisl. m
téd; XII, 1914.
-f 406 —
munes environnantes s’y rendent en foule pour y
jeter force épingles. On y va en pèlerinage pour les
maux de tête et l’on y allume des bougies dont on
s’est auparavant entouré le chef ».
Je rapporterai enfin le fait d’une fontaine des envi¬
rons de Remiremont, dans les Vosges, qui est l’objet
d’un pèlerinage annuel, pèlerinage traditionnel, non
seulement des habitants de cette ville, mais de ceux
des communes environnantes.
Il s’agit de la fontaine de Sainte-Sabine, dite la
Fontaine aux Mariages^ et de la chapelle voisine,
« situées toutes les deux à côté de la ferme du même
nom, au-delà du Gris-Mouton, montagne du massif
du Fossard, à environ cinq kilomètres de la ville de
Remiremont (1) ».
Le susdit pèlerinage est très fréquenté, surtout par
les jeunes filles. De vieille date on connaît, à bien
des lieues à la ronde, la légende de la fontaine de
Sainte-Sabine, qui se compose d’un petit bassin d’où
jaillit la source. On dit que ses eaux prédisent le
mariage sans erreur et que les unions s’accomplis¬
sent dans l’année même.
Le rite est des plus simples: les jeunes filles jettent
une épingle dans la fontaine ; si l’épingle surnage, le
mariage est prochain, si, au contraire, elle s’enfonce,
le mariage est lointain. — On remarquera que c’est
absolument le contraire des prédictions de la fontaine
de Saint-Goustan, près du Groisic, dont je viens de
parler.
Enfin, si la fille est déjà d’un certain âge, il ne lui
reste plus qu’à s’adresser à Sainte-Catherine, dans
lé cas où l'épingle s’enfoncerait dans l’eau.
La vertu spéciale des eaux de Sainte-Sabine ne
s’applique, dit l’auteur de la note que je reproduis
ici (2), ne s’applique que le jour de la fête de Sainte-
Sabine, c’est-à-dire le 30 août. Si nombreux sont les
couples de jeunes garçons et de jeunes filles qui font,
(1) Remiremont, chef-lieu d’arrondissement du département des
(2) Le Petit Journai, numéro du septembre 1909.
— 407 —
à cette date, l’ascension du Gris-Mouton, que la
masse des épingles jetées forme, au fond de la
source ou fontaine miraculeuse, une couche des
plus épaisses, le soir du 30 août. ,
Je dois ajouter ici que notre très érudit coÜèguq,
le docteur Hubert Gleu, médecin aide-major de 1''®
classe, dont nous avons tous lus avec un vif intérêt la
notice qu’il a consacrée, dans le numéro de février
dernier'de notre Bulletin, à Sainte-Claire qui guérit
les maux d'yeux, parlant aussi de la fontaine Sainte-
Sabine, « située dans les bois non loin du Saint-Mont,
dit qu’elle est plus fréquentée encore que celle de
Sainte-Glaire. Los jeunes fillesy jettent des épingles
pour le pronostic de leur mariage, ajoute-t-il, et
certàins pèlerins s’y lavent les yeux, car
La fontaine Sainte-Sabine
De tout mal a£Bne.
dit-on dans le pays (1) ».
Elle est donc à la fois une fontaine de prédixtioti
et une fontaine de guérison.
Quant à sa légende, l’origine en est ainsi-rapportée
par le correspondant àn^Petit Journal'i^^
Lors de l’invasion des Barbares dans notre région, Sabine,
jeune religieuse du monastère de Saint-Romary (2), au Saint-
Mont, près de Remiremont, était d’une beauté remarquable.
Elle s’était enfuie jusqu’au sommet du Gris-Mouton pour
échapper aux poursuites de quelques soldats dès Huns qui,
enCn, purent s’emparer d’elle au lieu même de la fontaine [où
elle s’était réfugiée]. L'un d’entre eux, après l’aVoir accablée
d’outrages, allait la frapper de sa hache, lorsque l’arme, arra¬
chée de son bras par une force surhumaine, tomba dans la fon¬
taine où elle resta à la surface de Veau. Et Sainte-Sabine, gué¬
rie des blessures, que néanmoins elle aVait reçues, se retira
dans une cellule construite sur l’emplacement même de la cha¬
pelle susdite.
(1) Hvbebt Ole». — Coc. cit, page 70, note 1.
(2) Somarÿ ou Romaric.
— 408 —
J’en arrive maintenant à des fontaines réputées à
peu près exclusivement pour leurs propriétés cura¬
tives miraculeuses et que j’avais appelées, par suite,
des fontahes de guérisons. J’emprunte, pour la
plupart d’entre elles, à M. Favraud (1) les faits sui¬
vants :
E
La fontaine de Bellevau.
A Bellevau, commune de Dirac (2), à 300 mètres de
la gare de Sers, près d’un ancien ermitage, se trouve
une belle fontaine,, couronnée d’une voûte, à l’est de
la chapelle souterraine de Notre-Dame.
Les bonnes femmes des environs y vont pour
obtenir du lait aux nourrices, pour guérir la teigne,
etc. Elles font une prière, elles lavent dans la fontaine
le linge du malade et le déposent sur une croix de
bois, placée au pied de ladite fontaine.... On donne
quelquefois des pièces de monnaie.
F
La fontaine de Saint-Paul.
Tous les maux sont guéris par la fontaine de Saint-
Paul de Massignac (3). Ony vient en foule du Périgord
et du Limousin; mais les gens de Massignac, qui
vendent leur eau aux étrangers, vont eux-mêmes à
Vitrac (4).
G
SouHCES ET Fontaines diverses.
Les malades qui veulent être guéris de la fièvre
vont à Saint-Étienne d’Écuras (5), à la Font-Maureille
(1) A. Favhaüd. — Loc. cil.
(2) Dirac, commune du premier canton de l’arrondissement d’Angou-
léme (Charente).
(:1) Manignac, commune du canton de Montcmbœuf, arrondissement
de Gonfolens (Charente).
(4) Vitrac ou mieux Vitrac-Saint-Vincenl, commune du canton de Mon-
tembœuf.
(6) Écuras, commune du canton de Montbron, arrondissement d’An-
gonléme (Charente).
— 409 —
d’Échirac, à Saint-Mélèze de Brillac (1), à Saint-Sul-
pice de Mazières (2), à la Font-de-la-Fièvre d’Épe-
nède (3). 11 faut cependant, dit l’auteur, se méfier de
cette dernière, car elle donne la fièvre à ceux qui
ne l’ont pas.
Les rhumatismes sont guéris à Sainte-Claire de
Montembœuf (4), à Saint-Martin de Mouzon (5), à la
Vierge de Laplaud, à Saint-Martin d’Oradour, à la
Fontaine de guérison — elle est ainsi dénommée
dans la région — de Montboyer (6) et à celle de
Sauvignac (7).
La goutte se guérit à la fontaine de Saint-Martin
d’Oradour (8) aussi, citée plus haut, et à la fontaine de
guérison de Montboyer, déjà mentionnée.
Les maux de tête et les maux d’estomac obtiennent
leur guérison à la fontaine de Sauvagnac (9).
Les sourds vont à Saint-Quentin de Ghabànais (10),
les dartreux aux Tasses de Vitrac (11), les maladies
de la peau disparaissent guéries à la Font-Jeanne de
Chirac (12).
Les malingres, les phtisiques, les rhumatisants
[encore], sont soulagés à Sainte-Eugénie d’Orge-
deuil (13), tandis que les épileptiques se rendent à ,
(1) Brillac, commune du canton-sud de l’arrondissement de Confolens
(Charente).
(2) Mazières, commune du canton de Saint-Claud, arrondissement de
Confolens.
(3) Épenède, commune du canton-nord de l'arrondissement de Confo-
(4) Montembœuf, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Confolens.
(5) Mouzon, commune du canton de Montembœuf.
(6) Montboyer, commune du canton de Chalais, arrondissement de
Barbezieux (Charente .
(7) Sauvignac, commune du canton de Brossac, arrondissement de
Barbezieux.
(8) Oradour, commune du canton d’Aigre, arrondissement de Ruffec
(Charente).
(9) Sauvagnac, commune du canton de Montembœuf, arrondissement
de Confolens.
(10) Chabanais, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Confolens
(Charente).
(11) VUrae ou Vitrac-Saint-Vincent (Voir page 408, note 4).
(12) Chirac, commune du canton de Chabanais, arrondissement de
Confolens.
(13) Orgedeuil, commune du canton de Monlbron, arrondissement
d’Angoulime.
— 410 —
la fontaine de Saint-Vivien de Moutonneau (1), de
même que les fiévreux et les goutteux. Dans celte
fontaine les malades ont conservé l’habitude aussi de
jeter des épingles pour obtenir leur guérison.
Les maladies des yeux et les rhumatismes sont
radicalement guéris aussi à la Font-Belette de Bret-
tes (2). Les maux d’yeux trouvent également leur
guérison à la Font-du-Pécher de Rouzède (3) et à
la fontaine de Saint-Martin de Vouthon (4). Cette
dernière calme en outre les convulsions.
« Certaines fontaines, dit l’auteur, sont assez encli¬
nes aux calembours: ainsi les teigneux vont à Saint-
Aignan de Pillac (5) ; ceux qui souffrent de la vue se
rendent à Saint-Clair de Baignes (6). Les coliques
sont guéries à la fontaine de Saint-Roch de Parzac (7),
qui sort des entrailles d’un rocher. Le mal des saints
ou mal caduc [épilepsie] est soulagé aussi à celle
de Saint-Maixent de Vitrac (8). Tous les maux, no¬
tamment le mal Saint-Jean [épilepsie] et la danse
de Saint-Guy [chorée] (9), sont guéris à la fontaine
Saint-Jean deGrassac{10). Enfin, pour les insolations,
il faut aller, au lever du soleil, se laver la tête dans
la fontaine de Sonneville (11) ».
D’autre part, M. Callet, que j’ai eu l’occasion de
citer maintes fois dans mon travail, rappelle que M. Le
(1‘, Moutonneau, commune d’Aunac (voir page 404, note 2).
(2) Brettes, commune du canton de Villetagnan, arrondissement de
Rufîec (Charente).
(3) Rouzède, commune du canton de Montbron.
(4) Vouthon, commune du canton de Montbron.
(5) Pillac, commune du canton d’Aubeteri-c, arrondissement de Bar-
bezieux (Charente).
(6) Baignes bu mieux Baignes-Sainte-Radegonde, chef-lieu de canton
de l’arrondissement de Barbezieux.
(7) Parzac, commune du canton de Saint-Claud, arrondissement de
Confolens.
(8) Vitrac (Voir page 408, note 4).
(9) Ou danse de Saint-Wyt, du nom d’une chapelle située près d’ülm
en Souabe, qui lui est dédiée, parce que là, vers la fin du quinzième
Tsicle, les habitants venaient implorer contre la susdite danse l’inter-
enètion de Saint-Wyt (synonyme de Saint-Guy).
(10) Grassae, commune du canton de Montbron.
(11) 'Sonneaille, commune du canton de Rouillac, arrondissement d’An-
goolème.
— 411 —
Braz, en dressant un catalogue de deux cents saints
bretons, a eu grand soin de faire remarquer que « cha¬
cun d’eux préside à une forme de maladie. Tous,
dit-il, tous ont leur fontaine sacrée, mais, en réalité,
c’est bien plus à ladite fontaine qu’au saint lui-mênle
qu’on rend un culte ».
Mon collègue de la Société historique et archéo¬
logique de La Cité ajoute qu’il en est de même dans
le département de l’Ain. Ainsi à Izieu (1), Saint-
Clair est le patron des aveugles, à l’exemple de la
Sancta-Clara Habendensis, la Sainte-Claire de Saint-
Mont des Vosges (2), qui guérit les maux d’yeux;
Saint-Denis est le patron des nids [d’oiseaux], (on
pend, à Bouligneux (3), une tête de poulet à sa sta¬
tue); Saint-Ouen guérit des affections de l'oreille
{ouen : ouïr)-, Saint-Bahoni guérit de la rage; Saint-
Vincent est le patron des vignerons et Saint-Biaise ou
Saint-Blia, {blia, en patois du pays, signifie blé) le
patron des laboureurs.
En Angoumois, dans la Charente, en Bretagne, dans
l’Ain, etc., partout enfin on retrouve les saints gué-,
risseurs.
Revenant maintenant aux fontaines de la Charente,
M. Favraud nous apprend encore que, si les rhuma¬
tismes et les douleurs sont guéris à la fontaine du
Banier de FEpenède (4), cependant cette fontaine est >
surtout efficace pour les vieilles filles qui ne con¬
sentent que difficilement à coiffer Sainte-Catherine.
Les eaux de la Font-Pucelle [un nom bien signi¬
ficatif] de Moutonneau (5) possèdent la même propriété
miraculeuse et font marier dans l’année ceux qui en
« boivent, dans un c.ertain temps et à des heures
désignées ».
Pour les maladies des enfants on se rend à la fon-
(1) liieu, commune du canton de Belley, arrondissement de Belley
(Ain).
(2) Hubert Cleu. — £oc. «ï., pages 70-71.
(3) Boulignewn (Voir page 389, note 1;.
(4) Épenède (Voir page 409, note 3).
(5) Moutonneau, commune d’Annac (Voir page 404, note 2).
— 412 —
taine de Saint-Pierre d’Eymoutiers (1) ou à celle du
Saint à Montrollet (2).
Ceux qui ont à la figure le mal de Saint-Éloi (3)
doivent se rendre à la fontaine Saint-Éloi d’Exi-
deuil (4). L’incontinence d’urine se soigne à la Font-
Prêtas de la Péruse (5). Ceux qui tardent à marcher
[les noués"] vont se plonger dans les eaux de la fontaine
Saint-Antoine, à Saint-Germain (6). On se préserve
des engelures, pendant tout l’hiver, en allant, le jour
de la Toussaint, se laver dans la Font-de-Guérison à
Gourgeac (7), Quant à la fécondité, elle s’obtient en
buvant de l’eau de la fontaine du Coudent de Saint-
Laurent (8). Les nourrices vont chercher du lait à la
fontaine de Bellevau (9), ainsi que je l’ai dit plus haut ;
les femmes et les vaches se rendent à celle du pré
de la Cure à Ghabrat (10).
J’ajoute, à propos de ces Bovidés, que la légende
veut que les maladies du bétail, mais plus spécia¬
lement celles des moutons, soient radicalement
(1) Eymoutiers, commune du canton de Montbron, arrondissement
d’Ângoulême.
(2) Montrollet, commune du canton-sud de l’arrondissement de Gon-
(3) Mal de Saint-Éloi ? — Le seul renseignement, que j’aie trouvé con¬
cernant le mal de Saint-Eloi, ne saurait se rapporter à l’affection pour
laquelle on se rendait à la fontaine d’Exideuil. En effet, d’après le
Dictionnaire historique de l’ancien langage français ou Glossaire de la
langue française depuis son origine jusqu'au siècle de Louis XIV par La
Gurne de Sainte-Palaye, publié en 1875-1882 par L. Favre et M. Pajot,
U on appeloit mal de S. Eloy une espece de malladie. [Pour cause de
son mauvez gouvernement se engendra en la plaie du genoul le mal de
S. Eloy et y vindrent deux ou trois pertuis ». (JJ. 110, p. 148, an. 1376)].
11 s'agirait donc ' probablement d’une sorte de « tumeur blanche » du
genou avec fistules purulentes, sans aucun rapport, par conséquent,
avec le mal « à la figure » de Saint-Éloi de la Charente
(k) Exideuil, commune du canton de Chabanais, arrondissement de
Confolens.
(5) La Péruse, commune du canton de Chabanais.
(6) Saint-Germain, commune du canton-sud de l’arrondissement de
Confolens.
(7) Courgeac, commune du cauton de Montmoreau, arrondissement de
Barbezieux.
(8) Saint-Laurent, c’est-à-dire Saint-Laurent-de-Céris très vraisem¬
blablement, commune du canton de Saint-Claud, arrondissement de Con-
tolens.
(9) Bellevau (Voir page 408).
(10) Châtrât, commune du canton de Chabanais.
— 413 -
« enlevées » aussi lorsqu’on conduit ces animaux à la
fontaine Samt-Jean de Pleuville (1).
Quant aux humains malades, qui vont en pèleri¬
nage à cette même fontaine Saint-Jean de Pleuville,
ils doivent, le rite accompli, déposer à côté de l’au¬
tel, en plein air, en la cachant sous quelques pierres,
leur offrande d’un sou ou de deux sous, laquelle est
bientôt découverte et « recueillie » par les enfants
du voisinage. Mais celui qui ose dérober l’offrande,
ainsi déposée, prend en même temps la maladie du
pèlerin susdit.
Cependant l’ofifrande, condition du succès du pèle¬
rinage des malades à telle ou telle source ou fon¬
taine, ne consiste pas toujours, dans la Charente,
en menue monnaie seulement. C’est ainsi que les
« bonnes femmes goutteuses, qui vont demander
leur guérison à VÉtang-Rompu de Montembœuf (2),
y apportent une poignée de blé, de maïs ou d’avoine,
qu’elles doivent déposer dans un trou du rocher qui
se trouve près de la source ».
|XÏX
Des Recommandations.
Enfin, dans un chapitre intitulé ; Recommandations,
M. Fayraud raconte que, lorsque le paysan est malade,
il se pose cette question : « De quel Saint le mal qui
me frappe me vient-il? » Et comme la question, dit
l’auteur, ne peut être résolue par les seules lumières
humaines, il se trouve des spécialistes qui, moyennant
une petite rétribution, soulèveront, pour lui, un coin
du mystère. L’opération s’appelle Recommandation.
Elle se pratique de la façon suivante :
« La bonne femme qui tire les saints prend une ba¬
guette de noisetier (3), coupée la veille de la Saint-
Jean, et dépose un charbon, toujours de noisetier éga¬
lement, sur l'eau qu’elle a préalablement versée dans
commune du canton-nord de l’arrondiBsement de Confolens.
(2) Montembœuf {Voir page 409, note 4).
(3) Toujours la fameuse ^guette de coudrier du sourcier des campa¬
gnes.
_ 414 —
un verre, en murmurant des prières inconnues du
public, prières qui se transmettent de génération à
génération. Elle prononce en même temps le nom
d’un saint. Si le charbon reste à la surface de l’eau, le
saint est innocent de la maladie et l’on passe à un
autre charbon avec le nom d’un nouveau saint. Le
charbon vient-il, au contraire, à couler au fond du
verre, le saint malveillant est, cette fois, connu et il
n’y a donc plus qu’à l’apaiser. On fait alors un pèleri¬
nage à sa fontaine ». (P. nu Maroussem. — Métayers,
1890).
XX
Les Fontaines de la Gironde.
Aux nombreuses sources ou fontaines réputées
pour leurs miraculeuses vertus thérapeutiques, dont
je viens de parler, je dois ajouter d’abord celles non
moins intéressantes du département de la Gironde,
puis celles du Limousin, fontaines sur lesquelles,
dans ces deux régions, la tradition nous a conservé
aussi certaines légendes touchant leurs soi-disant
propriétés curatives.
Ainsi, dans la Gironde, — et ici je fais appel au
très important mémoire de mon confrère et ami,
M. François Daleau (de Bourg-sur-Gironde), ancien
président de la Société d’Anthropologie de Bordeaux
et du Sud-Ouest de la France, paru il y a vingt-cinq
ans, que j’ai déjà cité précédemment (1) ^— dans^
la Gironde, dis-je, les enfants atteints fréquem¬
ment de coliques sont conduits à la fontaine de
Saint-Brice, près de Mios (2), dont l’eau les guérit
rapidement. On les mène également au pèlerinage
de Saint-Fiacre, dans la commune de Saint-Giers-là-
Lande (3). Cette même fontaine de Saint-Brice fait
passer les maux de dents. On recommande aussi,
(t) FaA.NÇOis D^LEiiv. — Notes pour servir à l’élude des traditions,
croyances et superstitions de la Gironde. Bordeaux, 1889.
(2) Mios, commune du canton d’Audenge, arrondissement de Bor-
(3) Saint-Ciers-la-Lande, chef-lien de canton de l’arrondissement de
Blaye.
— 415 —
dans le même but, de prendre un os de crapaud, tué
au mois d’avril, et d’en frotter la dent douloureuse.
Enfin, la fontaine Sainte-Appoline est réputée égale¬
ment pour guérir les affections dentaires.
La fontaine de VErmitage, dans la commune de
Saint-Émilion (1), est considérée comme possédant la
propriété, sinon de guérir les rhumatismes, tout au
moins d’en calmer les douleurs. Elle a aussi la répu¬
tation de rendre fécondes les femmes restées jus¬
que-là stériles. Je dois ajouter que celles-ci, dans
le même but, se rendaient jadis en pèlerinage soit
à la chapelle de Gabarieu, dédiée à Saint-Sicaire,
dans la commune de Saint-André-de-Gubzac (2), soit
à celle de Verdelais (3).
Je dirai encore, que dans le Bordelais, la légende
veut que, lorsqu’il y a, dans une famille, quatre Allés
d'un même lit, l’une d’elle soitcertainementma^e, selon
l’expression usitée, c’est-à-dire qu’elle soit stérile.
Contre la scrofule, les « écrouelles », on devait se
rendre au Guichet àefi Fontenelles, dans la commune
de Comps (4). On disait aussi que les enfants pos¬
thumes avaient le don de guérir les glandes, les
humeurs froides, dénommées dans la Gironde « le
mal du Roy ». De même le septième fils d’un même
père possédait, de naissance, le don de guérir lé
susdit mal du Roy.
En temps d’épidémie, on accourait à la fontaine de
Saint-Antoine, à Gadarsac, dans la commune d’Ar-
veyres (5).
S’il s'agit de la variole (la picote, comme oh
l’appelle dans la campagne), on met des crapauds
dans un vase quelconque sous le lit du malade, pour
qu'ils pompent le venin. Si les dits batraciens meurent,
le malade est sauvé.
(1) Saint-Émilion, commune du canton et arrondissement de Libourne.
(3) Saint-Andrc-de-Cubzac, chef-lieu de canton de l’arrondissement
de Bordeaux.
(3) Verdelais, commune du canton de Saint-Macaire, arrondissement
de La Réole.
(ft) Comps, commune du canton de Bourg-sur-Gironde, arrondissement
de Blaye.
(5) Arveyres, commune dn canton et arrondissement de Libourne.
L eau de la fontaine de Sni/il-Julie/i, dans la com¬
mune de Cubzac-les-Ponts (1), a soi-disant la vertu
de guérir les furoncles.
Les malades atteints de gastrite s’adressent à la
fontaine de Saint-Côme, dans la commune du même
nom (2).
Pour obtenir la guérison plus ou moins radicale
des hémorrhoïdes, on allait autrefois se baigner
dans la source dite la Font Danière^ qui se trouve
dans la commune de Cartelègue (3). Cette même
fontaine avait encore la réputation de guérir certaines
ophtalmies.
Afin d’avoir du lait et pour être ainsi meilleures
nourrices, les femmes, relevées de couches, vont
boire de l’eau à la fontaine miraculeuse de la Poupe,
au lieu dit le Tait, dans la commune de Ruch(4).Les
femmes qui, par contre, veulent faire passer leur
lait, n’ont qu’à toucher du persil
Quant à la fontaine de Saint-Aignan, située dans la
commune d’Espiet (5), elle a pour propriétés théra¬
peutiques de guérir les lépreux ainsi que les maladies
des yeux.
Pour les ophtalmies, d’ailleurs, on peut citer, en
outre de la fontaine de Saint-Aignan et de celle dite
la Font Danière (de Cartelègue), que j’ai indiquée
plus haut :
1° La fontaine de Saint-Martial qui se trouve dans
la commune de Saint-Sulpice de-Faleyrens (6);
2“ La source dite la Font Galline, dans la commune
de Tauriac (7) ;
3“ La fontaine de Saint-Jean, sise dans la commune
de Lamotte (8) ;
(1) Cubzae-Us-Ponia, commune du canton de Saint-Àndré-de-Cubzac.
(2) Saini-Cüme, commune du canton et arrondissement de Bazas.
— 417 -
4" La fontaine de Saint-Clair, à Mons, dans la com¬
mune de Belin (1), où l’on se rendait en pèlerinage
le 1*'' juin.
Le nom de Saint-Clair était si bien indiqué pour
les affections de la vue, — on trouve ici de nouveau
le similia similibus curantur, —■ qu'on allait toucher
les reliques de Saint-Clair dans l’église d’Aubie (2);
que, le jour de Saint-Clair, on allait en pèlerinage à
l’église Sainte-Eulalie de Bordeaux et à l’église de
Comps (3).
Je dois ajouter qu’il est une certaine ophtalmie, con¬
nue dans le Bordelais, sous le nom de dragon, que les
enfants posthumes avaient le don de guérir; il leur
suffisait de passer l’alliance de leur mère sous la pau¬
pière du patient. François Daleau dit aussi que « la
bague d’une mariée guérit également les gens
atteints du dragon; mais il fallait pour cela que
l’épousée n’ait pas couché avec cette alliance la pre¬
mière nuit de son mariage ».
En quoi consistait cette affection de la vue ? je
l’ignorais, je savais seulement, d’après le Diction¬
naire de Médecine, A& Nysten (édition E. Littré et
Ch. Robin), que, dans l’ancienne hippiatrique, on
désignait sous le nom de dragon, une tache blan¬
châtre qui se dessine dans le cristallin du cheval,
lorsque la cataracte commence à s’y former.
Mais, au dernier moment j’apprends, par une
lettre de François Daleau, que j’ai consulté à cet
égard, que l’ophtalmie, désignée sous le nom de
dragon par les habitants de la région de Bourg-sur-
Gironde, ne serait autre, très probablement, que
le ptérygion.
Enfin, une autre source ou fontaine de Mios (4),
(1) Belin, commune chef-lieu de canton de l’arrondiesement de Bor-
(2) Aubie, c’est-à-dire Aubic-Espessas, commune du canton de Saint-
André-de-Cubzac, arrondissement de Bordeaux.
(3) Compt, commune du canton de Bourg-sur-Gironde, arrondissemen
de Blaye.
(4) Mio$ (voir page 414, note 2).
— 418 —
la fontaine Saint-Jean, possédait la, propriété de
guérir les maux de tête. D’autre part, afin de ne pas
avoir non plus de douleurs de tête dans l’année, on
se rendait, le 25 mai, à la chapelle de Saint-Urbain,
dans la commune de Pugnac (1).
XXI
Les Fontaines du Limousin.
Après les fontaines miraculeuses, thérapeutique¬
ment parlant, de la Gironde, dont je viens de rappeler
les superstitions et les légendes qui leur sont atta¬
chées, je n’ai pas le droit de passer sous silence celles
du Limousin, si curieuses aussi par le culte supersti¬
tieux dont elles ont été l’objet, de temps plus ou
moins immémorial, culte superstitieux, dont un cer¬
tain nombre d’entre elles l’étaient encore il y a quel¬
ques années et dont elles le sont certainement
encore à l’heure actuelle . Je ne saurais, dis-je, les
taire, surtout après la curieuse description qu’en a
donnée M. Gaston Vuillier, de visu, dans sa très
intéressante notice (2), à laquelle j’emprunte les faits
qui suivent.
En effet, beaucoup de sources du Limousin s'a¬
dressent à la fièvre, d’autres aux maladies du cuir
chevelu et principalement à la teigne. On prête à
certaines d’entre elles la propriété de guérir les con¬
vulsions des enfants. Plusieurs fontaines débarras¬
sent leurs pèlerins de la gale, des maux d’yeux, des
affections de la tête en général, de l’épistaxis, de la
consomption, du mal cheslin (3), de la paralysie, des
(1) Pugnac, commune du canton de Bourg-sur-Gironde.
(2) Gaston Vüillibr. — Le culte des Fontaines en Limousin. (Le Tour
du Monde, année 1901).
(8) Le mot chestin (patois limousin) est synonyme de chétif. Le mal
chestin, d’après mon confrère en préhistoire et ami, Philibert Lalande
(de BriTe), président de la Société scientifique et archéologique de la
Corrèze, serait « une maladie de l’enfonce caractérisée par un état de
grande faiblesse générale et une forte anémie ».
— 419
maladies des reins, des engelures, de la surdité, des
incontinences d’urine, du cancer, des maux d’esto¬
mac, de la scrofule, des maladies nerveuses, de la
démence,.. Il en est encore, parmi les sources du
Limousin, qui guérissent les morsures des serpents
ou de tout autre animal venimeux. D’autres, enfin,
tout à fait miraculeuses, ont la spécialité de guérir
les infirmes, voire même les incurables (!), etc.
On peut dire, en un mot, que les fontaines du
Limousin, qu’on appelle les Bonnes Fontaines., gué¬
rissent tous les maux susceptibles de frapper l’hu¬
manité, chacune, pour ainsi dire, ayant sa spécialité
selon le saint, le saint guérisseur, dont le peuple
des campagnes lui a donné le vocable.
C’est ainsi, pour ne citer que quelques-unes de ces
sources, qui portent un nom présentant une certaine
similitude avec celui de l’affection dont les malades
sont atteints, d’où la préférence de ceux-ci à s’adres¬
ser à telle d’entre elles plutôt qu’à telle autre, je
trouve les fontaines de :
Saint-Eutrope [San Estropi en patois limousin),
pour guérir les Cette fontaine a aussi des
propriétés prétendues curatives concernant, dit-on,
les « hydropiques » ;
Saint-Cloud, pour soulager les porteurs de clous ou
furoncles ;
Saint-Aignan, pour guérir la teigne (1) ;
Sainte-Claire, ^o\iT\&& maux d'yeux [2) ;
Saint-Genou, pour les rhumatismes articulaires et
pour la goutte
Saint-Quentin, pour les: quintes de toux ;
Saint-René, pour les maux de reins ;
Saint-Pati, pour guérir les enfants qui pâtissent,
c’est-à-dire les enfants rachitiques.
Donc malades et infirmes, hommes, femmes et
enfants, vont ou se font conduire à la fontaine limou¬
sine qui leur est spécialement indiquée par la vox
(1) Je l’ai mentionnii précédemment.
(2) J’ai déjà si^alé ici pour d’autres régions de la France, un certain
nomnre de fontaines réputées aussi pour la cure des maladies des veux,
et (jui étaient dénommées également soit Saint-Clair, soit Sainte-Claire.
420 -
populi pour y être guéris de l’affection dont ils sont
atteints. Mais, lorsque leur état de santé ne leur per¬
met pas de s’y rendre, ils y envoient, en leur lieu
et place, des individus dénommés, déjà au moyen
âge, en patois limousin, roumius^ roumieux ou rou-
miaux, qu’ils chargent d’accomplir, pour eux, contre
rémunération, bien entendu, le culte rituel de la
fontaine dans tous ses détails. C’est ce que j’appel¬
lerai le pélérinage par procuration.
Je retrouve là ce que j’ai décrit, il y a vingt ans (1),
à propos du Polissoir de Saint-Cyr-du-Bailleul (Man¬
che) et que j’ai reproduit dans le premier chapitre de
ce travail (2), c’est-à-dire l’envoi, par le malade
empêché, d’un de ses parents ou d’un de ses amis à
la Pierre qui coupe la fièvre, pour en briser un frag¬
ment et le lui apporter aussitôt à son home, où on le
fait macérer, dit-on, dans la quantité d’eau bouillante
que le malade doit boire ensuite pour être immé¬
diatement guéri.
Parmi ces fontaines du Limousin, fontaines dites
sacrées par les habitants à cause des propriétés qu’ils
attribuent superstitieusement à leurs eaux depuis des
siècles, propriétés curatives ou préventives de diver¬
ses maladies et infirmités, fontaines enfin, dont quel¬
ques-unes, christianisées, sont, par suite, devenues,
avec le temps, l’objet de leur pèlerinage, à une
date parfois plus particulièrement déterminée de
l’année — M. Gaston Vuillier a assisté, il y a quinze
ans, à quelques-uns de ces pèlerinages et en a donné,
dans sa monographie, une description pittoresque,—
parmi ces fontaines limousines, dis-je, je citerai prin¬
cipalement :
1“ La. fontaine sacrée de Saint-Éloi, « le bon forge¬
ron » {el boun faour, comme on l’appelle en patois
limousin). Réputée pour les vertus curatives des dou-
(1) ÉuiLE Rivière. — Le Polissoir de Saint-Cyr-du-Bailleul {Manche).
(Association française pour l’Avancement des Sciences, Congrès de
Caen, année 1894).
(2) Bulletin de la Société française d'Uistoire delà Médecine, tome XIII,
pages 82-85, année 1914.
— 421 —
leurs rhumatismales, cette source ou fontaine se
trouve dans la forêt de Benayes (1), dans la Haute-
Corrèze. Le pèlerinage annuel dont elle est l’objet,
a lieu, non pas le jour de la fête du saint dont elle
porte le nom, mais bien le 24 juin. Les malades qui
s’y rendent, convaincus d’y trouver la guérison
ardemment désirée, plongent, dans ses eaux plus
ou moins froides, le ou les membres endoloris ou
soumettent aux ablutions miraculeuses telle autre
partie souffrante de leur corps, après quoi ils jettent
une pièce de monnaie quelconque — l’offrande obli¬
gatoire ■— dans la fontaine.
M. Vuillier a vu, à la fontaine de Saint-Eloi,
nombre de ces roumirus accomplir, par procuration^
les mêmes formalités rituelles, soit en plongeant dans
la fontaine celui de leurs propres membres supérieurs
ou inférieurs correspondant au membre malade de
l’habitant retenu chez lui par sa santé, soit en se
livrant aux ablutions recommandées et faisant ensuite
à la fontaine l’offrande réglementaire.
2® La fontaine sacrée d’Orgival (2). Réputée et fré¬
quentée par les individus des deux sexes, mais plus
particulièrement par les femmes, pour les propriétés
thérapeutiques miraculeuses de ses eaux, son culte
rituel consiste en des ablutions. Celles-ci doivent être
complétées, par les femmes infécondes, en allant
s’asseoir pendant quelques courts instants sur une
pierre rectangulaire, voisine de la source, pierre
qu’on nomme, on ne sait pourquoi, dit M. Vuillier,
la Tombe de la Vierge. Le simple contact de celte
pierre aurait le pouvoir de guérir la stérilité.
Orcival est un petit village du Puy-de-Dôme, voisin
de la Corrèze et situé sur le flanc d’un des monts
Dôme, au centre d’une superbe forêt de pins, de
mélèzes et de hêtres. Le pèlerinage de sa fontaine
s’accomplit le jour de l’Ascension.
(1) Betiayés, (iommuae de la Gorrèïo, canton de Lubersac, arrondis¬
sement de Brive.
(2) Orcival, commune du canton de Rochefort-Montagne, arrondisse¬
ment de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).
Bull. Soc. fr, hUi. méd., XII, 1914. 28
— 422 —
3“ La fontaine ou Goutte (1) sacrée de Sainte-
Radegonde [Goûta Redounda en patois limousin). Elle
se trouve dans la forêt de Meilhards (2). Préventives
de la fièvre, ses eaux sont aussi curatives de l’eczéma
et des alFections rhumatismales. Pour ces dernières,
le rite des ablutions est le même que celui de la fon¬
taine sacrée de Saint-Eloi : « on fait couler l’eau glacée
de la source dans les manches du malade, dont les
bras sont endoloris par les rhumatismes, de même
qu’on verse, à l’aide d’écuelles, sur la nuque du
patient, l’eau de la fontaine de façon à la laisser
glisser le long du dos ».
Enfin les estropiés se rendent aussi à la fontaine
de Sainte-Radegonde pour y être guéris de leurs
infirmités.
4“ Les fontaines de Cardes (3) sont au nombre de
deux. L’une est dite de Saint-Rémy, elle a pour pro¬
priétés prétendues de guérir les rhumatismes. L’au¬
tre, qui a pour patron Saint-Robert, est spécialement
destinée à la cure superstitieuse du rachitisme et des
maladies de l’enfance.
Les eaux de la première, c’est-à-dire de la source
Saint-Rémy, doivent être bues le matin à jeun, après
quoi les pèlerins doivent aller frotter le ou les mem¬
bres malades contre « une pierre en saillie » qui, d’a¬
près la tradition, servit de prie-Dieu au susdit saint.
La cavité qu’on y remarque, naturelle ou creusée de
main d’homme, est considérée comme étant, dit l’au¬
teur, l’empreinte du genou du patron de la source.
Quant aux eaux de la fontaine Saint-Robert, des¬
tinées aux enfants rachitiques ou atteints de quel¬
qu’une des diverses maladies du jeune âge, on en
remplit une bouteille qu'on emporte chez soi pour
laver le petit malade pendant neuf jours consécutifs.
5“ La fontaine de Saint-Yrieix (4) est une dô ces
(1) La dénomination de Goûta ou Goutte est donnée à un certain
nombre de fontaines des départements do lu Creuse et du Puy-de-Dôme.
(2) La forêt de Meilhards dépend de la commune du. même nom,
canton d’Uzerchc, arrondissement de Tulle (Corrèze).
(3) Cardes, commune du canton de Juillac, arrondissement de Brive
(Corrèze).
(4) Saint-Yrieix, chef-lieu d’arrondissement de la Haute-Vienne.
— 423 —
fontaines miraculeuses auxquelles se rendent aussi
les rhumatisants, mais, d’après M. Vuillier, « avec
mystère, aux vieilles lunes, à trois fois consécutives.
Les susdits malades doivent s’y livrer à des ablutions
répétées trois fois aussi (1) sur leurs membres endo¬
loris ».
6° La. Font des Arènes, située au milieu de ruines
de l’époque gallo-romaine, dans la commune de
Naves (2), passe aux yeux des populations pour être
douée de vertus curatives particulières, aussi les vil¬
lageois des environs y ont-ils fréquemment recours.
Cette fontaine n’a pas été christianisée comme les
précédentes ; son culte sei’ait antérieur à l’èi-e chré¬
tienne.
7“ La fontaine de l’Ermite est située près de
Lagraulière (3), non loin du gourg negre. Ses eaux
seraient, dit-on, souveraines contre les fièvres et
beaucoup d’autres maux.
8° La fontaine de Sainte-Gaquette ou Santa Ca-
quita (en patois limousin), à laquelle les gens de la
région se rendent, pour ceux de leurs enfants « qui
tardent à parler », en raison bien certainement de son
vocable : caquette, caqueter, babiller. Elle se trouve
dans la Corrèze, au Cliastang (4), près de Tulle.
9° Les Bonnes Fontaines proprement dites, près
de Cussac, dont les eaux, employées en ablutions,
sont superstitieusement considérées comme rendant
des forces aux individus affaiblis.
J’arrête ici l’énumération des fontaines soi-disant
pourvues de vertus curatives, alors que les eaux d’au¬
cune d’elle ne sont, en réalité, douées de propriétés
le moindrement thérapeutiques ; alors que les eaux
d’aucune d’elles ne sont des eaux minérales, médi-
(1) La superstition du chiffre 3, comme plus haut, pour la fontaine
Saint-Robert, celui du chiffre 9.
(2) Ifaves, commune du canton-nord et arrondissement de Tulle.
(3) Lagrauliire, commune du canton de Seilhac, arrondissement de
Tulle.
(4) Le Chattang, commune du canton-sud et arrondissement de Tulle.
— 424 —
calement parlant, fontaines qui ont été, de temps
immémorial, c’est-à-dire longtemps avant d’avoir été
christianisées, l’objet des rites les plus superstitieux
et de légendes plus ou moins bizarres. Je dois
ajouter que ces fontaines miraculeuses sont voisines
bien souvent soit de quelque rocher d’où ses eaux
jaillissent, soit de quelque pierre (sacrée comme la
fontaine elle-même) ou de quelque mégalithe préhis¬
torique, ainsi qu’on a pu le remarquer.
Cette énumération, si longue qu’elle puisse paraître
pour cette simple notice, est cependant bien peu
nombreuse comparativement à celle des fontaines
dont j’aurais pu parler encore, soit qu’elles appar¬
tiennent aux régions citées ici, soit qu’elles se trou¬
vent en maints autres départements de la France.
Elle suffit néanmoins à montrer, je pense, combien
l’eau, de quelque point de la terre dont elle sorte, a
été, de tous temps pour ainsi dire, et combien elle
est encore actuellement l’objet d’un culte à l’égal de
celui du dieu soleil.
Qui ne sait d’ailleurs que, chez les Egyptiens,
comme le dit M. Vuillier, l’eau du Nil passait pour
être le premier agent de la génération.
Tels sont les faits quej’aii’ecueillis de divers côtés
touchant le culte des Sources et des Fontaines de pré¬
dictions ou de guérisons. Qu’il s’agisse delà Lorraine,
de la Bourgogne, de l’Angoumois, du Bordelais, du
Limousin ou de la Bretagne, voire même de l’Ile-de-
France, presque aux portes de Paris, pour ne parler
que de certaines provinces de la France, des provin¬
ces, du moins, dont il a été ici à peu près exclusive¬
ment question, les légendes et les superstitions thé¬
rapeutiques attachées aux fontaines se retrouvent
toujours à peu près les mêmes et la foi des popula¬
tions en leurs prétendues vertus préventives ou cura¬
tives reste, aujourd’hui encore, presque partout aussi
inébranlable qu’autrefois.
Et si je n’ai pas parlé, dans ces quelques notes, du
culte, dont les sources thermales ont été jadis aussi
— 425 —
l’objet, je l’ai fait intentionnellement, la question
ayant été traitée à fond, il y a quelques années, par un
de mes collègues de la Société Préhistorique de Fi-ance,
le docteur Paul Rodet, dans une importante étude inti¬
tulée : Le culte des sources thermales à l'époque gallo-
romaine, étude que je tiens à signaler en terminant
le chapitre du culte des sources et des fontaines.
Quatrième note (1)
xxir
Le grattage des pierres.
Aux faits que j’ai rapportés, dans ma première com¬
munication sur la foi superstitieuse dans les propriétés
thérapeutiques de la poussière résultant du grattage
de certaines pierres (mégalithes préhistoriques, sim¬
ples rochers, statues, pierres de tombeaux ou autres),
j’en dois ajouter quelques autres que j’ai trouvés
pour la plupart, depuis lors, dans un mémoire de
M. Paul Sébillot (2).
Dans le Beaujolais, raconte Glaudius Savoye (3), les
femmes affligées de stérilité s’pn allaient racler une
pierre placée dans une chapelle isolée au milieu des
prairies.
A Saint-Sernin-du-Bois (4), dit L. Lex (5), elles
grattaient la statue de Saint Freluchot. Dans cette
même localité, les pèlerins raclaient une autre statue,
celle de Saint Plotat, et en faisaient boire la poussière
ainsi obtenue aux enfants rachitiques, après l’avoir
délayée dans de l’eau puisée à une fontaine ou
source, probablement voisine. Ils associaient ainsi le
culte des pierres à celui des fontaines, dont les eaux,
prétendues curatives, coulaient non loin de là.
De même les fragments de la pierre d’autel de la
(1) Séance du 10 juin 1914.
(2) Paul Sébillot. — Le culte det pierres (Revue de l’École d’Aulhro-
pologie de Paris, tome Xll, année 1902).
S Le Beaujolais préhistorique.
Saint-Sernin-du-Bois, commune du canton du Grcusot, arrondisse¬
ment d'Autun (SaAne-et-LoireV
(5) Le culte des eaux en Saône-et-Loire.
— 426
chapelle de Saint-Benoît, à Maillé (1), dans la Vienne,
étaient, en vue d’une cure miraculeuse quelconque,
délayée dans l’eau puisée à la fontaine.
Il en est de même encore des fiévreux qui, dans
l’espérance d’une guérison des plus prochaines, sinon
immédiate, vont boire l’eau de la niare de Paizay-le-
Sec (2), située non loin d’une chapelle dédiée à Sainte-
Marie l’Égyptienne, après y avoir mêlé un peu de la
poudre qu’ils ont raclée à la pierre de l’ancien sanc¬
tuaire (3).
Afin d’être préservés de toutes maladies, les pèle¬
rins, dit encore Paul Sébillot, vont recueillir pré¬
cieusement, chacun, un fragment de la pierre dénom¬
mée le Caillou de l'Arrayé, qui se trouve sur la route
de Saint-Sauveur (4), dans le département des
Hautes-Pyrénées (.5).
Il y avait autrefois, sur le territoire de la commune
d’Avensan (6), rapporte de son côté François Da¬
leau (7), une pierre dont les femmes enceintes, dans
leur croyance en une ancienne légende, emportaient
des fragments, pour avoir, à leur volonté, des filles
ou des garçons.
Les individus atteints de la fièvre vont également
dans la Vienne :
Ou gratter une énorme pierre brute à la limite de
Lussac-les-Châteaux (8) et de Persac (9), pierre dési¬
gnée on ne sait poui’quoi, dit Paul Sébillot, sous le
nom de Saint Sirot\
Ou bien racler la grosse Pierre de Chenet, dans les
mêmes parages, pierre sur laquelle ils laissent.
(1) Maillé, commune du canton de Vouillé, arrondissement de Poitiers
(Vienne).
(2) Paizay-le-Sec, commune du canton de Chauvigny, arrondissrment
de Monlmorillon, dans le département de la Vienne également.
(3) UEAUCHET-tiLLEAU. — Pèlerinages du diocèse de Poitiers.
(4) Saint-Saiii’eur-les-Bains, commune du canton de Luz-Saint-Sauveur,
arrondissement de Bagnères-de-Bigorre.
f6) Achille Jubinal. — Les Hautes-Pyrénées.
(6) Aoensan, commune du canton de Castelnau-de-Médoc, arrondisse¬
ment de Bordeaux.
{l)Loe.cit.
(8) Lussac-les-Châteaux, chef-lieu de canton de l’arrondissement de
Montmorillon (Vienne).
(9) Persac, commune du canton de Lussac-les-Châteaux.
— 427 —
comme offrande, des épingles (1) et des « liards ».
La poussière qu’ils en obtiennent est mélangée avec
de l’eau qu’ils boivent neuf matins de suite (2).
Au chapitre des Fontaines de la Gironde, j’ai dit
qu’on conduisait les enfants atteints de coliques, soit
à la fontaine de Saint-Brice, près de Mios, soit au
pèlerinage de Saint-Fiacre, dans la commune de Saint-
Ciers-la-Lande (3). J’ajoute que, dans le Limousin,
on va, dans la même Intention, gratter le menhir de
Saint-Génery-sur-Gère.
Au dix-septième siècle, les malades atteints de la
fièvre ou de maux de dents s’en allaient au tombeau de
Saint-Ghaumast, à Poitiers, dont ils raclaient la pierre
pour en manger la poussière. Les femmes faisaient
également absorber à leurs enfants la poussière de la
pierre tumulaire du susdit saint, pour les guérir du
mal de dents (4).
Dans le département de l’Indre, les gens du voisi¬
nage de Déols (5) avaient, pour se guérir de la fièvre,
la poudre du marbre d’un tombeau placé dans la
crypte de l’église de cette localité.
A Gernay (6), la poussière provenant du grattage
aussi du tombeau de Saint Serein est mélangée, dans
un but également de thérapeutique miraculeuse, à
l’eau d’une fontaine du même nom. Dans la même
région on mettait, dans des potions qu’on donnait
aux fiévreux, de la poussière obtenue par le raclage
de la pierre tombale de Sainte-Vierge.
Enfin, Paul Sébillot rapporte encore, d’après A. de
laVillegille (7), que,à l’abbaye de la Grainetière,dans
la Vendée, une statue de pierre, placée sur la tombe
d’un seigneur de Parthenay, dont la vie avait été loin
d’être édifiante, était vénérée comme celle d’un saint
(t) Nous retrouTons ici, de nouveau, le rite des épingles associé au
culte des fontaines.
(2) Bea.uchkt-Filleau. — Les pèlerinages du diocèse de Poitiers, et
Léon Pineau. — Le Folklore du Poitou.
(3) Saint-Ciers-la-Lande (voir page 414, note 3).
(4) Beauchet-Filleau. — Loc. cil.
(5) Déols, commune du canton et arrondissement de Châteauroux.
(6) Cernay, commune du canton de Lcncloltrc, arrondissement de Cha-
telicrault (VienneV
|7) Bulletin, de la Société des Antiquaires de l’Onest, année 184?,
— 428 —
et qu’on l’avait appelée Saint Rognoux. Or on grattait
le nez de ladite statue et on en faisait avaler la
poussière aux enfants qu’on voulait guérir de la teigne.
Lors de la destruction de l’abbaye, la tête fut déposée
au pied d’une croix, dans une niche dont une grille
de fer fermait l’entrée. Mais la ferveur des dévots eût
bientôt rompu cet obstacle et, à défaut du nez qui a
complètement disparu, on racle maintenant [1842] les
autres parties de la tète.
11 en était de même de l’efTigie tumulaire d’un che¬
valier qui se trouvait dans l’église du Vigeant (1),
effigie à laquelle la population avait, de sa propre
initiative, donné le nom de Saint Eutrope. Les parents
des malades venaient gratter, avec un couteau, la
partie de la statue correspondant à celle où le patient
éprouvait de la douleur et faisaient prendre en tisane
à celui-ci la poussière qu’ils avaient ainsi recueillie.
D’autre part, s’il s’agissait d’enfants lents à marcher,
c’était dans leurs bas ou dans leurs chaussures qu’on
mettait superstitieusement un peu de la susdite pous¬
sière (2).
Ajouterai-je, toujours d’après Paul Sébillot, que
plusieurs anciennes chapelles du Beaujolais renfer¬
maient ou renferment encore des pierres dites mira¬
culeuses, dont on gratte la surface à l’aide d’un
couteau, pour la poussière, ainsi obtenue, être avalée
par les patients afin de se guérir d’une foule de
maux.
La pierre, qui se trouvait dans la chapelle de
Saint-Ennemond (3) et que la légende déclarait effi¬
cace contre les maux de dents et les coliques, a été
transportée dans une cour voisine. Elle n’en est pas
moins toujours vénérée par les pèlerins encore nom¬
breux qui ont conservé une foi inébranlable en ses
propriétés curatives. C’est ainsi que, après s’être
agenouillés auprès de l’autel de la susdite chapelle,
(1) Le Vigeant, commune du canton de l’Isle-Jourdain, arrondissement
de Montmorillon (V'ienne).
(2) Bai)ciii!T-Fih.fau. — Loc. cit.
(3) Saint-Ennemond, commune du canton-est et arrondissemeut de
Moulins (Allier .
— 429 —
ils n’oublient pas la poudre raclée sur la pierre,
but réel de leur voyage (1).
Au seizième siècle, une statue qui portait le nom
d’un saint, dont il existe plusieurs variantes (Gre-
luchon, Grelichon, Guerlichon, etc.), statue à la¬
quelle on a rattaché une signification phallique, pas¬
sait pour avoir les vertus fécondantes des pierres
dont j’ai déjà parlé. Un écrivain du temps décrit ainsi
le pèlerinage dont elle était l’objet : « Sainct Guerli¬
chon, qui est en une abbaye de la ville de Bourgdieu,
tirant à Romorantin (2) et en plusieurs aultres lieux,
se vante d’engroisser autant de femmes qu’il en vient,
pourvu que, pendant leur neuvaine, elles ne faillent
à s’estendre par dévotion sur la benoite idole qui est
gisante de plat et non pas debout comme les aultres.
Outre cela, il est requis que chascun jour elles boi¬
vent un certain breuvage meslé de la poudre raclée
de quelque endroit d’icelle, et mesmement du plus
deshonneste à nommer (3) ».
Les femmes stériles venaient aussi à Decines (4),
dans le département du Rhône, demander la fécon¬
dité à certain monolithe placé au milieu d’un champ
au lieu dit Pierrefrite, monolithe, en réalité un menhir
comme ce nom l’indique, sur lequel elles devaient
s’accroupir (5).
Les malades qui se couchaient près des Haules-
Bomes — mégalithes préhistoriquesaussi, bien certai¬
nement,— dans l’Aisne, la nuit de la Saint-Jean, se
relevaient guéris.
Les femmes, qui se rendaient à la Pierre-de-Clouise,
dans la forêtde.VilIers-Gotterets(6), prétendaient, sans
dire le nom du saint qu’il leur fallait invoquer, se
débarrasser des crevasses qu’elles portaient aux
doigts (7).
(1) CtilUDius Sa VOTE. — Le Beaujolais préhistorique.
(2) Bourgdieu. commune de l'arrondissement de Romorantin, dépar¬
tement de Loir-et-Cher.
(3) Henri Estienne. — Apologie pour Hérodote.
(ft) Decines, pour Deuicé, commune du canton et arrondissement de
Villefranche-sur-Rhâne.
(5) Ernest Chantre. — L'Homme, année 1885, page 75.
(6) Villers-Cotterets, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Sois-
(71 E. Fleury. — Antiquités de l’Aisne.
— 430 —
Enfin, dans le département d’Enre-et-Loir, on allait
exposer les tout jeunes enfants sur la table du dolmen
de Margon (1), pour leur donner forces et santé ; de là
le surnom de Pierre-aux-nouveau-nés, que porte la
susdite table (2).
XXIII
Pierres a frottis et pierres a glissades.
Ecriage, Érussage, Escourencho .
A. — En Bretagne, pour donner de la force aux
enfants et aux jeunes gens, on leur frotte les reins au
rocher de Saint-Samson^ — une variante du rocher de
Saint-Fort, — près de la chapelle dédiée audit Saint-
Samson, à Plœmeur-Bodou (3).
Un rocher du même nom, qui se trouve à Tré-
gastel (4), avait une échancrure usée par la crédulité
des pèlerins dans les vertus du frottis, de même que
le menhir de Saint-Samson à Landunnevez (5), où
c’était l’épaule qu’on frictionnait contre lui (6). La
même foi superstitieuse conduisait très probablement
aussi, en raison de son vocable, au menhir de la
Tremblaye, menhir haut de 10 mètres, dans la com¬
mune de Saint-Samson (7).
En passant par Guimaec (8), les pèlerins qui vont
à Saint-Jean-du-Doigt (9), ne manquent jamais non
plus d’aller se frotter le dos contre la plus élevée
des treize pierres d’un monument mégalithique de
(1) Marffon, commune du canton et arrondissement de Nogent-le-
Rotrou.
{2) Gustave Fouju. — Revue des traditions populaires, tome XIV,
pages 477-478, année 1899.
(3) Plœmeut-Bodou ou Pleumeur, commune du canton de Perros-
Guirec, arrondissement de Lannion (Côtes-du-Nord).
(4) Tregastcl, commune du même canton de Perros-Guirec.
(5) Landunnevez ou Landunrez. commune du canton de Ploudalmézeau,
(6) Paul Sébillot. — Le culte des pierres en France. (Revue de l’École
d'Anthropologie de Paris, tçmc XII, page 181, année 1902).
(7) Saint-Samson, chef-lieu du canton-ouest de l’arrondissement de
Dinnn (Finistère).
(8) Guimaec, commune du canton de Lanmeur, arrondissement de
Morlaix (Finistère).
(9) Saint-Jenn-du-Doigl, commune du rnême canton de Lanneeur,
431 —
forme ovalaire, appelé Bez-an-Inkinérez (le tombeau
de la fileuse), dans l’espoir d’étre préservés de toute
atteinte de rhumatismes (1).
Beaucoup de personnes accomplissent le même
acte sur le fût de la Criox des Sept Douleurs au
Bourg-de-Batz (2), laquelle, dit Paul Sébillot, est
fort ancienne et a vraisemblablement remplacé quel¬
que vieux menhir (3).
Gomme autres faits relatifs à la superstition du
frottis je rapporterai encore, d’après cet auteur, que, à
Garnac (4), les jeunes filles qui désiraient trouver un
mari, se déshabillaient complètement et allaient se
frotter l'ombilic à un menhir spécialement affecté à
cet usage.
Dans le département d’Eure-et-Loir, elles relevaient
leurs jupes et, le soir, dans la même intention, elles
se frottaient le ventre également contre certaine
aspérité de la Pierre de Chantecoq surnommée la
Mère-aux-Cailles, « qui est à une hauteur convenable
(5) ». Les jeunes femmes qui désiraient avoir des
enfants se rendaient aussi à cette même Pierre de
Chantecoq et s’y livraient à la même pratique.
Enfin, jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle,
dans rille-et-Vilaine, les jeunes filles, dans l’espoir
d’un prochain mariage, se livraient à semblable
frottis sur une pierre de l’allée couvei'te de la Roche-
Marie, près de Saint-Aubin-du-Gormier (6), qui est
aujourd’hui détruite (7).
Dans le Finistère, à Saint-Renan (8), les jeunes
épousées, il y a peu d’années encore, raconte le même
auteur, — et il n’est pas certain qu’elles ne le fassent
(1) Paul du Cuatellier. — Inventaire des monuments mégalithiques
du Finistère,
(2) Batz ou Le Bourg-de-Batz, commune du canton du Croisic, arron¬
dissement de Saint-Nazaire (Loire-Inférieure).
(3) Loc. cit.
(4) Carnac, commune du canton de Quiberon, arrondissement de
Lorient (Morbihan).
(5) Gustave Fouju. — Revue des traditions populaires, tome X, page 673,
année 1895.
(6) Saint-Aubin-du-Cormier, chef-lieu du canton de l'arrondissement
^e Fougères (Ille-et-Vilaine).
(7) Paul Sébillot. — Traditions de la Haute-Bretagne, tome I.
/8, St-Rcnan, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Bresl (Finistère).
— 432 -
plus maintenant venaient, de même, pour assurer
leur fécondité, se frotter le ventre contre la Jument
de pierre, rocher colossal qui se trouve au milieu
d’une lande et qui ressemble, dit-il, à un animal des
temps fabuleux.
Dans cette même localité, lors de la Troménie ou
procession de Saint Renan, les fiévreux et les indi¬
vidus sujets à des accidents nerveux ne manquaient
pas d’aller s’asseoir dans une anfractuosité du roc,
sorte de chaire naturelle où, dit-on, le saint venait
autrefois méditer (1).
A Locronan (2), dans le Finistère également, pour
conquérir la fécondité, les épouses stériles allaient, à
la fin du dix-huitième siècle, se frotter à deux rochers
sur lesquels la légende veut que les roues de la
charette, qui transportait le corps de Saint Renan
décédé,- aient laissé leur empreinte. Ces rochers sont
donc très vraisemblablement, vu lesdites prétendues
empreintes, des pierres à bassins, à moins qu’il ne
s'agisse d’érosions naturelles.
Julien Sacaze (3) dit aussi que, vers le milieu du
dix-neuvième siècle, les femmes du pays de Lu-
chon (4), pour devenir fécondes, se frottaient contre un
menhir, qui se trouvait sur la montagne du Bourg
d’Oueil (5), et qu’elles l’embrassaient avec ferveur.
A Saint-Étienne-en-Coglès (6), les femmes pour
avoir des enfants, les jeunes filles pour se marier
dans l’année, se frottaient aussi, naguère encore et
clandestinement, dit l’auteur, à une sorte de champi¬
gnon sur un rocher qui porte, à son sommet, un
superbe bassin (7).
(1) A. Le Bra.z. — Au pays des pardons.
(2) Locronan, commune du canton et arrondissement de Ghàteaulin
(Finistère).
(3) Julien Saca.ze. — Le culte des pierres dans le pays de Luchon.
(4) Bagnères-de-Luchon ou simplement Luchon, chef-lieu de canton de
l’arrondissement de Saint-Gaudens (Haute-Garonne).
(5) Bourg d'OueU, commune du canton de Bagnères-de-Luchon,
(6) Saint-ÉÜenne-en-Coglis, chef-lieu de canton de l’arrondissement
de Fougères (Ille-et-Vilaine).
(7) P. Bézier. — Inventaire des monuments mégalithiques de l’Ille-et-
— 433 —
Il fallait, de plus, avant d’accomplir le rite du frottis,
que les jeunes filles se tinssent en équilibre sur le
sommet dudit rocher et qu’elles ne rougissent pas
devant les pèlerins accourus à l'assemblée de Saint
Eustache.
En Auvergne, la pratique du frottis, un peu chris¬
tianisée et sans doute adoucie, dit Paul Sébillot,
s’accomplissait, suivant la tradition, à la chapelle
d’Orcival (1), où les femmes stériles, après avoir fait
consciencieusement trois fois le tour d’un certain
pilier, venaient s’y frotter.
A Sarrance (2), dans les Basses-Pyrénées, les
femmes, attristées de n’être pas mères, allaient dévo¬
tement passer et l’epasser sur un petit roc dénommé
le Rouquet de Sent Nicoulas (3), c’est-à-dire la Roche
de Saint Nicolas.
Enfin, fait qui montre bien jusqu’où la crédulité
de certaines gens peut atteindre, M. Paul Sébillot
raconte, d’après J.-F. Bladé (4), que, pour accou¬
cher tous les sept mois, les femmes allaient rendre
le même hommage [le frottis] à la Pierre longue, près
de Dax (5), dans les Landes.
Ainsi les femmes, loin de craindre autrefois le
nombre des enfants, souhaitaient ardemment, à peine
mariées, obtenir, par des pèlerinages, parfois les plus
bizarres à des pierres ou à des rochers réputés pour
leurs vertus merveilleuses, une descendance aussi
rapprochée et aussi nombreuse que possible.
Aujourd’hui, en ce qui concerne les souhaits
de fécondité. quantum mutatus
ab illo.
Nous trouvons ainsi partout en France, au nord
aussi bien qu’au sud, à l’est comme à l’ouest, le culte
de la pierre représenté superstitieusement par le
(1) Orcival, commune du canton de Rochefort-Montagne, arrondisse¬
ment de Clermont-Ferrand (Puy-de-Ddme).
(2) Sarrance, commune du canton d’Accous, arrondissement d’Oloron
(Basses-Pyrénées).
(3) V. Lespy. — Properbes de Béarn, ■
(4) J.-F. BLand. — Contes de Gascogne.
(6) Dax, chei-lieu d’arrondissement du département des Landes.
— 434 —
tis, lequel était pratiqué le plus souvent contre un
mégalithe préhistorique.
B. — Mais on rencontre aussi, dans certains dé¬
partements, une autre coutume non moins supersti¬
tieuse, qui n’est, en réalité, qu’une variante du
frottis susdit, coutume que Paul Sébillot dénomme
la glissade. Celle-ci s’exécute également sur des
pierres, simples rochers ou monuments préhisto¬
riques, soit en vue d’un mariage prochain, soit pour
la fécondité des jeunes mariés ou des couples sté¬
riles, les deux conjoints opérant, l’un après l’autre,
le rite de la glissade, soit enfin pour obtenir la gué¬
rison d’un mal ou d'une infirmité. Mais tandis que
le frottis proprement dit, plus phallique que la glis¬
sade, est une opération, si l’on peut dire, de certaines
parties de la région antérieure de l'individu, du
ventre et plus particulièrement du nombril, pour
l’appeler par son nom, parfois aussi des organes
génitaux eux-mêmes ; la glissade est le frottis de
la région postérieure plus ou moins entière de l’être
humain, de la femme presque exclusivement.
En effet, la glissade est caractérisée par le contact,
parfois assez brutal, dit Paul Sébillot (1), d’une partie
de la personne du croyant avec la pierre à laquelle il
attribue des vertus particulières. Les exemples les
plus typiques qui aient été relevés sont en rapport
avec l’amour et la fécondité.
Dans le nord du département d’Ille-et-Vilaine,
toute une série de gros blocs, parfois ornés de cupu¬
les ou troués de bassins, comme à Mellé (2), par
exemple, ont reçu le nom significatif de Roches
écriantes, parce que les jeunes filles, pour se marier
plus promptement, grimpent sur le sommet de l’une
d’elles et se laissent glisser (en patois ; écrier) jus¬
qu’en bas. De là, avec le temps, un véritable poli de
la roche.
(1) Paul Sébillot. — Le culte des pierres en France.
(2} Melli ou mieux Melle (sans accent sur l’e), commune du canton de
LouTigrné-du-Désert, arrondissement de Fougères.
Il en était de même à Montault ou mieux Monthault,
commune voisine de Mellé ou Melle, dont la pierre,
dénommée aussi la Roche écriante et inclinée à 45
degrés, offre également un véritable polissage, trace
des nombreuses jeunes filles qui s’y sont écriées.
La glissade était pratiquée aussi, toujours pour le
mariage ou la fécondité, dans des pays bien éloignés
de la Bretagne. Ainsi le jour de la fête patronale de
Bonduen, en Pi’ovence, les jeunes filles, désireuses
de se marier, sontvenues pendant longtemps glisser
sur un rocher qui formait un plan incliné, derrière
l’église ; aussi celui-ci était-il devenu « poli comme du
marbre». Ce rite s’appelait, dans la région, Vescou-
rencho, c’est-à-dire Vécorchade (1).
Il en était de même dans la vallée de l’Ubayette
(Basses-Alpes), où, dans le même but, filles et femmes
se laissaient glisser sur une ancienne roche sacrée du
village de Saint-Ours (2).
Paul Sébillot signale encore, d’après A. de Lar-
rive (3), une grande roche près d’Hyères (4), appelée
la Pierre glissante, qui paraît avoir servi jadis à un
rite analogue.
Il rapporte aussi que, à Ploüer (5), dans les Côtes-
du-Nord, les jeunes filles sont allées, de temps immé¬
morial, s'érusser, — selon l’expressoin usitée dans le
pays — c’est-à-dire se laisser glisser sur le plus haut
des blocs de quartz blanc de Lesmon, qui a la forme
d’une pyramide arrondie. La pierre est très lisse du
côté où s’accomplit la glissade, et ce polissage est dû,
assure-t-on, aux nombreuses générations qui s’y
sont érussées. Pour savoir si elle se mariera dans
l’année, la jeune fille doit, avant d’exécuter là sus¬
dite glissade, relever complètement ses jupes; si,
dans ces conditions, elle arrive jusqu’au bas de la
(1) BÉRENGER-FiiR^^UD. — Supersiilions et survivances.
(2) Girard de Ri allé. — Mythologie comparée.
(3) A. DE Larrive. — Revue des traditions populaires, tome XVI,
page 182.
(4) Uyères, chel-licu de canloa de l’arrondissement de Toulon (Var).
(5) Ploüer, commune du canton et arrondissement de Dinan (Côtes-du-
— 436 —
roche sans s'écorcher, elle est assurée de trouver
bientôt un mari (1).
Enfin, dans le département de l’Ain, les femmes
enceintes, dans l’espoir d’obtenir une heureuse déli¬
vrance, se laissaient glisser du sommet d’une roche
plate fortement inclinée, qu’on voyait encore, au
milieu du dix-neuvième siècle, à Saint-Alban (2),
près de Poncin.
A propos d’accouchements, je rappellerai inci¬
demment un autre rite des plus superstitieux qui a
cours encore en Italie et que j’ai fait connaître, il y a
quatre ans (3), au Congrès préhistorique de France
et que voici.
Dans certaines localités de la province de Sassari,
en Sardaigne, on a recours aux vertus soi-disant
miraculeuses du fer de cheval pôrte-bonheur pour,
dans certains accouchements, favoriser l’expulsion
du placenta, dans le cas, par exemple, d’une déli¬
vrance trop lente à se produire. Alors on ne se con¬
tente pas seulement d’attacher, selon la coutume
locale, le susdit fer de cheval au cou de la femme en
travail, mais on l’introduit aussi, à un moment
donné, par une de ses branches, dans le vagin de la
parturiente.
Je tiens le fait de mon confrère et ami le professeur
Giuseppe Bellucci, qui l’a publié à la même épo¬
que (4).
On sait d’ailleurs la foi superstitieuse accordée
partout en France et à l’Etranger, aujourd’hui même
plus que jamais peut-être, au fer à cheval porte-
bonheur et fétiche contre telles ou telles maladies ou
infirmités. J’en parlerai de nouveau ultérieurement,
(1) Paul Sébillot. — Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne,
tome I, page 48.
^2) Saint-Alban, commune du canton de Poncin, arrondissement de
Nantua (Ain).
(3) Émile Rivière. — Folklore, te fer du pied des Équidés, porte-
bonheur, fétiche, fer totem, légendes et superstitions, fascicule I (Ses¬
sion de Tours, 1910).
(4) Giuseppe Bellucci. — ta placenta nelle tradizioni italiane e
nell'etnografia. (Archivio per l’Antropologia e la Btnologia. Florence,
1910).
— 437 —
nombre de correspondants et amis de tous pays
m’ayant adressé et voulant bien continuer à m’en¬
voyer les documents les plus curieux, médicalement
parlant, sur ce sujet.
Enfin François Daleau (1) raconte, dans l’article
intitulé parlurilion, que les femmes enceintes se
rendaient à la chapelle de Saint-Raphaël, commune
d’Avensan (2), pour avoir, à leur choix, des filles ou
des garçons. Il ajoute que, de nos jours (3), « on porte
à domicile, dans cette même commune d’Avensan,
aux femmes en travail la médaille de Saint-Raphaël
qui facilite les accouchements laborieux ».
Ce n’est pas seulement en maintes localités de la
France que le rite superstitieux de la glissade, c’est-
à-dire de cette variante du frottis à nu de l’abdomen
sur une haute pierre, est pratiqué par nombre de
femmes en vue de combattre la stérilité ou d’obtenir
une fécondité plus grande. On l’accomplit aussi à
l’Étranger.
En effet, ce culte se pratique, de nos jours encore,
en Grèce, à Athènes même, sur un bloc de rocher
qui se trouve derrière l’Acropole, rocher d’une faible
inclinaison, d’où une glissade des plus rapides, rocher
aussi d’un poli aujourd’hui des plus remarquables,
produit, avec le temps, par l’usage mille et mille fois
répété qui en est fait par la gent féminine.
II est probable que là encore la foi superstitieuse
dans les vertus soi-disant fécondantes du frottis de
certaines pierres, remonte aux époques les plus loin¬
taines.
Je tiens le récit du rocher de l’Acropole, de
M. Augé de Lassus, président actuel de la Société
historique du XVI* arrondissement de Paris, dont
j’ai l’honneur d’étre moi-même vice-président hono-
(1) François Daleau. — Loc. cit.
(2) ^pensan, commune du canton de Castelnau-de-Médoc, arrondisse¬
ment de Bordeaux.
(3) La notice de François Daleau a paru, en 1888, dans le Bulletin de la
Société d’Anthropologie de Bordeaux et du Sud-Ouest de la France.
Buii. Soc. fr. hisl. méd., XII, 1914.
raire. M. Augé de Lassus, qui me le racontait, ces
jours derniers, a été témoin, il y a très peu d’années,
lors de son voyage en Orient, d’une du ces glissades
superstitieuses, accomplie devant lui par une jeune
femme d’Athènes ou des environs de la ville, sans
que sa présence parût embarrasser la jeune grecque
en quoi que ce fut.
M. Paul Sébillot rapporte, de son côté, que, « dans
la Belgique wallone, on avait un peu adouci le rite
de la glissade pour mariage, qui se pratiquait sur le
rocher de Ride-Cul, près d’une chapelle qu’on avait
irrévérencieusement appelée Notre-Dame de Ride-
Cul. Il s’y tenait, tous les ans, le 25 mars, un pèleri¬
nage, pendant lequel les jeunes gens, garçons et
filles, s’asseyaient au sommet de la pierre, sur de
petits fagots de bois coupés dans le voisinage, puis
ils se laissaient glisser sur la pente rapide. On tirait
alors les présages suivants des incidents de la des¬
cente et l’on disait.: s’il y a reiournade c’est-à-dire
glissement interrompu, c’est qu’il faut attendre ; s’il
y a embrassade, c’est qu’on s’aime ; s’il y a cognade
(choc), c’est qu’on ne s’aime pas; enfin s’il y a em¬
brassade suivie de roulade, c’est qu’on se convient ».
Mais on ne pouvait pas, ajoute-t-il, recommencer Té-
preuve (1).
XXIV
Pierres de foudre et Météorites,
Épidémies.
Comme je l’écrivais, il y a plus de trente ans, dans
mon livre sur VAnliquiié de l'Homme dans les Alpes-
Maritimes i^), comme je le disais de nouveau, il y a
une dizaine d’années, dans une des séances de la
Société d’Anthropologie de Paris (3), les haches polies
(1) Wallonia, tome V, page 13.
(2) Émile Rivière.- -.- Paléocthnologie. — De fAntiquité de l'Homme
dans les Alpes-Maritimes, pages 319-321. — Paris, 1878-1887.
. (3) Ibid. Les haches polies des environs de Grasse (Alpes-Mari¬
times) (Bulletia de la Soci<!té d’Anthropologie de Paris, séance du
— 439 —
sont nombreuses dans le département des Alpes-
Maritimes. Elles le sont plus particulièrement peut-
être dans l’arrondissement de Grasse (1). Je citais
notamment le musée de la ville de Cannes comme en
possédant une très belle collection.
Je me rappelle fort bien que, en 1879, les paysans
et les bergers de la région les cherchaient encore
à l’envi, qu’ils les ramassaient jalousement dans les
champs ou sur les plateaux et qu’ils les gardaient
non moins précieusement, soit d’abord pour eux-
mômes les premières trouvées, soit pour vendre
les autres, leur attribuant à toutes superstitieuse¬
ment des propriétés miraculeuses.
Ils considéraient les pierres de foudre ou de ton¬
nerre — ainsi qu’ils les appelaient — comme tombées
du ciel. Par suite, elles étaient encoi’e pour eux, à
l’époque dont je parle, de véritables talismans, de
véritables fétiches destinés à préserver des épidémies
— de la clavelée notamment chèvres et moutons —
et de la foudre le troupeau, l’étable, la cabane ou la
maison et leurs habitants qui en possédaient.
C’est ainsi qu’elles étaient par les bergers, •— lors¬
qu’ils en avaient un certain nombre, — toujours
presque aussitôt vendues, je le répète, rarement don¬
nées, aux habitants des villages, dont la foi supersti¬
tieuse en ces pierres ne le cédait en rien à celle du
berger lui-même. Aussi, à moins d’en trouver soi-
même sur place ou de les tenir directement de
quelque paslour, était-il très difficile de s’en procu¬
rer, le paysan se refusant presque constamment, à
l’époque, de se dessaisir de celle qu’il possédait,
même à prix d’argent, tant ces idées superstitieuses
étaient encore enracinées, il y à près de quarante
ans, dans certains esprits.
, J’ajoute ici que, s’il y a les pierres de foudre et de
tonnerre, les carreaux de tonnerre, il y a aussi les
(1) J’cn recueillis vingt-huit, de formes et de grandeurs différentes,
dans l’espace de cinq à six semaines (septembre-octobre 1879), dans
ledit arrondissement de Grasse, notamment dans les cantons de Sainl-
Cézaire et de Saint-ValUer-de-'fhicy.
— 440 —
pierres d'orage, mais celles-ci ne sont pas considé¬
rées comme possédant des propriétés curatives ou
préventives de telles ou telles maladies.
Ainsi, dans la Gironde, on dit que l’orage tombe en
pierre ou en feu. Dans le Blayais, on donne le nom
de pierre d'orage à un écliinide fossile (VEchinolam-
pas stelliferus) très répandu dans le pays. D’autres
pierres, dénommées également pierres d'orage (ce
sont des pointes de flèches en silex), tombent, dit-on
aussi, avec le tonnerre ; « elles pénètrent dans la
terre jusqu’à neuf pieds de profondeur et elles
remontent d’un pied chaque année, jusqu’à ce
qu’elles viennent à la surface du sol (1) ». Mais, je le
répète, ni les unes ni les autres ne sont l’objet d’une
légende thérapeutique.
Par contre, on a, de tout temps, considéré les
météorites, les pierres tombées du ciel ainsi qu’on
les appelle, comme des porte-bonheur, d’aucuns les
regardent actuellement encore comme de véritables
fétiches. M. Stanislas Meunier, professeur au Mu¬
séum d’Histoire naturelle de Paris, dit que « les
pierres du ciel ont été, depuis la plus haute anti¬
quité, vénérées comme des talismans, adorées comme
des dieux et réputées comme porte-bonheur ».
XXV
La Cloche fécondante.
A propos de la superstition attachée au Bonnet de
Saint Mériadec, dans la commune de Pontivy, que
j’ai racontée dans ma précédente communication (2),
je citerai aujourd’hui la légende suivante d’une autre
cloche que la tradition nous a conservée :
« Derrière une des portes de la cathédrale de
Mende, se trouve le battant énorme d’une cloche de
500 quintaux, que le fougueux capitaine Merle fit
(1) François Daleav. — Loc. cii.
(2) Bulletin de la Société française d'Histoire de la Médecine, tome XIV,
page 395, année 1914.
— 441 —
fondre, à la fin du seizième siècle, après s’être emparé
de la ville de Mende. Une légende prétend que le
seul fait de le toucher rend fécondes les femmes
stériles et, à plus forte raison, les autres (1) ».
XXV
Le Garrouy et Saint-Fort,
LoU ViRROUL DE RoCAMADOUR.
Dans ma troisième note, j’ai parlé du verrou de
l’église Saint-Pierre d’Angoulême, que les femmes sté¬
riles touchaient, pour avoir des enfants. Depuis lors,
j’ai trouvé, dans l’étude consacrée au folklore de la
Gironde (2) par M. François Daleau, l’indication
suivante d’un autre verrou guérisseur, d’un carrouy,
selon l’expression usitée dans le pays.
Chaque année, le jour de la fête de Saint Fort,
c’est-à-dire le 16 mai, on conduit les enfants de la
région à Saint-Étienne-de-Lisse (3), où on leur fait
toucher ledit carrouy (le verrou de la chapelle),
pour leur donner de la force.
D’ailleurs Saint Fort est très réputé, dans le dépar¬
tement de la Gironde, pour la force qu’il donne, dit
la légende, aux enfants faibles ou rachitiques, —
similia si/nilibus curantur — qui sont portés, ledit
16 mai, au tombeau de Saint Fort, dans l’église
Saint-Seurin de Bordeaux (4). A cette même date, on
se rend aussi, dans la même intention, à la chapelle
dédiée à Saint Fort, dans la commune de Saint-
Denis-de-Piles (5). On les porte de même à La
Ruscade (6), le jour de Saint Fort. Les enfants
(1) Bcvue des traditions populaires, tome XVI, pages 93-94, année 1901.
(2) François Daliîau. — Loc. cil.
(3) Saint-Élicnnc-de-Lissc, commune du canton de Caslillon-sur-Dor-
dognc, arrondissement de Libourne (Gironde).
(4) JouANNET. — Statistique de la Gironde.
(5) Sainl-Dcnis-de-PUcs, commune du canton de Gultres-sur-l’Isle,
arrondissement de Libourne.
(6) La Ruscade ou Laruscade (en un seul mol], commune du canton
de Saint-Savin, arrondissement de Blaye.
— 442 —
rachitiques sont aussi conduits, dans le même but,
à la fin d’août, — cette fois la date est changée —
à Saint-Seurin-de-Cursac (1). Enfin, les enfants sont
menés encore, dans le même but, le 8 septembre,
— ici la date est également modifiée — à la Gha-
pelle-du-Bois, commune de Reignac (2).
Mais, à Saint-André-de-Cubzac (3), ce n’est plus à
Saint Fort qu’on s’adresse, mais bien à un autre
saint, à Saint Sicaire. En effet, les habitants, con¬
fiants dans la légende, se rendent à la chapelle de
Gabarrieux, dédiée à Saint Sicaire « pour donner
de l’embonpoint aux enfants maigres » (4) ; et, à
Bassens (5), c’est sur le tombeau même de Saint
Sicaire, qu’on va porter les enfants chétifs pour
leur donner de la force.
D’autre part, M. Philibert Lalande (de Brive) vient
de me faire connaître qu’à Rocamadour — autrefois
Roc Amadour^ en deux mots, de Rupes [sancti] Ama-
toris (6), comme on l’écrivait jadis, — il existe une
chapelle dans le mur de laquelle se trouve encastré
certain sabre, dénommé le sabre de Roland, que
vont toucher superstitieusement les filles désireuses
de se marier.
Il s’agit, en réalité d’un « sabre en fer » quel¬
conque, qu’on s’efforce de faire passer pour la Duran-
dal du célèbre paladin et dont voici la légende :
« En se rendant en Espagne pour guerroyer contre
les Sarrazins, Roland s’arrêta à Roc Amadour pour
implorer le secours du ciel et laissa à l’abbaye du
lieu, en repartant, une somme d’or dont le poids
équivalait à celui de son épée. Roland ayant été,
comme on le sait, tué à Roncevaux en 778, ceux de
(1) Saint-Seurin-de-Cursac, chef-lieu de canlon de l'arrondissement
de Bluye.
(2) Reignac, commune du canton de Sainl-Cuers-sur-Girondc, arron¬
dissement de Blaye.
(3) Sainl-André-de-Cubzac, chef-lieu du canton do l’arrondissement de
Bordeaux.
(4) JouANNET. — Loe. cit.
(5) Bassens, commune de Carbon-Blanc, arrondissement de Bordeaux.
(6) Rocamadour, commune du canlon de Gramat, arrondissement de
Goiirdon (hot).
— 443 —
ses compagnons d’armes, qui lui survécurent, rap¬
portèrent à Rocamadour la susdite épée, dont le
sabre actuel, objet du culte superstitieux des jeunes
filles de la région, n’est qu’un fac simile. L’original,
ajoute M. Philibert Lalande, aurait, dit-on, été cédé
jadis au duc d’Aumale. »
De plus, à la porte de cette même chapelle (1), on
voit un verrou que les susdites filles vont, quelque
temps après leur mariage, secouer pour avoir des
enfants. C’est ce que, dans le patois du pays, dit Phi¬
libert Lalande, on appelle boulega lou virroul
(secouer le verrou).
« Sabi’e et verrou sont voisins l’un de l’autre, sur
le parvis où se trouvent le tombeau de Saint Amadour
et la chapelle miraculeuse de Notre-Dame ».
Si je termine ici mes communications sur la théra¬
peutique miraculeuse, ses légendes et ses supersti¬
tions, ce n’est pas que je n’aie encore bien des
choses à dire, bien des faits à rapporter, notamment
en ce qui concerne le culte des pierres et des fon¬
taines, mais, en outre que cela m’entraînerait à de
nombreuses répétitions, ce serait allonger beaucoup
trop cette notice.
Plus tard, peut-être y ajouterai-je un dernier cha¬
pitre, en raison et des documents qui me sont encore
récemment parvenus, que je n’ai pas pu utiliser ici,
et de ceux qui me sont aussi annoncés.
‘ (1) Elle ne doit pas être confondue avec une autre chapelle située
immédiatement en face d’elle et dénommée la chapelle miraculeuse de
Notré-Dame-de-Rocamadour.
— 444 —
AMIRDOLVATHB D’AMASSIE
MÉDECIN ARMÉNIEN DU XV“ SIÈCLE
SA. VIE ET SES OUVRAGES
par le D'VAHRA.III H. XORKOUIA^IV (de Constantinople).
L’histoire de la médecine arménienne est un
champ non encore exploré, presque vierge ; néan¬
moins, elle présente plus d’une matière intéressante,
digne d’occuper l’attention d’un chercheur.
Dès les temps immémoriaux, l’idée de guérir des
maux avait une prépondérance chez les Arméniens ;
les noms de plantes médicinales que l’on trouve par
milliers dans la littérature de cette nation et les
anciens manuscrits médicaux arméniens, que l’on
rencontre partout, en sont des témoins éloquents.
A part les noms des plantes et les manuscrits, cer¬
taines coutumes médicales, que les Arméniens des
villages lointains d’Anatolie emploient encore
aujourd’hui, coutumes validées par le temps, nous
font admettre, que l’art de guérir était très ancienne¬
ment en vogue dans la nation arménienne, si glorieuse
par son passé.
Lorsqu’on parcourt l’histoire générale de l’Armé¬
nie, on y trouve des passages concernant la médecine
qui montrent que ce sont tantôt des sorciers, tantôt
des prêtres, des herboristes ou apothicaires qui sont
réputés posséder le privilège du secret curatif de
telle ou telle plante ; cependant, à côté de ces premiers
venus, soi-disant guérisseurs, existaient aussi, quoi¬
que en nombre restreint, des médecins dûment
instruits, qui sont devenus célèbres par des travaux
remarquables.
C’était à ce petit groupe de médecins arméniens
qu’appartenait Amirdôlvalhe d’Araassie, le plus
— 445 —
renommé après le célèbre médecin Mékhitar de Her,
au sujet duquel j’ai eu l’honneur de lire un mémoire
devant l’Académie de médecine de Paris, en 1899.
Mékhitar de Her et Amirdolvathe d’Amassie, ce
sont ces deux noms, qui font le plus la gloire de la
médecine arménienne au xii® et xv“ siècles ; mais
quel contraste frappant entre la vie de ces deux émi¬
nents médecins ; Mékhitar de Her voit le jour au
moment où la dynastie des rois arméniens Roubinian
était en pleine période de progrès et où le royaume
arméno-cilicien venait de commencer une ère de
prospérité politique. Plus de deux siècles et demi
s’écoulent après ces temps heureux, quand le médecin
Amirdolvathe vient au monde ; le royaume d’Arménie
n’existait plus, hélas ! plus d’indépendance armé¬
nienne ; la nation gémissait depuis 1394, sous un
joug cruel, pesant, et était devenu la proie des barba¬
res sanguinaires du xv^ siècle, successeurs de Djain-
guize Khan, des Timourleng, des Chaabaze, des
Iskindair, et de tant d’autres encore ; elle se trouvait,
dis-je, dans une situation des plus affreuses et des
plus tristes; des massacres, des poursuites et des
ruines l’avaient forcée aux émigi’ations, l’avaient
privée de ses chères institutions qui, naguère,avaient
donné naissance à plus d’une figure marquante en
littérature et en poésie, ainsi qu’en diverses branches
de la science.
Mékhitar de Her a été, pour ainsi dire, fils du
siècle de la Renaissance de l’Arméno-Gilicie, et c’est
ainsi qu’il a pu aisément se vouer à sa carrière
médicale ; il n’en a pas été de même pour Amirdol¬
vathe, qui a vu le jour dans les années de la pire
décadence et des amères souffrances de sa nation ;
néanmoins, il a eu une vie si laborieuse, il a laissé
un nom si aimé, que le long espace de temps, qui
nous en sépare n’a pas pu le faire oublier.
On a très peu parlé de ce médecin émérite ; on ne
sait de lui que ce qui se trouve dans ses ouvrages,
en tant qu'ébauche autobiographique. Celui qui en a
parlé le premier et qui a laissé quelques notes biogra-
— 446 —
phiques d’ailleurs insignifiantes, est un certain évêque
son contemporain, du nom de Mardirosse (martyr),
lequel dans un manuscrit arménien des Psaumes,,
qu’il a copiés en 1480 à l’usage personnel d’Amirdoi-
vathe nous apprend, que celui-ci était le plus érudit
médecin et le plus grand savant de son époque. Après
l’évêque Mardirosse personne ne parle de notre
médecin; ce n’est qu’à la fin du xix® siècle, c’est-à-
dire plus de quatre siècles après, que deux écrivains
arméniens, presque simultanément, consacrent à sa
mémoire de très belles pages : le premier fut le
savant Père L. Hovnanian, Méchithariste de Vienne,
et le second, le Père L. Alischan, le célèbre Méchi¬
thariste de Venise. Ces écrivains, ont tous les deux
magistralement évoqué le souvenir de ce grand méde¬
cin arménien, en parlant longuement du style et du
contenu de ses ouvrages, considérés à juste titre,
comme les joyaux de l’histoire ancienne de la méde¬
cine arménienne.
- Le médecin Amirdolvathe paraît être né vers le
commencement du xv® siècle, entre 1416 et 1420 de
Père chrétienne; la ville qui l’a vu naître était
Amassie, dans la Haute-Arménie ; Amassia ou Amas-
siah de la Turquie d’Asie actuelle.
Son père était un certain Eghia (Elle) et si son nom
n’indique rien d’arménien, c’est parce qu’à cette épo¬
que il était d’usage chez les Arméniens de se faire
connaître par un surnom turc ou persan, pour dissi¬
muler leur état de chrétiens, unique protection, et
bien peu sûre, contre les cruautés des Barbares.
Après avoir fait ses éludes préliminaires dans une
institution arménienne d’Amassie, Amirdolvathe
paraît avoir, dès son enfance, commencé à s’initier à
Part de la médecine chez les empiriques de son
pays ; mais plus tard, il a dû se rendre certainement
ailleurs pour des études plus sérieuses ; les rensei¬
gnements que nous puisons dans ses ouvrages, nous
permettent de supposer qu’il a été en Perse, et puis
à Bagdad où une école de médecine était encore
très réputée à cette époque-là.
- 447 —
Devenu médecin, Amirdolvathe a dû rentrer dans
son pays, mais il n’y resta pas longtemps, et le quitta
bientôt pour toujours ; car, nous le trouvons voyageant
de pays en pays, soit pour se procurer un milieu
plus favorable à la pratique de son art, soit pour se
perfectionner davantage dans ses expériences, comme
nous l’apprenons parla succincte autobiographie qu’il a
insérée dans une préface de ses ouvrages, que je
mentionne plus loin.
Vers l’an 1459-1460, il est à Philippopolis, ville de
la Macédoine grecque ; en peu de temps il y devient
un médecin connu et renommé. Dans cette ville,
Amirdolvathe exerce plus de dix ans et tout en prati¬
quant la médecine il s’adonne à la littérature de son
art, et il se met assidûment à préparer en langue
arménienne un traité de médecine, fruit de longues
expériences et de sagaces observations, à jamais mé¬
morables.
L’ouvrage en question, qui est connu sous la
rubrique de l'Utilité de la médecine (Ocouth bejejgou-
thian), porte la date de 1466 ; l’auteur mit juste trois
ans à sa rédaction, qu’il termina en 1469.
C’était le premier ouvrage que terminait Amirdol¬
vathe et quoique il soit encore inédit, on en trouve
heureusement plusieurs exemplaires manuscrits.
Vers l’an 1471 ou 1472, Amirdolvathe se transporta
a Constantinople pour s’y établir définitivement.
Conquise depuis 1453, par le Sultan Mahomet II
dit le Fatih (le Conquérant), l’ancienne capitale de
l’empire byzantin avait bien besoin du^(concours de
médecins compétents, car la population en était
dépourvue; Mahomet II avait fait venir par force des
colonies de chrétiens et des artisans, des architectes,
des bijoutiers, etc., de différents endroits de l’Asie
et principalement de la Caramanie, ainsi que de la
grande et petite Arménie, pour repeupler la nouvelle
capitale delà Turquie, et favoriser ainsi le développe¬
ment des arts et de l’industrie ; ce Sultan dut aussi,
sans doute, faire convoquer en même temps des
médecins habiles et capables, entre autres notre
— 448 —
Amirdolvathe, dont la réputation dépassait les murs
de Philippopolis.
Une fois à Constantinople il occupé rapidement
une haute position ; il est, paraît-il, le médecin le
plus considéré, non seulement parmi ses coreligion¬
naires, mais aussi dans la population étrangère de la
capitale, et je me porte à supposer qu’étape par étape
il arriva à avoir accès même auprès du Sultan con¬
quérant ; et voici sur quoi, je me base dans ma sup¬
position.
L’évêque Mardirosse, dans son Mémoire du manus¬
crit des Psaumes précédemment cité, écrit que le
sultan Mahomet II, ayant entrepris une guerre contre
le bandit Ouzoun-Hassan, le battit et le chassa à
Tabriz; au retour, il s’arrêta dans la ville de Pa-
perthe (Baïrbourth), où il trouva un excellent et pré¬
cieux manuscrit arménien des Psaumes qu’il apporta
à Constantinople. Le médecin Amirdolvathe, voyant
une telle antiquité, un livre saint, entre les mains du
Calife musulman, fit tout son possible pour le délivrer
et finit par s’en rendre maître. C’est de ce manuscrit
qu’il fit faire pour lui une copie fidèle par l’évêque
Mardirosse.
Il est évident que, pour réussir dans une telle
entreprise, il fallait qu’Amirdolvathe eut déjà acquis
une assez grande influence auprès du sultan ; or, nous
avons tout lieu de croire qu’il était le médecin per¬
sonnel du Padischah, puisque dans l’un de ses ou¬
vrages, à côté de son nom, nous lisons les titres Rama¬
dan^ Bostandji-Bachi, grades de celte époque, ainsi
que celui de Djérah-Bachi, qui signifie chirurgien en
chef. Ces titres prouvent, une fois de plus, qu’Amir¬
dolvathe était non seulement le médecin intime du
sultan, mais encore son favori, et qu’ainsi il mérita
d’étre récompensé par des distinctions honorifiques.
Dévoué corps et âme à la pratique de son art, il
aimait également les sciences occultes; ainsi, on nous
le présente comme très versé dans l’astrologie, la
philosophie et l’histoire; il possédait, à cet effet,
selon l’évêque Mardirosse, une bibliothèque très
— 449 —
riche d’ouvrages de médecine et de rares manuscrits,
qu’il faisait copier et transcrire pour son propre
usage. Parmi eux les Psaumes, que j’ai mentionnés
plus haut, dont l’unique exemplaire se trouvait, comme
il vient d’être relaté, chez le sultan Mahomet. Ce môme
volume manuscrit des Psaumes ayant appartenu au
médecin Amirdolvalhe, est à présent en ma posses¬
sion ; je l'ai acheté par un heureux hasard d’un bar¬
bier arménien, en 1896, l’année des massacres armé¬
niens de Constantinople.
Amirdolvathe connaissait à fond, paraît-il, les lan¬
gues persane, latine et surtout arabe ; il est très facile
d’en juger par ses ouvi'ages, qui sont tous empreints
des idées et des principes des auteurs arabes.
Après avoir écrit son Utilité de la Médecine, il se
met à préparer un dictionnaire arménien de théra¬
peutique, qu’il intitula VInutile aux ignorants (anki-
datz anbeth); c’est le plus vaste de ses ouvrages,
travail consciencieusement fait et de longue haleine,
qu’il commença en 1474 pour le finir en quatre ans,
en 1478. Comme VUtilité de la Médecine, le volume
de VInutile aux ignorants est encore inédit; on en
trouve à Paris et ailleurs plusieurs copies dont l’une,
la meilleure, faite du vivant de l’auteur, est conservée
au British Muséum (Orient, 3712).
Non content cependant de ces deux œuvres magis¬
trales, il entreprit, vers l’an 1480, d’en écrire un troi¬
sième, en l’intitulant Akrabadine (Traité de Pharma¬
copée); c’est dans l’avant-propos de cet ouvrage que
nous trouvons insérés, à côté de son nom, les titres
honorifiques sus-mentionnés.
Nous manquons malheureusement de renseigne¬
ments sur les circonstances qui l’ont poussé à prépa¬
rer ces ouvrages ; et c’cst lui-même encore qui, dans
son autobiographie, nous dit que c’est pour obvier au
manque d’ouvrages pareils dans sa nation, qu’il a
voulu les écrire en suivant les textes des auteurs
arabes, persans, latins.
il est vrai qu’Amirdolvathe n’était pas du tout au
courant des progrès médicaux de l’Europe occiden-
— 450 —
taie de son temps, où des savants éminents byzan¬
tins réfugiés après la prise de Constantinople par les
Turcs, commençaient à donner à la médecine un nou¬
vel essor; mais ce médecin arménien était doué d’un
esprit observateur et riche d’expériences personnelles,
qui ont servi de guide, non seulement à ses contem¬
porains, mais encore aux médecins arméniens des
siècles suivants; aujourd’hui même, les traités de
médecine d’Amirdolvathe sont pieusement consultés
dans les provinces arméniennes qui sont dépourvues
de médecins.
Amirdolvathe a travaillé et écrit beaucoup ; nul
médecin arménien ancien n’a laissé autant d’ouvrages
que ce médecin d’Amassie, lequel, tout en occupant
de hautes positions, n’était pas exempt de tristesses
morales.
Dans VUtilité de la Médecine, en parlant du but de
son travail, il n’hésite pas à faire allusion à ses vifs
regrets au sujet des déceptions et des déboires qu’il
a dû endurer dans sa vie, les voici :
J’ai terminé cet ouvrage, écrit-il, de ma propre main, mal¬
gré les innombrables difficultés et souffrances que j’ai eu à
supporter des méchants persécuteurs, des étrangers, des juges,
rois et princes. J’ai ramassé et feuilleté une foule d’ouvrages
arabes, persans et turcs, et, à ce propos, j’ai dû m’expatrier à
plusieurs reprises ; m'exposer à toutes sortes de dangers et
aux persécutions de l’époque, et devenir tantôt riche, tantôt
pauvre ; j’ai dû errer de pays en pays pour ma pratique per¬
sonnelle, j’ai observé beaucoup, et la plupart des médicaments
.et des traitements que je présente, sont ainsi le produit de mes
propres expériences; j’ai traité quantité de malades; j’ai servi
toutes les notabilités, des princes, des colonels, des capitaines,
des citoyens grands et petits, riches et indigents ; j’ai éprouvé
le bien en même temps que le mal, et présentement je suis
dans un tel état d’âme, que ni les richesses ne me font plaisir,
hi la pauvreté ne m’attriste ; tous sont égaux, pour moi, je né
suis point sujet aux envies d’ici-bas.
Pauvre Amirdolvathe! c’étaient sans doute les
cruautés, les persécutions, les massacres, auxquels
sa malheureuse nation était alors, comme aujour-
— 451 —
d’hui, périodiquement sujette, qui lui faisaient écrire
ces lignes de détresse et pousser d’amers chagrins ;
quel était donc son patriotisme, sa sensibilité aux
douleurs et aux misères de sa nation, son abnéga¬
tion ?
La vie d’Amirdolvathe a été ainsi un tissu de vives
émotions et de grandes déceptions, mais aussi ce
médecin montre un mérite sans égal, car il a su sur¬
monter l’adversité, se distinguant par son talent et
ses hautes qualités, se dévouant ardemment à sa
vocation de soulager l’humanité, tout en produisant
des ouvrages remarquables, qui font honneur à son
érudition, à ses vastes connaissances médicales et
â ^on esprit observateur.
Amirdolvathe était marié; il a eu des enfants dont
l’un était presque son homonyme et s’appelait Ami-
rédil (fils d’Amir).
Arrivé à un âge avancé, il meurt le jeudi 8 dé¬
cembre, en 1496, quinze ans après la mort (1481) du
sultan Mahomet 11 le Fatih, et après avoir exercé
encore 16 ans, sous le règne du sultan Bajazid II,
dont il a été certainement aussi le médecin attitré.
Sa mort a eu lieu probablement dans la ville de
Brousse, près de Constantinople, à en juger par un
renseignement que renferme le manuscrit de son
Traité Vliiutile aux ignoranls, du British Muséum,
que j’ai mentionné plus haut, et qui fut copié, en 1490,
par le même évêque Mardirosse, six ans avant la mort
de l’auteur.
Amirdolvathe a été un de ces hommes que leur
temps avait méconnus, mais qui étaient dignes d’être
admirés et honorés; pour le mieux juger, nous allons
donc jeter un coup d’œil sur ses œuvres de médecine.
Les principaux ouvrages de médecine d’Amirdol¬
vathe sont, comme je viens de le dire :
1® ÜUtilité de la Médecine (1466-1469).
2® L'Inutile aux ignorants
3® VAkrahadine .(1480).
- Tous de gros volumes in-folio, œuvres de main de
— 452 —
maître et inédits, ils sont en langue arménienne
vulgaire.
Ce sont les trois seuls que nous lui connaissions,
pour le moment, mais on lui en attribue encore deux
autres.
h'Utilité de la Médecine se compose de 350 pages,
en très petits caractères, écrit sur deux colonnes. Il
est divisé en deux parties, dont la première est con¬
sacrée à la médecine générale, à l’anatomie, la phy¬
siologie, aux principes de l’hygiène; la seconde aux
traitements des maladies, ainsi qu’aux dosages des
médicaments et à leur efficacité. Ces deux parties
comprennent deux cent vingt-cinq vastes chapitres,
dont quinze seulement forment la première.
Dans une préface qu’on lit en tête de l’ouvrage,
Amirdolvathe, enfaisant d’abord connaîtreoùetquand
il a composé son livre à Philippopolis, passe immé¬
diatement à des renseignements sur sa vie et sa car¬
rière, renseignements autobiographiques, que j’ai
rapportés précédemment; il jette ensuite un coup
d’œil rapide, mais magistral, sur l’art de guérir: il en
montre le but, il proclame sa noblesse et sa supé¬
riorité sur toutes les autres professions; selon lui, la
médecine a une mission sacrée, étant donné qu’elle
préserve le corps contre les maladies et le conserve
dans une santé parfaite.
Amirdolvathe adresse de ti'ès bons conseils à ceux
qui veulent embrasser la carrière médicale; il les
engage à devenir désintéressés, sincèrement dévoués
et doux envers les malades, à se tenir au courant des
expériences de leurs anciens, à lire les œuvres des
maîtres en médecine, à observer et à bien étudier les
symptômes des maladies, les signes de la vie et de la
mort, à être attentifs dans leurs pronostics et à bien
comprendre les doses des médicaments afin d’en évi¬
ter les effets nocifs ou mortels; car, dit-il, « tout médi¬
cament pris à dose raisonnable est bienfaisant, tandis
qu’à dose déraisonnable, il devient malfaisant ».
Après ces conseils des maître, auquels on ne
peut rien ajouter, même à l’époque actuelle, Amir-
^ 453 —
dolvathe dit que le médecin doit être comme un
confesseur, le dépositaire des secrets de ceux qui
s’adressent à ses lumières et, à cet effet, il ne doit,
dit il, se souvenir, ni de ce qu’il a vu, ni de ce qu’il
a entendu, ni de ce qu’il a compris au chevet du
malade; préceptes sublimes! qu’Amirdolvathe paraît
avoir puisés dans les Aphoris/nes médicaux d’Hippo¬
crate, Nec visa, nec audita, nec intellecta, ce précepte
de nos anciens, que Trousseau recommandait jadis
si chaleureusement à ses élèves ?
Avant d’entrer au cœur de son sujet, Amirdolvathe
enseigne que l’art de guérir a pris naissance chez les
Grecs, d'où il a passé chez les Hindous qui n’ont pas
pu le faire progresser; c’était aux Romains, dit-il,
qu’incombait la tâche de le faire entrer dans une
phase de progrès immense et de faciliter en même
temps son étude par des moyens multiples.
En suivant fidèlement les théories des anciens
médecins, tels qu’Hippocrate, Galien, Diogène,
Ehanna, Pholos, Dioscoride, Zacaria, Isaak, etc., il
est, lui aussi, un fervent partisan de la doctrine des
quatre éléments de la Nature, qui sont : l’eau, la terre,
l’air et le feu ; ainsi que de celle des quatre humeurs :
la bile, le sang, l’atrabile et la pituite.
Dans un aperçu général, il traite de la création du
corps humain (nous dirions aujourd’hui l’embryo¬
logie) et, à l’exemple des grands médecins et philo¬
sophes anciens, il admet que c’est par l’union et la
fusion des quatre éléments et humeurs que notre
corps se constitue.
Le Bon Dieu, écrit-il, a ainsi créé des germes mâles et
femelles, des organes mâles et femelles; il a préparé ainsi un
nid d'éclosion des germes, la matrice, qui est un organe long
caché dans l’intérieur du ventre, possédant un col et une
bouche analogue à celle du poisson.
C’est cette bouche, ou pertuis béant, qui laisse entrer le
germe mâle et qui se ferme après hermétiquement, à tel point
qu’une tige rigide ne pourrait la réouvrir.
Le germe mâle, une fois dans la matrice, se met en contact
avec celui de la feqame, et c'est là l’acte de la conception.
Bull. Soc. fr. hUt. méd., XII, 1914 30
— 454 —
Le produit de cet acte, dit-il, devient mâle, c’est-à-dire un
garçon, si l’union s’effectue à droite de la cavité de la matrice,
femelle, c’est-à-dire une fille, si cette union se fait à gauche.
La formation définitive de l’enfant commence vers le septième
jour qui suit l’entrée du germe dans la matrice, et voici com¬
ment ;
Le germe se convertit sous peu en sang et, petit à petit,
donne naissance au nez, aux os, aux nerfs, et bientôt aux mus¬
cles, au foie, à la rate, aux reins, etc. Le premier, parmi les
organes qui viennent à paraître, c’est le cœur, puis le cerveau
et le foie; au bout de quarante jours, les muscles commencent
à së dessiner, auxquels succèdent les os, les artères, les
veines, les nerfs, les articulations et finalement les yeux, la
bouche, les mains et les pieds. Au quatrième mois, l’animation
et la nutrition de l'enfant commencent dans ses organes gra¬
duellement préformés.
Jusqu'au moment de l’accouchement, l’enfant est debout ou
assis dans la matrice, ayant les pieds en bas ; vers la fin, et
lorsqu’approche la naissance, il culbute et tourne les pieds en
haut et la tête en bas, pour pouvoir se séparer de sa mère, et
quitter définitivement les trois milieux obscurs où il vivait :
c’est-à-dire le placenta, la matrice et le ventre.
Après ce chapitre d’embryologie que j’abrège,
Amirdolvathe passe à la description de chacune des
parties du corps en commençant par les os.
Les os, dit-il, sont la charpente du corps; sans os, l’homme
ne peut se tenir debout. Les os de la boîte crânienne sont les
plus solides, car ils se putréfient très difficilement sous la terre ;
le crâne a été exprès créé ainsi, parce qu’il contient le plus
important des organes, le cerveau, qui possède en lui la source
des quatre sens : la vue, l’odorat, l’ouïe et le goût.
A cette description assez curieuse, succèdent celles
des trois enveloppes (méninges) du cerveau, de la
colonne vertébrale et de la moelle épinière; du cœur,
puis du foie, de la rate, des poumons, de la bile, de
l’estomac, de l’intestin, et de leurs fonctions ; de la
vessie, des yeux, de la bouche et de la langue; des
mains, de la verge, ainsi que des muscles, de la ma¬
trice, des artères, des veines, des nerfs et des cinq
organes des sens. Dans toutes ces descriptions, Amir¬
dolvathe admet les idées de Galien, mais il ajoute
— 455 ^
aussi celles d’autres auteurs qui ont vécu dans les
siècles précédents, tels que Némésius, Mekhitar de
Her, Grégoire Makisdrosse, etc.
A la suite de ces chapitres anatomo-physiologiques
que je présenterai en détail dans la traduction fran¬
çaise du texte arménien, on lit des conseils hygiéni¬
ques pour la conservation du corps, ainsi que des
pages spécialement consacrées à l’examen des urines,
de la bile et de la pituite.
Le chapitre de l’hygiène des enfants attire tout par¬
ticulièrement mon attention et je le traduis entière¬
ment.
Lorsque l’enfant vient de sortir du ventre de sa mère,
écrit-il, on doit, à l'instant même, préparer de petites mèches
de coton, et avec ces mèches nettoyer soigneusement l’intérieur
des oreilles et des narines ; on doit aussi oindre l'extérieur du
larynx avec du miel et empêcher l’enfant de regarder la lumière
pendant quelques jours en lui couvrant les yeux d’un linge
noir. Tous les deux jours, on doit laver les yeux du nouveau-
né avec de l’eau bouillie attiédie et les oindre ensuite avec de
l’huile de violettes ; chaque jour on lui lavera les mains et les
pieds en les maintenant liés ; il faut que la matrone soit assez
versée dans la pratique de son métier pour bien exécuter ces
préceptes fort nécessaires à la bonne hygiène des nouveau-nés ;
car l’enfant est comme un cierge ; il faut être attentif à ne pas
le courber d’une manière ou d’une autre. La mère doit donner
à téter en petite quantité, mais fréquemment, et ne bercer
l’enfant que le plus doucement possible. Elle doit être très
douce avec son enfant et ne pas crier, pour ne pas lui faire
peur; après les tétées, on doit laisser reposer l’enfant pour
ne pas déranger son estomac plein, couvrir son berceau avec
une couverture bleue, pour que le noir de ses yeux soit à
Tabri de l’éblouissement; si l’enfant possède des prunelles
bleues, il faut mettre dans les yeux quelques gouttes de l’eau
de grains de tithymalis et les laver constamment.
11 faut mettre sur les oreilles de l’huile de rose qui est très
utile ; si l’enfant est très gras, on mettra du sel dans son bain,
et on lui oindra tout le corps avec de l’huile de rose, qui fait
maigrir; il ne faut jamais tenir l’enfant dans une position
verticale, cela peut nuire à la vue, produire des gaz dans les
intestins et même la chute du rectum. La nourrice doit manger
de bons aliments, tels que viande d'agneau, poulet et poussins
— 456 —
gras ; il ne faut pas qu'elle couche avec son mari ; si elle a du
bon lait, on lui donnera à boire de la tisane de grains de
concombre; si le lait est de mauvaise qualité, on lui fera man¬
ger des douceurs, des potages au blé, de la bonne viande ; il
faut qu’elle possède du lait ni trop chargé ou épais, ni trop
liquide ou clair ; on pourrait lui administrer des infusions de
grains de sésame, de badiane anisée, et de grains de melon,
du lait de vache, de chèvre, et des mets composés de potages
aux pois chiches, aux oignons, etc.
11 ne faut jamais laisser souffrir l’enfant de la faim; et s’il a
des coliques, il suffit d’égoutter dans sa bouche du suc d’en¬
cens préalablement mâché, qui les fait cesser immédiatement,
en chassant les vents des entrailles ; s’il souffre de l’oreille, on
n’a qu’à y mettre quelques gouttes de lait chaud mêlé à l’huile
de violette et de jasmin; si l'enfant présente des gonflements
dans la région inguinale, il suffit d’y appliquer des linges
trempés dans un mélange chaud d'huile de violette, de jasmin
et de concombre qui les fait disparaître rapidement. A mesure
que l’enfant grandit, on augmente la quantité des repas et deux
fois par mois on lui mettra dans le nez un peu de musc pour le
préserver contre les convulsions.
Lorsqu’il commencera à parler, on lui mettra sur la langue
un peu d’huile de rose légèrement salée, cela le fera parler
plus vite. A la dentition, on lui frottera les gencives avec de
la graisse de poulet mêlée à de l’huile de violette, soit pour
faciliter la sortie des dents, soit pour empêcher la sécrétion
salée de leurs racines qui pourrait provoquer de la diarrhée ;
dans ce dernier cas, on administrera aussi de la craie, qui
arrête immédiatement le ventre, c’est-à-dire la diarrhée.
Si l'enfant est constipé, on lui mettra à l’anus des mèches
préparées avec de l’huile de souris mélangée à celle de jasmin
et à la confiture de roses; quand l’enfant aura toutes ses dents,
on commencera à lui donner peu à peu du pain trempé dans
du lait et des purées de pois chiches au lait, qui ont beaucoup
d’utilité; on ne doit pas le sevrer brusquement, mais graduel¬
lement; le sevrage définitif doit avoir lieu quand l’enfant aura
un an et demi; c’est l’âge le plus commode; il faut le sevrer
au printemps ou à l’automne.
Je ne donne pas de détails sur les autres chapilreé,
dans lesquels Amirdolvathe se présente à nous comme
un maître qui parle devant un auditoire d'étudiants,
et je passe à la seconde partie de l’ouvrage, qui est la
partie pathologique, plus vaste que la précédente.
— 457 —
Dans celle parlie, Amirdolvalhe fail brièvement
l’hisloire de loules les maladies alors connues, ainsi
que de leurs symptômes, et il ordonne des traite¬
ments appropriés, la plupart dus à son expérience
personnelle.
Les maladies qu’il traite sont : les teignes, les favus
et leurs différentes formes, en cinq chapitres; les
céphalalgies en dix chapitres; les chapitres suivants
comprennent : la migraine, le vertige, la perte de
connaissance, la syncope, les maladies du cerveau,
la mélancolie, la manie, la folie, l’insomnie, l’amnésie,
les cauchemars, l’épilepsie, l’apoplexie, les paralysies,
les faiblesses des membres, les tremblements, les
blépharites, l’orgelet, l’exophtalmie, la mydriase, la
cataracte, les otites et les différentes formes, la sur¬
dité, les maladies du nez, l’épistaxis,^ le rhume de
cerveau, les douleurs et la carie des.dents, les gingi¬
vites, la fétidité de l’haleine, l’œdème de la langue,
les aphtes, les angines, la pharyngite, la laryngite et
les bronchites, les sangsues entrées dans le gosier
et le larynx, les crachements de sang, la toux, la pneu¬
monie, la pleurésie, la phtisie, le gonflement de la
luette, les palpitations, l’indigestion, l’anorexie, les
diarrhées sanguinolentes, la géophagie, les pyrosis,
les hémorroïdes, les vomissements, la polydypsie et
la polyphagie, les hématémèses, les melænas, le cas
de ceux qui vomissent sans pouvoir aller à la selle
(miserere), la salyorrhée, les éructations, la gastralgie,
les plaies d’estomac, le gonflement de l’estomac, le
gonflement du foie et de la rate, la cachexie, la jau¬
nisse, les ténesmes, les rhumatismes, les vers longs
et plats des entrailles, la chute du rectum, les dou¬
leurs et le gonflement des reins, les pissements de
sang, les pierres et le sable des reins, l’inflammation
de la vessie, de Lurèthre, la rétention et l’incontinence
nocturne des urines, l’érection constante de la verge
(priapisme), l’inflammation de la verge, de la matrice,
l’orchite, les menstrues abondantes ou diminuées,
les plaies et les inflammations de la matrice, les co¬
liques du ventre, la chute de la matrice, l’avortement.
~ 458 -
les accouchements difficiles, la stérilité, l’inflamma¬
tion des mamelles, les douleurs des lombes et des os,
la déviation de la colonne vertébrale, la sciatique, les
poux, la variole, la rougeole, les verrues, le feu brû¬
lant et rouge des enfants (la scarlatine), l’urticaire, la
lèpre, les glandes enflammées (adénites), les bubons,
les furoncles, les fièvres de un, deux, trois, quatre
et cinq jours et les autres formes de fièvre, la peste,
les piqûres de serpents et de scorpions, les brûlures,
les morsures des chiens enragés, les empoisonne¬
ments.
On voit bien que c’est un traité complet des mala¬
dies et de la pathologie générale. Au point de vue du
traitement, Amirdolvathe emploie largement les sai¬
gnées locales ou générales, les ventouses, les sang¬
sues, des cataplasmes, des bains, des fumigations,
des fomentations et une foule de médicaments compo¬
sés en majeure partie de plantes, de fleurs, de graines
et d’huiles, par exemple, infusions de fruits (prunes,
abricots et cerises), mirobalan, fumaria, pois chiches,
les fèves, la badiane, l’eau et l’huile de rose, les fleurs
et l’huile de jasmin, ainsi que le verjus, les raisins,
Tarroche, la betterave, le cardamum, les centaurées,
les semences de coings, les grains de concombre et
de melon, l’anis, la menthe, le lierre terrestre, le
camphre, l’ambre, le cèdre, la noix de galles et tant
d’autres simples appartenant à la flore de l’Arménie.
Je me réserve, dans un travail ultérieur, de les pré¬
senter plus en détail et plus amplement.
L’ouvrage VInutile aux ignorants, qui est spécia¬
lement destiné aux médecins ou à ceux qui étudient
la médecine, est un grand dictionnaire de matière
médicale in-folio de plus de 600 pages, écrit en armé¬
nien vulgaire ; dans ce dictionnaire, après une pré¬
face qui donne une idée complète de l’oUvrage entier,
Amirdolvathe présente, par ordre alphabétique, les
noms et les qualités de toutes les plantes et de tous
les médicaments usités en médecine de son temps.
Ces plantes et médicaments possèdent, dit-il, des
qualités diverses, qui sont : douce, âcre, amère.
— 459 —
liquide, solide, gluante, pulvérulente, lavande, apéri-
tive, coupante, désobstruante, laxative, rafraîchis¬
sante, attractive, digestive, gazifère, gazifuge, lubré-
fiante, brûlante, irritante, constipante, astringente,
stiptique, tonique, calmante, somnifère, toxique, pur¬
gative, drastique, mortifiante, bourgeonnante, anti¬
vénéneuse, vomitive, sudorifique, abortive, adoucis¬
sante, dissipante, sédative, etc.
Dans ce dictionnaire, outre les médicaments que
d’autres médecins ont déjà employés et expérimentés,
Amirdolvathe présente aussi ceux qui résultent de
ses propres expériences, et ceux qui étaient usités
avant lui par d’autres médecins arméniens, dont il
cite les noms, tels que Mékhitar de Her, Zakaria,
Djosseline, Teghine, Simavon, Vahram, etc.
Qu’il me soit permis de ne pas m’étendre davan¬
tage sur ces travaux d’Amirdolvathe, sur lesquels
j’aurai l’occasion de revenir. Je me bornerai à dire,
en terminant, que le médecin Amirdolvathe, par ses
ouvrages VUtililé de la Médecine et VInutile aux
ignorants, a fait époque dans l’histoire de la médecine
arménienne au xv® siècle ; quant à VÀkrabadine (Phar¬
macopée), qui complète le livre précédent, je me bor¬
nerai aujourd’hui à le citer, mais il n’a pas moins
contribué que les ouvrages susmentionnés à immor¬
taliser le nom de son auteur.
QUELQUES REMARQUES SUR LA THÉRIAQUE,
LE MITHRIDATE,
L’OPIAT DE SALOMON ET L’ORVIÉTAN.
Dans toute la série de notre Bulletin, il est, sauf
erreur, une seule fois question de la Thériaque (1).
L’auteur s’occupe surtout de sa composition et de ses
vertus thérapeutiques. Il n’y aura donc dans mon
mémoire, purement historique, pas un mot de répété
de ce travail antérieur.
.l’ai consacré un chapitre à la thériaque dans mes
Considérations (2). Mais cette publication, parue en
peu d’exemplaires, n’a pas été mise en vente et est
restée presque inconnue. Si dans ce nouveau mémoire
j’utilise quelques parties de ce premier travail, je ne
fais que mon devoir pour les sauver de l’oubli, ce
qu’elles ne mériteraient pas. Le sujet, en effet, n’est de
beaucoup pas épuisé. Il est fort probable qu’on trou¬
vera encore des documents curieux sur ce formidable
mélange, régnant si longtemps en maître parmi tout
le trésor thérapeutique du moyen âge et jusqu’au
XIX' siècle.
Dans ma collection médico-pharmaceutique, on
remarque un vase en bois, très volumineux, assez
massif et datant probablement du xvii® siècle. Comme
cette sorte de récipients de drogues et de prépara¬
tions pharmaceutiques est devenue de la plus grande
rareté, il vaut, à mon avis, la peine de tirer cette
pièce de l’oubli. Il est vraiment singulier de constater
que, malgré l’énorme réputation de la thériaque et sa
fabrication officielle et publique, on ne connaît rela¬
tivement que peu de ces récipients. Ils étaient natu-
(1) D'Léon Meunier. La Thériaque. Ce BuUelin, III, 1904.
(2) B. Reber. Considérations sur ma collection d'antiquités au point de
vue de l'histoire de la médecine, la pharmacie et les sciences naturelles.
Genève, in-8° de 165 pages avec 100 figurée, 1905.
— 461 —
rellement volumineux et, surtout ceux en faïence,
plus exposés à la casse. Le mien doit sa conservation
sûrement à sa construction en bois. Autrement, la
réputation de la drogue disparue, ces vases deve¬
naient embarrassants et on les .détruisait. Sic transit
gloria murtfdi.
Le très curieux et non moins intéressant objet dont
il s’agit est un vase en bois de 0 m. 62 cent, de hau¬
teur sur 0 m. 40 cent, de diamètre. Ce récipient est
sculpté dans un seul morceau de bois d’un tronc
d’arbre, ainsi que le couvercle également. Un
blindage en tôle de fer couvre très exactement
tout l’intérieur, qui peut contenir 12 litres au mini¬
mum (fig. 1).
En général, tous les vases destinés à contenir la
thériaque se distinguent par les soins tout particu¬
liers qu’on mettait à leur confection. Il fallait que
l’extérieur déjà annonçât l’importance du contenu.
Parmi les faïences de Rouen, j’ai eu le plaisir de
citer (1) un autre vase de la collection destiné éga¬
lement à cette célèbre drogue et dont il sera question
plus loin. J’ai admiré au Musée du Louvre, à Paris,
deux grands pots en faïence blanche, avec inscription
en bleu, pour l’orviétan et la thériaque. A la Phar¬
macie centrale des hôpitaux de Paris, j’ai vu, parmi
beaucoup d’autres merveilles, un pot superbe, en
faïence de Lille, avec le libellé ; Theriaca Andromachi.
Les anses de cette pièce remarquable sont formées
de torsades artistiques et relèvent l’ensemble d’une
impression presque majestueuse.
Il est certain que ces beaux vases étaient destinés
à la place d’honneur dans l’officine. Visiblement on
y a mis beaucoup plus de soins que pour les vases
des autres drogues. Quant aux vases destinés à la
fabrication publique de la thériaque, ils sont beau¬
coup plus simples, mais solides et massifs. Celui de
la collection de l’École supérieure de pharmacie de
Paris est même simplement en terre cuite. Il est muni
(1) Reber. Cotuidéralioru sur ma collection, etc
Êf0
f J • V -V-
— 463 —
encore de ses cadenas ; la préparation durant des
semaines, on fermait le vase à plusieurs clefs. Celles-ci
étaient emportées par différents magistrats, des re¬
présentants de la Faculté, des associations de phar¬
maciens, dont la présence devenait de cette façon
indispensable, toutes les fois que le travail devait
continuer.
On comprendra mieux tout cela quand, un peu plus
loin, j’aurai expliqué la mise en scène de la fabrica¬
tion publique de la thériaque, les dépenses pour les
invités, les festins, le luxe déployé et la durée de
l’opération. En Italie, en France et en Allemagne, il
n’existait peut-être pas une ville de quelque impor¬
tance qui ne se payât, de temps en temps, le spec¬
tacle de la fabrication publique de la thériaque, aussi
théâtrale que mystérieuse et qui, paraît-il, excitait
à un haut degré la curiosité des habitants.
Vu la solidité de la construction et le grand volume
du contenu du vase dont je m’occupe ici, il n’est pas
douteux que nous nous trouvions devant un de ces
vases ayant servi à la fabrication publique de la thé¬
riaque. L’objet a été trouvé à Genève et allait rejoindre
d’autres ustensiles devenus inutiles et gisant déjà
parmi les rebuts. Comme il ne s’agit pas d’une anti¬
quité précisément artistique, mais plutôt d’un meuble
gênant, j’ai d’autant plus de raison de le croire autoch¬
tone et non pas importé. En tout cas, il s’agit là, pour
l’histoire de la médecine et de la pharmacie, d’un
document très précieux. Nous verrons plus loin ce
qui s’est passé à Genève, au point de vue de la fabri¬
cation publique de la thériaque.
Ce vase est couvert d’une couche de couleur grise,
parsemée de fleurs et de plantes indéterminées.
L’inscription a reçu l’entourage de nombreux Ser¬
pents (Vipères). On ne peut pas nier à cet ensemble
un caractère archaïque et mystique, sans doute recher¬
ché à dessein.
Je vais donner quelques renseignements sur la
thériaque, son histoire, sa fabrication, les ordon¬
nances ollQcielles, etc., telles que les meilleurs auteurs
— 464 —
nous les racontent, et en laissant beaucoup de détails
de côté.
h'Encyclopédie pharmaceutique (1) donne, sur l’ori¬
gine de la thériaque, une courte description à laquelle
j’emprunte le passage suivant :
(f Le mithridate et la thériaque, dit-elle, remontent
à l’antiquité grecque. La thériaque n’est pas autre
chose que l’ancien mithridate auquel Andromachus,
un des médecins de Néron, a ajouté plusieurs subs¬
tances, parmi lesquels surtout des Serpents (Vipères),
et c'est d’après le nom d’un Serpent — Tyrus — qu’il
a baptisé son électuaire thyriaque qui, plus tard, est
devenu thériaque. Celle-ci, tout aussi bien que le
mithridate, n’était au commencement qu’un antidote.
Dans la triste décadence du moyen âge, ces deux
mélanges incroyables sont devenus des remèdes uni¬
versels ».
Celui des empiriques, dit Philippe (2), qui doit sur¬
tout fixer l’intérêt général sous plus d’un rapport, est
Nicandre. « Il était fils de Damæus et était né en
Ionie ; il était contemporain d’Attale III et de Scipion
l’Africain, Nicandre avait été prêtre d’Apollon, à Gla-
ros ; il se distingua à la fois comme prêtre, médecin
et naturaliste. Dans un livre de sciences naturelles
intitulé Theriaca, cet auteur donne entre autres la
description de quatorze espèces de Serpents avec des
observations très justes. Il a étudié les effets des
venins des Serpents et a reconnu que celui de la
Vipère provenait d’une membrane entourant les
dents. »
Ainsi le nom de thériaque se rattache très étroite¬
ment au venin des Serpents. On le comprend d’autant
mieux que la drogue, pendant les premiers siècles,
n’a servi que comme antidote. 11 n’est pas indiqué si
Nicandre connaissait déjà l’électuaire en question,
mais j’ai lieu de le supposer.
(1) D' E. Gbisslbr and Jos. Hobllbr. Real~Encyclopædie der
getammten Pharmacie. Wien und Leipzig, 1887.
(2) D' A. Philippe. Histoire des Apothicaires chez les principaux peuples
du monde, depuis les temps les plus reculés jusqu'il nos /ourz. Paris, 1853.
Le célèbre savant Flückiger (1) juge la thériaque
comme suit; « Cet électuaire, inventé il y a plus de
deux mille ans, composé de plusieurs douzaines de
corps, n’a pas encore aujourd’hui cessé de jouir
d’une certaine considération. La thériaque était un
véritable triomphe de la superstition du moyen âge,
quoique alors déjà ce remède universel ait subi de
rudes critiques. »
Au moyen âge, les couvents augmentaient encore
beaucoup la réputation de la théi’iaque. On sait que
presque tous ces établissements religieux vendaient
des médicaments, traitaient les malades et tenaient
les pharmacies, toujours très fréquentées par le
public. A Nuremberg, on fabriqua pour la dernière
fois publiquement, en 1754, la « céleste thériaque,
nommée ainsi pour ses vertus divines. »
J’emprunte à un rapport officiel (2) quelques indi¬
cations pour montrer l’énorme importance que, non
seulement le public, mais tout aussi bien les méde¬
cins et les gouvernements, attribuaient à la thé¬
riaque :
« Lorsque l’empereur Charles IV passa par Magde-
bourg, les 16 et 17 juin 1377, les magistrats lui
offrirent entre autres un pot de thériaque.
« Lorsque la pharmacie du magistrat de Magde-
hourg hrûla, le Conseil de la ville refusa, en 1638,
un certificat au gérant, jusqu’à ce qu’il eut expliqué
clairement ce que la grande quantité de thériaque
était devenue pendant l’incendie. Le pharmacien-
géi'ant prétendit qu’une partie avait été détruite par
le feu et que l’autre avait été volée par les soldats. »
Ce fait démontre la grande valeur que l’on attri¬
buait à la thériaque.
La concurrence entre les villes, les capitales sur¬
tout et les Facultés, devenait si excessive que la fabri-
(1) F. A. Flückiger. SerniscAe Setirag-e zur Geschichle der Phar¬
macie. Feslachritt zur Erinuernng au die füufzigjaelirige Sliftungsfeier
des schweizer. Apotheker-Vereins in Zürich. Züricb, 1893.
(2) D' G. Hartmann. Die Magdeburger Apolheker-Konfercnz, 1798-
1898. Magdeburg, 1898.
— 466 —
cation publique de la thériaque subissait une mise en
scène toujours plus coûteuse, avec une assistance
nombreuse de personnages officiels de la magistrature
et de l’Université. 11 semblait que la qualité de la
drogue ne dépendait plus entièrement de celle des
ingrédients, mais beaucoup plus de la pompe et du
luxe déployés pendant l’opération, ensuite de la célé¬
brité des hommes qui y assistaient et signaient le
procès-verbal. Celui-ci était reproduit dans le pros¬
pectus accompagnant chaque petite boîte. La teneur
de ces « certificats » de la bonne thériaque dépassait
en réclame toutes les limites. C’était bien le temps de
l’ignorance, où la chimie et le microscope ne permet¬
taient pas encore de vérifier les mélanges.
Je crois devoir ajouter encore quelques indications
sur la façon dont, à ce sujet, les choses se passaient
à Paris. Je regrette la brièveté à laquelle je suis tenu,
sans quoi je relèverais bien davantage de passages
d’une très intéressante brochure (1) que j’ai sous les
yeux.
Le musée de l’Ecole supérieure de pharmacie de
Paris possède un Vase en terre, en forme de tonneau,
deO m. 88 cent, de hauteur sur un diamètre de 0 m.
62 cent. Le couvercle, en bois de chêne, peut se
fermer sur le pot par trois cadenas. 11 porte l’in¬
scription : Theriaca Andromachi, mais, en outre,
on sait par des documents que ce vase volumineux
est un de ceux ayant servi à la fabrication publi¬
que de la thériaque. Les passages suivants sont
cités presque textuellement d’après la brochure de
Planchon ;
« Les archives de l’ancienne corporation, puis cel¬
les du Collège, nous permettent de refaire dans ses
traits essentiels l’histoire de la préparation publique
et officielle de la thériaque à Paris. »
Nous lisons dans VHisloire générale des Drogues,
de Pomet: o Les Vénitiens se sont acquis, depuis
(1) G. Planchon. Nota tur l'histoire de l'Orviétan et sur la confec¬
tion publique de la Thériaque à Paris. Paris, 1892.
— 467 —
quelques siècles, la réputation d’être les seuls qui
avaient la véritable manière de préparer la thériaque,
et à présent les apothicaires de Montpellier en prépa¬
rent une si grande quantité que l’on ne voit dans Paris
autre chose que des barils de thériaque. Je puis
assurer pour l’avoir faite plusieurs fois moi-même à
Montpellier qu’elle est préparée avec toute l’exacti¬
tude possible. »
Aussi la réputation de cette thériaque s’étendait au
loin et le débit s’en faisait aux grandes foires de Beau-
caire et de la Guibray, faubourg de Falaise, aussi
bien que dans toutes les grandes villes de France.
Malheureusement ces produits n’avaient pas tardé à
être falsifiés, et le moindre des inconvénients était, au
dire de Pomet, que la vraie thériaque fût addition¬
née d’une grande quantité de miel cuit, et « ainsi
ceux qui croyaient en avoir six livres n’en avaient
qu’une. »
Ce furent ces adultérations qui poussèrent les hon¬
nêtes apothicaires de Paris à la fabriquer eux-mémes.
Moyse Gharas fut le premier à la composer, après
exposition et démonstrations publiques. Depuis 1669,
on possède de nombreuses descriptions de cette
fabrication publique de la thériaque. La dernièi’e eut
lieu en 1790. Quant aux dépenses nécessitées par la
confection même de la thériaque, elles,s'élèvent, pour
celte dernière fabrication, d’après les comptes de la
Société, à la somme de 6.087 francs.
Gharas décrit les opérations faites en présence de
M. de la Reynie, du Ih’ocureur du Roy, du Doyen et
des Professeurs de la Faculté de médecine, des Gai*-
des apothicaires et d’une nombreuse assemblée pen¬
dant plusieurs séances consécutives. Il termine par
le « Certificat de MM- les Gardes de la pharmacie », qui
est ainsi conçu :
« Nous, Doyens, Ex-Doyens, Docteurs Regens de
la Faculté de médecine et les trois Gardes de la Phar¬
macie, députez par ordre de M. de la Reynie, lieute¬
nant général de police de cette ville de Paris, certi¬
fions que M. Moyse Gharas, apothicaire ordinaire de
— 468 ~
M., Frère unique du Roy, a dispensé et parachevé en
notre présence publiquement la composition de trois
cents livres de thériaque, selon la description d’An-
dromacus, qui a esté faite avec une exacte et très
curieuse élection et préparation de tous les Ingre-
diens, dont nous avons esté très satisfaits, approuvons
avec loüange le choix très particulier de tous les
remèdes, et aussi la préparation qui en a esté faite
selon les meilleures règles de la Pharmacie, spécifiées
et déclarées par ledit sieur Gharas au traité qu’il en a
composé avec grand sçavoir et expérience. Ce
qu’étant, nous attestons que cette composition de
ladite thériaque est très excellente, et qu’elle peut
surpasser, sans exception, par ses rares vertus et
bonnes qualitez, toutes les autres compositions de
cette nature. En foy de quoy, nous avons signé le
présent certificat et y avons fait apposer le Sceau de
notre Faculté et celui de ladite Pharmacie, et le tout
pour le bien public. » Suivent les signatures.
Lorsqu’une quinzaine de pharmaciens eurent créé
une société spéciale de la Thériaque, on augmenta
encore beaucoup le luxe de la mise en scène.
Dans ces comptes on trouve, entre autres dépenses ;
« du menuisier, pour arrangement des tréteaux,
120 livres; du tapissier, 153 livres; pour bougies,
57 livres ; pour annonces dans le Journal de Paris,
18 livres, etc. »
J’arrête là ces indications sur la fabrication publi¬
que de la plus célèbre drogue de toutes les époques.
Elle suffiront pour se faire une idée de l’ensemble de
cette question.
Il me reste, à présent, à chercher les faits qui se
sont passés à Genève à propos de la thériaque. Je
puise ces indications dans un livre de M. le D' Gau¬
tier (1):
« La fabrication de la thériaque, dans laquelle
entraient jusqu’à deux cents ingrédients et qu’on
(1) D' Léon Gautier. La Médecine à Genève jusqu’à la fin du
xviii* siècle. Mém. et docum. de la Soc, d’kûl. et d’archéolog. de
Genève [2), X, 1906.
— 469 -
employait particulièrement contre la peste, se prati¬
quait avec apparat dans une grande salle sous les
yeux du public. »
Cette coutume se perpétua à Genève jusqu’au
xviii® siècle. Le 24 janvier 1566, ce sont les apothi¬
caires réunis qui obtiennent permission « de faire la
thériaque d’Andromachus en cloistre Saint-Pierre au
veu de chascun. » Le 20 septembre 1568, Valéran
Doré est autorisé par le Conseil « de faire monstre
en la salle de Saint-Arbre du thériaque qu’il fait,
l’accommodant pour l’orner de quelques tapisse¬
ries. »
Comme remède contre la peste, la thériaque jouis¬
sait d’une telle réputation, que le Conseil en gardait
habituellement à l’Hôtel de Ville une provision qu’il
renouvelait de temps en temps. Au début de plusieurs
épidémies, le registre mentionne la distribution d’un
petit pot de cette drogue précieuse à « chacun des
Seigneurs de Céans. »
A la suite de l’épidémie de peste de Marseille, en
1721, eut lieu pour la dernière fois à Genève la pré¬
paration officielle, et en public, de la vieille théria¬
que, qui continuait à passer pour le plus efficace sinon
des remèdes, du moins des moyens prophylactiques
conti’e la peste. Cette préparation n’eut pas lieu sans
débats intestins. Il avait d’abord été convenu que
tous les pharmaciens s’associeraient pour fabriquer
en commun une thériaque genevoise dont les
paquets seraient revêtus des armes de la Seigneurie.
Mais il y eut des retardataires et les pharmaciens
Reynet et Chevrier, las d’attendre que leurs confrères
fussent prêts, prirent les devants et exécutèrent à eux
seuls la confection publique de l’électuaire. Le Con¬
seil leur accorda l’estampille officielle. Les autres
pharmaciens finirent par fabriquer leur thériaque en
commun et prônèrent leur marchandise dans les
gazettes, voulant la faire passer pour la seule vraie
thériaque de Genève. Reynet et Chevrier protestè¬
rent par la même voie, puis les deux parties firent
paraître des brochures plus ou moins courtoises. Le
Bull. Soc. fr. liiH. mtd. XII, 1914.
31
- 470 —
Conseil dut prendre la chose en mains, et il fallût
plusieurs arrêtés pour mettre fin au débat. (Gautier,
p. 375 et 366.)
Ainsi à Genève, tout aussi bien qu’ailleurs, ou
même mieux, ont eu lieu, avec grand bruit et réclame,
les iabrications publiques de la thériaque. Ces faits
établis, il est permis de supposer que notre vase a
servi pour ces opérations. A ce titre, il nous est
encore plus précieux que s’il avait eu cette mission
en un autre endroit. A mon avis, il est bien douteux
que ce volumineux récipient ait été amené d’une loca¬
lité éloignée de Genève. Peut-être connaîtrons-nous
mieux un jour cette curieuse histoire. Gela serait
à désirer..
Un autre récipient avec l’inscription Thériaque, en
belle faïence de Rouen, m’est venu des environs de
Lyon (fig. 2). Son emploi original se trouvait donc
dans cette contrée, peut-être à Lyon même. Son
ensemble prouve en quelle proportion s’employait
encore au xviiP siècle la thériaque, et en quel hon¬
neur ou tenait cette préparation. En effet, ce vase
avec son couvercle en étain, artistement exécuté, se
présente sous la meilleure forme. Les deux anses,
chacune consistant en deux Vipères tordues, ajoutent
beaucoup à l’intérêt. En un mot, ce beau pot était
digne de contenir la célèbre panacée, qui dans la
campagne en Suisse allemande, n’a pas encore perdu
aujourd’hui toute son ancienne réputation.
Ce pot, avec une décoration en beau bleu sur un
blanc pur, avec l’inscription Theriaca ^Andromachi
en noir, entourée d’une guirlande de feuillage en
bleu, mesure sans couvercle 0 m. 30 cent, en hau¬
teur, le couvercle seul 0 m. 11 cent., avec un dia¬
mètre de 0 m. 24 cent., ce qui fait déjà un assez joli
volume. Les deux anses sont formées chacune de
deux Serpents (Vipères), ce qui signifie que ces Rep¬
tiles faisaient partie de la préparation.
Comme il a été dit tout à l’heure, depuis des
siècles, la thériaque de Venise jouissait de la répu¬
tation des meilleures qualités, certainement pas
— 471 —
autrement que par une réclame continuelle et bien
calculée. Il se trouve justement dans ma collection
une de ces feuilles-réclame qu’on ajoutait à chaque
flacon de vente. Cette feuille in-folio, en vieux
beau papier, a été pliée en quatre et roulée autour du
pot ou du flacon, mal fermé, comme de nombreuses
taches brunes le prouvent. Il s’agit de la thériaque de
Fig. 2.
la pharmacie Alla testa d’Oro al ponte di Rialto
Venezia, comme le prouve l’inscription autour d’une
tête à la couronne de Laurier, surmontée du Lion de
Saint-Marc,
Par curiosité et aussi pour sa rareté, je reproduis
ici le texte, en mauvais français, c’est vrai, mais
parce qu’il n’est pas long. D’un autre côté, tous ces
documents sont presque entièrement disparus et
— 472 —
cependant leur intérêt historique n’est pas dis¬
cutable.
« Explication de la vertu et propriété de la Thé¬
riaque d’Andromaque le vieux, composée, et distri¬
buée, à l’Apothicairerie de la Tête d’Or, au Pont de
Rialto à Venise.
« Entre autres vertus, cette composition a les sui¬
vantes.
« Elle guérit de la peste, et préserve de toutes
sortes de mauz contagieux, et puis rend l’homme
joïeux.
« Elle chasse du corps toutes les humeurs pec¬
cantes, et guérit de toutes les infirmités de l’esprit, et
les passions mêmes.
« Elle preserve celui qui est piqué d’un Scorpion,
d’une Vipère, ou mordu d’un Chien, ou d’autres ani¬
maux enragez, en la prenant par la bouche, comme
aussi, en l’appliquant sur la partie offensée.
« Elle guérit de plus toutes les infirmités inté¬
rieures, comme l’éthisie, et semblables.
« Elle sert aussi pour toutes sortes de fièvres et
même les plus inveterées, putrides, et pestilentielles.
« Elle est très excellente pour les maux, et inco-
modités de l’estomac, pour les douleurs de ventre,
coliques, et autres; même pour les douleurs de reins,
pierre, gravelle, ou sablon, etc.
« Elle est très bonne pour l’hidropisie, jaunisse et
éthisie; attire les Vers, et le sang de la poitrine.
« Guérit, et arrête les crachats de sang, quand on
en prend plusieurs fois.
« Augmente la lumière des yeux, et guérit toutes
les inflrmités intérieures de la tête, comme Paralisie,
Apoplexie, Folie, le mal Caduc, tremblements, éva¬
nouissements, etc.
a Guérit les maux de Poitrine, les Catharres salez,
fortifie extrêmement le cœur et guérit les palpita¬
tions.
« Elle est bonne pour les Vers, les faisant mourir,
et empêchant leur formation.
— 473 —
« Guérit la lèpre quand on en prend souvent.
« Elle provoque les mois des femmes, et guérit les
hemoroïdes.
« Elle a beaucoup d’autres vertus, lesquelles étant
assez connues et manifestes à tout le monde par briè¬
veté nous les obmettrons icy.
« Son usage. — Il faut en prendre, savoir : les jeunes
gens de forte complexion la moitié d’une dragme. Et,
pour conserver purement la santé, le même poids.
Pour les vieilles gens plus faibles de complexion, une
dragme, ayant plus besoin de chaleur, servant pour
exciter la vigueur. Régulièrement on la prend dans
de l’eau douce, et c’est la meilleure manière.
« Avis. — Pour éviter les falsifications qui peuvent,
et qu’ont étéz faites de notre Thériaque, on avertit
qu’en tête de chaque Recepte où il y a l’Ensegne en
la gardant contre la lumière, on verra ces mots Testa
d'Oro faites en faisant le papier, et outres ces mots
les Receptes seront toutes souscrites par nos propres
mains, et quand on ne trouvera pas toutes ces mar¬
ques, elle sera falsifiée ».
Et voilà! Notre « Recepte » est authentique. Au
transparent, elle porte en grandes lettres Testa d’Oro
et elle est signée, mais illisiblement.
Le mithridate, composition ressemblant beaucoup
à la thériaque, ayant comme celle-ci conservé sa
réputation de remède universel jusque dans les
temps modernes, avait reçu son nom de son inven¬
teur Mithridate Eupator, roi de Pont.
D’après l'idée des anciens, les opiats, électuaires
et confections avaient beaucoup de parenté entre eux
et formaient par conséquent ensemble un groupe à
part de médicaments. A ce sujet, on n’a qu’à se con¬
vaincre par le chapitre de Gharas (1). Cet auteur
(1) Motsb CbA-Ras. Pharmacopée royale galénique et chymique.
Parii, 1676, p. 276.
— 474 —
donne les prescriptions de trois thériaques : Theriaca
Andromachi senioris, Th. reformata et la Th. Diates-
seron ; suit ensuite le Mithridatium Damocratis., con¬
tenant 49 substances, parmi lesquelles des compo¬
sées; XOpiata Salomonis et VAntidotum Orvietanum
y trouvent aussi léur place de suite après. Que ces
quatre célèbres drogues du passé forment une classe
entre elles, cela ne fait aucun doute. Généralement, on
Fil¬
les considérait comme des antidotes et des remèdes
universels. Des substances actives qui y entrent, on
voit pour le mithridate et la thériaque l’opium; dans
l’opiat de Salomon, on mettait du mithridate et, dans
l’orviétan de la thériaque et des Vipères.
C’est pour ces raisons que je tiens à ajouter encore
la figure d’un superbe pot à'Opiata Salomonis qui
— 475 —
complétera le trio que je présente aux lecteurs et
j’espère bien qu'ils m’en sauront gré (fig. 3).
Je crois devoir placer ce pot de grandes dimen¬
sions (0 m. 57 cent, de hauteur, 0 m. 45 cent, de dia¬
mètre) parmi les produits de Savone, quoiqu’il ait
acquis la bourgeoisie genevoise depuis longtemps.
En effet, ce pot se trouvait anciennement dans une
pharmacie de Garouge, près Genève, qui disparut
aux environs de 1820. Aux enchères publiques du
mobilier, mon pot avec l’inscription Opiata Salomo.
fut acheté par un parfumeur, qui s’empressa d’y placer
un robinet en laiton.
La décoi'ation bleue sur fond blanc consiste en
ornements de grande envergure et d’un très bel
effet. Les anses sont remplacées par deux belles figu¬
res féminines. L’ensemble produit la meilleure im¬
pression. Du reste, pour obtenir des poteries de ce
volume, il y a des obstacles à vaincre. Aussi obtient-
il toujours la plus grande admiration des très nom¬
breux visiteurs de mon petit musée.
Malheureusement ma collection ne contient encore
aucun vase d'Orviétan. Par contre, on trouvera dans
une des plus intéressantes publications de M. le
D'' Paul Dorveaux (1), une véritable merveille de po¬
terie française avec l’inscription Orviétan. Il s’agit
d’un récipient de forme très élégante, richement orne¬
menté, de 0 m. 43 cent, de hauteur et un peu moins
dans son diamètre, appartenant à la Pharmacie cen¬
trale des Hôpitaux civils de Paris.
Puisqu’il est question de la Pharmacie Centrale des
Hôpitaux civils de Paris, qu’il me soit permis d’a¬
jouter un mot à ce sujet. En un voyage d’études au
mois de juin 1899, j’ai visité cet établissement, ainsi
que l'Ecole supérieure de Pharmacie de Paris et les
musées. D’une description parue à Vienne, la capitale
de l’Autriche (2), je crois devoir traduire un passage
(1) D' Paul Dorveaux. Les pots de pharmacie, leurs insci iptiojis pré¬
sentées sous forme de dictionnaire. Paris, 1908, avec 14 planches.
(2) B. Reber. Beilràge zur Geschichte der Medicin und der P/iarma-
cie. Vienne, 1900 ; cf. p. 37 à 59 ; pharmaceutische Skizzen aus Paris.
— 476 —
qui a beaucoup d’intérêt, aujourd’hui encore, et qui
en France, est resté inconnu. Pendant cette visite
je me suis justement arrêté devant le vase d’Orvié-
tan, cité et figuré par M. le D' Dorveaux, émerveillé,
comme du reste devant toute cette splendide collec¬
tion, ne contenant que des pièces de tout premier
ordre. Voilà un très bref extrait de cette publication
antérieure :
« Au temps de ma visite fonctionnait comme direc¬
teur de l’Ecole supérieur de Pharmacie de Paris M. le
professeur Gustave Planchon, un savant très réputé.
Comme bibliothécaire de ce célèbre institut nous y
voyions déjà M. le Paul Dorveaux, un savant aussi
érudit qu’aimable. La biographie et le portrait de
tous les deux se trouvent dans ma Galerie (1).
« Comme suite à la description de FEcole supé¬
rieure de Pharmacie, nous nous arrêtons un instant
dans un établissement de telle importance comme
seulement une capitale d’une grandeur et d’une ri¬
chesse comme Paris sont capables de produire, j’en¬
tends la Pharmacie centrale des Hôpitaux de Paris.
Ici aussi j’étais reçu avec la plus grande amabilité
par le directeur, M. le professeur Prunier (mort
depuis et bien regretté), et conduit par lui à travers
les nombreux laboratoires, magasins, salles et autres
locaux. De là on pourvoit les pharmacies de tous les
hôpitaux de Paris avec les substances chimiques
bien examinées et les préparations galéniques exécu¬
tées avec le plus grand soin. On peut se faire une
idée de l’extension de ces laboratoires et magasins,
quand j’aurai indiqué que, par exemple, des sels très
chers comme la quinine, la morphine, l’antipyrine,
etc., s’y trouvent par quintaux.
« Cette vaste organisation de surveillance et de
distribution de médicaments est installée dans un
ancien hôtel qui, avant de devenir la Pharmacie cen¬
trale des Hôpitaux, fut encore transformé en un cou-
(1) B. Reber. Galerie d’éminente thérapeutistes et pkarmacognostes
contemporains, arec 85 portraits. Genève, in-8" de 453 pages et 75 plan¬
ches, 1897.
— 477 —
vent. Trois grands locaux sont remplis de vieux vases
et ustensiles pharmaceutiques, un ensemble d’une
beauté et d’une richesse qui m’ont ébloui, émerveillé.
Ces objets proviennent tous des pharmacies de cou¬
vents et d’hôpitaux des siècles passés, d’une époque
où ces établissements luttaient entre eux pour se
dépasser au point de vue de leurs officines, en ins¬
tallations luxueuses et artistiques avec des vases
incomparablement beaux. Voilà le motif pour lequel
on admire ici de véritables monuments de poterie et
des plus célèbres ateliers de France, comme Paris,
Rouen, Lille, Marseille, Moustier, etc. Tout ce qu’on
voit ici est exquis et recherché, tant comme forme
qu’au point de vue de la décoration artistique.
« A côté de ces chefs-d’œuvre de la céramique
française, on remarque sur de belles tables des gran¬
des anciennes balances, des mortiers monumentaux
et d’énormes brûle-parfums en poterie. Dans leur
modelage extérieur, ces remarquables brûle-parfums
représentent déjà les flammes d’un vigoureux feu,
indiquant ainsi leur destination. Ces volumineux
brasiers étaient destinés à la désinfection d’hôpi¬
taux entiers, dans la conviction de tous qu’en
ces fumigations (avec des résines, baie de Geniè¬
vre, plantes aromatiques, etc.), on tenait des armes
contre l’infection des épidémies, particulièrement
contre la peste.
« Impossible de citer toutes les richesses en anti¬
quités pharmaceutiques emmagasinées dans ces lo¬
caux. En organisant avec ces précieux objets une
exposition méthodique, on obtiendrait un incompara¬
ble musée d’histoire médico-pharmaceutique, sans
doute bien incomplet, mais remarquable par ses tré¬
sors artistiques.
« Ceux qui s’intéressent à l’histoire de notre science
trouveront aussi de nombreuses antiquités dans les
Musées du Louvre, de Cluny et de la Ville de Paris,
parmi lesquelles des documents de la plus haute im¬
portance. Citons au Musée de Cluny les poids du xii*
et xiïi* siècle de 28 villes de France, une collection
— 478 —
unique dans son genre; d’innombrables mortiers
ornés et souvent très curieux; de belles balances et
beaucoup d’autres objets, ayant trait à la médecine et
à la pharmacie. Mais ce qui réjouit l’œil, ce sont les
merveilleuses majoliques italiennes, d’Urbino, Cas-
tel-Durante, Savona, etc. Parmi ces pots de pharma¬
cie, il faut citer particulièrement une majolique fran¬
çaise de Rouen, datée de 1312 (?), un pot à canon de
forme traditionnelle pour les électuaires et les on¬
guents.
« Au Louvre, on trouve des richesses incompara¬
bles concernant notre histoire. Le chercheur remar¬
quera des poids grecs, romains, byzantins, de pré¬
cieux vases en majoliqne et une foule d’objets instruc¬
tifs. Pour clore cette trop courte notice, je citerai
deux superbes faïences pour l’Orviétan et la Théria¬
que. »
Il y a quinze ans que j’ai écrit ce compte rendu
sur ma visite à Paris. Je viens d’apprendre par le
D'' Paul Dorveaux qu’au point de vue des vases
conservés à la Pharmacie centrale des Hôpitaux
de Paris, il n’y a rien de changé. Ils sont la propriété
de l’Administration générale de l’Assistance publique
à Paris.
LES DESSINS DE LÉONARD DE VINCI
par le O' Félta RECMA.IJL.X'
Ils s'inspirent de la réalité : les édentés. — Une repré¬
sentation du syndrome oxycéphalique. — Ecriture et
dessin en miroir.
Léonard de Vinci a laissé de nombreuses carica¬
tures qui nous paraissent purement imaginaires ; la
plupart sont pourtant tirées de la réalité. Les biogra-
! )hes nous apprennent qu’il s’intéressait à toutes les
igures bizarres qu’il observait, et qu’il les reprodui¬
sait de mémoire, lorsqu’iineréüssîssaitpas àles avoir
— 479 -
comme modèles. Et, dit Gerli, «quand il avait fixé
sur le papier une tête qui venait de l’impressionner,
il la caricaturait, pour avoir mieux présent à l’esprit
de quels traits résultait la caricature » (1).
A quels types s’est-il adressé pour dessiner ses
grotesques ? Il appartient au médecin de se livrer à
cette recherche.
Charcot etRicher ont reproduit un dessin de Vinci
qu’ils regardent comme « fait sur nature d’après un
crétin goitreux et dolichocéphale» (2). Le goitre est
Fig. 1.—Goitreux au crâne,déformé, Fig. 2. — Idiote microcéphale,
oxycéphale.
évident, mais le crâne n’est pas simplement allongé ;
il a la forme d’un cylindre incliné en haut et en arrière,
avec un front fuyant; il rappelle certaines déforma¬
tions ethniques.
Sur un dessin que j’ai étudié, un vieillard est at¬
teint d'ectropion de la paupière inférieure (fig, 3). Sur
un autre une jeune fille a un nez qui ressemble à
celui d’une personne atteinte de rhinite atrophique
(fig- 4).
Enfin de nombreuses caricatüres {fig. 5-9) rappel-
(1) Giuseppe Gerli. Disegntdi Leqnardo da,Vinci. Kevcts, 1C43, rééditéà
Milan, parG. VallaWi, éditeùr’èn 1830, et 5 Turin en 1888. Les critiques
estiment que ces dessins ne sont pas de Vinci, mais de son école.
(2) GràHCOT et Ricubr. difformes et les malades dans l'drt. Paris,
1889, p. 25 et 38.
— 480 —
lent les déformations que l’on observe chez les sujets
qui ont perdu une ou deux rangées de dents (1).
Chez les édentés complets, les arcades alvéolaires
disparaissent, le menton fait saillie en avant et la
distance qui le sépare du nez diminue d’autant plus
que de son côté la pointe du nez s'abaisse.
Chez les personnes qui ne perdent que les dents
supérieures (fig. 6-8), la bouche et la lèvre inférieure
s’élèvent vers le nez ; l’aspect normal de la mandibule
contraste avec la diminution de la distance qui sépare
le nez de la bouche.
Chez celles qui ne perdent que les dents inférieu-
Fig. 3. — Ectropion des paupières inférieures.
res (fig. 9), la lèvre supérieure est normale, tandis
que la mandibule diminue de hauteur et le menton
se porte en avant.
Les dessins de Vinci représentent, tantôt des
édentés fidèlement reproduits, tantôt des édentés
dont la déformation est exagérée. L’artiste a encore
(1) Félix Régnault. Léonard de Vinci physionomiste. Le Correspon¬
dant médical, 28 térrior 1899, n» 107 et 15 août 1899, n* 118, p. 8.
— 481 —
observé ces déformations chez des sujets qui, avant
de perdre leurs dents, avaient déjà une physiono¬
mie originale ; cette infirmité en a augmenté la
bizarrerie. Tel n’a plus ses incisives inférieures qui
possédait un long nez et une lèvre inférieure allongée ;
tel a subi la même perte, qui avait un nez écrasé, à la
pointe amincie. Une voûte palatine ogivale augmente
la hauteur entre le nez et la bouche, celle-ci paraîtra
encore plus abaissée si les dents inférieures seules
ont disparu. Un édenté complet est encore plus ridi¬
cule s’il associe le menton de galoche qu’il a ainsi
acquis à un nez naturellement camus.
Enfin, le plus souvent, l’artiste a exagéré la laideur
de ses modèles et il en a fait d’étranges caricatures.
On saisit donc sur ses dessins le procédé que dénon¬
çait Gerli : «reproduire exactement les sujets dont
la laideur l’avait frappé, puis les caricaturer».
— 482 -
Nous insisterons particulièrement sur un dessin
de grotesque de Vinci, conservé au Musée de Wind¬
sor. Nous en donnons une copie d’après unegravure
conservée à la Bibliothèque des Beaux-Arts à Paris.
Il convient de comparer ce dessin à un autre, exé¬
cuté à la fin du xviii' siècle, à Paris (fig. 10), et qui
lui ressemble étrangement. Ghampfleury (1) qui a
étudié ce dernier, rappelle qu’il fut exécuté en 1787,
Fig. 5. — Caricatures conservées au musée de Venise représentant des
édentés. Biles sont attribuées à Vinci. Les hachures y sont en
sens inverse de celles normales.
par un nommé Demarteau qui copia le dessin fait
par un certain G. dix ans auparavant.
Comme cette image eut du succès, de nombreuses
gravures et lithographies la reproduisirent. Une
peinture en fut faite pour le château d’Eu où elle
existait sous le règne de Louis-Philippe. Le musée
de Versailles possède une mauvaise copie de cette
dernière, par un peintre nommé Bioult; elle n’est pas
(1) ChJimpfleury. Hùloire de la caricature sous la Réforme et la
Ligue, p. 113-118.
484 —
exposée au public, mais j’ai pu la voir grâce à
l’obligeance du conservateur.
D’après la légende écrite au-dessous du dessin de
Demarteau, cet être grotesque serait un personnage
historique ; Marguerite, comtesse du Tyrol, surnom¬
mée «Maultasche», ou grande gueule, qui vécut de
1300 à 1366, céda son apanage à la maison d’Autriche
et fut réputée pour sa vie dissolue,
Champfleury s’inscrit en faux contre cette attribu¬
tion. Pour lui ce dessin est une caricature irréelle.
« La Nature, dit-il, ne doit pas être accusée d’une
pareille erreur».
Examinons en médecin le dessin du xviii® siècle,
nous reconnaîtrons que ce monstre n'est pas imagi¬
naire. Les anthropologistes connaissent ce crâne
déformé, étroit, tout en hauteur, au front saillant en
son milieu auquel ils ont donné le nom d’oxycépha-
lie. Les laryngologistes savent également que l’extrê¬
me longueur de la lèvre supérieure entre le nez et
— 485 —
la bouche révèle une voûte palatine profonde, ogivale,
signe de végétations adénoïdes. Cette association est
décrite depuis quelques années sous le nom de
« syndrome oxycéphalique» ; on est revenu à la con¬
ception d’Oribase : cet auteur ancien signalait déjà
que les gens porteurs d’un crâne en tour respiraient
Fig. 9. — Une édentée de la mandibule.
mal. Le syndrome oxycéphalique est caractérisé par
un crâne élevé, en tour, un front saillant en son
milieu, une voûte palatine ogivale, des végétations
adénoïdes. On saisira la vérité et la valeur artistique
du dessin de Demarteau, si on le compare aux dessins
qui illustrent le travail de Bertolotti (1).
(1) Bertolotti. Etude du syndrome oiycéphnliqne. Nouvelle Iconogra¬
phie de la Salpétrière, 1912, p. 1.
— 486 —
Notons enfin que, chez notre sujet, la mandibule
est développée verticalement, dans le même sens
que la voûte palatine, le nez, resté petit, semble
perdu dans l’immensité du visage. Deux vastes
oreilles, fortement détachées du crâne, signe de
dégénérescence, complètent cette ensemble disgra¬
cieux. La noble dame est oxycéphale, adénoïdienne
et dégénérée, mais c’est une dégénérée supérieure,
car sa physionomie est vive et spirituelle; et elle
est coquette, car elle se décolle et outrageusement
et fait saillir ses seins flétris.
Après cette étude du dessin de Demarteau, passons
à celui de Vinci. La ressemblance est frappante;
même structure, même physionomie, même pose,
même habillement. Les signes de la maladie sont un
peu plus accentués. Vinci a exagéré la saillie de la
bosse frontale médiane, diminué encore la longueur
du nez, rendu plus longue la lèvre supérieure, aug¬
menté les rides. De sorte que le portrait de Vinci
bien qu’antérieur, est au point de vue médical,
moins réel que celui de Demarteau.
Il semble évident que l’artiste du xviu® siècle a copié
le dessin de Vinci. C’est l’opinion de Ghampfleury:
« Ce prétendu portrait de la comtesse Marguerite,
dit-il, est la copie du croquis ci-contre du maître
italien, croquis auquel un dessinateur postérieur,
pour forcer sa tricherie, ajouta des oripeaux histori,-
ques, semblables à ceux qu’imaginait parfois Léonard ».
Notons que, par une erreur singulière, la repro¬
duction qu’il donne de la caricature de Léonard de
Vinci n’est point celle que nous étudions ici et ne
ressemble aucunement au dessin du xviii® siècle.
Cette théorie est passible d’objections.
Gomment le graveur parisien a-t-il eu l'audace de
mettre au-dessous du portrait une longue légende
explicative, si celle-ci est fausse ?
Et surtout comment en copiant simplement un
croquis interprété a-t-il obtenu un type qui se rappro¬
che davantage du syndrome oxycéphalique, bien plus
qui l’imite aussi bien ?
— 487 —
J’émettrai une autre hypothèse, Vinci a vu le por¬
trait de la comtesse du Tyrol qui vivait plus d’un
siècle avant lui. Il en a fait un croquis, ou interpré¬
tant sa difformité avec son génie, mais respectant le
costume et la coiffure à cornes du xiv® siècle. L’ar¬
tiste du XVIII® siècle a vu le même portrait, et l’a copié
fidèlement.
Pour transformer cette hypothèse en certitude, il
faudrait trouver le modèle original. Mais n’a-t-il pas
été détruit ?
On sait que Léonard de Vindi écrivait en miroir.
La remarque en a été faite par Vasari qui dit en par¬
lant des dessins de Vinci : « Chacune de ces figures
est accompagnée de notes explicatives en caractères
bizarres, tracés à rebours, et de la main gauche, de
façon que celui qui n’en a pas l’habitude ne peut
rien déchiffrer sans l’aide d’un miroir». De nos jours,
Ravaisson a écrit sur ce sujet une bonne monogra¬
phie (1). Vinci, nous apprend-il, était gaucher et
(1) Ch. IUtaisson-Mollien. Pages autographes et apocryphes de
Léonard de Vinci. Mémoires de la Soc. nationale des Antiquaires de
France, XLVIII, 1888,
écrivait presque toujours à rebours du sens ordi¬
naire, c’est-à-dire de droite à gauche. Mais, quoique
gaucher, il était aussi habile à se servir de la main
droite que de l’autre, et quand, par exception, il
écrivait selon l’usage vulgaire, c’était toujours en
procédant avec la même netteté, les mêmes formes de
lettres, la même négligence de ponctuation des i.
Ce n’est pas seulement l’écriture de Léonard de
Vinci, mais Ses dessins qui souvent sont en miroir.
Quand on ombre un dessin, les hachures sont tracées
obliquement en allant du haut à droite vers le bas à
gauche, sens dans lequel est penchée l’écriture
normale.
Les dessins anatomiques, mécaniques,. de
Léonard de Vinci conservés aux bibliothèques de
l’Institut (1) et du château de Windsor (2) sont en
miroir ; les hachures y sont en sens inverse de la
normale, elles vont du haut à gauche vers le bas à
droite, contrairement au sens de l’écriture normale;
les légendes de ces dessins sont écrites également en
miroir. Par exception, un de ces dessins, dont les
traits avaient la direction normale possédait une
légende écrite d’une manière normale (3).
Dans ses grands dessins isolés, Léonard de Vinci
ombre suivant la normale. Le dessin en miroir
s’observe surtout sur ses caricatures, ses croquis, ses
dessins rapides et documentaires. Ce caractère per¬
met d’attribuer au maître certains de ces dessins
pour lesquels jusqu’à présent le doute subsistait.
(1) Gk. Ra.vaisson-Mollien. Paris. Le* manuscrits de Léonard de
Vinci, fac-similés,
(2) liéonÀRD DE Vinci. Notes et croquis d’après les originaux conservés
à la bibliothèque de Windsor. Paris, Ed. Rouveyre, 1901.
(8) Idem. Volume sur la physionomie, leoillet 9.
TABLE DU TOME TREIZIÉME
Baudouin, Marcel. — L’oftéo-arthrite déformante chro¬
nique, à l’âge de la pierre polie, dans l’ossuaire de
Bazoges-en-Pareds (Vendée) . 96
Blanchard, Raphaël. — Encore sur l’emploi abusif des
armoiries de l’ancienne Faculté de médecine de Paris . . 78
1 d. — La maison aux emblèmes médicaux du Le Baron. 172
Id. — Tableaux des docteurs régents de la Faculté de
médecine de Paris et des membres du Collège et Acadé¬
mie royale de chirurgie de Paris {2 pl., i fig.) . . . . Sg
Bonneau, Raymond. — Trois documents d’iconographie
médicale : une porte gothique et deux vitraux (3 fig.) . 177
Bonnet, Ed. — IJne dichotomie médico-pharmaceutique en
i6go, à propos de la racine d’ipéca .. i5o
Id. — Les ex-libris de Albert de Haller (2 fig.).. 197
Cany, g. — Ordonnances et prescriptions des eaux miné¬
rales aux XVm et XYIIP siècles (i fig.). 33
Cleu, Hubert. Les maladies épidémiques et contagieuses
en Lorraine du IX” au XIX» siècle. — l. , .. 236
Id. — Sainte Claire qui guérit les maux d’yeux; fontaines
thérapeutiques des Vosges . 66
Dorvbaux, Paul. Biographie du Lucien Leclerc, j8i6-
i 8 g 3 (1 portr., 1 fig.). .. 207
Id. — Le serment des apothicaires chrétiens et craignant
Dieu . i 52 , i 85
Dubousquet, Louisvf^ Voy. Picqué, Lucien..
'Esysà.Ti..PfiL\i\A’.—r;Biscuitspurgatifs etbiscuits vermifuges. 107
Fossevbüx, Marcel. Les aliénés à Paris au XVIIIe siècle.
Le quartier des déments à Saint-Lazare . i33
Goldschhidt, D. — Une société de médecine à Strasbourg
pendant le premier tiers du XIX* siècle (7 portr., 2 fig.). 299
Goulard, Roger.— A propos de l’affaire dès poisons; le
célèbre édit de 1682 . 260
Id. — Sur quatre cas de rage traités par Antoine Portai,
1781 . 48
üeslxè, Georges. — Une inoculation en lygj’, récit d’une
mère . igi
Id. — La maison natale de Cabanis (i fig.). 4*
JoHNSSON, J.-W.-S. — Les origines de la syphilis en Dane¬
mark ..
Laionel-Lavastine, M.— Une ordonnance de Laennec (i fig.).
Liste des membres .
122
— 490 —
Maah, V. — L’ordre de Dannebrog et la science médicale
(2 portr., 2 fig.). . 268
Nécrologie. — Charles Esmonet ... 106
Louis-Roland PiCHEviN . .45
PicQuÉ, Lucien. — A propos de la maison natale de Cabanis
(i fig.). .... 297
PicQUÉ, Lucien et Dubousquet, Louis. —üincident da salon
de Madame Helvétius; Cabanis et l’abbé Morellet .... 281
Rebeb, b. — Une consultation du Z)r Tronchin . 102
Id. — Mesures prophylactiques contre la rage à la Jin du
XV7//« siècle . 186
Id. — Quelques remarques sur la thériaque, le mithridate,
l'opiat de Salomon et l’orviétan (3 fig.). .. 46o
Régnault, Les dessins de Léonard de Vinci (10 fig.). 478
Id. — Les nains dans l’art égyptien (5 fig.). 187
Id. — Sur une cause de propagation de la syphilis au XVI*
siècle : la disparition des K bains-bourdeaux yt . 3r
Id. — Terre-cuite grecque représentant une femme-médecin
en consultation ..... 47
Reütter, L. — Analyse de la résine carthaginoise C, prove¬
nant d’un sarcophage phénicien . 201
Rivière, Emile. — Légendes et superstitions thérapeutiques.
..82, 160, 385
Roché, Henri. — Arrest de la cour du Parlement du so
mars 1728, en faveur du. libre choix du médecin par
les blessés .. . 127
Séances . J?, 45, 106, 149, i85, 207, 297
Torkomian, Vahram H. — Amirdolvathe d’Amassie, mé¬
decin arménien du XVe siècle', sa vie et ses ouvrages . . 444
Vidal, Charles. — Un certificat médical par un chirurgien
languedocien du XVIIP siècle . 121
Id. — Un compte d’apothicaire castrais au XVIIP siècle . 187
Weisgerber, h.— Menhir de Pleumeur-Bodou christianisé. 98
WicKERSHBiMER, Emest. — Les maladies épidémiques on
contagieuses (peste, lèpre, syphilis) à la Faculté de
médecine de Paris, de i 3 gg à iSii . . . , . .... . 21
Id. — Les origines de la Faculté de médecine de Paris; sa
situation dans l’Université naissante. . . . . . . . i . 249
- 491 —
Errata.
Page 29, ligne i 5 , au lieu de 1476, lire i473.
Page 29, note 2, au lieu de 200, lire /» 8 u°.
Page i 33 , ligne 26, au lieu de Fossoyeax, lire Fosseyeax.
Page 197, note i, ligne i, au lieu de I7g8, lire 1708.
Page 197, note i, ligne 4 , au lieu de inaugularis, lire inaugu-
ralis.
Le Mans. — Imprimerie Monnoyer.